S'ADRESSANT A LA CNUCED, LE SECRETAIRE GENERAL PROPOSE UN "NEW DEAL" MONDIAL EN FAVEUR DES PAYS LES MOINS AVANCES
Communiqué de Presse
SG/SM/7298
TAD/1902
S'ADRESSANT A LA CNUCED, LE SECRETAIRE GENERAL PROPOSE UN "NEW DEAL" MONDIAL EN FAVEUR DES PAYS LES MOINS AVANCES
20000214Il souligne la responsabilité des pays en développement pour ce qui est de leur intégration dans l'économie mondiale
On trouvera ci-après le texte du discours que le Secrétaire général, M. Kofi Annan, a prononcé le 12 février à la dixième session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, organisée à Bangkok (Thaïlande) :
C'est avec un grand plaisir et beaucoup d'enthousiasme que je vous souhaite la bienvenue à tous qui êtes ici réunis pour participer à la première Conférence des Nations Unies du nouveau millénaire.
Nous sommes certainement tous profondément reconnaissants au Gouvernement et au peuple thaïlandais du merveilleux accueil qu'ils nous ont réservé. Et je pense m'exprimer au nom de tous en disant que l'on n'aurait pas pu trouver une région et un pays mieux indiqués pour y tenir cette conférence.
Comme chacun sait en effet, c'est ici même, il y a deux ans et demi seulement, que la dernière grande crise financière du deuxième millénaire a commencé, avec la dévaluation du baht thaïlandais. Pendant plus d'un an, on a pu craindre que les pays de l'Asie de l'Est, après avoir montré la voie du succès à d'autres pays en développement, ne soient en fait sur le point d'inaugurer une ère d'instabilité et de paupérisation.
Fort heureusement, ces craintes se sont avérées tout à fait excessives. L'économie mondiale est de nouveau en expansion, et la quasi-totalité des régions du monde contribue à sa croissance. Les pays de l'Asie du Sud-Est, en particulier la Thaïlande, sont aujourd'hui le fer de lance du redressement économique, et d'autres grands pays qui ont connu de graves difficultés, tels la Russie et le Brésil, sont manifestement en passe de sortir de la crise. Une fois de plus, ce sont les exportations qui ont annoncé le redressement. Commerce et développement sont indissociables, comme l'indique clairement le titre de la Conférence.
Il y a moins de trois mois, nombre d'entre nous assistions à une autre conférence, celle de Seattle. Nous pensions participer au lancement d'un nouveau cycle de négociations commerciales dont nous comptions qu'il s'appellerait le Cycle du développement, car il devait permettre aux pays en développement de recueillir enfin les bénéfices de la libéralisation des échanges qu'on leur avait si souvent fait miroiter.
Hélas, ce cycle n'a toujours pas été lancé. La légende veut qu'il ait été bloqué à Seattle par les peuples du monde entier, descendus dans la rue pour défendre leur droit à la différence face à un groupe de bureaucrates internationaux anonymes résolus à leur faire avaler de force les mêmes aliments génétiquement modifiés. En d'autres termes, aussi paradoxal que cela puisse paraître, on aurait assisté à une sorte de soulèvement mondial des populations locales contre la mondialisation.
Je crains bien que la réalité ne soit plus terre-à-terre. Si le nouveau cycle de négociations a tourné court, c'est parce que les gouvernements en particulier ceux des principales puissances économiques ne sont pas arrivés à se mettre d'accord sur les priorités. Les pays en développement appuyés par la CNUCED, je suis heureux de le dire se sont montrés plus actifs et plus unis que lors des conférences précédentes, mais les pays industrialisés sont restés englués dans leurs différences. Leurs gouvernements sont en principe tous favorables à la libéralisation des échanges mais il leur manque trop souvent la volonté politique voulue pour tenir tête à ceux qui, dans leurs propres pays, misent sur le protectionnisme. Ils n'ont pas encore réussi à faire comprendre à leur peuple que, par-delà l'intérêt particulier d'une poignée de chanceux, il est dans notre intérêt à tous que le marché mondial soit ouvert à tous et que chacun y trouve son compte.
Les mouvements de rue ont d'une certaine façon joué un rôle important. Ils ont fait toucher du doigt l'anxiété que beaucoup ressentent devant la mondialisation et ses répercussions possibles sur l'emploi et les normes de travail, l'environnement, la santé publique, les droits de l'homme et la diversité culturelle.
Il est certes indispensable que les gouvernements et le secteur privé répondent à ces préoccupations au niveau national et, dans certains cas, également au niveau international. La plupart de ces domaines sont déjà couverts par des accords sur des valeurs universelles et des normes communes fruits de nombreuses conférences et de longues négociations. Mais il faut que les États respectent les obligations qu'ils ont contractées. Il existe des institutions internationales l'Organisation des Nations Unies et ses institutions spécialisées pour les y aider. Évidemment celles-ci pourraient mieux s'acquitter de leur tâche si on leur donnait les ressources et l'appui qu'exige leur mandat.
Le développement bien compris est caractérisé par des progrès dans tous les domaines qui préoccupent les manifestants. Un pays développé est un pays qui permet à ses citoyens de vivre librement et sainement dans un environnement sûr. Et un pays véritablement en développement est un pays dans lequel la société civile est à même d'insister, non seulement sur le bien-être matériel, mais aussi sur l'amélioration des normes en matière de droits de l'homme et d'environnement.
La mondialisation risque-t-elle de nuire au développement ainsi entendu au sens large? Certainement pas. Bien sûr elle fait des victimes, comme toute évolution importante de l'histoire des hommes. Et non seulement ceux qui en profitent le plus ont le devoir de faire davantage pour aider ces laissés-pour-compte, ils ont grandement intérêt à agir s'ils ne veulent pas voir tous leurs bénéfices réduits à zéro par un contre-choc à l'échelle mondiale.
Mais dans le monde très inégal que nous connaissons aujourd'hui, les grands perdants ne sont pas ceux qui sont trop exposés à la mondialisation. Ce sont ceux qui en sont exclus. Selon un article récemment paru dans le Financial Times, "les sociétés et les gens les plus pauvres du monde n'ont pas tant été exploités par le système économique mondial que presque entièrement tenus à l'écart."
Monsieur le Président, c'est sur cette exclusion que la Conférence devrait se pencher en particulier. Comment se fait-il que tant de régions du monde soient tenues à l'écart des bénéfices de la mondialisation? Et pourquoi?
Partiellement en effet parce le développement est freiné par les barrières qu'érigent encore les pays industrialisés pour se défendre des exportations des pays en développement. J'avais beaucoup à dire à ce sujet à Seattle et je l'aurais dit si les manifestants m'avaient laissé prononcer mon discours. Mais dans cette enceinte-ci, il n'est pas vraiment nécessaire de dénoncer le protectionnisme des pays industrialisés. La plupart d'entre vous ne savent que trop ce dont je parle.
Ce sur quoi il faut peut-être insister ici, en revanche, c'est sur la responsabilité des pays en développement eux-mêmes, et en particulier de leurs responsables.
À mon avis, la postérité jugera essentiellement ces dirigeants à l'aune de ce qu'ils auront fait pour faciliter l'intégration de leur pays dans l'économie mondiale et s'assurer que tout leur peuple en partage les bienfaits.
Monsieur le Président, je ne suis pas ici pour donner des leçons d'économie. Il se trouve vraisemblablement parmi vous un millier de personnes au moins qui comprennent mieux l'économie que moi. Je ne prétends pas connaître les réponses. Mais celles-ci, me semble-t-il, constituent certaines des questions que devrait se poser cette conférence :
· Premièrement, comment pouvons-nous faire en sorte que les exportations alimentent la reprise dans un plus grand nombre de pays et que les bienfaits du commerce soient équitablement et largement répartis sur le plan national? Autrement dit, comment pouvons-nous mettre le commerce au service des pauvres?
C Comment pouvons-nous faire en sorte que tous les pays en développement, et en particulier les pauvres qui s'y trouvent, bénéficient de l'accroissement de l'investissement privé et puissent emprunter à des taux abordables? Nous savons qu'il est difficile, voire impossible, aux États de surmonter certains des obstacles à l'apport de capitaux privés, tels que l'existence de conflits dans les pays voisins. Appartiendrait-il à l'aide publique au développement de subventionner la prime de risque que les investisseurs ont à payer en pareil cas?
· Comment pouvons-nous faire en sorte que les nouvelles technologies deviennent plus largement accessibles et mieux utilisées? De Bangalore à São Paulo, de nouveaux savoir-faire produisent des mutations spectaculaires. Microsoft investit certes des milliards de dollars en Inde, mais les sociétés indiennes de services et d'ingénierie en informatique n'en absorbent pas moins certaines de leurs cousines américaines. Et pourtant, la moitié des habitants de la planète n'ont jamais donné ni reçu un coup de téléphone, et n'ont pas la moindre idée de ce que peut être un ordinateur. Pourquoi la différence? Que peuvent y faire les États, et quand vaut-il mieux qu'ils restent en retrait? Comment pouvons-nous aider les pays en développement à tirer parti des progrès de la technologie et de la médecine que les brevets maintiennent hors de leur portée, sans démotiver ceux à qui ils sont dus dans les pays industrialisés?
C L'aide extérieure peut-elle être utile aux petites entreprises des pays en développement qui cherchent à se placer sur les marchés internationaux? Pouvons-nous mettre à profit l'expérience de la banque Grameen, grâce à laquelle des femmes rurales au Bangladesh se servent maintenant de téléphones mobiles et vérifient par elles-mêmes les prix mondiaux de leurs produits, les intermédiaires ne les tenant plus à leur merci?
C Comment pouvons-nous édifier de nouveaux partenariats et innover par rapport à la coopération intergouvernementale classique, afin de faire progresser le développement au sens large que j'ai indiqué? Il y a un an de cela, au Forum économique mondial de Davos, j'ai proposé un pacte mondial entre l'ONU et le monde des entreprises, dans le cadre duquel nous aiderons le secteur privé à se tenir aux principes internationalement acceptés en matière de droits de l'homme, de normes du travail et d'environnement. Depuis lors, nous avons vu lancer des initiatives telles que Netaid partenariat entre le Programme des Nations Unies pour le développement, Cisco Systems et le monde du spectacle visant à sensibiliser l'opinion à l'extrême pauvreté dans le monde et à mobiliser les fonds nécessaires pour y remédier et GAVI, Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination. Je suis convaincu qu'il pourra beaucoup être fait encore, et que bien d'autres modalités de coopération restent à imaginer.
· Que pouvons-nous faire pour que les pays en développement ne se fassent pas seulement entendre, mais écouter lors des discussions futures sur les règles du commerce international? La CNUCED, la Banque mondiale, l'OMC et les gouvernements des pays donateurs agissant sur le plan bilatéral s'efforcent tous d'aider les pays en développement à mieux se préparer aux négociations internationales, ainsi qu'à appliquer les accords conclus (ce qui peut coûter davantage que l'intégralité du budget annuel de certains des pays les plus petits et les plus pauvres). Peut-être la société civile et les entreprises pourraient-elles jouer un rôle plus important dans ce domaine aussi.
· Que pouvons-nous faire collectivement, enfin, pour aider les pays les moins avancésceux qui ne sont actuellement en développement que de nom à suivre le mouvement de la croissance mondiale? Nombre de ces pays ont appris à leurs dépens que de simples transferts de ressources ne règlent pas leurs problèmes. Ils se sont pliés à de douloureux ajustements, dont ils n'ont dans trop de cas été que maigrement récompensés que ce soit par un allégement de la dette ou moyennant d'autres formes d'assistance, ou par une amélioration de l'accès de leurs produits au marché. Peut-être le moment est-il venu d'un New Deal mondial, suivant lequel les avantages recherchés seraient garantis aux pays qui se tiendraient à un panachage convenu de politiques visant à la fois à favoriser l'investissement et à faire en sorte que la population dans son ensemble en bénéficie. Ne pourrions-nous pas tenter de faire à l'échelon mondial ce que n'importe lequel des pays industrialisés fait pour aider ses régions les plus désavantagées ou sous-développées à combler leur retard?
Telles sont mes questions, Monsieur le Président. Sans doute en est-il d'autres, tout aussi importantes. Mais quelque tour que prennent vos délibérations, je veux espérer que vous garderez à l'esprit l'objectif primordial, qui est de permettre à tous les habitants du globe de participer à la nouvelle économie mondiale, et d'en partager les bienfaits. Pour cela, il nous faut des normes communes, définies et mises en application par les États travaillant ensemble dans le cadre d'institutions multilatérales et, ce qui importe avant tout, sous-tendues par des valeurs communes. C'est sur celles-ci que repose en dernier ressort la cohésion d'une communauté quelle qu'elle soit. Il en est allé ainsi pour les communautés locales depuis le début de l'histoire. Il en va ainsi pour les communautés nationales aujourd'hui. Il doit en aller ainsi également pour la communauté mondiale que nous commençons d'édifier.
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