En cours au Siège de l'ONU

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L'ACTION DE LA COUR DEVRA S'INTEGRER A CELLE DU SYSTEME INTERNATIONAL EXISTANT

17 juin 1998


Communiqué de Presse
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L'ACTION DE LA COUR DEVRA S'INTEGRER A CELLE DU SYSTEME INTERNATIONAL EXISTANT

19980617 Rome, 17 juin -- La Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations Unies sur la création d'une cour criminelle internationale a poursuivi son débat général au cours duquel plusieurs positions ont été exprimées, à savoir, entre autres, celle de la France, qui, par son Ministre des affaires étrangères, estime que l'action de la future cour devra s'intégrer à celle du système institutionnel international existant qu'il faut renforcer et non affaiblir.

Une autre position exprimée par un certain nombre de représentants, au nombre desquels celui du Rwanda, viserait à permettre aux Etats de jouer un rôle important dans la saisine afin d'éviter toute ingérence ou manipulation. La Conférence, qui a ouvert ses travaux le 15 juin dernier, est chargée de la création d'une cour criminelle internationale. Les travaux se poursuivront jusqu'au 17 juillet. Si la Conférence, dans son ensemble, est favorable à la création d'une cour criminelle internationale, des divergences demeurent et portent, notamment, entre autres, sur les relations de la cour avec les organes des Nations, en particulier le Conseil de sécurité.

La Conférence a entendu les personnalités suivantes : le Ministre des affaires étrangères de la Belgique, M. Derycke; la Ministre d'Etat pour la justice, l'égalité et la réforme législative de l'Irlande, Mme Mary Wallace; la Ministre des affaires étrangères de la Finlande, Mme Tarja Halonen; le Procureur général d'Israël, M. Elyakim Rubinstein; le Vice-Ministre des affaires étrangères de la Grèce, M. Yannos Kranidiotis; le Ministre de la justice du Népal, M. Siddha Raj Ojha; le Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères des Pays-Bas, M. Hans Van Mierlo; le Ministre de la justice du Luxembourg, M. Luc Frieden; le Ministre de la justice du Gabon, M. Rahandi Chambrier et le Ministre de la justice de l'Argentine, M. Raul Granillo Ocampo.

Les représentants du Royaume-Uni, de la Nouvelle-Zélande, de la Jamahiriya arabe libyenne, du Paraguay et du Maroc, ainsi que le représentant de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) ont pris la parole. Se sont également exprimés les représentants des organisations non gouvernementales suivantes : Centre international des droits de la personne et du développement démocratique; Parlementaires pour l'action globale et Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme.

La Conférence diplomatique reprendra son débat général demain, 18 juin.

Débat général

M. DERYCKE (Ministre des affaires étrangères de la Belgique) : La création d'une cour criminelle internationale permanente et universelle constitue sans conteste un des moyens les plus appropriés pour sanctionner les auteurs des crimes réputés les plus graves par le droit international humanitaire. C'est la raison pour laquelle la Belgique ne cesse de plaider pour la mise sur pied d'une juridiction pénale internationale efficace, opérationnelle et indépendante. Cette nouvelle juridiction internationale doit être dotée des moyens humains, financiers et logistiques qui lui permettront de fonctionner de manière rapide et continue.

La Belgique défendra sept orientations de base qui lui paraissent les mieux à même de garantir un fonctionnement performant de la future cour. La Belgique estime indispensable l'insertion dans le champ des compétences de la cour, des crimes particulièrement graves que constituent le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et l'agression. De plus, la compétence de la cour doit s'étendre aux infractions commises non seulement dans le cadre des conflits armés internationaux, mais aussi dans le cadre des conflits armés non internationaux.

La Belgique souhaite que la cour soit dotée de compétences inhérentes, ce qui implique qu'une fois mise en place, la cour pourra être saisie d'une affaire sans avoir besoin de l'accord préalable d'un Etat. Toutefois, les Etats non parties devront déclarer qu'ils acceptent l'exercice par la cour de sa compétence pour être tenue aux mêmes obligations de coopération avec la cour que les Etats parties. En application du principe de juridiction universelle, mon pays s'est doté d'une législation qui permet à ses cours et tribunaux de poursuivre en 1993 des personnes suspectées d'avoir commis des crimes de guerre, et ce quel que soit le lieu où ils ont été commis ou la nationalité de leurs auteurs. Il serait pour nous dès lors difficilement concevable qu'une cour internationale ne soit pas dotée d'une telle compétence universelle.

Nous pensons que la cour doit pouvoir être saisie par tout Etat partie aux statuts, par le Conseil de sécurité, mais aussi par le procureur, en vertu d'un pouvoir d'initiatives. Pour ce qui est de l'articulation des rapports entre la cour et le Conseil de sécurité, nous désirons préserver l'intégrité des compétences du Conseil de sécurité, tout en garantissant à la cour l'indépendance nécessaire à sa mission.

Mme MARY WALLACE (Ministre d'Etat pour la justice, l'égalité et la réforme législative de l'Irlande) : La création d'une cour criminelle internationale permanente devra permettre que ceux qui échappent à la justice devant les tribunaux nationaux soient jugés devant la cour pour les crimes commis. La future cour pourrait faire davantage. Non seulement elle servira d'instrument de justice contre les responsables de crimes, mais elle pourrait également jouer un rôle crucial pour empêcher à l'avenir de tels crimes. La création d'une cour criminelle internationale aura un long chemin à parcourir

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pour atteindre cet objectif. La cour devra servir à souligner que les êtres humains ont des devoirs et obligations à l'égard d'autres êtres humains. Ils ne pourront plus commettre d'atrocités comme le génocide et les viols en masse et fuir en toute impunité. L'existence de la cour montrera que la communauté internationale ne tolèrera pas la commission de crimes odieux. Ce n'est qu'en renforçant le respect des droits de l'homme que l'on pourra tenir responsables les auteurs de crimes. La cour devra exercer sa compétence sur le crime de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Elle devra connaître des crimes commis en période de paix. L'Irlande appuie l'idée d'inclure l'agression dans la liste des crimes relevant de la compétence de la cour. En devenant parties au statut de la future cour, les Etats devront accepter la compétence inhérente de la cour sur le noyau dur des crimes précités. La compétence de la cour devra compléter celle des juridictions nationales. Les Etats parties ainsi que le Conseil de sécurité devraient être habilités à saisir la cour. En outre, il faudrait doter le procureur de pouvoirs plus étendus pour lui permettre de saisir la cour. Ce pouvoir renforcerait le rôle de la cour. Celle-ci doit être impartiale et indépendante pour garantir son efficacité. La coopération des Etats et l'assistance judiciaire sont essentielles.

M. FRANKLIN BERMAN (Royaume-Uni) : La création par le Conseil de sécurité des Tribunaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda a témoigné de la détermination de la communauté internationale à insister sur la fin de l'immunité et de l'impunité. La communauté internationale sait aujourd'hui que les tribunaux ad hoc ne suffisent pas et que, par définition, ils constituent un remède à la fois ad hoc et post hoc n'intervenant qu'après que l'impensable s'est déjà produit. Seule une cour permanente aurait une dimension dissuasive et constituerait une étape remarquable vers la véritable justice. Les participations à la Conférence doivent, notamment se concentrer sur la question de la qualification des juges et du procureur, d'une part et du système électoral, d'autre part, qui garantirait les qualités et les compétences des membres choisis. Il faut garder à l'esprit que la cour ne sera pas seulement une cour d'appel mais également un tribunal de première instance devant lequel les individus seront jugés et devant lequel les preuves présentées par le procureur seront examinées. Peut-on vraiment traduire les accusés des crimes les plus graves devant la justice et les faire juger par des personnes qui n'ont jamais mené de procès en matière pénale ? C'est pourtant ce vers quoi tendraient certaines des propositions avancées au cours de cette Conférence. Pour ce qui est des élections des juges, un système permettant la politisation des juges ne saurait satisfaire les attentes, et il en irait de même pour tout système qui n'apaise pas, de manière satisfaisante, les soupçons de partialité politique.

Une autre question importante est celle de la coopération des Etats. Il ne s'agit pas seulement de la remise des prévenus à la justice ou du fonctionnement propre des mécanismes de complémentarité mais également de la fourniture des preuves. L'objet des négociations à venir doit porter sur la

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création d'une juridiction capable de mettre en oeuvre les règles du droit humanitaire international et de les faire fonctionner. Le principe de complémentarité est, dans ce contexte, un des piliers de l'efficacité de la cour.

Mme TARJA HALONEN (Ministre des affaires étrangères de la Finlande) : La création d'une cour criminelle internationale est une priorité que la Finlande appuie fermement et activement. Ce projet renforce la règle du droit international humanitaire et pénal et se fonde sur l'expérience des Tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. L'exercice par la cour de sa compétence se voit déjà limitée par le principe de complémentarité et il ne faudrait donc pas la marginaliser davantage par des restrictions supplémentaires. La cour doit être en mesure d'exercer sa compétence sans consentement supplémentaire des Etats, tant il est vrai que cela pourrait bloquer ou retarder, de manière substantielle, le cours des enquêtes. La Finlande se prononce, toutefois, en faveur du pouvoir du Conseil de sécurité de saisir la cour. Il est essentiel d'accorder au procureur le pouvoir ex officio de lancer des enquêtes et d'établir des garde-fous juridiques appropriés pour prévenir tout abus de pouvoir.

M. ELYAKIM RUBINSTEIN (Procureur général d'Israël) : Aucun être humain honnête ne peut remettre en question la nécessité de juger les auteurs de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, y compris les crimes à l'encontre des femmes et des enfants. Toutefois, la participation des organes politiques au processus de prise de décision pose quelques problèmes. La future cour criminelle internationale ne doit avoir compétence que sur les crimes les plus odieux et intervenir lorsque les juridictions nationales sont inexistantes. Lorsque celles-ci sont efficaces, la compétence de la cour n'a pas de raison d'être. Son intervention pourrait affaiblir le rôle des juridictions nationales. Il faudra faire preuve de la plus grande prudence pour garantir l'objectivité et l'impartialité de la cour. Cela est crucial à la fois pour assurer son efficacité mais également pour encourager la communauté internationale à accepter ce nouvel organe comme partie intégrante et essentielle de la scène internationale.

De l'avis d'Israël, la saisine de la cour par les Etats pourrait encourager le recours aux enquêtes à des fins politiques. Il serait souhaitable d'établir des critères plus sévères pour présenter une plainte. La Conférence diplomatique devra trouver un équilibre entre la reconnaissance du terrorisme en tant que crime international - qui constitue une grave préoccupation pour Israël - et l'accent sur les moyens les plus concrets et les plus efficaces de coopération pour traduire les terroristes internationaux devant la justice.

M. YANNOS KRANIDIOTIS (Vice-Ministre des affaires étrangères de la Grèce) : La création d'une cour criminelle n'a cessé d'être appuyée par la Grèce, en raison de sa triste histoire émaillée de tels crimes commis contre son peuple récemment. Il faut espérer que la cour prévienne la résurgence de crimes semblables. La cour devrait être la garantie de davantage

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d'objectivité et écarter toute approche sélective en ce qui concerne les actes criminels. La cour doit être véritablement indépendante et compétente pour le génocide, les crime de guerre, les crime contre l'humanité. La Grèce ne peut envisager la non-inclusion du crime d'agression et, en ce qui concerne le crime de guerre, met l'accent sur l'invasion des pays, l'instauration de territoires occupés et les attaques sur les bâtiments de culte, d'éducation, d'arts et de sciences et plus particulièrement sur les monuments historiques. La Grèce estime que le procureur doit avoir le pouvoir de lancer des enquêtes ex officio et que la relation entre la cour et le Conseil de sécurité doit être examinée attentivement et définie de manière équilibrée.

M. SIDDHA RAJ OJHA (Ministre de la justice du Népal) : La future cour devrait être impartiale, indépendante, permanente et efficace. Elle devrait servir d'exemple et répondre aux normes les plus élevées de justice. Le principe de la complémentarité aux juridictions nationales devrait être placé au centre du projet de statut. Il serait de l'intérêt de la justice si les victimes pouvaient également devenir parties au procès et obtenir une réparation, une indemnisation et la réhabilitation pour le préjudice subi. La Conférence devrait oeuvrer de sorte que le projet de statut soit accepté par le plus grand nombre d'Etats. Seule la reconnaissance universelle de la compétence de la future cour garantirait son efficacité.

M. HANS VAN MIERLO (Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères des Pays-Bas) : La Haye se prononce en faveur de la création d'une cour indépendante et efficace dotée de liens opérationnels et institutionnels étroits avec les Nations Unies. Sa compétence doit couvrir les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre sur la base du droit international tel qu'appliqué actuellement. Les Pays-Bas appuient également l'inclusion des crimes d'agression, à condition qu'une solution généralement acceptable soit trouvée quant à sa définition et au rôle du Conseil de sécurité. Les Pays-Bas s'opposent à l'inclusion de tout autre crime. Ils plaident pour un système de compétence inhérente et s'opposent à un système de consentement ad hoc des Etats. Le mécanisme de saisine doit permettre à la cour d'agir lorsque une affaire est portée devant elle par les Etats parties, le Conseil de sécurité ou le procureur.

Les Pays-Bas appuient fermement un principe de complémentarité qui fournirait des garanties suffisantes aux Etats disposant d'un système de justice pénale efficace. Le statut de la cour doit être concis et exhaustif et les Pays-Bas s'opposent à l'inclusion de la peine de mort au titre des peines. La coopération internationale est essentielle à l'efficacité de la cour. Son universalité exige qu'aucun Etat n'ait le droit de refuser sa coopération et les demandes d'assistance judiciaires formulées par la cour. Les Pays-Bas se prononcent, à cet égard, pour une procédure spéciale garantissant la confidentialité des informations sensibles. Le système de financement de la cour doit assurer son bon fonctionnement et refléter la responsabilité des Etats vis-à-vis d'une cour universelle. Les Pays-Bas réitèrent leur offre d'accueillir le siège de la future cour à la Haye.

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Mme JUDITH TROTTER (Nouvelle-Zélande) : La future cour criminelle internationale devrait avoir une compétence inhérente sur un noyau dur de crimes. Sa compétence serait également étendue aux crimes commis dans des conflits armés internes, ainsi qu'à ceux énoncés par les instruments internationaux en vigueur. Le projet de statut devrait être compatible avec les obligations définies par l'arrêt de la Cour internationale de justice relatif à la légalité de la menace ou du recours aux essais nucléaires. La Nouvelle-Zélande rejette toute idée visant à permettre au Conseil de sécurité, par le biais de son président et à l'issue de consultations officieuses, de demander à la cour de suspendre une procédure en cours. Conformément à la Charte des Nations Unies, toute décision affectant la paix et la sécurité doit être prise publiquement et de manière transparente. Cela suppose la participation d'un plus grand nombre d'Etats Membres. Le procureur devrait être habilité à saisir la cour sur la base d'informations émanant de toute source. Des garanties procédurales peuvent être établies pour répondre aux préoccupations sur ce rôle. La Nouvelle-Zélande souhaite l'inclusion des violences graves à l'encontre des femmes et des enfants. Le statut de la future cour ne devrait pas permettre à la cour de juger les mineurs de moins de 18 ans d'exercer sa compétence, ni prévoir la peine de mort.

M. LUC FRIEDEN (Ministre de la justice du Luxembourg) : 50 ans après que les Nations Unies aient étudié pour la première fois la mise en place d'une cour criminelle internationale, 50 ans après la signature de la Déclaration universelle des droits de l'homme et 50 ans après l'adoption de la Convention contre le génocide, la création d'une telle cour est devenue une nécessité. Des populations sont décimées. Des villages entiers sont massacrés. Des femmes sont systématiquement violées et humiliées. Des enfants sont torturés et mutilés. Et les auteurs de ces atrocités ne seront jamais traduits devant une juridiction où ils devront répondre de leurs actes et où, après un procès équitable, ils pourront être punis. Il est temps de traduire les auteurs de ces violations flagrantes et systématiques des droits de la personne devant une cour internationale composée de juges indépendants qui peuvent en toute objectivité, sanctionner les crimes commis contre des êtres humains innocents dont le seul "tort" a été d'appartenir à une race, une ethnie, à une religion ou un groupe social minoritaire dans leur pays d'origine ou d'être les plus faibles ou les plus exposés face aux atrocités de leurs agresseurs.

Il est temps qu'on sache, partout dans le monde, que les violations massives des droits de la personne ne seront plus tolérées. Pour atteindre ces objectifs, le Luxembourg estime que les statuts de cette cour doivent observer les principes suivants : une cour avec des compétences précises limitées aux crimes de génocide, aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité. Une cour internationale avec une juridiction universelle qui intervient de manière impartiale et efficace dans les conflits internationaux et nationaux, à chaque fois que les juridictions nationales sont inexistantes, incapables ou réticentes de juger de tels crimes. Une cour indépendante, qui

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peut être saisie à chaque instant par le Conseil de sécurité de l'ONU, par un Etat ou par un procureur impartial. Elle doit encore avoir le pouvoir de s'autosaisir, sous réserve de certaines prérogatives de "désaisine" du Conseil de sécurité.

M. HUBERT VEDRINE (Ministre des affaires étrangères de la France) : Mon pays pense que pour l'efficacité de cette nouvelle juridiction et pour que sa légitimité soit incontestée, la compétence de la cour devrait être, au moins dans un premier temps, concentrée et limitée aux crimes exceptionnels qui, par leur ampleur ou le concept qui les inspire, heurtent la conscience même de l'humanité : génocide, crime contre l'humanité, crime de guerre, violations très graves du droit international humanitaire. Mon pays a soutenu l'inscription au coeur du statut du dispositif de complémentarité. Nous ferions fausse route, si la création de la cour devrait conduire à décharger les Etats et les tribunaux internes de leur responsabilité première dans la poursuite des crimes les plus graves. La cour n'aurait à se saisir qu'en cas de défaillance - volontaire ou involontaire - des autorités nationales. Le statut doit énoncer avec précision la procédure, définir les relations de la cour avec les Etats, les droits des personnes soupçonnées et des accusés, les droits des victimes. La France a demandé que l'on trouve des solutions originales pour que cette nouvelle juridiction s'inspire autant de la tradition juridique romano-germanique que de la "common law".

Mon pays a également souhaité, en étroite concertation avec les ONG, faire inscrire dans le statut des dispositions précises sur l'accès des victimes à tous les stades de la procédure, sur leur protection contre les mesures de représailles. Sur le fonctionnement de la cour, il nous semble qu'un plus grand nombre d'Etats pourra accepter les dispositions ambitieuses sur la saisine de la future cour. Ainsi, la France retient désormais l'idée d'une décision d'un commun accord du procureur et de la chambre préliminaire pour engager une procédure. La France estime que la compétence de la cour devrait être automatiquement, dès la ratification et l'entrée en vigueur pour les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité.

La question qui se pose véritablement est celle des crimes de guerre. Leur nature peut être considérée comme différente dans la mesure où ces crimes, définis dans les conventions de La Haye de 1907 (droit de la guerre) et dans les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels (droit dans la guerre), peuvent être des actes isolés. Certains Etats s'opposent tout a fait à l'idée que leur définition puisse s'appliquer aux conflits internes. Mais accepter cette restriction serait un retour en arrière. Nous devrons trouver à Rome une bonne solution sur ce point.

J'en viens à un point très important : l'articulation entre l'action du Conseil de sécurité, plus indispensable que jamais au maintien de la paix dans un monde instable, et le rôle de la cour. Une bonne articulation réciproque est nécessaire à la réussite de cette nouvelle institution. Aucun de nous ne peut souhaiter que la cour se transforme en tribune de nature politique, saisie de plaintes abusives qui auraient pour seul objet de mettre en cause

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les décisions du Conseil de sécurité ou la politique extérieure d'un des trop rares pays qui acceptent d'assumer les risques des opérations de maintien de la paix. L'indépendance et l'autorité de la cour n'y survivraient pas. Je rappelle que les membres permanents du Conseil de sécurité sont à l'origine des deux tribunaux ad hoc qui ont réveillé le concept de justice internationale et qu'ils ont assuré la mise en place efficace. Si l'action de la cour ne s'intègre pas à celle du système institutionnel international existant qu'il faut renforcer et non affaiblir, elle perdra en force et en crédibilité.

M. KAMEL HASSAN AL-MAGHUR (Jamahiriya arabe libyenne) : La Libye a toujours respecté les recommandations des organes des Nations Unies dont la Cour internationale de justice. Malheureusement cette conduite n'est pas toujours été suivie par certains Etats qui continuent de remettre en question la compétence de la CIJ et de refuser d'en appliquer les décisions. Il est regrettable que parmi ces Etats se trouvent des membres permanents du Conseil de sécurité qui s'efforcent de se servir du Conseil pour entraver les travaux de la cour. Il est donc important que le statut de la future cour criminelle prévienne ce genre d'attitude. La Libye s'est toujours opposée à l'hégémonie et craint qu'un système international ne vienne consolider cette hégémonie. Il faut donc souligner la place importante de la coopération dans l'élaboration du statut de la cour. Il faut tirer profit de l'expérience du siècle passé en matière de droit international.

Il est essentiel de respecter la souveraineté des Etats et leur indépendance. Il faut, à tout prix, empêcher les débordements des organes politiques qui finissent par exercer un contrôle sur la vie internationale, même si cela va à l'encontre des lois. Il faut procéder à un examen diligent, notamment de la pertinence des lois applicables. Il ne faut prendre pour acquis l'idée que la compétence de la cour se limite à des questions dont certains souffrent tout en ignorant ce dont souffrent les autres comme le terrorisme, le trafic illicite des stupéfiants ou encore les entraves à la liberté de culte. Il faut garder à l'esprit qu'aux côtés des dispositions occidentales, il existe d'autres dispositions auxquelles recourent une très grande partie de la population mondiale. Laisser la création de cette cour au bon vouloir de quelques puissances occidentales serait une grave erreur et la nomination du procureur ne doit pas se faire par imposition mais par un système démocratique.

M. OSCAR CABELLO-SARUBBI (Paraguay) : La création d'une cour criminelle internationale devrait reposer sur les principes généraux du droit pénal. Le Paraguay se prononce en faveur d'une juridiction qui exercerait ses compétences en toute indépendance et en toute impartialité. La future cour devrait être compétente pour connaître des crimes les plus graves qui constituent une menace grave à la paix et à la sécurité internationales. A cet égard, il est nécessaire de définir de manière précise ces crimes afin de garantir l'efficacité et sa crédibilité. Le statut de la future cour devrait inclure parmi les principes généraux de droit pénal le principe "non bis in idem" et celui de la non-rétroactivité. Le statut doit contenir les principes

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fondamentaux garantissant un procès équitable et les droits de la défense. Il faudrait établir un équilibre fondamental pour délimiter la compétence de la cour et pour éviter qu'elle ne serve d'instance supérieure aux juridictions nationales et que les juges de la cour ne se placent au-dessus des juges nationaux. En outre, il faudrait préserver la souveraineté nationale. Reconnaissant l'importance et la complexité de l'inclusion du crime d'agression dans le projet de statut, le Paraguay suggère une approche souple pour établir un équilibre entre l'action du Conseil de sécurité et l'indépendance politique de la cour.

M. RAHANDI CHAMBRIER (Ministre de la justice du Gabon) : Les relations juridictionnelles entre la future cour criminelle internationale et les tribunaux nationaux joueront un rôle décisif sur l'efficacité de la cour. La complémentarité, en cas de défaillance des juridictions nationales, permettra à la cour d'exercer ses prérogatives. S'agissant du rôle du Conseil de sécurité, et de ses relations avec la cour, le Gabon soutient la procédure qui donne au Conseil la possibilité de porter certaines affaires à l'attention de la cour, mais s'oppose au principe qui empêche la cour de poursuivre des individus ayant commis des crimes dans le cadre d'une situation gérée par le Conseil de sécurité, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. L'exercice de la compétence de la cour ne peut donc être tributaire des décisions prises préalablement par cet organe fortement politisé. Une telle procédure affaiblirait considérablement l'indépendance et la crédibilité de la cour. Outre le noyau dur des crimes les plus graves, la future cour devrait exercer sa compétence sur le crime d'agression - constatée aussi bien par le Conseil de sécurité que dénoncée à la cour par les Etats, les organisations internationales, les ONG et les individus.

M. RAUL E. GRANILLO OCAMPO (Ministre de la justice de l'Argentine) : La création d'une cour criminelle internationale solide et efficace pour juger et réprimer les crimes les plus graves est indispensable. Cette cour devra avoir compétence pour connaître du crime de génocide, des crimes contre l'humanité - y compris ceux commis en période de paix - et des crimes de guerre. L'Argentine souhaite l'inclusion du crime d'agression. Les Etats devront accepter la compétence de la cour au moment de la ratification, sans recourir à une déclaration ultérieure de consentement. Des relations appropriées devront être établies avec les juridictions nationales pour assurer la complémentarité de la cour. La future cour ne devra pas se substituer aux cours et tribunaux nationaux. Elle ne sera compétente que lorsque ces juridictions sont inexistantes ou défaillantes. Comme l'expérience récente des tribunaux spéciaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda l'a montré, la coopération des Etats est essentielle pour permettre à la cour de procéder aux enquêtes et aux poursuites. Il est de toute évidence que la coopération volontaire des Etats constitue le meilleur moyen d'assurer de bonnes relations entre les Etats et la cour.

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M. SAAD EDDINE TAIB (Maroc) : Pour gagner davantage de confiance, la cour criminelle internationale doit prendre en considération les droits de tous les peuples dans leurs différentes composantes. Elle doit être permanente, universelle, efficace, crédible, impartiale et indépendante afin de pouvoir appliquer sans complaisance, à l'abri de toutes visées politiques, le droit et garantir la justice pour tous à travers des jugements prononcés conformément aux principes et règles connus de tous. L'intervention de la cour doit porter sur le crime de guerre, le crime de génocide et le crime contre l'humanité. La notion de crime d'agression, en raison de son caractère politique, demande à être examinée profondément, ce qui rend prématuré son insertion parmi les compétences de la cour. Les relations entre la cour et les tribunaux nationaux doivent être basées sur la complémentarité de sorte que la cour internationale ne puisse intervenir qu'en cas de défaillance de ces derniers lorsque ceux-ci refusent de juger les crimes ou si les peines prononcées sont considérées insuffisantes.

La cour doit pouvoir disposer d'une liberté totale dans l'exercice de ses fonctions sans entraves, contraintes ou ingérences. Il convient de prévoir en faveur du procureur un droit de poursuite de sa propre initiative et un pouvoir d'enquête sur les trois crimes quitte à ce que ses activités fassent l'objet d'un contrôle de la part des instances de la cour permettant d'éviter tout abus de pouvoir et de garantir la protection légitime des accusés. L'indépendance de la cour exige sa séparation du système des Nations Unies et plus particulièrement du Conseil de sécurité afin qu'elle demeure un organe judiciaire libre de toute pression et une autonomie financière. Il devient clair que sans la coopération des Etats parties, basée sur la confiance et l'aide mutuelle ainsi que le respect de la législation nationale en matière pénale, la cour ne pourra en aucun cas jouer effectivement son rôle.

M. FAUSTIN NTEZILYAYO (Ministre de la justice du Rwanda) : Le peuple rwandais a vécu en 1994 des événements dramatiques. Le génocide et les sanglants massacres perpétrés d'avril à juillet 1994 ont entraîné la mort d'environ un million de personnes parmi la population civile, hommes, femmes et enfants. Devant les affres et ravages de ce génocide et des autres crimes contre l'humanité commis dans le pays, le gouvernement a directement alerté la communauté internationale pour requérir sa coopération, sa participation et sa collaboration pour la répression du crime de génocide, qui est un crime contre l'humanité. Même si bon nombre de dispositions des statuts du tribunal pénal international pour le Rwanda étaient loin de rencontrer les points de vue exprimés par le Gouvernement pour un meilleur fonctionnement du tribunal pénal international à mettre en place, le Rwanda a offert son soutien et sa coopération au dit tribunal.

A la veille de la création de la cour pénale internationale permanente, le Rwanda attire une fois de plus l'attention de la communauté internationale sur le fait que le génocide, crime contre l'humanité commis au Rwanda, doit être sérieusement réprimé et que pour ce faire, un appui conséquent doit être donné à la justice rwandaise ainsi qu'à la justice internationale à travers,

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notamment, le tribunal pénal international pour le Rwanda afin d'éradiquer l'impunité des crimes contre l'humanité et d'autres crimes de droit international humanitaire.

Le Rwanda soutient le principe de création d'une cour pénale internationale permanente efficace, impartiale, opérationnelle et n'étant pas soumise à l'influence hégémonique d'aucun Etat, organisme ou groupe de pression quelconque. La création de cette cour ne doit pas occulter le mandat des tribunaux ad hoc qui garderaient leurs compétences juridictionnelles et doivent continuer à recevoir un appui conséquent. En même temps que des mesures énergiques seraient prises pour assurer leur plus grande efficacité. La cour ne devrait connaître que des crimes clairement définis dans les instruments juridiques internationaux existants : crimes de génocide, crimes de guerre, crime contre l'humanité. La cour ne devrait pas assumer les responsabilités des tribunaux nationaux à moins que la juridiction nationale ne soit vraiment inefficace et inopérante. Nous soutenons que la cour soit un organisme impartial, à l'instar de l'Assemblée générale afin de permettre aux Etats de jouer un grand rôle dans la saisine de la cour, afin d'éviter immixtion et manipulation.

M. TIYANJANA MALUWA (Organisation de l'unité africaine - OUA) : Les déclarations adoptées par la Communauté pour le développement de l'Afrique australe (SADC) et par la Conférence de Dakar sur la création de la future cour criminelle internationale ont soulevé des questions importantes, notamment, l'indépendance de la cour, le rôle et les pouvoirs du procureur, ainsi que les relations entre la cour et le Conseil de sécurité. En appuyant la création de la cour, l'OUA est très consciente de l'intérêt que l'Afrique attache à cette question. Les peuples africains ont été victimes de violations massives des droits de l'homme au cours des siècles passés. Le récent génocide au Rwanda, qui rappelle tragiquement que ces atrocités ne sont pas encore oubliées, a renforcé la détermination et l'engagement de l'OUA en faveur de la création de la cour. La commémoration du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme offre l'occasion de renforcer le système international des droits de l'homme en vigueur. Il y a deux semaines, au Burkina Faso, les pays africains se sont joints à l'Europe et aux Amériques pour adopter un protocole pour la création d'une cour internationale des droits de l'homme.

Mme IRIS ALMEIDA (Centre international des droits de la personne et du développement démocratique) : La création d'une cour criminelle internationale ne marquera une étape importante et ne constituera un instrument crédible dans le processus de démocratisation que si elle est fondée sur le principe fondamental de la démocratie. En dotant le Conseil de sécurité d'un pouvoir de saisir la cour, on affaiblirait l'indépendance et le rôle de celle-ci. Le principe de complémentarité répond aux inquiétudes exprimées par les Etats qui craignent que leurs soldats stationnés dans le monde soient poursuivis en dehors de leur propre territoire. Si un Etat ne

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souhaite pas que ses ressortissants soient jugés par la future cour, il ne lui reste qu'à s'acquitter de ses propres obligations pour enquêter sur le crime de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité et, si cela est nécessaire, pour en poursuivre les responsables. Il ne faut plus ignorer ces crimes.

Mme ELENA POPTODOROVA (Parlementaires pour l'action globale) : La cour criminelle internationale doit être un organe fort, indépendant et efficace. Le mieux étant l'ennemi du bien, la Conférence ne doit pas se montrer trop ambitieuse et élargir la compétence de la cour à un éventail trop large de crimes. Elle doit plutôt se concentrer sur le noyau dur des crimes. S'il est vrai que les ratifications sont nécessaires à l'entrée en vigueur de la convention, il serait bon que le nombre de ratifications exigé ne soit pas trop élevé mais soit suffisant pour démontrer l'appui véritable de la communauté internationale à la création d'une cour criminelle. Il est important aussi que les actions de la cour ne se voient pas entravées par un veto du Conseil de sécurité et que le procureur soit indépendant et investi du pouvoir de lancer des enquêtes de sa propre initiative.

M. PATRICK BAUDOUIN (Président de la Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme) : L'exercice du droit de veto par un des membres permanents du Conseil de sécurité susceptible d'entraver l'action de la cour devrait être prohibé. La suspension d'activités rigoureusement délimitées de la cour ne pourrait revêtir qu'un caractère strictement exceptionnel, pour une durée limitée, et ce dans le cadre d'une consultation et d'un dialogue transparents et équilibrés avec la cour. Cette démarche du Conseil de sécurité devrait être strictement confinée à l'exécution des mandats d'arrêt, à l'exclusion de tout autre acte judiciaire. L'action de la cour ne devrait pas être entravée par le Conseil de sécurité. Le principe de la primauté du judiciaire sur le politique est indispensable à la bonne administration de la justice internationale.

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( suivre)

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