En cours au Siège de l'ONU

DH/G/477

LE COMITE DES DROITS DE L'HOMME SE PRONONCE SUR DES PLAINTES PORTEES CONTRE SEIZE ETATS PARTIES

9 janvier 1997


Communiqué de Presse
DH/G/477


LE COMITE DES DROITS DE L'HOMME SE PRONONCE SUR DES PLAINTES PORTEES CONTRE SEIZE ETATS PARTIES

19970109 Il constate des violations par l'Equateur, la Jamaïque, la République tchèque, le Togo et Trinité-et-Tobago

GENEVE, le 8 janvier -- Le Comité des droits de l'homme a examiné, lors de sa cinquante-septième session qui s'est tenue à Genève du 8 au 26 juillet 1996, dix-huit communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d'une violation des droits énoncés au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le Comité a adopté, à l'occasion de séances privées, des constatations concernant 14 cas dont il s'est saisi. Il a constaté des violations de dispositions du Pacte dans onze de ces cas, qui concernent notamment des atteintes à la liberté d'expression et le droit de prendre part à la direction des affaires publiques au Togo; l'obligation pour l'Equateur de traiter toute personne privée de sa liberté avec humanité et de ne pas pratiquer la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants; les effets discriminatoires à l'égard d'une loi tchèque sur la restitution et l'indemnisation. Deux cas concernent les mauvais traitements infligés à des prisonniers à Trinité-et-Tobago. Les six autres cas de violations constatées par le Comité concernent la Jamaïque; il s'agit notamment d'atteintes au droit des détenus d'être traités avec humanité et dignité, au droit à un procès équitable.

Le Comité n'a pas constaté de violations dans les cas présentés par deux détenus jamaïquains qui se plaignent, l'un de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable, l'autre de mauvais traitements, ni dans le cas d'un citoyen Australien d'origine hongroise qui estime être victime de discrimination de la part de la Hongrie en matière d'indemnisation.

Le Comité a d'autre part jugé irrecevables quatre plaintes présentées, respectivement, par un citoyen néerlandais détenu en France qui estime n'avoir pas eu droit à un procès équitable; des Tahitiens qui estiment que les essais nucléaires menés par la France dans la région violent leur droit à la vie; un aborigène qui accuse la justice australienne de discrimination; et un retraité autrichien qui se plaint d'un traitement discriminatoire en matière de pension.

Entré en vigueur en 1976, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques protège notamment le droit à la vie, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, la liberté de pensée et d'opinion, la liberté de religion, l'égalité devant la loi et le droit à un procès équitable, la liberté de circulation. Il interdit la torture, la détention arbitraire, l'esclavage et le travail forcé, la propagande en faveur de la guerre et de la haine raciale ou religieuse.

En vertu du premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte, le Comité examine, à huis clos, les communications émanant de particuliers qui affirment avoir été victimes d'une violation de l'un des droits énoncés dans le Pacte et qui relèvent de la juridiction d'un Etat partie ayant reconnu la compétence du Comité à cet effet. Sur les 135 Etats parties à la Convention, 88 sont aussi parties au Protocole facultatif.

Le texte des constatations adoptées par le Comité peut être obtenu auprès du Service des communications du Centre pour les droits de l'homme, Office des Nations Unies à Genève, ou auprès du bureau de liaison du Centre au Siège des Nations Unies à New York.

Constatations du Comité

Les communications concernant le Togo ont été présentées par deux professeurs d'Université à Lomé et un fonctionnaire du Ministère des postes et télécommunications arrêtés par la police pour crime de lèse-majesté (outrage au chef de l'Etat) puis libérés. Bien qu'aucun chef d'accusation n'ait été retenu contre eux, MM. Adimayo Aduayom, Sofianou Diasso et Yawo Dobou n'ont pu obtenir leur réintégration dans leurs fonctions respectives. Le Comité est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par le Togo des dispositions du Pacte aux termes desquelles nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Au termes de l'article 19, toute personne a droit à la liberté d'expression, ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce. Le Comité constate aussi une violation de l'article 25 du Pacte, qui reconnaît à tout citoyen le droit et la possibilité, sans aucune discrimination, d'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays.

La communication concernant l'Equateur a été adressée au Comité par un citoyen chilien inculpé du viol d'une citoyenne des Etats-Unis. M. José Luis García Fuenzalida affirme n'avoir jamais eu de relations sexuelles avec une femme et que, étant homosexuel, il aurait eu des difficultés à trouver un avocat disposé à le défendre. Il affirme avoir été victime d'une détention arbitraire et d'avoir été torturé et maltraité après son arrestation. Il a en outre été blessé par balle. Le Comité conclut qu'il y a eu violation des articles 7 et 10 du Pacte, relatifs à l'interdiction de

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la torture et l'obligation de traiter les personnes privées de liberté avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Il conclut en outre qu'il y a eu violation de l'article 14, relatif au droit à un procès équitable, du fait, notamment, que le tribunal a refusé d'ordonner une expertise d'une importance capitale dans cette affaire. Le Comité estime que M. García, qui a depuis obtenu une libération conditionnelle en échange d'un renoncement au pourvoi en cassation, a droit à une indemnisation.

M. Joseph Frank Adam, citoyen Australien né en Australie de parents tchèques, se plaint de discrimination de la part de la République tchèque. M. Adam et ses frères ont présenté, au décès de leur père, une demande restitution des biens de la famille au titre de la loi tchèque sur la réhabilitation des citoyens tchèques ayant quitté le pays sous la pression du régime communiste. Cette demande a été rejetée par les autorités tchèques en application de la disposition de la loi selon laquelle seuls les demandeurs qui sont citoyens tchèques peuvent obtenir restitution de leurs biens ou une indemnisation pour les pertes encourues. Le Comité fait observer que, comme l'Etat partie lui-même est responsable du départ des parents de l'auteur en 1949, il serait incompatible avec le Pacte d'exiger de l'auteur et de ses frères qu'ils obtiennent la nationalité tchèque pour demander restitution. Le Comité conclut que la loi en question et la pratique qui consiste à ne pas restituer leurs biens aux personnes qui ne possèdent pas la nationalité tchèque ont eu des effets portant atteinte aux droits reconnus par l'article 26 du Pacte, qui stipule que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi.

Le cas de M. Daniel Pinto, citoyen de Trinité-et-Tobago, avait déjà été examiné, en 1990, par le Comité, qui avait alors considéré que M. Pinto, accusé de meurtre, avait été condamné à mort sans avoir bénéficié d'un procès équitable et qu'il était en droit d'obtenir une réparation entraînant sa remise en liberté. M. Pinto, dont la peine a été commuée à l'emprisonnement à vie, affirme être soumis à de mauvaises conditions de détention, étant encore détenu dans le quartier des condamnés à mort. Il se plaint aussi d'immixtion dans son courrier et sa correspondance. Le Comité note avec la plus vive préoccupation que l'Etat partie n'a pas donné suite à sa recommandation en 1990. Il s'est aussi préoccupé que la demande de remise en liberté soumise par M. Pinto ait été rejetée à cause de la plainte qu'il avait soumise au Comité. Le Comité estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l'article 10 relatif à l'obligation de traiter les détenus avec humanité. Il est d'avis que M. Pinto a droit à un recours utile et que l'Etat partie doit prendre des mesures pour que nul ne soit traité comme l'a été l'auteur. Le Comité demande à Trinité-et-Tobago de remédier aux violations du Pacte établies dans ses constatations de 1990 en libérant M. Pinto.

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S'agissant d'un autre citoyen de Trinité-et-Tobago, M. Clive Neptune, dont la peine de mort a également été commuée en emprisonnement à vie, le Comité estime que la période de 7 ans et 5 mois avant que la cour d'appel n'entende et ne rejette le recours de M. Neptune est incompatible avec l'article 14 qui stipule que toute personne accusée d'une infraction pénale a droit à être jugée sans retard excessif. Le Comité constate aussi une violation de l'article 9, qui stipule notamment que tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré, et de l'article 10 sur le traitement des détenus, M. Neptune ayant été détenu dans une cellule de 3 mètres par 2 avec 6 autres détenus, parfois 9. Enfin, étant donné que l'auteur a déjà passé plus de 10 ans en prison dont 5½ dans le quartier des condamnés à mort, le Comité considère que la réparation appropriée serait la libération anticipée et, en attendant, l'amélioration immédiate des conditions de détention de M. Neptune. Le Comité recommande en outre l'amélioration des conditions carcérales de Trinité-et-Tobago en général.

Le Comité a constaté des violations de dispositions du Pacte dans six cas qui concernent la Jamaïque.

Le Comité estime que la Jamaïque a violé l'article 10 du Pacte relatif au traitement des détenus dans le cas de M. Uton Lewis, qui affirme que les soins médicaux dont il avait besoin pendant qu'il était dans le quartier des condamnés à mort lui ont été refusés. Le Comité estime que M. Lewis a droit à un recours utile entraînant réparation, ainsi que des soins médicaux suffisants à l'avenir.

Le Comité a estimé que M. Rickly Burrell, condamné à mort pour meurtre, a été arbitrairement privé du droit à la vie lorsqu'il a été tué par balles lors d'une émeute dans la prison où il était détenu. Le Comité note que M. Burrell a été tué alors que les gardiens retenus en otages avaient été libérés et que le recours à la force ne s'imposait plus. Le Comité note en outre une violation du droit à un procès équitable du fait de l'insuffisance des moyens de défense dont disposait M. Burrell lorsqu'il avait interjeté un appel. Il estime que la famille de M. Burrell a droit à réparation.

Deux anciens prisonniers du quartier des condamnés à morts d'une prison jamaïquaine, MM. Eustace Henry (décédé depuis) et Everald Douglas, dont la peine a été commuée, se plaignent de mauvais traitements et de violation de leur droit à un procès équitable. Le Comité note que les allégations de mauvais traitements infligés aux auteurs n'ont pas été contestées par l'Etat partie et ont été étayées. Il constate en outre une violation du droit à être jugé sans retard excessif. Le Comité a pris note de la commutation de la peine de mort de M. Douglas mais estime que, vu les circonstances, la réparation devrait être la prompte libération de l'intéressé. Dans le cas de M. Henry, décédé d'un cancer en prison en 1993, la réparation devrait se

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traduire par l'indemnisation de la famille. Le Comité réitère que l'obligation de traiter les personnes privées de liberté dans le respect de la dignité humaine suppose la fourniture de soins médicaux suffisants.

Le Comité a demandé la remise en liberté d'un autre citoyen jamaïquain condamné à mort dont la peine a été commuée à l'emprisonnement à vie. Il estime que l'absence d'aide judiciaire par l'Etat a privé l'auteur de la plainte, M. Paul Anthony Kelly, de la possibilité de contester la régularité du procès pénal devant la Cour constitutionnelle dans le cadre d'un procès équitable, et constitue par conséquent une violation de l'article 14 relatif au droit à un procès équitable. Le Comité estime en outre qu'une condamnation à la peine de mort à l'issue d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue une violation du droit à la vie reconnu à l'article 6. Selon le Comité, M. Kelly a droit à un recours utile qui, compte tenu des circonstances, devrait être la remise en liberté.

Dans le cas d'un autre ancien prisonnier du quartier des condamnés à mort, M. Carl Sterling, le Comité a estimé que la Jamaïque a violé les dispositions de la Convention relatives à l'interdiction de la torture et autres traitements cruels ou inhumains et à l'obligation de traiter les personnes privées de liberté dans le respect de la dignité humaine. Le Comité note que l'auteur a formulé des allégations très précises, en donnant des preuves à l'appui, des mauvais traitements dont il aurait été victime, et à la suite desquels il n'aurait pas reçu de soins. Le Comité estime que M. Sterling, dont la peine a été commuée, devrait recevoir une indemnisation appropriée pour les mauvais traitements qu'il a subis.

Selon le Comité, la Jamaïque a violé les mêmes dispositions du Pacte dans le cas de M. Wayne Spence, qui se plaint d'avoir été roué de coups par des gardiens de prison et un soldat et de s'être vu refuser des soins médicaux pour ses blessures. M. Spence, condamné à mort pour deux meurtres, a bénéficié d'une commutation de sa peine à l'emprisonnement à vie. Selon le Comité, M. Spence a droit à une indemnisation appropriée pour les mauvais traitements qu'il a subis.

Le Comité n'a pas constaté de violation des dispositions du Pacte dans deux autres cas présentés par des citoyens de la Jamaïque tous deux condamnés à mort pour meurtre et dont la peine à été commuée. L'un, M. Crafton Tomlin se plaint qu'il n'a pu s'entretenir suffisamment avec son avocat, ce qui l'a empêché de faire examiner son cas par une juridiction supérieure; l'autre, M. Dwayne Hylton, affirme être victime de torture et de non-respect de l'obligation de traiter les détenus avec dignité (articles 7 et 10) du fait de la durée de sa détention dans le quartier des condamnés à mort. Le Comité rappelle toutefois qu'il a déjà examiné en 1994 une communication soumise par M. Hylton au sujet de laquelle il a adopté des constatations établissant qu'il y avait violation des articles 7 et 10.

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Le Comité n'a pas constaté de violation non plus en ce qui concerne un citoyen australien, réfugié politique de Hongrie qui estime être victime de discrimination du fait de l'application de la loi hongroise sur l'indemnisation pour la perte de biens par expropriation, qui donne la priorité aux locataires actuels pour l'achat des logements de l'Etat. Le Comité estime en effet que la loi prévoit une indemnisation partielle dans des conditions d'égalité.

Décisions quant à la recevabilité

Le Comité a d'autre part jugé irrecevables quatre communications qui lui ont été adressées.

Des résidents de Tahiti, en Polynésie française, protestent contre les essais nucléaires menés par la France en 1995 et 1996 à Mururoa et Fangataufa et se déclarent victimes de violations par ce pays de leur droit à la vie et du droit de ne pas être l'objet d'immixtions dans leur vie privée et familiale. Le Comité estime qu'il n'est pas établi que les auteurs peuvent prétendre à la qualité de victimes. Il tient toutefois à rappeler son Observation générale 14 selon laquelle «il est évident que la conception, la mise à l'essai, la fabrication, la possession et le déploiement d'armes nucléaires constituent l'une des plus graves menaces contre le droit à la vie qui pèsent aujourd'hui sur l'humanité».

S'agissant d'une autre communication concernant la France, un citoyen néerlandais détenu dans ce pays estime n'avoir pas eu droit à un procès équitable. Il affirme en outre que son voilier, sur lequel les douaniers français ont trouvé 639 kg de haschisch, a été araisonné dans la Manche, hors des eaux territoriales françaises. Le Comité souligne que la Commission européenne des droits de l'homme est saisie de la même affaire et que l'auteur n'a pas épuisé tous les recours internes.

Un aborigène d'Australie, marié avec une non-aborigène selon le droit aborigène puis séparé, se plaint notamment d'un traitement discriminatoire par les tribunaux australiens dans le cadre du règlement du différend entre les ex-conjoints. Dans cette affaire, le Comité décide que la communication est irrecevable du fait que tous les recours internes n'ont pas été épuisés.

Enfin, un ressortissant autrichien, retraité, affirme être victime de discrimination du fait que son employeur n'accorde pas aux employés ayant pris leur retraite avant 1992 l'augmentation de salaire et de pension intervenue à la suite d'une négociation collective. Le Comité estime que l'auteur de cette communication n'a pas étayé l'allégation selon laquelle la différenciation n'était pas objective ni montré en quoi elle était arbitraire ou déraisonnable. (Cinq membres du Comité ont émis une opinion dissidente à l'égard de cette communication).

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