À deux mois de la conférence de Séville, le Secrétaire général demande de tripler la capacité de prêt des banques multilatérales de développement
On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors du forum de 2025 du Conseil économique et social sur le suivi du financement du développement, à New York, aujourd’hui:
Le Forum du Conseil économique et social de cette année tombe à un moment charnière. Les préparatifs de la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, qui se tiendra à Séville, entrent dans leur dernière ligne droite.
Parallèlement, nous nous heurtons à de dures réalités: des donateurs qui reviennent sur leurs engagements et renoncent à verser l’aide promise à une vitesse et à une ampleur sans précédent; des barrières commerciales qui sont érigées à un rythme effréné; des objectifs de développement durable qui sont encore bien loin d’être atteints et qui pâtissent d’un déficit de financement annuel estimé à 4 000 milliards de dollars; ou encore des coûts d’emprunt prohibitifs qui tarissent les investissements publics dans tous les domaines, de l’éducation et des systèmes de santé à la protection sociale, en passant par les infrastructures et la transition énergétique.
Mais il y a une autre réalité –bien plus importante et bien plus dangereuse– qui est à la base de tous ces problèmes. Cette réalité, c’est la remise en question de la collaboration internationale. Inutile de chercher un exemple bien loin: prenons les guerres commerciales.
Le commerce –un commerce équitable– illustre parfaitement les avantages de la coopération internationale. Les barrières commerciales constituent un danger réel et immédiat pour l’économie mondiale et le développement durable – comme le montrent les récentes prévisions en forte baisse du Fonds monétaire international, de la CNUCED, de l’Organisation mondiale du commerce et de bien d’autres organismes. L’Organisation mondiale du commerce prévoit déjà que le commerce international de marchandises se contractera de 0,2% cette année – un revirement brutal par rapport à la hausse de 2,9% enregistrée l’année dernière.
Dans une guerre commerciale, tout le monde est perdant, en particulier les pays et les populations les plus vulnérables, qui sont les plus durement touchés. Dans ce contexte mouvementé, nous ne pouvons laisser s’envoler nos ambitions en matière de financement du développement.
Il ne reste que cinq ans pour atteindre les objectifs de développement durable; il nous faut donc passer à la vitesse supérieure. Il faut notamment honorer les engagements pris par les pays dans le cadre du Pacte pour l’avenir en septembre: du plan de relance des objectifs de développement durable, qui vise à aider les pays à investir dans leurs populations... Aux réformes vitales et longuement attendues de l’architecture financière mondiale... Aux engagements clairs pris dans le Pacte en faveur d’un commerce ouvert, équitable et régi par des règles... À l’analyse qui y est préconisée de l’impact des dépenses militaires sur la réalisation des objectifs de développement durable, qui fera l’objet d’un rapport final publié d’ici à septembre... Et au résultat ambitieux qui y est fixé pour la Conférence internationale sur le financement du développement de juillet.
Alors que les négociations sur le projet de document final de Séville se poursuivent, j’insiste pour que des mesures soient prises dans trois domaines clefs. Premièrement, la dette. Lorsqu’elle est exploitée de manière intelligente et équitable, la dette peut être une alliée du développement. Or, elle est devenue une ennemie.
Dans bon nombre de pays en développement, les acquis obtenus dans le domaine du développement croulent sous le poids du service de la dette, qui ponctionne les investissements dans l’éducation, la santé et les infrastructures. Et le problème ne fait qu’empirer.
Le service de la dette des économies en développement s’est envolé à plus de 1 400 milliards de dollars par an. Il dépasse aujourd’hui de 10% les recettes publiques dans plus de 50 pays en développement – et plus de 20% dans 17 pays – un signe évident de défaillance.
À l’issue de la conférence de Séville, les États Membres devraient s’engager à réduire le coût des emprunts, à mieux restructurer la dette et à empêcher les crises de perdurer. Pour ce faire, il faudra notamment mettre en place un dispositif pour aider les pays en développement à gérer leurs dettes et à améliorer leur situation de trésorerie en temps de crise.
Le G20 doit également poursuivre ses travaux afin d’accélérer la mise en œuvre du Cadre commun pour le traitement de la dette et d’apporter un plus grand appui aux pays qui ne remplissent pas les conditions requises pour bénéficier de l’Initiative de suspension du service de la dette, notamment les pays à revenu intermédiaire. En outre, les agences de notation doivent revoir leurs méthodes, qui font grimper les coûts d’emprunt pour les pays en développement.
Dans le même temps, le FMI et la Banque mondiale devraient faire avancer la réforme de l’évaluation de la dette de sorte que les investissements dans le développement durable et les risques climatiques soient pris en compte. Ces propositions, comme les nombreuses autres propositions faites dans le projet de document final, constituent un plan d’action ambitieux devant aider les pays en développement à utiliser la dette de manière constructive et durable.
Deuxièmement, nos institutions financières internationales doivent pouvoir exploiter tout leur potentiel. Si le financement est le carburant du développement, les banques multilatérales de développement en sont le moteur. Et ce moteur doit être rendu plus performant. Nous continuerons à faire pression pour tripler la capacité de prêt des banques multilatérales de développement, en les agrandissant et en les rendant plus audacieuses, comme le prévoit le projet de document final.
Il s’agit notamment d’augmenter leur capital, d’étendre leurs bilans et d’accroître considérablement leur capacité à mobiliser des financements privés à des coûts raisonnables pour les pays en développement. Il faudra également veiller à ce que des financements à des conditions favorables soient accordés là où ils sont le plus nécessaires. Et il faudra que les pays en développement soient représentés équitablement –et aient voix au chapitre– dans la gouvernance de ces institutions, dont ils dépendent.
Troisièmement, nous devons prendre des mesures concrètes pour augmenter tous les flux de financement. Oui, les temps sont durs. Mais c’est d’autant plus dans les périodes difficiles qu’un investissement responsable et durable s’impose.
Au niveau national, les gouvernements doivent mobiliser davantage de ressources internes et les diriger vers des systèmes essentiels tels que l’éducation, la santé et les infrastructures... Ils doivent collaborer avec des partenaires privés pour multiplier les options de financement mixte... Et intensifier la lutte contre la corruption et les flux financiers illicites.
Au niveau mondial, nous devons poursuivre nos efforts en vue d’établir un régime fiscal mondial inclusif et efficace, et veiller à ce que les règles fiscales internationales soient effectivement et équitablement appliquées. Les donateurs doivent tenir leurs promesses en matière d’aide publique au développement et s’assurer que ces précieuses ressources parviennent aux pays en développement.
Pour notre part, nous donnerons aux équipes de pays des Nations Unies tous les moyens pour collaborer avec les gouvernements hôtes, afin qu’un maximum de ressources soit affecté au développement durable aux niveaux national et régional.
Et nous saisirons toutes les occasions, y compris la COP30 au Brésil, pour demander aux dirigeants de trouver des sources innovantes de financement de l’action climatique dans les pays en développement – afin de mobiliser 1 300 milliards de dollars par an d’ici à 2035.
Tout cela exige des efforts particuliers en termes de sources innovantes de financement. À bien des égards, l’avenir du système multilatéral dépend du financement du développement. Il en va de notre conviction que le règlement des problèmes mondiaux –tels que la pauvreté, la faim et la crise climatique– demande des solutions mondiales. Tirons le meilleur parti de ce moment charnière, alors que nous nous préparons pour la conférence de Séville. Maintenons nos ambitions à la hauteur des enjeux, et agissons pour les populations et pour la planète.