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LE PRINCIPE DE COMPLEMENTARITE DOIT ETRE PRECISE AFIN D'EVITER TOUT CONFLIT DE COMPETENCE ENTRE LA COUR ET LES JURIDICTIONS NATIONALES

16 juin 1998


Communiqué de Presse
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LE PRINCIPE DE COMPLEMENTARITE DOIT ETRE PRECISE AFIN D'EVITER TOUT CONFLIT DE COMPETENCE ENTRE LA COUR ET LES JURIDICTIONS NATIONALES

19980616 Rome, 16 juin -- La Conférence diplomatique de plénipotentiaires sur la création d'une cour criminelle internationale a poursuivi son débat général sous la présidence de M. Giovanni Conso (Italie), son président, a entendu les représentants de dix-neuf Etats Membres qui ont participé au débat général. Ces représentants ont exprimé un point de vue commun sur le principe de complémentarité régissant les relations entre la future cour criminelle et les Etats. En vertu de ce principe, la future cour viserait à compléter et non à remplacer les systèmes judiciaires nationaux et n'interviendrait qu'en cas de non disponibilité ou d'inefficacité de ces derniers. Toutefois, il reste à déterminer qui a le pouvoir de décider de la non-disponibilité ou de l'inefficacité des systèmes judiciaires nationaux. A cet égard, certains pays ont argué que l'exercice par la cour de sa compétence doit se fonder sur le consentement des Etats en invoquant le respect nécessaire de la souveraineté nationale. Seul ce respect pourrait prévenir les conflits de compétence entre la cour et les juridictions nationales.

La conférence a entendu d'autres délégations qui ont jugé important que le statut de la cour prévoit des mécanismes de contrôle pour empêcher les Etats à mener de "fausses enquêtes" ou de "faux procès" pour se mettre à l'abri d'une intervention de la cour. Le principe de complémentarité débouche également sur la question de la coopération entre la cour et les Etats. Plusieurs délégations ont souhaité que le statut définisse clairement les termes de cette coopération et les circonstances dans lesquelles les Etats pourraient opposer une fin de non recevoir aux demandes de la cour. D'autres intervenants, dont les Présidents des Tribunaux spéciaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda ont souhaité que le statut prévoit expressément l'obligation pour les Etats de coopérer avec la cour.

La conférence a entendu les personnalités suivantes : le Ministre de la justice et des libertés publiques de la Côte d'Ivoire, M. Jean Kouakou Brou; le Ministre des affaires étrangères de la Lettonie, M. Valdis Birkavs; le Ministre de la justice de la Lituanie, M. Vytautas Pakalniskis; le Procureur général du Kenya, M. Amos Wako; le Ministre de la défense du Costa Rica, Mme Monica Nagel Berger; et le Vice-Ministre des affaires étrangères, M. Armen Baibourtian ainsi que les représentants des pays suivants : Kazakhstan, Indonésie, Algérie, République tchèque, République-Unie de Tanzanie, Chine, Brésil, Pérou, Roumanie, Kirghizistan, Pakistan et Koweït.

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Elle a entendu en outre l'Observateur du Saint-Siège, le représentant de la Cour européenne des droits de l'homme, la Présidente du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie, le Président du Tribunal international pour le Rwanda et la Commissaire chargée des affaires humanitaires auprès de la Commission européenne. Les représentants des ONG "Union interparlementaire", "Pace Peace Centre USA", et "Amnesty International", sont intervenus.

La Conférence poursuivra son débat général cet après-midi à 15 heures.

Débat général

M. IGOR ROGOV (Kazakhstan) : La cour doit être un organe indépendant dont il faut définir les relations avec le Conseil de sécurité. Organe judiciaire, elle ne saurait se laisser influencer par un organe politique. Il faut donc tout mettre en oeuvre pour que le Conseil de sécurité n'ait jamais les moyens de porter préjudice à l'indépendance de la cour. Pour le Kazakhstan, la cour doit venir en complément des juridictions nationales et avoir compétence pour examiner le crime de génocide, le crime de guerre et le crime contre l'humanité, le crime d'agression devant être défini plus avant. Le Kazakhstan estime que l'inclusion de crimes comme le trafic de stupéfiants et le terrorisme serait incompatible avec les principes de complémentarité. Le mécanisme de déclenchement doit consister en une plainte déposée par les Etats pour ce qui concerne le crime de génocide et le crime de guerre.

En revanche, il serait utile que pour les autres crimes, comme le crime d'agression, la cour ait l'aval des Etats concernés. Le financement de la cour doit être propre mais, étant donné que tous les Etats ne sont pas en mesure de payer des contributions, les dépenses doivent être aussi couvertes par les Nations Unies. Enfin si le Kazakhstan admet que le droit de réserve est un droit souverain, il estime qu'il faut le limiter tant il est vrai que ces réserves pourront porter atteinte à l'essence même de la cour. Il faut donc limiter les réserves aux dispositions qui n'ont pas de caractère de principe.

Mgr RENATO R. MARTINO (Saint-Siège) : Toute juridiction pénale internationale devrait être mise en place pour assurer la protection de la dignité de la personne humaine. Cette dignité est partagée par toute personne humaine, sans distinction de son âge, race, origine ethnique, statut de combattant ou non, ou de sexe. En conséquence, la reconnaissance que la personne humaine est par nature titulaire de certains droits inviolables représente un progrès juridique fondamental et doit être considérée comme un fondement du droit international. Il appartient à la société de manifester, par le droit et les structures judiciaires, la protection des droits de l'individu. En tant qu'instrument de la justice, la future cour criminelle internationale doit être conçue comme un moyen permettant de restaurer la bonne relation au sein de la famille, à savoir la réconciliation. Le Saint- Siège estime que la peine de mort n'a pas sa place dans le statut de la future cour. Le statut doit garantir l'indépendance de la cour. Toute règle ou structure, qui amènerait à des décisions sur la culpabilité ou l'innocence qui sera fondée sur des considérations politiques plutôt que juridiques, serait équivoque.

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M. MULADI (Indonésie) : Pour les pays non alignés, l'efficacité de la cour dépend d'une accession universelle des Etats à son statut. Lors de leur dernière réunion, les pays non alignés ont souligné combien il est fondamental que le statut de la cour soit adopté par consensus. Pour les pays non alignés, la juridiction de la cour doit compléter les juridictions nationales. Mais le principe de complémentarité doit être défini plus avant et doit pouvoir répondre, notamment, aux questions de savoir quand et dans quelles circonstances les mécanismes de la cour peuvent-ils être déclenchés. La cour peut-elle accepter sans condition le principe de bis in idem ? Des questions politiques ardues restent donc à régler. Pour les pays non alignés, le statut de la cour doit se conformer au principe de l'égalité souveraine de toutes les nations. La cour doit donc être impartiale et indépendante, en particulier, du Conseil de sécurité. Cette indépendance exige aussi qu'elle ait des mécanismes de financement propres.

M. BOUALEM BOUGUETAIA (Algérie) : Le troisième millénaire s'ouvre sur d'importantes percées normatives du droit international, et parmi ces percées, la création de la cour criminelle internationale constitue sans nul doute un des témoins les plus probants. Bien que née il y a plus de quarante ans, l'idée de créer une cour criminelle internationale va peut être connaître sa réalisation. La cour criminelle internationale se présente comme une opportunité de promouvoir une société meilleure, fondée sur le droit et la justice, qui mobiliserait solidairement ses ressources et ses moyens pour les investir dans un développement et une sécurité authentiquement universels. Il est essentiel que la communauté internationale puisse se doter d'un instrument approprié pour juger les auteurs des crimes qui hypothèquent son développement harmonieux et sa sérénité. Il est tout d'abord évident que la création d'une juridiction internationale efficace et objective, apte à donner la suite qui s'impose aux crimes relevant du droit international, doit nécessairement écarter définitivement le recours à un quelconque mécanisme ad hoc conçu par une instance politique internationale.

Notre seconde observation a trait à la nécessité d'offrir à cette cour internationale toutes les garanties nécessaires d'indépendance et d'impartialité. Ma délégation réaffirme son attachement à l'idée d'une cour jouissant d'une autorité morale incontestable, d'une cour effective et efficace dont seule la règle de droit doit en guider l'action. Au sujet de la compétence de la cour, il est généralement admis que celle-ci devrait se centrer uniquement sur un noyau dur de crimes exceptionnellement graves, dont le caractère affecte la paix et la sécurité internationales. Le terrorisme international s'impose, en effet, par son acuité particulière comme une menace transfrontière par excellence, une menace contre les fondements des Etats,

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contre leur stabilité et leur développement économique et constitue la négation même des valeurs démocratiques de nos sociétés. Il est tout à fait évident que les juridictions nationales soient en droit d'exercer souverainement une compétence pleine et entière sur ces crimes. En revanche, la communauté internationale aura à travers la Cour, capacité de se substituer aux institutions juridiques nationales, quand la preuve est apportée que celles-ci sont défaillantes, en raison de circonstances exceptionnelles.

M. PAVEL TELICKA (République tchèque) : Mon pays réitère son ferme appui à l'idée de créer une cour criminelle internationale permanente. Toutefois, cette cour doit être efficace, indépendante et crédible. Elle devra exercer une compétence inhérente sur un noyau de quatre crimes graves, à savoir, le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et l'agression. Conformément au principe de la compétence universelle sur les crimes en vertu du droit international, le consentement de l'Etat ne sera par exigé pour déclarer la compétence de la cour. Appuyant le principe de la complémentarité, la République tchèque estime que la complémentarité n'affaiblit pas l'obligation des Etats d'engager des enquêtes et des poursuites vigoureuses. Elle rejette l'idée d'empêcher la cour d'être saisie tant que les juridictions nationales procèdent à une enquête ou à des poursuites. Le Conseil de sécurité ne devra pas être doté du pouvoir de se saisir d'une situation avant la cour, si cette situation est traitée par le Conseil en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Un procureur ex officio renforcera davantage le rôle et l'efficacité de la cour parce que la cour pourrait également être saisie par des individus et des organisations non gouvernementales.

M. JEAN KOUAKOU BROU (Garde des sceaux, Ministre de la justice et des libertés publiques de la Côte d'Ivoire) : Si la perspective d'édifier une cour pénale internationale n'est pas récente, la nature et la cruauté des conflits de ces dernières décennies ont cependant ravivé l'impérieuse nécessité de soumettre ces actes criminels à la justice, d'en punir les coupables et d'offrir une juste réparation aux victimes. L'histoire récente est jalonnée de crimes qui justifient notre démarche et exigent une prompte réaction de notre part. Outre leur dominance économique et politique, les conflits modernes allient dans le faisceau des facteurs global qui les engendrent, des causes ethniques et religieuses que l'on croyait révolues. L'horreur du génocide rwandais, au coeur de l'Afrique, la tragédie de l'ex- Yougoslavie, au coeur même de la vieille Europe, ont replongé l'humanité tout entière dans les abysses les plus sombres de la barbarie et de l'intolérance. Contre toutes ces violentes négations des droits humains, notre devoir est d'adresser un message clair et fort préconisant l'institution d'une cour criminelle internationale.

S'agissant de l'indépendance de la cour, il me paraît opportun d'indiquer que le système judiciaire de la Côte d'Ivoire est fondé sur l'idéal d'une justice républicaine dans laquelle la séparation des pouvoirs garantit l'indépendance du judiciaire. Il va de soi que le juge au niveau du tribunal

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pénal international jouisse d'une indépendance sans entraves. La cour que nous appelons de nos voeux doit être efficace et opérationnelle.

S'agissant des crimes prévus au statut, mon pays considère essentiel de retenir le principe de la complémentarité pour préserver la souveraineté des Etats. Notre ferme volonté vise la création d'une cour crédible et universelle. L'universalité est en effet, la vocation même de cette institution qui sera l'un des plus grands succès juridiques de la communauté internationale de cette fin de siècle.

M. ALBANO L.T. ASMANI (République-Unie de Tanzanie) : Dans la mesure où le régime des droits de l'homme tire sa légitimité de l'universalité des droits de l'homme, cela devrait être le cas pour la cour. Il est donc nécessaire d'établir des garanties contre les aspects entourant la notion de la souveraineté qui est utilisée contre la volonté commune de mettre fin à l'impunité. Il est également important que le processus dans lequel on est engagé ne soit pas perçu comme un processus qui juge un Etat, plutôt que notre détermination de créer un mécanisme institutionnel et procédural qui constitue une base solide pour un système de droit pénal international. La Tanzanie appuie l'idée de restreindre la compétence de la cour. Toutefois, dans la mesure où la cour sera créée pour connaître des crimes internationaux les plus graves, il faudrait réexaminer la distinction entre les conflits internationaux et les conflits armés internes. Cela est particulièrement important pour éviter d'exclure les crimes graves fréquemment commis dans les conflits armés. Le rôle du Conseil de sécurité en relation avec la future cour devrait être examiné de manière très prudente. En raison de leur rôle fondamentalement distinct - judiciaire pour l'un et politique pour l'autre - la cour et le Conseil de sécurité ont beaucoup en commun dans le domaine de la paix internationale, et il est indispensable de préserver l'intégrité de la cour. Il est essentiel de garantir l'indépendance du procureur, qui serait doté de pouvoirs ex officio pour engager des enquêtes. La Tanzanie fait sien le principe de la complémentarité de la cour avec les juridictions nationales. Elle appuie la primauté de la compétence des cours et tribunaux nationaux.

M. WANG GUANGYA (Chine) : La création d'une cour criminelle internationale indépendante, équitable, efficace et largement représentative compléterait les systèmes judiciaires nationaux et le système de coopération judiciaire international afin d'empêcher l'impunité des criminels. Elle contribuera largement au renforcement de la communauté internationale et du droit international. La Chine estime que la future cour ne devra pas servir pour les luttes politiques ou de moyen d'ingérence dans les affaires internes des autres Etats. Elle ne devra pas compromettre le rôle principal des Nations Unies, notamment celui du Conseil de sécurité, de maintenir la paix et la sécurité internationales. Il est souhaitable de faire preuve de prudence pour examiner les relations entre la cour et le Conseil de sécurité. La Chine souligne que la participation universelle de toutes les régions et pays du monde constitue une garantie fondamentale de l'efficacité et de l'autorité de la cour.

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A cette fin, il est nécessaire de faire preuve de la plus grande souplesse pour déterminer la compétence de la cour, définir les crimes et les modalités par lesquelles les Etats acceptent la compétence de la cour. Le statut de la cour devra pleinement refléter le principe de la complémentarité. La question de la saisine de la cour doit être examinée de façon approfondie pour éviter des poursuites irresponsables et injustes. La cour repose sur la coopération des pays concernés et les pays qui adhèrent au statut devraient s'engager à le faire.

M. VALDIS BIRKAVS (Ministre des affaires étrangères de la Lettonie) : Le projet de statut de la cour est long et reflète les divergences sur plusieurs questions liées au fonctionnement même de la cour. Ce statut ne doit pas être adopté au nom d'une unité symbolique mais devra viser la création d'une cour internationale réellement opérationnelle et non d'un organe bureaucratique de plus. Il est donc important de définir clairement la compétence de la cour, notamment sa compétence à connaître du crime d'agression même si la définition de ce crime s'avère difficile. Pour la Lettonie la ratification du statut de la cour par les Etats signifient leur acceptation immédiate de la compétence de la cour pour le noyau dur des crimes. La coopération des Etats étant un élément essentiel au fonctionnement de la cour, il faudra que le statut comporte une définition claire des termes de la complémentarité entre les Etats et la cour.

M. GILBERTO VERGNE SABOIA (Brésil) : Les Etats doivent donner à la cour les pouvoirs et les moyens de jouer un rôle substantiel sur la scène internationale. Il est, à cet égard, essentiel de veiller à ne pas affaiblir ou compromettre les règles conventionnelles et coutumières du droit international. Il est encourager une adhésion universelle au statut de la cour, ce qui permettra de réaliser un équilibre réel entre les positions nationales relatives aux dispositions du projet de statut. Au droit des Etats parties et du Conseil de sécurité de saisir la cour, il faut ajouter le droit du procureur de lancer des enquêtes ex officio ou sur la base d'informations reçues de différentes sources. Toutefois, pour éviter les plaintes politiques motivées, le statut doit offrir des garanties de vérification des procédures.

La juridiction de la cour doit être limitée aux crimes les plus graves au regard de la communauté internationale. Mais le Brésil est favorable à une option ouverte qui permettra l'inclusion d'autres crimes. En ce qui concerne ses relations avec le Conseil de sécurité, il faut veiller à ne pas empêcher la cour de lancer des enquêtes ou de poursuivre des suspects, sauf dans des circonstances exceptionnelles quand le Conseil agit en vertu du Chapitre VII de la Charte. Même dans ce cas, il ne faut pas empêcher la cour d'exercer sa compétence au-delà d'un certain délai.

M. VYTAUTAS PAKALNISKIS (Ministre de la justice de la Lituanie) : La ratification et l'accession au statut de la cour doivent signifier l'octroi à cette dernière d'une compétence directe pour le crime de génocide, le crime de guerre, le crime contre l'humanité et le crime d'agression. La cour ne doit

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exercer sa juridiction que lorsque les juridictions nationales ne sont pas en mesure ou ne manifestent pas la volonté d'enquêter sur les crimes cités. La cour doit avoir le pouvoir de décider de son intervention. La Lituanie est favorable à la criminalisation des politiques visant à modifier la configuration démographique d'un territoire donné et de toutes les formes de violence sexuelle. La Lituanie est également favorable à l'inclusion des conflits internes dans les crimes de guerre. En ce qui concerne l'inclusion du crime d'agression, la Lituanie, reconnaissant le caractère hautement politique de la question, est d'avis qu'il faut laisser au Conseil de sécurité le soin de déterminer l'acte d'agression. Elle est également d'avis que l'indépendance de la cour ne sera effective que si le procureur a le pouvoir de commencer une enquête ex officio. Il doit en outre pouvoir compter sur la coopération des Etats et à cet égard, la cour devra définir plus avant les termes de cette coopération.

M. CARLOS HERMOZA MOYA (Pérou) : L'évolution technologique ne peut rester en marge du droit international. Les tribunaux spéciaux constitués pour juger les responsables des graves violations du droit international humanitaire en ex-Yougoslavie et au Rwanda constituent un progrès considérable qui a donné l'élan pour convoquer la Conférence diplomatique actuelle. La future cour criminelle internationale permanente devra exercer sa compétence en toute indépendance. Elle doit être complémentaire des juridictions nationales. Pour fonctionner de manière efficace, la future cour devra bénéficier de la coopération des Etats. Le Pérou émet l'espoir que les travaux de la Conférence diplomatique seront couronnés de succès.

Mme ELENA ZAMFIRESCU (Roumanie) : Les racines du droit et du droit international se sont ancrées à Rome il y a deux mille ans. Aujourd'hui l'opinion publique attend de la communauté internationale des mesures concrètes au nom de la règle de droit. Il faut donc veiller à ne pas édulcorer les principaux éléments du statut de la cour et lui permettre d'apporter des réponses satisfaisantes aux situations qu'elle aura à régler. Si la cour doit être indépendante du Conseil de sécurité, elle doit entretenir des relations privilégiées avec les organes des Nations Unies.

M. AMOS WAKO (Procureur général du Kenya) : La coopération et l'intégration internationales ont atteint un niveau qui a fait du monde un village global et, en conséquence, la création d'une cour criminelle internationale pour connaître des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et de l'agression, est une évolution naturelle de ce développement. Le Kenya réaffirme son engagement en faveur de la création d'une cour efficace, impartiale, crédible et indépendante. La future cour doit être libre de toute manipulation politique, de toute ingérence ou pression, et doit agir uniquement dans l'exercice de la justice tout en respectant les droits de la défense et les intérêts des victimes. Les questions en suspens doivent être réglées de manière globale et équilibrée. Pour ce faire, il faudrait faire preuve d'une véritable volonté politique. Il incombe en premier lieu à l'Etat de garantir la prévention, la répression et

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la poursuite de ceux qui commettent les crimes énumérés dans le projet de statut. En cas de défaillance des juridictions nationales, la cour devra exercer sa compétence. Le procureur est un élément essentiel de la cour et ses fonctions sont cruciales. Il faudrait définir de manière claire les pouvoirs en matière d'enquête et les pouvoirs ex officio du procureur. En outre, il faudrait préciser les relations entre le Conseil de sécurité et la cour criminelle internationale afin de garantir à cette dernière son indépendance et sa légitimité. Il faudrait adopter un moyen de financement stable pour assurer le bon fonctionnement de la cour. Tout en déployant des efforts inlassables pour créer une telle juridiction, il ne faudrait pas perdre de vue le renforcement des institutions nationales pour préserver et renforcer la règle de droit et l'efficacité des systèmes démocratiques à tous les niveaux.

M. ASANBEK SHARSHENALIEV (Kirghizistan) : La Conférence diplomatique sur la création d'une cour criminelle internationale coïncidé avec le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention sur le crime de génocide de 1948. Le Kirghizistan a manifesté son ferme appui à la création d'une cour indépendante jouissant de la coopération de tous les Etats membres. La cour doit être un organe non politique et ne saurait, dans ce contexte, être utilisée à des fins politiques. La qualité de membre d'un Etat doit signifier la pleine reconnaissance des pouvoirs de la cour vis-à-vis des crimes relevant de sa compétence. Ceci n'enlève rien au droit des Etats d'engager des procédures pour les crimes cités. La cour est un organe qui vient en complément des juridictions nationales. Le Kirghizistan appuie l'idée d'étendre la compétence de la cour à d'autres types de crimes tels que le terrorisme, le trafic illicite des stupéfiants et les crimes contre le personnel des Nations Unies. Le Kirghizistan plaide en faveur d'un mandat fort du procureur de la cour qui doit pouvoir engager des poursuites ex officio. Un tel pouvoir ne saurait porter préjudice au pouvoir du Conseil de sécurité, organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Mme MONICA NAGEL BERGER (Ministre de la défense de Costa Rica) : Le Gouvernement costa ricain estime qu'il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de réconciliation sans l'instauration d'une société libre et démocratique dans laquelle les responsables d'atrocités resteront impunis. L'impunité représente à la fois une menace à la paix et une incitation à la vengeance. C'est pourquoi, nous jugeons qu'il est indispensable d'établir un mécanisme judiciaire impartial et universel chargé de prévenir l'impunité. La cour criminelle internationale devra avoir la pleine compétence pour connaître de tous les crimes qui portent atteinte à la dignité de la femme, de sa condition de mère, ainsi qu'à celle des enfants. Le Costa Rica juge important d'inclure dans le statut de la future cour les crimes de violence sexuelle, à savoir le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution et la stérilisation forcée. De même, il faudrait inclure le recrutement des mineurs dans les forces armées. La structure de la cour et ses procédures devront garantir l'égalité des sexes. La cour doit exercer sa compétence sur le crime de génocide, les

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crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Le projet de statut devra inclure en outre les crimes commis au cours des conflits armés internes et ceux des crimes visés par les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949. La future cour devra avoir compétence à connaître le crime du terrorisme international, du trafic illicite des stupéfiants et des crimes commis contre le personnel des Nations Unies.

Toutefois, la liste des crimes doit être limitée aux crimes les plus graves. La cour doit agir en toute impartialité. La cour ne doit pas être subordonnée au Conseil de sécurité. Ce dernier ne pourra saisir la cour que dans le cadre du maintien de la paix et de la sécurité internationales. La présente Conférence diplomatique constitue un moment historique et il faudrait redoubler d'efforts pour parvenir à la création d'une cour criminelle internationale.

M. ARMEN BAIBOURTIAN (Vice-Ministre des affaires étrangères de l'Arménie) : La protection des droits de l'homme ne peut être garantie au niveau national si des violations flagrantes demeurent impunies. Il est possible, maintenant, de reconnaître le principe de la responsabilité individuelle pour ces crimes. Aucune autorité, y compris un chef d'Etat ou de gouvernement, ne devra être en mesure d'amnistier un criminel ou d'intervenir pour réduire ou pour rejeter une décision rendue par la cour. L'Arménie appuie l'idée de reconnaître à la cour la compétence sur le crime de génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, l'agression et les actes de terrorisme. Toutefois, il est nécessaire de définir clairement chaque crime pour éviter toute interprétation erronée. L'Arménie estime que la future cour devra exercer une compétence automatique sur le crime de génocide. Il faudra garantir l'indépendance de la cour à l'égard du Conseil de sécurité et des Etats. Les Etats ne devront pas refuser de coopérer avec elle. Si le système judiciaire national est efficace, la cour ne devrait pas intervenir. Toutefois, elle devra être habilitée à déterminer dans quel cas il existe une juridiction nationale efficace pour exercer sa compétence sur les crimes visés par le projet de statut.

M. ARIF AYUB (Pakistan) : La cour criminelle internationale devra compléter et non remplacer les juridictions nationales. Le concept de complémentarité devra donc prendre en compte la souveraineté nationale. La cour ne pourra exercer sa compétence qu'en cas d'indisponibilité ou d'inefficacité des systèmes nationaux. Ce faisant la souveraineté nationale devra être préservée et les conflits de compétence entre la cour et les juridictions nationales devront être évités. L'exercice de la compétence de la cour devra donc se fonder sur le consentement des Etats concernés. La cour devra être un organe impartial et indépendant à l'abri de toute influence politique. C'est pourquoi aucun rôle ne doit être attribué aux organes des Nations Unies et encore moins au Conseil de sécurité. L'intervention du Conseil de sécurité, organe politique, pourrait réduire l'objectivité et l'indépendance de la cour et compromettre le développement d'un système international de justice criminelle impartiale, uniforme et non- discriminatoire. En ce qui concerne le mécanisme de saisine, le Pakistan estime que seul peut saisir la cour l'Etat concerné puisqu'il est seul en position de déterminer s'il a la compétence de poursuivre l'auteur du crime ou s'il doit porter l'affaire devant la cour en raison de l'incapacité de son système judiciaire.

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M. AHMED KHALED AL-KULAIB (Koweït) : La création d'une cour indépendante et efficace qui puisse connaître des crimes graves stipulés dans les quatre Conventions de Genève et du crime d'agression constituera une mesure dissuasive forte. La compétence et le mandat de la cour doivent être clairs et sans aucune ambiguïté et comprendre les quatre crimes précités afin que la cour puisse véritablement rendre justice. Le lien entre la cour et les systèmes judiciaires nationaux doit être précisé et la cour doit être le complément des juridictions nationales. Le principe de complémentarité doit donc viser au renforcement de la souveraineté nationale. Le Koweït est d'avis que la violence sexuelle doit être inscrite dans la liste des crimes relevant de la compétence de la cour. Quant au rôle du Procureur, il estime que son mandat doit être élargi mais que ses décisions de lancer des enquêtes doivent pouvoir faire l'objet d'appel. Pour ce qui est du financement de la cour, le Koweït estime qu'il doit relever du budget ordinaire des Nations Unies.

M. R. BERNHARDT (Cour européenne des droits de l'homme) : La cour criminelle internationale, sans être une cour des droits de l'homme au sens strict, aura à jouer un rôle crucial dans le respect des droits de l'homme. Le projet de statut de la cour ne devra pas inclure la peine de mort. En ce qui concerne la subsidiarité, la cour européenne des droits de l'homme pourra toujours être saisie. Il faudra encourager les juridictions nationales à exercer leur compétence. Toutefois, en cas de défaillance, la cour criminelle internationale sera compétente pour connaître des crimes visés par le projet de statut. Une bonne protection des victimes exige une justice obligatoire. Pour ce qui est de la saisine, le procureur devrait être habilité à le faire pour garantir l'efficacité de la cour. La future cour devra lutter contre les actes de barbarie que l'on a connus au cours de ce siècle.

Mme GABRIELLE KIRK MCDONALD (Présidente du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie) : La création d'une cour criminelle permanente indépendante et souple améliorera sans aucun doute l'application du droit pénal international. Les Tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda ont acquis une certaine expérience pratique du droit international humanitaire et du droit pénal international. Les rè_les de procédures et de témoignage qu'ils ont créés ont tenu compte des suggestions des Etats et des ONG. Ces Tribunaux ont rendu plus de 300 décisions pour adapter ces règles et des juristes du monde entier ont participé à ces audiences. La Conférence diplomatique doit donc recourir à la contribution de ceux qui ont déjà participé à l'élaboration des règles et lorsqu'il s'agira de nommer les juges, de recourir à des personnes expérimentées. Il faut savoir que pour les Etats, la ratification d'un traité ne signifie pas forcément qu'ils sont tenus de coopérer. Il faut donc rendre obligatoire la coopération des Etats et il ne

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faut prévoir aucune disposition leur permettant d'opposer un refus aux requêtes du procureur. Il faut en outre prévoir des mécanismes pour autoriser le procureur à procéder à des enquêtes sur le territoire des Etats concernés.

M. LAITY KAMA (Président du Tribunal pénal international pour le Rwanda) : La présente Conférence diplomatique sur la création d'une cour criminelle internationale est une étape historique. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda participe aux travaux sur le projet de statut de la future cour. La protection des témoins appelés à comparaître devant la cour est essentielle. Cette responsabilité devra être confiée au greffe. La coopération des Etats est indispensable à tous les niveaux de la procédure. Les tribunaux spéciaux créés par le Conseil de sécurité pour répondre à des situations urgentes ne peuvent constituer une solution à long terme et ne doivent pas proliférer. La cour criminelle internationale doit être indépendante, impartiale et efficace. Le XXème siècle a connu non seulement des actes de barbarie mais il a également été marqué par l'évolution du droit international et par la volonté de mettre fin à l'impunité.

Mme EMMA BONINO (Commissaire chargée des affaires humanitaires auprès de la Commission européenne) : Les génocides, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre les plus odieux - et l'impunité dont jouissent les responsables - créent une spirale de violence et de vengeance qui finit par menacer la paix et la sécurité internationales. Le temps est venu d'enrayer le cycle de la violence, de mettre fin à l'impunité des crimes et de montrer que la communauté internationale est décidée à faire respecter la prééminence de l'Etat de droit. La présente conférence diplomatique est invitée à mener à bien ces tâches colossales, en s'inspirant de l'expérience acquise lors de la création des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. On ne peut continuer à créer des structures judiciaires qui ne sont pas seulement "ad hoc" mais également "post hoc". En revanche, il faudrait instituer une cour dotée d'une structure et d'un mandat permanents et régie par des règles universelles. Elle aurait un effet dissuasif réel et important contre les crimes et les criminels, que la communauté internationale ne pourrait plus tolérer. Compétente pour connaître un noyau dur de crimes, la future cour devra entretenir des relations constructives avec d'autres institutions internationales, notamment le Conseil de sécurité. Le procureur de cette juridiction devra être hautement qualifié et indépendant des gouvernements et être en mesure d'agir avec force et efficacité. Enfin, la cour devra pouvoir appliquer des procédures lui permettant de fonctionner de manière juste et efficace, de garantir les droits des accusés et de faciliter le témoignage des victimes. Le création avant la fin de ce siècle d'une cour aussi novatrice et ayant des compétences aussi étendues est une entreprise titanesque. Il faudrait néanmoins garder à l'esprit cette date-butoir symbolique. La présente Conférence doit être un succès.

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M. MIGUEL ANGEL MARTINEZ (Conseil de l'Union interparlementaire) : L'un des rôles clés des parlements est de savoir dans quelle mesure telle ou telle décision affecte la souveraineté de leur Etat. Ce sera le cas pour l'examen du statut de la cour. Le projet de statut stipule le principe de complémentarité qui est une notion novatrice et très importante. Chaque Etat, et donc chaque parlement, pourra déterminer dans quelles circonstances ces citoyens pourront être traduits en justice devant la future cour. Tous les efforts doivent être déployés pour faire en sorte que le statut de la future cour ne contienne pas d'ambiguïté découlant de compromis, mais qu'il soit un texte précis juridiquement parfait. Sa qualité technique déterminera son application et le fonctionnement même de la cour.

M. BENJAMIN B. FERENCZ (Pace Peace Center - USA) : Nuremberg a déclenché un processus. L'échec des efforts déployés sur la base de ses précédents a coûté très cher au monde. Lorsque la volonté politique s'est manifestée, le Conseil de sécurité a pu mettre en place respectivement en 1993, et en 1994 des tribunaux spéciaux pour juger les responsables de génocide et de crimes contre l'humanité dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda. Mais ces tribunaux spéciaux ne constituent pas le meilleur moyen pour garantir une justice universelle. Il est donc nécessaire de créer une cour criminelle internationale permanente. Maintenant le défi est entre les mains des participants à la présente Conférence diplomatique. Depuis le jugement de Nuremberg, il est indéniable qu'une guerre d'agression ne constitue pas un droit national mais un crime international. La guerre est le centre des violations des droits de l'homme les plus odieuses. Seule une cour criminelle indépendante peut décider à juste titre si un individu est coupable ou innocent. L'exclusion de l'agression de la compétence de la future cour vise à assurer l'immunité aux responsables d'un crime international suprême et son omission encourage plus la guerre que la paix. Les juges et le procureur doivent être dotés des pouvoirs nécessaires pour leur permettre de s'acquitter efficacement de leur mandat. Les droits de l'homme doivent prévaloir sur les crimes.

M. PIERRE SANE (Amnesty International) : Au nom de toutes les victimes, Amnesty international souhaite que la future cour criminelle internationale soit en mesure d'exercer la même compétence universelle que les Etats parties aux conventions de Genève en raison du fait que les mêmes crimes sont repris dans le projet de statut de la cour. Aucune raison juridique n'existe donc pour empêcher la future cour de poursuivre chaque auteur de crime conformément à sa compétence sans le consentement des Etats. Le statut de la cour doit assurer que les suspects et les accusés aient le droit à un procès équitable. Si la cour est une institution faible, non seulement elle n'aura pas de légitimité, mais elle trahira en plus les idéaux qui ont inspiré sa création. Une telle cour serait pire que l'absence de cour.

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( suivre)

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