SG/SM/7209

LE JAPON DOIT ASSUMER UN ROLE POLITIQUE A LA MESURE DE CELUI QU'IL JOUE DANS L'ECONOMIE MONDIALE, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL LORS DE SA VISITE AU JAPON

11 novembre 1999


Communiqué de Presse
SG/SM/7209
UNU/192


LE JAPON DOIT ASSUMER UN ROLE POLITIQUE A LA MESURE DE CELUI QU'IL JOUE DANS L'ECONOMIE MONDIALE, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL LORS DE SA VISITE AU JAPON

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Vous trouverez ci-dessous le discours que le Secrétaire général, M. Kofi Annan, a fait ce 11 novembre à l'Université des Nations Unies de Tokyo, à l'occasion de sa visite au Japon:

C'est un grand plaisir pour moi d'être avec vous ici, à l'Université des Nations Unies, pour la troisième fois dans ma carrière de Secrétaire général. Mais bien sûr, je n'ai pas besoin de venir à Tokyo pour me rendre compte de la présence de l'Université, car vos travaux voyagent, eux aussi. Pas plus tard que le mois dernier, ayant entre les mains un rapport exceptionnel émanant de l'Université des Nations Unies, j'ai longuement parlé à des représentants de la Banque mondiale des causes des conflits violents et des urgences humanitaires, ainsi que des liens entre la paix et le développement.

Ce rapport donne de l'Université une image des plus favorables, celle d'une entité qui joue un de ses rôles essentiels de laboratoire d'idées pour le système des Nations Unies. Je constate aussi avec plaisir votre intérêt pour l'information des jeunes et je puis vous assurer que vos diverses initiatives, qu'elles aient trait à la paix et à la sécurité, au développement, à l'administration publique, à l'environnement ou à d'autres questions intéressant l'ensemble du monde, fournissent à vos collègues de l'ONU et aux dirigeants, partout dans le monde, une excellente matière à réflexion au moment où nous entrons dans un nouveau millénaire.

Dans certaines cultures, le millénaire n'est rien d'autre qu'un hasard du calendrier. Mais il est pour chacun de nous une occasion opportune de réfléchir aux succès et aux échecs du siècle écoulé.

Il y a de cela deux mois, des habitants de la région Asie- Pacifique ont pu exposer ici, à l'Université des Nations Unies, leur conception d'un avenir plus sûr et plus optimiste dans le cadre des préparatifs de l’Assemblée et du Sommet du millénaire qui se tiendront l'année prochaine.

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Toute une série de thèmes et de propositions se sont dégagés à cette occasion, et à celle d'autres réunions organisées ces derniers mois. Mais une chose est sûre : un nouveau chapitre de l'histoire de l'humanité a commencé et nous avons à faire des choix déterminants.

Nous devons par exemple choisir entre nos vieilles habitudes, qui nuisent à l'environnement, et les mesures convenues il y a deux ans, à Kyoto, pour lutter contre les changements climatiques.

Nous devons choisir de rester passifs devant les inégalités flagrantes qui existent au sein des États et entre eux ou de nous employer à créer une économie mondiale plus juste.

Lorsque nous sommes face à une urgence humanitaire, nous devons décider soit de nous contenter de mesures palliatives, soit de nous attaquer aux causes profondes de la crise, qui sont politiques, économiques et même culturelles.

Le Japon est lui aussi parvenu à un moment décisif. Les choix que le peuple japonais fera au cours des quelques années à venir, qu'il s'agisse de sa place dans le monde et dans la région, de sa politique en matière de sécurité ou de sa présence à l'ONU, seront déterminants pour le reste de la population mondiale.

Il est difficile d'imaginer un pays plus actif que le Japon dans tous les domaines de l'ordre du jour international. Le Japon est incontestablement l'une des premières puissances économiques mondiales et sa réussite reste indispensable à la relance des économies de l'ensemble des pays d'Asie de l'Est. Le Japon est aussi l'un des principaux investisseurs dans le monde en développement.

Le programme d'aide publique au développement du Japon reste le plus important du monde, avec 160, j'ai bien dit 160, pays bénéficiaires.

Il est sans doute inutile de vous rappeler que la contribution du Japon au budget ordinaire de l'ONU est la deuxième par ordre de grandeur. En fait, le Japon occupe actuellement la première place pour ce qui est du paiement effectif des quotes-parts.

En outre, les très généreuses contributions volontaires du Japon facilitent la bonne organisation de nos opérations au Kosovo et au Timor oriental.

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Mais les contributions du Japon ne sont pas que financières, loin s’en faut. Le Japon est un ardent partisan de l’approche multilatérale et a fait de l'ONU un des fers de lance de sa politique étrangère.

Il a notamment organisé deux réunions remarquables sur le développement de l'Afrique et a animé un dialogue africano- asiatique très constructif.

Le Japon partage plus que volontiers son savoir-faire technique avec le monde en développement. Il appuie sans réserve la création de la Cour pénale internationale. Il milite pour la démocratisation et l'allégement de la dette. Et, bien sûr, il est un des principaux partisans de la non-prolifération nucléaire et du désarmement mondial.

Le Japon considère avec raison que cette action s'inscrit dans un effort unique et intégré tendant à assurer la sécurité commune au sens le plus large.

Je sais que certains parmi vous s'inquiètent de la connotation militaire du mot "sécurité". Mais comme l'a dit mon ami Yukio Satoh, l'Ambassadeur du Japon auprès de l'Organisation des Nations Unies, il importe moins de définir le mot que d'appeler davantage l'attention de la communauté internationale sur les dangers qui menacent la vie et la dignité des êtres humains. Et il faut lutter pour la sécurité, la protéger et la défendre, comme on le fait pour la paix.

Le Premier Ministre Obuchi a personnellement fait la preuve de son attachement remarquable à cette idée en créant un fonds commun pour la sécurité. S'il existait un "conseil de sécurité des populations", le Japon en serait sans conteste membre permanent.

Pour toutes ces raisons, une grande partie de la communauté internationale estime que le Japon mériterait son siège de membre permanent dans un nouveau Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies.

Je sais que les Japonais et leurs dirigeants éprouvent un sentiment croissant de frustration en ce qui concerne la réforme du Conseil de sécurité. Il est un fait que les débats s’éternisent, alors qu’il s’agit d’une question déterminante pour l’avenir de l’ONU.

Chacun conviendra, je pense, que le Conseil de sécurité est le reflet de la situation qui prévalait en 1945 et devrait être aujourd'hui un organe plus représentatif, plus démocratique et plus efficace. La réforme que cela suppose devrait tenir compte des réalités modernes, en particulier du rôle que joue le Japon sur le terrain de la politique internationale.

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Bien entendu, c'est aux États qu'il appartient de décider, et j'espère qu'ils le feront sans plus attendre.

Au Japon, je le sais, d'aucuns voudraient utiliser la puissance économique du pays comme un moyen de pression, par exemple en réduisant l'aide publique au développement ou le volume des contributions volontaires versées à l'ONU.

Une action de ce genre serait, à mon sens, contre-productive et serait indigne de la réputation du Japon dans le monde, sans parler de la générosité de son peuple. Je recommanderais plutôt la patience.

Je voudrais aussi inviter le Japon à participer davantage encore à l'action politique de l'ONU, c'est-à-dire aux efforts déployés pour instaurer, maintenir et consolider la paix qui constituent la tâche essentielle du Conseil de sécurité. Le Japon doit assumer un rôle politique à la mesure de celui qu'il joue dans l'économie mondiale.

N'entendez pas par là que le Japon est aujourd'hui absent de la scène politique internationale. C'est loin d'être le cas.

Des Japonais ont participé à l’observation des élections dans de nombreux pays. Les forces de police japonaises ont prêté un appui précieux au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés au lendemain du génocide rwandais.

Des fonctionnaires japonais ont participé aux opérations de maintien de la paix en Angola, au Cambodge, au Mozambique, au Tadjikistan et dans les hauteurs du Golan. Le Japon participe au processus de paix au Moyen-Orient. Et le Japon a été membre non permanent du Conseil de sécurité.

Pourtant, le Japon peut faire plus encore, de son propre chef et par l'intermédiaire de l'ONU.

Je n'ignore ni les dispositions constitutionnelles ni les inhibitions résultant du passé qui font hésiter les décideurs japonais face à certains engagements internationaux.

Mais je veux croire que le Japon pourrait participer davantage au maintien de la paix. Le rôle actif qu'il joue au Timor oriental marque un progrès important en ce sens. En offrant des moyens généreux et en décidant d'organiser un pont aérien pour transporter des vivres et du matériel médical destinés aux réfugiés du Timor occidental, le Japon a fait la preuve d'une détermination nouvelle et significative.

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L'action politique de l'ONU fait souvent appel autant à la créativité politique qu'à la force et au déploiement de troupes. Commencer à parler d'action militaire est à de nombreux égards un signe de l'échec de la diplomatie.

Mais, et je suis convaincu que les Japonais le comprennent bien, la diplomatie n'est certainement pas le seul ni même le meilleur moyen de prévenir les conflits. Les mesures visant à un développement sain et équilibré sont bien plus importantes.

La démocratie est elle aussi un élément clef, si elle est instaurée de manière pertinente, en permettant à chaque groupe concerné de prendre conscience qu'il a son mot à dire, au lieu de donner aux minorités le sentiment qu'elles sont à la merci de la majorité. Je crois que le Japon pourrait faire meilleur usage de son influence pour promouvoir en matière de démocratie des principes semblables à ceux qu'il applique dans les affaires intérieures.

Je voudrais encourager le Japon et les pays voisins à recourir davantage à des approches multilatérales pour ce qui est des questions de paix et de sécurité internationales. Dans d'autres régions du monde, on a constaté que la recherche du consensus, l'action conjointe et la création d’institutions communes sont de bons moyens de s'entraider, de promouvoir les valeurs communes et de trouver des solutions lorsque la situation économique ou politique se détériore.

Enfin, je voudrais lancer un appel aux Japonais et aux Japonaises, en particulier aux jeunes, pour qu'ils participent à l'action de l'ONU, non seulement dans le domaine politique mais encore dans tous les domaines qui intéressent l'Organisation, en mettant à son service leurs idées et leur énergie.

Je sais que la faible représentation du Japon parmi les fonctionnaires de l'ONU est pour le Gouvernement japonais une source de contrariété. La situation est en train de changer. Mais pour faire mieux encore, il nous faut des candidats : des Japonais et des Japonaises qui partagent les idéaux énoncés dans la Charte des Nations Unies, qui soient les meilleurs dans leur profession et qui aient la volonté de choisir la fonction publique internationale.

Il y a 80 ans jour pour jour, à la onzième heure du onzième jour du onzième mois, partout en Europe, les canons se sont tus. La guerre qui devait mettre fin à toutes les guerres, comme on l'a appelée, était finie. Et pourtant, depuis, la violence continue de ravager le monde, comme le font la misère et l'intolérance. Mais certains signes montrent aussi que la condition humaine s’est améliorée au cours du siècle écoulé. Année après année, génération après génération, nous avançons.

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Le Japon a investi dans l'Organisation des Nations Unies des ressources considérables et une grande détermination. Je rends hommage au peuple japonais qui adhère avec tant de conviction à cette conception multilatérale du monde. Cette vision du monde est l'un des acquis du XXe siècle. Au XXIe siècle, il s’agira de la concrétiser. Le monde attend beaucoup de la coopération entre le Japon, le leader mondial, et l'Organisation des Nations Unies, l'institution mondiale. Ne le décevons pas. Je vous remercie.

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