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LA CONFERENCE DIPLOMATIQUE DOIT FINALISER D'ICI LE 17 JUILLET 1998 LE PROJET DE STATUT D'UNE COUR CRIMINELLE INTERNATIONALE

18 juin 1998


Communiqué de Presse
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LA CONFERENCE DIPLOMATIQUE DOIT FINALISER D'ICI LE 17 JUILLET 1998 LE PROJET DE STATUT D'UNE COUR CRIMINELLE INTERNATIONALE

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Rome, 18 juin -- La Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations Unies sur la création d'une cour criminelle internationale a terminé son débat général. Elle avait entamé ce débat le 15 juin au siège de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), à Rome en Italie.

Le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, avait ouvert les travaux de la Conférence, suivi par le Président de l'Italie, M. Oscar Luigi Scalfaro, en sa qualité de représentant du pays hôte. Comme l'a déclaré M. Giovanni Conso (Italie), Président de la Conférence diplomatique, le débat général a permis à plus de 140 Etats participants d'exprimer leur appui unanime à la création d'une cour criminelle permanente et à mettre en lumière les obstacles qui subsistent quant à la matérialisation de ce projet.

Au cours du débat, un consensus s'est dégagé sur la nécessité d'une cour criminelle internationale permanente, impartiale et indépendante dont les relations avec les juridictions nationales seraient régies par le principe de complémentarité. Les termes de cette complémentarité ont donné lieu à des polémiques : le consentement préalable des Etats pour permettre à la cour de se saisir d'une affaire n'a pas fait l'unanimité. Ce principe porterait sur les crimes relevant de la compétence de la cour que sont les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. La débat reste ouvert sur l'opportunité d'ajouter à cette liste, notamment, le crime d'agression, le trafic de stupéfiants ou le terrorisme. Le mécanisme de saisine n'est pas non plus défini puisque le débat reste ouvert sur l'opportunité d'en réserver l'usage, séparément ou collectivement, aux Etats parties, au Conseil de sécurité et au procureur.

S'agissant du pouvoir du procureur, si un consensus s'est dégagé sur sa nécessaire indépendance, la question de lui accorder le droit d'engager des enquêtes ou des poursuites ex officio n'a pas été réglée. Les relations entre la cour et les Nations Unies, en général, et le Conseil de sécurité, en particulier, ont nourri les débats; les positions allant d'une étroite collaboration, à l'absence de relations en passant par des relations limitées. Il en va de même pour la coopération et l'assistance judiciaire que les Etats auraient à fournir à la cour. Les discussions ont porté sur l'opportunité de leur imprimer un caractère obligatoire.

Les questions du financement de la cour, de l'introduction des réserves au statut de la cour et du nombre de ratifications nécessaires à l'entrée en vigueur de la convention portant création de la cour restent ouvertes.

Au terme du débat général, le Représentant du Secrétaire général des Nations Unies à la Conférence, M. Hans Corell, a déclaré qu'en dépit des divergences, le plus important est que la Conférence envoie un message clair qu'il existe un véritable engagement de la communauté internationale pour permettre la finalisation et l'adoption d'une convention sur la création criminelle internationale. L'impression qui se dégage est teintée de la confiance, de la détermination et d'un sens clair de la responsabilité, a-t-il déclaré.

La Conférence a entendu les personnalités suivantes : le Ministre de la justice du Danemark, M. Frank Jensen; le Ministre de la justice de Malte, M. Gavin Gulia; le Ministre des affaires étrangères de la Bosnie-Herzégovine, M. Jadranko Prlic; le Vice-Ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie, M. Iuri V. Ushakov; le Ministre des relations extérieures de l'Uruguay, M. Didier Opertti Badan; le Procureur général du Yémen, M. Mohamed Al-Badri; le Ministre de la justice et des affaires islamiques du Bahreïn, M. Abdullah Bin Khalid Al-Khalifa; et le Ministre d'Etat et Ministre de la justice du Congo, M. Pierre Nzé.

Les représentants des pays suivants : Jordanie, Georgie, Haïti, Iraq, Bélarus, Chypre, Angola, Burundi, Equateur, Botswana, Monaco et Ouganda ont pris la parole ainsi que le représentant de la Fédération de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Les ONG suivantes se sont également exprimées : Institut latino-américaine des services juridiques alternatifs, Comité des avocats pour les droits de l'homme, le Centre asiatique pour les droits des femmes et l'Association européenne des étudiants en droit.

La Conférence diplomatique a désigné la Dominique et le Népal comme membres de la Commission de vérification des pouvoirs en remplacement de la Barbade et du Bhoutan dans l'incapacité d'assumer leurs fonctions.

La Conférence diplomatique poursuivra ses travaux de négociations sur le projet de statut de la cour criminelle internationale au sein de sa commission plénière que préside M. Philippe Kirsch (Canada). Elle a créé en outre pour l'aider dans ses travaux un Comité de rédaction que préside M. Chérif Bassiouni (Egypte). La Conférence diplomatique devrait achever ses travaux le 17 juillet par l'adoption de la Convention portant création de la cour criminelle internationale.

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Le projet de statut de la cour comporte onze parties de 116 articles. Outre le préambule, les différents articles du projet sont regroupés comme suit : institution de la cour; compétence, recevabilité et droit applicable; composition et administration de la cour; enquête et poursuites; procès; peines; recours; coopération internationale et assistance judiciaire; exécution, assemblée des Etats parties et financement de la cour; et clauses finales.

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Débat général

M. FRANK JENSEN (Ministre de la justice du Danemark) : La nécessité de créer une cour criminelle internationale résulte de l'incapacité des systèmes judiciaires nationaux de punir les responsables des atrocités et ceux qui les protègent. Il est donc essentiel de restaurer l'état de droit et de mettre fin à l'impunité. Il ne s'agit pas seulement d'une question de justice mais également de paix et de sécurité. A la veille du XXIème siècle, on ne peut plus tolérer que les graves violations du droit humanitaire international restent impunis. Le temps est venu de créer une cour criminelle internationale efficace qui ait un effet dissuasif. La future cour devrait s'inspirer des expériences acquises dans le cadre des tribunaux spéciaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Le véritable problème est de créer une juridiction efficace, capable de répondre de façon appropriée aux besoins de la société internationale d'aujourd'hui. La complémentarité de la cour est vitale. Elle ne devrait intervenir que lorsque les juridictions nationales sont inexistantes ou défaillantes. Sa compétence porterait uniquement sur le noyau dur des crimes en vertu du droit international. Le projet de statut devrait toutefois inclure le crime d'agression.

A cet égard, il faudrait établir un équilibre entre le rôle de la cour et celui du Conseil de sécurité. Il faudrait également étendre la compétence de la cour aux violations graves commises dans les conflits armés internes. Les dispositions du projet de statut devraient contenir une définition claire du viol et des autres crimes de violence sexuelle commis dans les conflits armés afin de figurer parmi les crimes de guerre. Les Etats qui adhè_ent au traité constituant la cour doivent accepter sa compétence sur tous les crimes énumérés dans le statut. Le consentement des Etats ne sera pas requis pour engager des enquêtes ou des poursuites. La saisine de la cour devrait être opérée par tous les Etats parties, le Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies et par le procureur doté de pouvoirs ex officio. La future cour devrait développer des relations étroites avec les Nations Unies.

M. WALEED SADI (Jordanie) : Il est regrettable que la communauté internationale semble avoir perdu de vue l'objectif simple de créer un organe dissuasif crédible pour ceux qui envisagent de commettre des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des crimes de génocide. C'est un objectif que certains lient aujourd'hui à des considérations politiques. Il faut d'abord et avant tout penser aux crimes et à la réparation et ce, qu'il s'agisse de conflits internationaux ou internes. La Jordanie estime que la condition préalable à la création d'une cour indépendante est le pouvoir ex officier dont doit bénéficier le procureur. Partant, le mécanisme de consentement des Etats envisagé maintenant pourrait compromettre le bon fonctionnement de la cour. En ce qui concerne la controverse sur les réserves, la Jordanie tient à rappeler qu'une jurisprudence commence à voir le jour dès l'entrée des réserves dans une convention ou un traité. Quant à la peine capitale, la Jordanie ne peut que se montrer préoccupée devant la tentative de certaines délégations de choisir dans les Conventions de Genève ce qui, à leur sens,

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devrait ou ne devrait pas être inclus dans le statut de la cour. S'agissant des relations entre le Conseil de sécurité et la cour en matière de crime d'agression, il serait pertinent de laisser la rédaction du crime d'agression en tant que tel au dernier moment et ne se concentrer que sur les dimensions humaines de cette agression.

M. PETER CHKHEIDZE (Géorgie) : La future cour criminelle internationale contribuera de manière considérable au renforcement du droit, qui constitue la base de l'évolution démocratique de la Géorgie et la condition sine qua non de son intégration à la communauté internationale. Les souffrances des populations civiles, les massacres d'enfants, les viols de femmes et la torture des prisonniers demeurent les compagnons de la guerre moderne. Ces crimes sont plus graves et plus violents lorsqu'ils sont commis dans des conflits internes. Les tentatives visant à déstabiliser la Géorgie, le nettoyage ethnique de Géorgiens en Abkhazie et l'expulsion de centaines de milliers de personnes de leur foyer, indiquent clairement la nécessité urgente de mettre en place un mécanisme capable d'en poursuivre les auteurs mais également pour servir d'effet dissuasif à l'avenir. La Géorgie estime que la future cour devrait avoir compétence pour connaître du génocide, des crimes de guerre commis dans les conflits internationaux et dans les conflits internes armés, les crimes contre l'humanité et l'agression. Le principe de la complémentarité est indispensable pour permettre à la cour d'intervenir lorsque les juridictions nationales sont inefficaces ou inexistantes. Tout en appuyant l'idée d'autoriser le Conseil de sécurité à soumettre des affaires à la cour, la Géorgie souhaite que le procureur soit indépendant et habilité à saisir également cette juridiction.

M. CARMEL AGIUS (Malte) : La création d'une cour criminelle internationale est nécessaire. Aujourd'hui, la communauté internationale a évolué et a dépassé le stade des tribunaux ad hoc comme ceux de Nuremberg, de Tokyo ou ceux, plus récents, pour l'ex-Yougoslavie ou le Rwanda. En dépit de certains désaccords, il est heureux que la création d'une telle cour jouisse d'un ferme appui de la part des Etats membres. La cour doit être efficace et en dehors de toute interférence politique. Le procureur doit être indépendant et pouvoir travailler sans consentement préalable des Etats parties. Les crimes relevant de la compétence doivent être ceux du noyau dur. Quant au crime d'agression, la cour doit être seul juge sans toutefois porter préjudice aux efforts du Conseil de sécurité. Les Etats parties doivent avoir l'obligation de coopérer avec la cour. Malte appuie le droit d'ingérence de la cour là où les droits de l'homme sont menacés d'être bafoués.

M. JADRANKO PRLIC (Ministre des affaires étrangères de Bosnie- Herzégovine) : En raison de l'expérience tragique récente du pays, le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine souhaite que la création de la cour criminelle internationale parvienne à sa raison d'être en empê_hant les actes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité pour qu'ils ne se reproduisent plus. En d'autres termes, elle contraindra fermement les parties à un conflit à régler leurs différends par des moyens pacifiques et par le dialogue politique. La future cour doit être juste et efficace et son

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statut devrait refléter les principes fondamentaux énoncés par la Charte des Nations Unies et les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme en vigueur. Le statut de la future cour devra également garantir la coopération des Etats, l'indépendance du budget, l'adhésion universelle au statut et une justice pour les femmes. La Bosnie-Herzégovine ne souhaite pas une cour qui fonctionne par la volonté des puissances victorieuses, ni une cour qui ne réponde qu'aux vagues occasionnelles de crimes commis de temps à autre. Il est vital de mettre en place une juridiction forte, dotée de tous les attributs nécessaires pour garantir sa crédibilité, son indépendance et son impartialité pour un procès équitable et le droit à la défense.

M. IURI V. USHAKOV (Vice-Ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie) : Au seuil du XXIème siècle, il est temps de relever un défi décisif en ce qui concerne la responsabilité de l'individu pour les crimes les plus graves au regard du droit international. La cour criminelle internationale doit être un organe faisant autorité et garantissant l'équité. Elle ne doit, en aucun cas, faire l'objet de manipulations politiques. Elle doit être universelle et compétente pour les crimes de génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les actes terroristes graves. La cour doit compléter et non remplacer les systèmes judiciaires nationaux. Le mécanisme de la cour doit être fondé sur la plainte des Etats ou à la suite d'une décision du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le procureur doit être indépendant. La compétence de la cour doit aussi couvrir les crimes à caractère sexuel.

La Fédération de Russie souligne que la cour ne pourra être une entité viable que dans la mesure où sa création ne se fera pas dans le vide. Il ne faut donc pas opposer la création de la cour au Conseil de sécurité tant il est vrai qu'une cour qui ne travaillerait pas en contact étroit avec le Conseil serait vouée à l'échec. Il faut en outre distinguer les compétences obligatoires et facultatives de la cour. En cas de décision du Conseil et de crimes de génocide, la cour aurait une compétence obligatoire. Dans d'autre cas, la cour devra d'abord bénéficier du consentement des Etats avant d'agir. Pour assurer l'universalité du statut de la cour, il faut prévoir des réserves pour des principes autres que les principes opérationnels.

M. DIDIER OPERTTI BADAN (Ministre des relations extérieures de l'Uruguay) : La nature permanente de la future cour criminelle internationale appelle à considérer les expériences de Nuremberg, de Tokyo et des tribunaux spéciaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Les questions à débattre portent surtout sur l'harmonie des différents systèmes juridiques. C'est pourquoi, il est essentiel de garantir à la future cour un rôle complémentaire. La Conférence diplomatique doit réaffirmer les principes de la légalité démocratique en insistant sur la coopération et l'assistance des Etats pour éviter de mettre en place un tribunal oecuménique. L'efficacité de la future cour dépendra essentiellement du nombre des adhésions à son statut et de la crédibilité des décisions prises par la cour. Un des points sensibles que la Conférence doit régler porte sur les relations de la future cour avec le système des Nations Unies, en particulier le Conseil de sécurité. Une fois de

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plus, la complémentarité et la coordination sont indispensables. Les relations entre le Conseil de sécurité et la cour doivent être définies clairement pour éviter toute influence politique sur la cour.

M. JEAN DORNEVAL (Haïti) : La constitution de la cour criminelle internationale aidera à combler les défaillances des juridictions pénales, à renverser les situations intolérables et démoralisantes pour les peuples, à concourir efficacement à une meilleure justice, à réparer les souffrances matérielles et morales des victimes et à châtier les instigateurs de crimes atroces. Ainsi cette cour doit être indépendante et impartiale. Une indépendance qui ne consiste pas seulement dans la liberté des magistrats mais également dans la protection de l'institution contre toute influence externe. Une impartialité qui ne se limiterait pas seulement à juger et condamner les subalternes et les citoyens de petits Etats mais à rendre la justice à tous sans distinction ni exclusive. La saisine de la cour relève des Etats parties, du procureur et du Conseil de sécurité. Il est toutefois nécessaire qu'une chambre préliminaire exerce le contrôle des actions du procureur. De même, pour ce qui a trait au Conseil de sécurité, la saisine ne doit se faire que dans le cadre de l'article 39 de la Charte.

M. YEAD AL-ADMI (Iraq) : Le projet de statut de la future cour criminelle internationale doit insister sur son indépendance afin de garantir sa crédibilité. Il est clair que les sanctions imposées à l'Iraq s'appliquent à toute une génération et cela constitue un véritable génocide. Pour renforcer la confiance et la crédibilité de la cour, il faudrait définir, de manière claire, le principe de complémentarité. Les crimes de guerre devraient également couvrir le recours aux armes de destruction massive et aux armes nucléaires. L'Iraq se dit convaincu que la Conférence diplomatique sera en mesure de réaliser avec succès l'objectif qu'elle s'est fixé.

M. MOHAMED AL BADRI (Procureur général du Yémen) : L'histoire contemporaine est pleine d'exemples qui montrent la nécessité d'une cour criminelle internationale permanente. Il faut donner au statut de la cour toute l'attention, la précision et l'objectivité nécessaires. La cour doit être indépendante et fondée sur le principe de la complémentarité. Les sanctions doivent être compatibles avec les crimes. Elles doivent être dissuasives même si elles incluent la peine capitale. Le procureur doit être indépendant mais ses décisions doivent être soumises à l'examen des organes compétents de la cour. Quant au Conseil de sécurité, il est important qu'il n'interfère pas dans les activités de la cour qui doit, de son côté, rester conforme aux textes et aux instruments internationaux, dont la Charte des Nations Unies.

Mme NATALYA DRUZD (Bélarus) : La création d'une cour criminelle internationale est indispensable. Outre la compétence inhérente aux crimes les plus graves formant le noyau dur, le Bélarus souhaite l'inclusion de l'agression dans la liste des crimes. Le principe de complémentarité est indispensable afin de permettre à la cour d'intervenir lorsque les juridictions nationales sont inexistantes ou inefficaces. Le projet de statut

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devrait définir clairement les relations entre la cour et le Conseil de sécurité. En vertu du Chapitre VII de la Charte, le Conseil de sécurité pourrait saisir la cour. L'universalité de la cour ne pourrait être garantie que si son financement est assuré par le budget ordinaire des Nations Unies. Bien que de nombreuses questions restent en suspens, le Bélarus exprime l'espoir que les travaux de la Conférence diplomatique seront couronnés de succès.

Mme MYRNA Y. KLEOPAS (Chypre) : Il ne faut pas oublier que les bénéficiaires d'une conférence fructueuse sont les personnes qui ont placé leur confiance dans la communauté internationale pour qu'elle mette un terme à leur souffrance. Chypre a toujours appuyé la création d'une cour criminelle internationale car le respect universel des valeurs humanitaires constituent une condition préalable à la prééminence de la justice et de la paix universelles. Chypre souhaite une cour et un procureur indépendants. Il estime que la liste des crimes doit couvrir tous les crimes graves au regard du droit international. En ce qui concerne le crime d'agression, Chypre est d'avis que sa non-inclusion priverait la cour d'une de ses fonctions essentielles et constituerait une injustice aux victimes. Chypre estime qu'il convient d'inclure dans les crimes de guerre, les politiques visant les changements démographiques, le transfert d'une partie de la population civile ou l'expulsion ou le transfert à l'intérieur ou à l'extérieur d'une partie de la population. Chypre est la victime d'une force d'occupation et il ne saurait qu'appuyer les autres victimes de ces crimes, quels que soient les lieux où ces crimes sont commis.

M. ABDULLAH BIN KHALID AL-KHALIFA (Ministre de la justice et des affaires islamiques de Bahreïn) : L'idée de créer une cour criminelle internationale permanente n'est pas récente. Les tribunaux spéciaux, mis en place pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, ont accéléré le processus. Le Bahreïn souhaite une cour indépendante de toute influence politique qui porterait atteinte à son impartialité. Le procureur doit être indépendant et doté de pouvoirs bien définis par le projet de statut. En ce qui concerne l'extradition, le projet de statut ne devrait pas retenir les termes "transfert" ou "remise", mais plutôt le terme "extradition". La présente Conférence diplomatique devra parvenir à créer une cour véritablement indépendante, juste, impartiale et efficace afin de garantir la préservation de la paix et de la sécurité internationales.

M. PIERRE NZE (Ministre d'Etat et Ministre de la justice du Congo) : Ceux qui ont commis des crimes en Bosnie, au Rwanda et au Congo ne doivent pas restés impunis. Il faut que la communauté internationale se prononce sur le cas du Congo qui vient de connaître un génocide. Cette charge ne devrait pas incomber aux institutions nationales seulement; une sanction de la communauté internationale ayant l'avantage de la neutralité. Le Congo appuie la création de la cour criminelle internationale dont la compétence ne devrait pas se limiter au noyau dur des crimes mais s'élargir au terrorisme. La cour doit être saisie par les Etats parties et le Conseil de sécurité. L'autosaisine ne pouvant se faire que si elle est indépendante du pouvoir politique, cette

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indépendance doit être garantie dans le statut. Pour éviter à la cour les lenteurs qui caractérisent les tribunaux internationaux, il faut qu'elle jouisse d'une autonomie financière. Pour ne pas retarder inutilement les procédures, elle devra réparer le préjudice subi par les victimes.

M. ANTERO EVERDOSA ALBERTO ABREU (Angola) : La future cour criminelle internationale doit bénéficier des garanties d'indépendance et d'impartialité. L'Angola rejette toute idée visant à assujettir l'initiative d'engager le processus d'enquêtes et de poursuites et l'activité judiciaire au veto et aux décisions du Conseil de sécurité ou à la volonté des Etats sur le territoire desquels les crimes ont été commis ou dont les accusés sont des ressortissants. Cela affaiblirait la crédibilité de la cour. Le Procureur ne peut pas, soit pendant l'enquête sur les crimes, soit pendant l'action pénale, voir son initiative limitée, conditionnée ou paralysée par qui que ce soit. L'Angola défend, comme position de principe, l'inclusion de l'agression, clairement définie dans la liste des crimes relevant de la compétence de la future cour. En outre, l'Angola rejette la proposition visant à envisager la peine de mort dans les peines applicables.

M. FERDINAND NYABENDA (Burundi) : Dans sa quête pour la réconciliation nationale et une paix durable, le Burundi s'est trouvé confronté à une réalité dramatique : l'idéologie du génocide. Le Burundi est convaincu que le refus ou le retard de justice consacre l'impunité, laquelle favorise le crime. Le silence ou la lenteur de reconnaissance et de condamnation du génocide de 1993 au Burundi a permis l'extermination à plus grande échelle des Tutsis au Rwanda, une année plus tard. Tout en accueillant avec enthousiasme le projet de création d'une cour criminelle internationale, le Burundi ne croit pas incompatible la création d'un tribunal pénal international pour le Burundi. A défaut, la communauté internationale devrait tout au moins étendre la compétence du tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha sur les crimes de génocide commis au Burundi en 1993. La future cour criminelle internationale doit être indépendante, forte et impartiale avec un lien nécessaire avec les Nations Unies par le biais d'un accord spécial pour garantir l'universalité et l'autorité de la cour. Le Burundi est en faveur de la complémentarité de la cour avec les juridictions nationales mais reste d'avis que les Etats doivent garder la responsabilité primaire d'agir pour instruire les affaires criminelles et engager les poursuites nécessaires. Le Burundi ne croit pas qu'un quelconque Etat devrait avoir la prérogative de ne pas reconnaître la compétence de la cour. Celle-ci devrait déterminer elle- même son pouvoir d'intervention.

M. CARLOS LARREA-DAVILA (Equateur) : La future cour criminelle internationale devra exercer sa compétence sur les crimes du noyau dur, à savoir le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les violations graves des droits de l'homme. En ce qui concerne l'agression, l'Equateur estime qu'il faudrait en préciser la définition afin de parvenir à un consensus sur la question. La future cour doit avoir une compétence universelle afin d'éviter de recourir au consentement d'un Etat. Elle doit être complémentaire aux juridictions nationales lorsque celles-ci sont

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inexistantes ou inefficaces. Le projet de statut doit garantir son indépendance et son impartialité pour lui permettre d'agir librement dans l'exercice de ses fonctions en matière d'instruction et de jugement. Le procureur doit être indépendant et doté de pouvoirs ex officio pour saisir lui-même la cour. L'Equateur s'oppose à l'inclusion de la peine de mort dans le projet de statut. Les principes fondamentaux du droit pénal doivent être respectés dans le projet de statut. La volonté politique des Etats doit être manifestée par tous, par le biais de la coopération internationale et sans réserve, tout en respectant la souveraineté nationale, ainsi que l'efficacité et l'universalité de la cour.

M. MOTHUSI NKGOWE (Botswana) : Le statut de la cour criminelle internationale permanente que la Conférence devra adopter doit envoyer un message clair à ceux qui nourrissent des projets de génocides, de crimes de guerre et de crime contre l'humanité, qu'ils seront tenus responsables individuellement de leurs actes. La cour criminelle internationale doit être impartiale, juste et efficace et son action devra compléter celle des cours nationales. Le Conseil de sécurité doit être autorisé à saisir la cour. Cette saisine doit se faire promptement et sans les hésitations qui caractérisent bien souvent l'action du Conseil. Il devrait être possible aux membres du Conseil de saisir la cour à titre individuel afin de contourner le droit de veto. De même, le procureur devrait avoir le droit d'initier une action de son propre chef. De telles initiatives doivent être entreprises conformément au principe de complémentarité.

M. RENE NOVELLA (Monaco) : La justice, et plus particulièrement la justice internationale est, de tradition, au nombre des valeurs sacrées de la Principauté de Monaco. Le Prince Albert Ier avait mené ouvertement campagne en faveur du capitaine Dreyfus, lors de l'affaire qui a divisé la France. Dès 1903, il fondait à Monaco l'Institut international de la paix chargé de régler les différends par la concertation avant qu'ils ne dégénèrent en conflits armés. Plus tard, la Commission médico-juridique internationale a été créée pour élaborer un statut du médecin en cas de conflit armé. Dès le début de son règne, le Prince Rainier III a oeuvré non seulement pour la défense des droits de l'homme, mais aussi pour la protection de la faune et de la flore et pour la sauvegarde de l'environnement. Monaco réaffirme sa volonté de participer à la création d'une cour criminelle internationale et d'oeuvrer pour que soient réprimés les crimes internationaux.

M. VINCENT KIRABOYAMARIA (Ouganda) : Le pays appuie la création d'une cour indépendante et accessible à tous sans exception. Elle doit avoir compétence sur les crimes de génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les crimes d'agression. Il ne faut faire aucune distinction entre les conflits internes et les conflits internationaux en ce qui concerne les crimes de guerre. La cour ne doit pas remplacer les juridictions nationales, ce serait un faux départ. Elle doit plutôt jouer un rôle complémentaire. L'Ouganda reconnaît que le Conseil de sécurité joue un rôle important en vertu du Chapitre VII de la Charte mais estime qu'il est nécessaire de redresser certains déséquilibres et certaines incohérences. Il

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faut donc trouver un consensus pour définir de manière constructive le rôle de cette instance dans le cadre du fonctionnement de la cour. La question de la situation des enfants dans les conflits exige des dispositions particulières de protection. Pour ce qui est de la saisine, chaque Etat, chaque ONG et le procureur doit avoir le droit de déclencher l'action de la cour. L'Ouganda s'oppose à toute inclusion de réserves dans le statut de la cour, estimant que cela serait contraire aux objectifs de la cour. Espérant qu'après Rome toutes les portes seront fermées aux criminels, l'Ouganda appuie l'offre des Pays-Bas d'accueillir le siège de la cour à La Haye.

Mme MARIAPIA GARAVAGLIA (Présidente de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge) : La Fédération internationale et le CICR, réunis à Séville, ont adopté une résolution invitant les sociétés nationales à promouvoir la création d'une cour criminelle internationale efficace et impartiale. La Fédération réaffirme son soutien à la déclaration écrite du Comité permanent inter-agences, auprès duquel la Fédération a le statut d'observateur permanent. Il est hautement symbolique que ce soit à Rome - Ville éternelle - que nos travaux s'ouvrent et qu'ils prennent place dans les locaux d'une organisation dédiée à l'amélioration de l'alimentation, des conditions de vie des plus vulnérables. L'amélioration de ces conditions est aussi l'objectif des 120 millions de volontaires de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge à travers le monde. Tous les volontaires ne sont pas nécessairement conscients des enjeux de la présente Conférence, mais tous seraient certainement prêts à souscrire à ces objectifs.

Ces 120 millions de volontaires Croix-Rouge et Croissant-Rouge ont tellement de maux à soigner, maux de corps et de l'esprit, souvent causés par des violations du droit international humanitaire, qu'ils attendent un geste politique fort pour éviter et réprimer ces violations. Ce geste politique est à portée de main. Ne décevons pas ces 120 millions de volontaires et oeuvrons pour établir une cour qui réponde aux objectifs légitimes de la justice internationale.

M. LEONEL SUAREZ GIL (Institut latino-américain des services juridiques alternatifs - ILSA) : Cette déclaration est dédiée à ceux qui ont lutté pour la défense des droits de l'homme et pour les idéaux de la justice et de la paix. On constate de plus des attaques commises par des groupes de paramilitaires. Tous les trois jours, une personne est portée disparue ou torturée. Dans les pays qui ont signé des traités de paix, il n'a pas été possible de rétablir des institutions judiciaires efficaces et de mettre fin à l'impunité. La future cour doit être complémentaire afin de lui permettre d'intervenir lorsque les juridictions nationales sont inexistantes ou inefficaces. ILSA se réjouit des efforts visant la création d'une telle cour.

M. NORMAN DORSEN (Comité des avocats pour les droits de l'homme) : La véritable indépendance de la cour exige que sa compétence soit limitée aux crimes de génocide, aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre graves. Le Conseil de sécurité ne doit pas être en mesure de contrôler les

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activités de la cour. Le procureur doit être autorisé, sous réserves de garanties appropriées, à lancer des enquêtes de sa propre initiative. La cour doit pouvoir exercer sa compétence sans le consentement préalable des Etats. Elle doit adhérer aux normes les plus élevées du droit international. Les Etats parties doivent avoir l'obligation de coopérer pleinement avec la cour, d'obéir à ses ordres et de mettre en oeuvre ses décisions. La cour doit être financée par le budget ordinaire des Nations Unies. Une justice indépendante est l'assurance la plus sûre contre la politisation de la cour. Il faut toutefois établir des garanties supplémentaires qui consisteraient à établir un mécanisme de contrôle du procureur et à s'assurer de l'impartialité, de l'intégrité et des qualités professionnelles des juges et du procureur. La garantie la plus importante est peut-être le principe de complémentarité.

Mme INDAI LOURDES SAJOR (Centre asiatique pour les droits des femmes - ASCENT) : Les mesures prises contre les violences à l'égard des femmes ne répondent pas à toutes les préoccupations des femmes et des organisations chargées de la défense de leurs droits dans le monde. Si la Conférence diplomatique ne réussit pas à traiter de manière appropriée les crimes commis à l'encontre des femmes, une partie du processus conduira à l'injustice à l'égard des femmes. La Conférence doit garantir que les résultats des délibérations ne soient pas vains. Le fait que la communauté internationale n'ait pu répondre de manière adéquate à l'impact du conflit armé sur les femmes a affaibli la foi des femmes survivantes dans la justice. Le projet de statut devrait refléter l'état actuel du droit international, en incluant dans la liste des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des graves violations des droits des femmes, le viol, l'esclavage sexuel, ainsi que la prostitution et les grossesses forcées.

Mme AGNIEZSKA STOBIECKA (Présidente de l' Association des étudiants en droit européens) : L'existence d'une cour criminelle internationale constituera le premier édifice d'un ordre mondial juste puisque la justice pénale est un élément essentiel de la règle de droit. La justice internationale ne peut être rendue que si la cour n'était pas en mesure de juger et de punir les auteurs de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre sans être tributaire de l'approbation d'un organe politique. De même aucun consentement des Etats ne doit être requis lorsqu'un cas est traité par un procureur indépendant qui commence une enquête ex officio et si chaque Etat partie peut exercer sa compétence universelle sur le crime. Il faut également tenir compte des droits de la victime qui sont le droit de connaître la vérité, le droit à un procès juste et le droit à la réparation, en particulier la restitution, la compensation, la réhabilitation, la satisfaction et la garantie de non-répétition.

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Le projet de statut de la future cour et le rôle des Nations Unies

M. HANS CORELL (Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques et Représentant spécial du Secrétaire général à la Conférence ) : Le statut protégé des signes, emblèmes et uniformes militaire des Nations Unies - d'abord reconnu dans le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève - a montré, dans la pratique des opérations de maintien de la paix, qu'il était justifié et nécessaire. Le Secrétariat appuie fermement l'idée que la Conférence prenne maintenant de nouvelles mesures en vue de criminaliser et de qualifier de crime l'utilisation inappropriée du drapeau, des insignes et des uniformes militaires des Nations Unies par toute partie au conflit, lorsque cette utilisation entraîne la mort ou des blessures graves. Les attaques contre le personnel des Nations Unies et le personnel associé ont été criminalisées en vertu de la Convention de 1994 sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel associé, mais il appartient à chaque Etat Partie de poursuivre ou d'extrader. Ces crimes devraient maintenant relever de la compétence de la cour. Le Secrétariat aimerait, toutefois, mettre en garde contre le fait de poser comme condition pour la criminalisation de ces attaques compte tenu de leur ampleur, ce qui serait incompatible avec la définition du crime comme l'a stipulé la Convention de Genève de 1994.

En tant qu'organisation dont les opérations de maintien de la paix et humanitaires sont déployées dans des régions de conflit, les Nations Unies disposeront presque de manière certaine des informations de première main qui pourraient assister considérablement la cour à déterminer la responsabilité de l'accusé. La nature, la portée et les modalités de sa coopération avec la cour en matière de témoignage et de présentation de documents doivent être précisées aux termes d'un accord entre l'Organisation et la cour. Les Nations Unies coopéreront avec toute juridiction pénale internationale qui sera établie, soit sur le modèle des tribunaux spéciaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, soit par une convention. Cette coopération couvre toutes les phases de la procédure judiciaire, de l'instruction au jugement. L'Assemblée générale devrait approuver l'accord de coopération qui liera la cour aux Nations Unies. Les principes énoncés par la Convention de 1946 sur les privilèges et immunités des Nations Unies devraient s'appliquer également à la cour. Le Secrétaire général examinera la pertinente et la particularité de la demande d'information, la gravité de l'accusation, la confidentialité des documents requis, le risque que leur divulgation pourrait entraîner pour la sécurité du personnel des Nations Unies et pour les intérêts de l'Organisation, et si dans une affaires, des garanties suffisantes et des mesures de protection peuvent être assurées.

La notion de confidentialité des documents et des informations dans le contexte des Nations Unies, mérite d'être précisée. Lorsqu'une demande de documents porte sur l'examen des délibérations de consultations officieuses du Conseil de sécurité, les comptes rendus de réunions avec des représentants d'Etats Membres, notamment les Etats fournisseurs de troupes, une décision

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autorisant cet examen pourrait soulever des questions aussi graves que celles de la "sécurité nationale" des Etats. Toute disposition du statut relative à la protection des informations sensibles de sécurité nationale devrait s'appliquer aux Nations Unies mutatis mutandis et comporter les amendements nécessaires.

M. Corell a eu le sentiment qu'il s'est dégagé du débat général un véritable engagement pour finaliser et adopter une convention sur la création d'une cour criminelle internationale.

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