ECOSOC/394

LA CRISE ASIATIQUE ET SES REPERCUSSIONS SUR L'ECONOMIE MONDIALE AU CENTRE DU DEBAT DE HAUT NIVEAU DU CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL

6 juillet 1998


Communiqué de Presse
ECOSOC/394


LA CRISE ASIATIQUE ET SES REPERCUSSIONS SUR L'ECONOMIE MONDIALE AU CENTRE DU DEBAT DE HAUT NIVEAU DU CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL

19980706 L'ECOSOC entame les travaux de sa session de fond de 1998 qui se poursuivra jusqu'au 31 juillet

La crise asiatique et ses répercussions sur l'économie mondiale ont été au centre du débat de haut niveau qu'a tenu le Conseil économique et social ce matin dans le cadre de sa session de fond de 1998 (du 6 au 31 juillet). Ouvrant les travaux de la session, M. Juan Somavia, Président du Conseil économique et social, a souligné que l'intégration économique peut amener de grands bénéfices, mais comporte aussi de grands risques lorsqu'elle n'est pas bien menée. Evoquant les règles qui doivent s'appliquer à la poursuite de la libéralisation des échanges, le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, a estimé que pour réaliser les objectifs mondiaux en matière d'environnement, de droits de l'homme et de législation du travail, le système des Nations Unies était plus adapté que les règles commerciales de la mondialisation.

Pour résoudre la crise actuelle et renforcer la prévention, les dirigeants des institutions financières et commerciales multilatérales du système des Nations Unies qui participaient au débat ont avancés diverses propositions. Le Président du Fonds monétaire international, M. Michel Camdessus, a mis l'accent sur la nécessité d'appuyer les programmes d'ajustement des pays les plus touchés, de renforcer le système bancaire et financier mondial, ainsi que les politiques de gestion fiscale, et de maintenir les économies ouvertes. Il a appelé les pays qui ont des excédents de balance de paiement à recycler ces excédents sous forme de prêts non liés et d'aide humanitaire, et à accorder des conditions très généreuses pour le rééchelonnement de la dette des pays les plus pauvres. Le Président de la Banque mondiale, M. James Wolfensohn, a soutenu la nécessité de libéraliser davantage les structures économiques internationales et a souligné l'importance d'un système commercial ouvert qui garantisse toutefois un accès plus libre des produits des pays en développement aux marchés des pays développés. Il a dit que la transparence dans les structures des pays qui empruntent auprès des institutions internationales était un élément vital de la stratégie actuelle et que la lutte contre la corruption était un des credo

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des actions de la Banque. Il a indiqué que la Banque partageait aussi les soucis liés aux aspects sociaux des programmes menés. Pour M. Rubens Ricupero, Secrétaire général de la CNUCED, les difficultés sociales causées par la crise risquent de perdurer au-delà de la crise et de toucher la prochaine génération. Seule la reprise rapide d'une croissance durable peut réduire le chômage et les efforts d'élimination de la pauvreté aux niveaux d'avant la crise. A cette fin, il faut réformer et renforcer les institutions financières locales, regonfler les économies nationales et augmenter les dépenses publiques.

Au cours du dialogue qui a suivi, les délégations ont demandé des précisions sur la libéralisation des transferts financiers et sur les aspects sociaux des politiques des ajustements structurels. Ils se sont également préoccupés de la collaboration entre les institutions de Bretton Woods et les organes de l'ONU.

Le Conseil économique et social avait auparavant adopté son ordre du jour et son projet de programme de travail pour la présente session.

Le Conseil économique et social poursuivra son débat de haut niveau cet après-midi à partir de 15 heures. Il entendra notamment le Directeur général adjoint de l'Organisation mondiale du commerce. Il entamera ensuite son débat ministériel de haut niveau consacré à la question de l'accès aux marchés et aux faits nouveaux intervenus depuis le Cycle d'Uruguay.

OUVERTURE DE LA SESSION

Déclaration du Président du Conseil économique et social

Le Président du Conseil économique et social, M. JUAN SOMAVIA (Chili), a rappelé le contexte de turbulences économiques dans le cadre duquel se déroule la session du Conseil économique et social. La crise asiatique a montré que l'intégration dans l'économie mondiale peut amener de grands bénéfices, mais comporte aussi de grands risques si elle n'est pas bien menée. Ces effets négatifs peuvent être contrés par une gestion judicieuse et prudente aux niveaux national et international. Pour mieux faire face à ce type de situation dans le futur, il faut mettre au point une capacité de réaction rapide au niveau mondial en partenariat avec les pays et les institutions internationales, ainsi qu'avec le secteur privé, les syndicats et les organisations représentant la société civile. Le dialogue politique que nous allons avoir sur l'état de la situation économique mondiale et le débat de haut niveau sur l'accès aux marchés fourniront une occasion opportune de discuter de ces questions essentielles pour le bien-être de tous les pays et d'identifier des mesures correctives.

Ce moment est aussi particulièrement important dans l'évolution des institutions multilatérales et de leur coopération mutuelle. Les tendances actuelles du système financier et commercial, le défi permanent de l'élimination de la pauvreté et de l'exclusion sociale, et la nécessité d'orienter les forces de la mondialisation de manière à équilibrer les impératifs de la croissance économique, de l'égalité sociale, des droits des travailleurs, de l'égalité entre les sexes et de la protection de l'environnement, représentent un défi commun pour toutes nos institutions, qu'aucune n'a les moyens de relever individuellement. Ce défi consiste à développer de nouveaux modes de pensée et d'action. Il ne sert à rien d'utiliser les mêmes formules, les mêmes solutions, les mêmes analyses. Or, le système international dans son ensemble n'a pas encore pu prouver qu'il était à la hauteur de cette tâche.

M. Somavia a déploré la tendance à rejeter la faute sur l'autre et à ignorer les problèmes d'autrui. Il a regretté que les mesures préventives nécessaires ne soient pas prises à temps. Il faut développer une vision intégrée qui reflète les objectifs communs. On peut, en effet, obtenir les avantages de la déréglementation tout en garantissant la transparence et en limitant la spéculation. Il faut une politique moderne qui puisse satisfaire les besoins des individus, des familles et des communautés. Il importe d'adopter des politiques qui comprennent que le même objectif peut être atteint par différents moyens dans différentes sociétés connaissant des niveaux de développement différents. L'ECOSOC est sans doute le forum approprié pour commencer ce type de réflexion et les conférences et sommets des Nations Unies constituent une bonne base à cet égard. Il appartient

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à chaque institution de travailler à ces objectifs, de se réformer et de s'adapter à un environnement changeant. Mais il est aussi évident qu'il faut maximiser les complémentarités. A cet égard, le Président du Conseil économique et social a estimé que des progrès avaient été accomplis dans cette direction. Ainsi, des mesures ont été prises en vue d'améliorer les échanges entre l'ECOSOC et les institutions de Bretton Woods.

L'ECOSOC peut jouer un rôle important pour articuler les complémentarités et régler les conflits potentiels entre les impératifs macro- économiques, sociaux et politiques, a-t-il poursuivi. Il peut aider à développer une compréhension commune des questions et définir les orientations politiques en vue de les résoudre. Le Conseil peut aider à développer un cadre commun d'action pour promouvoir la croissance qui renforcera à la fois la durabilité économique, sociale, environnementale et politique. Il incombe aux Etats Membres et aux institutions du système des Nations Unies de faire de ce potentiel une réalité, a-t-il conclu.

Allocution du Secrétaire général

M. KOFI ANNAN, Secrétaire général des Nations Unies a dit que le Conseil économique et social se réunit à un moment de troubles économiques, mais aussi en une période où les conditions existant dans le monde offrent des perspectives sans précédent de paix et de prospérité. Il y a une large acceptation des principes de base de la gouvernance démocratique. Grâce aux progrès technologiques, les idées et l'information circulent librement sur toute la planète, favorisant le développement de la société civile et augmentant la transparence et la responsabilité des gouvernants.

A l'échelle mondiale, la situation économique est incertaine et nombreux sont ceux qui hésitent entre l'espoir né de plusieurs décennies de progrès et la crainte de bouleversements à venir, a poursuivi le Secrétaire général. Ces espoirs et ces craintes sont mondiaux. L'économie est mondiale. Les marchés sont mondiaux. Mais la politique, elle, demeure locale.

Le multilatéralisme nous a donné un système régissant les échanges internationaux. Il y a juste six semaines, nous fêtions le cinquantième anniversaire de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). La communauté internationale peut être fière de cet aboutissement, car le système ouvert, fondé sur des règles claires a engendré un essor extraordinaire de la prospérité et des réductions spectaculaires de la pauvreté. La libéralisation des échanges doit continuer, mais les opinions divergent quant à la façon dont cela devrait être fait. Certains ont suggéré d'utiliser les règles commerciales actuelles pour atteindre les buts visés en matière de législation du travail, de protection de l'environnement ou de défense des droits de l'homme. Je pense plutôt qu'un usage maximum devrait être fait du système des Nations Unes pour atteindre ces buts.

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Essayer d'utiliser le système de commerce multilatéral pour résoudre les problèmes dans ces domaines entraînerait d'énormes tensions, et serait bien moins efficace que d'adopter des solutions dans les secteurs concernés eux mêmes. C'est une bonne nouvelle par exemple que les 174 membres de l'Organisation internationale du travail, gouvernements, organisations d'employeurs et syndicats, se soient mis d'accord il y a trois semaines sur les droits sociaux fondamentaux qui devraient être respectés à travers le monde dans le cadre d'une économie mondialisée.

Le débat sur les tenants et les aboutissants de la crise en Asie se poursuit et certaines leçons commencent à en être tirées. Ainsi, nous avons appris qu'il fallait se garder de confondre les flux de capitaux à court terme, de nature spéculative, et les engagements à plus long terme comme l'investissement étranger direct. Trois constats s'imposent pour l'ONU. En premier lieu, la crise frappe le plus cruellement ceux qui sont en marge de la société : les pauvres, les démunis, qui sont les moins capables de faire face à la perte de leur emploi. Cette situation risque de réduire à néant les progrès faits en matière de droits des femmes et de réduction de la pauvreté. Ensuite, les effets de la crise se font sentir non seulement sur les individus les plus pauvres mais en outre, ils affectent surtout les nations les plus pauvres et les plus vulnérables. La coopération internationale doit leur accorder une attention prioritaire. Enfin, l'interdépendance des nations a un pendant, l'interdépendance des questions : les finances, le commerce, la gouvernance, la justice sociale sont des domaines intimement liés. On pensait que la crise en Asie était purement financière, mais on s'aperçoit qu'elle affecte aussi les taux de change et le commerce. L'économie mondiale, ouverte et participative que nous voulons mettre en place est le meilleur moyen de répartir plus largement les bénéfices de la mondialisation. Le sort de millions de personnes dans le monde entier dépend en effet de l'ouverture des marchés.

Le risque de marginalisation et l'absence de perspectives inquiètent les populations des pays du Sud. Dans ces pays, les responsabilités de la communauté internationale sont plus grandes et plus pressantes que jamais. Mais c'est aussi dans ces pays qu'elle peut rapidement faire la différence, en concentrant ses efforts sur les besoins de l'Afrique et des pays les moins avancés.

Selon le Secrétaire général, à l'heure où le système international commercial et financier est mis à si dure épreuve, on commettrait une grave erreur en se renonçant au multilatéralisme. Au contraire, c'est le moment de se serrer les coudes et de revitaliser le système de coopération que la communauté internationale a mis en place au fil du temps et qui l'a si bien servie. C'est le moment de renforcer le cadre de coopération internationale pour que la prospérité et les fruits de la mondialisation se répandent dans le monde entier.

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DEBAT DE HAUT NIVEAU

Concertation et examen des faits nouveaux importants touchant l'économie mondiale et la coopération économique internationale avec les chefs de secrétariat des institutions financières et commerciales multilatérales du système des Nations Unies

M. MICHEL CAMDESSUS, Président du Fonds monétaire international (FMI), a déclaré que la crise en Asie avait montré à la fois les promesses et les risques de la mondialisation. Au cours des dernières dizaines d'années, l'Asie de l'Est a prouvé à l'envie les avantages de la mondialisation, en réalisant ce que l'on a considéré comme un miracle en termes de croissance élevée et de réduction de la pauvreté. Mais, dans une économie mondiale, les vertus macro-économiques ne suffisent pas. Une vigilance constante doit être entretenue par tous les pays sur tous les paramètres socio-économiques. Il faut, en particulier, surveiller en permanence la stabilité bancaire. Il faut aussi prendre garde à ce que les gouvernements mènent les affaires publiques de manière irréprochable et transparente, et à écarter toute forme de corruption, de favoritisme et de népotisme. Or, ce genre de problèmes est apparu dans le cadre de la crise asiatique et on a fermé trop longtemps les yeux. En outre, les problèmes de ces pays n'auraient pas atteint de telles proportions si les grands pays industrialisés et les institutions financières opérant sur les marchés internationaux n'avaient pas pris de risques excessifs.

Que fait le FMI pour limiter les effets de cette crise ? Dès qu'il a été appelé à la rescousse, le Fonds monétaire a aidé la Thaïlande, l'Indonésie et ensuite la Corée à élaborer des programmes de réforme en vue de rétablir la confiance des investisseurs. Ces programmes vont bien au-delà de la restauration des balances fiscale, monétaire ou extérieure. Ils ont pour objectif de renforcer les systèmes financiers, améliorer la gestion et la transparence, restaurer la compétitivité économique, et moderniser l'environnement juridique et réglementaire. Pour que ces efforts puissent se développer, on a réussi à réunir un volume de soutien financier sans précédant. Ce qui a permis d'aider des pays dans le monde entier qui étaient menacés par la contagion à renforcer leurs fondements macro-économiques et leurs structures économiques. Ainsi, 55 pays ont des programmes avec le FMI et 28 autres sont en négociations. Cela fait donc 83 crises potentielles que le FMI aide à désamorcer. Ce rôle de prévention est donc très important. Ces dernières semaines, une nouvelle crise est apparue avec la baisse considérable du yen. La chute du yen n'est de toute évidence pas sans rapport avec la crise asiatique. En outre, elle pourrait remettre en cause le relèvement en cours des économies qui ont été touchées en premier lieu. Cette crise ajoute à l'instabilité du marché, affectant d'autres pays de la région et des pays comme la Russie. C'est pourquoi, le Japon doit prendre des mesures agressives et urgentes pour réhabiliter son secteur bancaire, adopter des politiques, y compris des réformes, visant à assurer que les incitants fiscaux ne sont pas retirés trop rapidement l'année prochaine, et ouvrir et dérèglementer son économie.

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Cette crise, de grave dimension, ne peut être surmontée par un effort limité aux pays asiatiques. Des mesures globales doivent être prises. La communauté internationale doit appuyer les programmes d'ajustement des pays les plus sévèrement touchés. Il est aussi fondamental que les pays qui ont des excédents de balance de paiement recycle ces excédents sous forme de prêts non liés et d'aide humanitaire aux pays qui sont dans un processus d'ajustement. En tant que créditeurs, ils doivent aussi accorder des conditions très généreuses pour le rééchelonnement de leur dû, appuyer la reprise en Asie par de nouveaux prêts et maintenir leurs marchés ouverts afin de renverser la tendance. Il faut, en outre, renforcer les politiques de gestion fiscale pour que les pays reposent sur une base plus saine, maintenir la stabilité des taux de change. Tout ce qui peut être fait pour ouvrir davantage les économies et libéraliser le commerce contribuera également à résoudre la crise.

M. Camdessus a indiqué que, pour renforcer l'architecture financière internationale et les capacités de résistance aux crises, il faut, en premier lieu, renforcer la prévention. Pour sa part, le FMI doit renforcer la transparence dans ses relations avec les pays. Il importe de renforcer le système bancaire et financier mondial, et établir des procédures plus efficaces pour faire participer le secteur privé à la prévention et à la résolution des crises de la dette. Il faut renforcer en outre les finances et les ressources humaines des institutions multilatérales, en particulier celles qui sont confrontées à ce problème, a-t-il déclaré, en évoquant la nécessité du refinancement du FMI. L'année prochaine, le FMI n'aura peut être plus d'argent et il faudra donc trouver quelqu'un d'autre pour prévenir les crises. Cela coûtera de l'argent au contribuable alors qu'actuellement cela se fait par le biais des banques centrales, a-t-il souligné.

M. JAMES D. WOLFENSOHN, Président de la Banque mondiale, a déclaré que la Banque est heureuse du rôle concerté qu'elle joue avec le FMI et pour essayer de stabiliser les pays en crise financière de l'Asie du Sud est. Mais ces crises ne sont plus locales, puisque l'on se rend compte que la Russie et le Japon connaissent des troubles similaires et que les taux de change en sont affectés. Il faut se rappeler que le Japon avait une économie de 3 000 milliards de dollars, il y a quelques temps, comparativement aux 2 000 milliards de dollars de l'Allemagne par exemple, et que la crise affectant ce pays est une menace pour tout le système financier et économique international. La Banque essaie d'aider les pays, qui ont été touchés et ceux qui ne le sont pas, à sortir du marasme qui les menace. La transparence dans les structures des pays qui empruntent auprès des institutions internationales est un élément vital de la stratégie actuelle et la lutte contre la corruption est un des credo des actions de la Banque en ce moment. Des voix s'élèvent de plus en plus pour que plus d'accent soit mis sur les aspects sociaux des programmes, et la Banque partage ce souci. La Banque a conscience que cet aspect de l'économie touche au bien-être direct des populations.

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Des services de base doivent être mis en place dans tout effort de promotion du développement, c'est pourquoi la Banque investit dans l'éducation, la santé et les infrastructures et la formation. Ce sont des préalables indispensables pour attirer des investisseurs, car aucun pays ne peut être compétitif s'il n'a pas de main d'oeuvre saine et bien formée. La Banque travaille dans la poursuite de ces objectifs avec le PNUD et d'autres agences des Nations Unies.

M. RUBENS RICUPERO, Secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), a estimé que la crise asiatique a remis en question les meilleures réussites en matière de développement. La crise a eu l'effet pervers de frapper les pauvres le plus durement, tout en profitant aux riches. Au cours de l'année écoulée, on a vu des signes de divergence quant à l'idée même de la mondialisation. D'un autre côté, la crise nous a obligé à nous rapprocher pour faire face au danger accru. M. Ricupero a estimé qu'il y avait aujourd'hui davantage de consensus sur la nature des problèmes que l'année dernière. Notre devoir aujourd'hui est d'améliorer cet accord intellectuel encore imparfait, d'établir un consensus sur la maladie et de trouver des remèdes. Pour cela, il faut être guidé par la raison et l'objectivité mais aussi par la solidarité. La recherche de politiques opportune pour les pays en développement est devenue la raison d'être de la CNUCED depuis 30 ans. Cette période a vu de nombreux changements dans l'économie mondiale, dont les plus encourageants jusqu'il y a peu ont été les succès des économies de l'Asie de l'Est. Pour la CNUCED, la crise actuelle n'est pas due à la libéralisation et l'ouverture graduelle des marchés de ces pays, mais au fait que les gouvernements n'ont pas su gérer leur intégration dans le marché des capitaux avec le même talent qu'ils l'ont fait dans d'autres domaines de l'économie. La crise de l'Asie de l'Est n'est que la dernière d'une série de crises qui ont frappé l'économie mondiale depuis l'effondrement du système de Bretton Woods, a-t-il déclaré. La rapidité avec lesquelles ces pays ont pu être déraillés a pris tout le monde par surprise. L'importance de ce déclin et ses conséquences sont sans précédant. Il n'y a pas de recette toute faite pour faire face à cette situation. Il semble que l'on a évalué la situation sans se rendre compte de sa gravité. Pour la CNUCED, on ne peut pas sacrifier les conditions de vie des populations et la stabilité et la prospérité des pays par des mesures visant à satisfaire les créditeurs internationaux et les institutions financières locales. Evoquant les conditions sociales difficiles et la croissance de la pauvreté, il a souligné le fait les difficultés sociales actuelles pourraient durer bien plus longtemps que la crise actuelle et toucher la prochaine génération.

Des mesures de sécurité immédiates peuvent pallier les conséquences des crises sur les pauvres et les groupes vulnérables mais seule la reprise rapide d'une croissance durable peut ramener le chômage et la pauvreté aux niveaux d'avant la crise. A cette fin, il faut réformer et renforcer les institutions financières locales, regonfler les économies nationales et augmenter

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les dépenses publiques. Etant donné les faibles perspectives de reprise en Asie, on peut s'attendre à ce que l'écart de revenus entre le Nord et le Sud s'accroisse davantage. Pour la première fois depuis de nombreuses années, à l'exception de la Chine, la croissance dans les pays en développement tombera en-dessous de celle des pays développés. Les pays en développement seront, en outre, davantage affectés par les tendances négatives dans le volume et les prix des exportations de leurs produits car ils dépendaient beaucoup des pays asiatiques dans ce domaine.

Aujourd'hui, chaque grave crise financière devient une crise mondiale. La taille des échecs est à la hauteur de la taille des marchés financiers.

ECHANGE DE VUES

Le représentant de l'Autriche, parlant au nom de l'union européenne, a demandé au Directeur général du FMI de donner des précisions sur les structures mises en place pour rationaliser la gestion du système financier international en vue de parer au genre de crise que connaît actuellement le monde. De plus quels sont les résultats de la réunion organisée sur l'accès des pays les moins avancés (PMA) au système financier international et pour une meilleure intégration des pays en voie de développement (PVD) au système international ?

Le représentant de l'Indonésie, parlant au nom du Groupe des 77, a fait remarquer, soutenant le point de vue de la Banque mondiale, que le principe de justice et d'équité devait être mis au centre des politiques de développement. Il ne faut pas que les conséquences des politiques d'ajustement structurel ne soient supportées que par les populations des pays les plus pauvres. On a d'autre part l'impression que le système financier actuel ne vise qu'à gérer les crises et non à les empêcher.

M. MICHEL HANSENNE, Bureau international du Travail, a donné quelques précisions sur les actions de son organisation. Il a dit qu'il faudrait se préoccuper que la croissance économique actuelle soit profitable à tous. La déclaration votée il y a trois semaines dans le cadre de l'OIT, est un appel à plus de justice et d'équité. Elle est accompagnée d'un mécanisme de suivi qui permettra d'assister les Etats Membres dans les applications de ses principes. Elle engage les Etats Membres, mais aussi les institutions de Bretton Woods.

Le représentant du Danemark a demandé à savoir si les pays pauvres les plus endettés pouvaient être aidés pour faire face aux risques économiques et sociaux que leur fait courir le contexte économique actuel.

Le représentant de l'Allemagne a dit qu'il faudrait mieux suivre les transferts et les flux financiers à court terme. Il a dit que les vues différaient entre le FMI et la Banque d'un côté, et la CNUCED de l'autre sur ce problème, la CNUCED semblant plus prudente sur une libéralisation plus poussée des transferts financiers. Qu'en est-il exactement ?

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M. MICHEL CAMDESSUS, Directeur général du FMI, a dit que depuis 50 ans au FMI, on sait que pour combattre une crise financière, il faut d'abord renforcer le système en place. Pour le moment, il faut augmenter la transparence sur les grands capitaux et les transferts. Le FMI pense que de cette façon, les marchés seront les premiers bénéficiaires, car leur santé dépend en grande partie de la qualité des informations disponibles. Le FMI a lui même un rôle à jouer, et il doit communiquer rapidement et clairement les informations aux marchés de capitaux. Les Etats qui seraient laxistes dans leurs politiques recevront désormais des avertissements de manière rapide. Comme au football, le FMI a des cartons rouges ou jaunes qu'il n'a pas assez employés jusqu'à maintenant. La crise en Thaïlande semble avoir pris tout le monde par surprise, alors que e FMI était en pourparlers avec ce pays depuis un certain temps. Si des moyens coercitifs avaient été employés, nous n'en serions pas où nous sommes aujourd'hui.

La deuxième nécessité de mettre en place est celle d'une plus grande surveillance et d'une rationalisation du système bancaire international, et le FMI sur ce point, travaille avec la Banque mondiale. Il faudrait qu'il existe des clauses pour que dans chaque centre financier il y ait un interlocuteur direct de la Banque et du FMI. La troisième question, relative à la libéralisation des transferts de capitaux a déjà trouvé une réponse lors du dernier sommet Banque mondiale/ FMI de Hong Kong il y a un an. Un mandat leur a été donné pour accélérer le cours de la libéralisation des marchés quand les conditions favorables existent. Concernant le concept des filets de sécurité sociale destinés à maintenir les subventions en produits de base dans les pays en crise et sous ajustement, seule la solidarité et la coopération internationale peuvent permettre de trouver les solutions nécessaires.

M. JAMES WOLFENSOHN, Président de la Banque mondiale, a répondu aux différentes questions en commençant par l'élimination de la pauvreté. Il n'y a pas de réponses simples à ce problème. Il faut plus de mobilité professionnelle, plus de soins de santé et plus de politiques favorables aux femmes. D'autre part, il faut plus de transparence et de lutte contre la corruption. Les systèmes de justice doivent être améliorés et l'égalité des chances doit devenir une réalité dans les pays en développement, de telle façon que les fruits de la croissance soient bien répartis entre toutes les tranches de la population. Les pays qui sortent d'un conflit et qui sont ceux qui ont le plus besoin d'aide ne peuvent malheureusement, dans le cadre des règles actuelles, bénéficier de l'aide dont ils ont pourtant, beaucoup plus que les autres, besoin. Mais il ne sert à rien de donner des fonds à des pays qui utilisent les crédits d'aide qui leur sont donnés pour des achats d'armes ou des transferts dans des banques situées dans des paradis fiscaux. M. Camdessus a parlé des conséquences des réformes structurelles dans le secteur social. La Banque appuie l'appel lancé pour une augmentation des financements des activités liées à ce secteur.

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Le représentant de la Fédération de Russie a demandé aux dirigeants des institutions de Bretton Woods des précisions sur les priorités de leurs politiques.

M. Rubens Ricupero, Secrétaire général de la CNUCED, a appuyé les propos du directeur du FMI en ce qui concerne la convertibilité des capitaux, estimant qu'il s'agit davantage de discuter des modalités que de l'opportunité. A cet égard, il a jugé important de fixer un certain nombre de jalons dans le temps pour voir quand les conditions seront réunies.

Le représentant de l'Inde, évoquant la question de la cohérence, a demandé le rôle que peut jouer l'ECOSOC dans le débat sur le commerce et en ce qui concerne la résolution des crises. Ainsi, le succès du financement pour le développement dépend en grande partie de la cohérence, a-t-il souligné. Il a demandé l'avis des conférenciers sur cette question.

Le représentant du Bénin a déploré que M. Camdessus ait marginalisé l'Afrique dans son discours. Il a rappelé que l'ensemble du produit intérieur brut de l'Afrique au sud du Sahara équivalait à celui de quelques petits Etats du continent. Le partenariat tel qu'il est conçu actuellement pour l'Afrique relève-t-il d'une démarche équitable, a-t-il demandé. L'Afrique bénéficie-t- elle de la même attention que d'autres pays en développement ? Il faut reconnaître qu'elle est laissée en marge de la mondialisation. Si l'on ne veut qu'elle soit un boulet au pied de la communauté internationale, ne faudrait-il pas revoir les partenariats actuels ?

Le représentant de la Chine a demandé si le FMI avait entrepris des consultations avec les pays concernés en vue de stabiliser le yen et dans quelle mesure des interventions extérieures pouvaient avoir des effets à cet égard. La volatilité du yen a-t-elle des effets sur la reprise en Indonésie et République de Corée ? La Banque mondiale et le FMI vont-ils adapter leur politique en fonction du rythme de reprise de ces pays ?

Le représentant du Swaziland a demandé à savoir quand le FMI ferait confiance aux pays touchés pour qu'un esprit de confiance prévale et que le processus de restructuration puisse se développer. S'agissant de la corruption, de la mauvaise gestion des fonds publics et de l'achat d'armes de guerres, il a souligné le fait que ces dernières sont vendues les pays très développés qui se livrent à ce commerce en sachant pertinemment que les fonds utilisés pour les payer proviennent de la Banque mondiale. Partant, il a demandé si la Banque mondiale pouvait intervenir pour s'assurer que les financements pour le développement ne soient pas détournés pour acheter des armes de guerre. Quels efforts la Banque mondial entend-elle faire pour que les recommandations du Secrétaire général concernant l'Afrique soient pleinement appliquées, a-t-il encore demandé. S'agissant des turbulences économiques en Asie, il a demandé au FMI et à la Banque mondiale d'indiquer

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les stratégies qui ont été mises au point pour assurer que ces turbulences ne touchent pas d'autres régions. Enfin, il a demandé, en ce qui concerne l'accès aux marchés, si l'on peut avoir des garanties que les marchés demeureront sûrs pour les pays en développement.

Le représentant du Pakistan a souhaité obtenir des précisions sur la coordination entre les Nations Unies et les institutions de Bretton Woods. Il a demandé à savoir quelles étaient les mesures prises pour assurer la participation de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à ce type de débat. Il a également demandé des précisions sur les ajustements structurels. Le représentant a invité l'ECOSOC à examiner les possibilités d'organiser plus souvent des débats de ce type de débat.

Le représentant du Chili a suggéré d'examiner la possibilité de définir les divers types de dette et de lier en conséquence l'intervention des institutions monétaires internationales pour appuyer de manière préférentielle la dette productive afin de maintenir le rythme du commerce international. Il a demandé s'il y avait des idées, ou si on envisageait d'établir une discrimination entre les différents types de dettes.

Le représentant du Honduras a repris les questions concernant l'initiative d'allégement de la dette concernant les pays pauvres lourdement endettés. L'étude de cette initiative ayant duré 4 ans, et les mesures de son application prenant aussi un temps assez long, les pays déjà en détresse financière risquent de ne recevoir l'aide dont ils ont besoin que des délais non inacceptables. Il faut rappeler que ces pays consacrent souvent un tiers de leurs recettes budgétaires au service de la dette extérieure.

Le représentant de l'Italie a dit que le secteur privé et la société civile devraient être davantage pris en compte dans le processus du développement. Les pays en développement pourraient-ils offrir des cadres plus propices aux affaires, et quels sont les programmes que mènent les institutions internationales dans ce sens?

Le représentant de la République de Corée a demandé quels seront les effets de l'Euro sur les perspectives de résolution de la crise asiatique?

REPONSES

M. Michel Camdessus Directeur général du FMI a répondu en disant qu'il se sentait flatté que le délégué du Bénin ait dit qu'il était aussi connu en Afrique que le Saint-Père, bien qu'il soit sûr qu'il n'y provoquait pas les mêmes réactions d'enthousiasme. Il n'a pas lu les 4 pages de son discours relatives à l'Afrique juste par manque de temps, a-t-il fait remarquer. Il a rappelé sa participation au récent sommet de l'OUA et a proposé de faire

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circuler l'allocution qu'il a faite à cette occasion. Concernant la Chine et le reste de l'Asie, il a dit que la communauté internationale et le Japon faisaient tous les efforts nécessaires pour stabiliser la situation en Asie. Il a ensuite félicité les autorités monétaires chinoises pour le sang froid dont elles ont fait preuve jusqu'à maintenant pour maintenir le cours de leur monnaie. Il serait cependant illusoire, pour ramener le Yen à son niveau normal, de croire que seules des interventions du type actuel, menées par les Etats-Unis et le Japon peuvent suffire. Une action énergique des autorités japonaises s'impose en matière de politique économique. Concernant les transferts de capitaux, il a rappelé que les mouvements de capitaux les plus dangereux, ceux à court terme devraient être soumis à plus de législation de contrôle. Quant à l'impact de l'Euro sur la crise asiatique, M. Camdessus a dit qu'il espérait que d'ici à la mise en circulation de cette monnaie, cette crise serait résolue. Pour le FMI, l'Euro devrait représenter un facteur de stabilité et de croissance pour l'Europe et le monde.

M. James Wolfensohn, Président de la Banque mondiale a dit que s'agissant des institutions de Bretton Woods, une plus grande coopération existe entre elles depuis un certain temps. La position suprême de l'ECOSOC en matière économique sur le plan international, énoncée par le représentant du Pakistan, devrait être revue et déclarée par cet organe lui-même. Mais une coopération entre les institutions onusiennes ne devrait pas se résumer à savoir qui coordonne qui. La Banque estime que le système actuel fonctionne plutôt bien. La création d'une nouvelle institution financière internationale ne semble pas s'imposer à l'heure actuelle. Celle qui existe a très bien rempli le rôle qui lui a été dévolu. Il y a des problèmes certes, mais ils ne sont pas insolubles. Ce qui peut être fait au plan national peut beaucoup apporter à l'amélioration de la situation internationale. Quant aux questions relatives au financement des achats et des ventes d'armes, le point le plus marquant est qu'elles sont une source d'aggravation de la pauvreté. M. Wolfensohn a ensuite dit que la Banque a pris connaissance du rapport fait au Conseil de sécurité par le Secrétaire général des Nations Unies sur l'Afrique. L'Association international pour le développement (IDA) a connu une augmentation de ses ressources, et la Banque tient à rappeler que l'Afrique est au centre de ses préoccupations.

M. Rubens Ricupero (CNUCED) a dit que concernant les accords régionaux, on a pu observer qu'ils ne sont pas seulement le résultat de desseins commerciaux, mais d'abord de buts à caractère politique. L'assistance aux PMA a besoin actuellement de financement, en vue d'améliorer la capacité de ces pays a compétir. Pour répondre à l'Italie sur l'importance du secteur dans le processus de développement, il faudrait accorder plus d'attention aux entreprises qui sont le premier outil de création d'activités, d'emplois et de richesses. Les pays en développement ont encore une longue route à parcourir pour atteindre tous les objectifs discutés aujourd'hui.

- 13 - ECOSOC/394 6 juillet 1998

M. Anwarul Hoda, Organisation mondiale du commerce, a déclaré que pour répondre aux questions posées par l'Inde et le Pakistan, il faut savoir que les notions de cohérence et d'interdépendance sont une des bases de travail de l'OMC. L'OMC travaille avec diverses autres organisations pour donner aux PMA l'aide dont ils ont besoin en matière de droits et de législation commerciaux. Les décisions se font à l'OMC sur une base de négociations et tous les pays membres devraient être capables de faire entendre leurs voix.

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