Le Secrétaire général appelle à donner vie au Pacte pour l’avenir et aux travaux du Conseil des droits de l’homme pour mettre fin à l’asphyxie des droits humains
On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée à l’ouverture de la cinquante-huitième session du Conseil des droits de l’homme, à Genève, aujourd’hui:
L’ouverture de la présente session coïncide avec un sinistre jalon: le troisième anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en violation de la Charte des Nations Unies. Plus de 12 600 civils ont été tués et bien plus encore ont été blessés. Des communautés entières ont été anéanties. Des hôpitaux et des écoles ne sont plus que décombres. Nous ne devons ménager aucun effort pour mettre un terme à ce conflit et parvenir à une paix juste et durable, conformément à la Charte des Nations Unies, au droit international et aux résolutions de l’Assemblée générale.
Les conflits comme la guerre en Ukraine prélèvent un lourd tribut. Ils déciment les populations. Ils érodent les principes fondamentaux que sont l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’état de droit. Ils sapent les activités vitales de ce Conseil.
Sans le respect des droits humains – qu’ils soient civils, culturels, économiques, politiques ou sociaux – la paix durable n’est qu’une chimère. Et comme ce Conseil, les droits humains sont une source de lumière dans l’obscurité la plus profonde.
Grâce à vos travaux et à ceux que le Haut-Commissariat mène dans le monde entier, vous soutenez les défenseurs et défenseuses des droits humains qui, avec courage, risquent la persécution, la détention et même la mort. Vous travaillez avec les gouvernements, la société civile et d’autres acteurs pour renforcer l’action en faveur des droits humains. Et vous apportez votre soutien aux mécanismes d’enquête et d’établissement des responsabilités.
Il y a cinq ans, nous avons lancé notre appel à l’action en faveur des droits humains, l’objectif étant d’intégrer les droits humains dans toutes les activités des Nations Unies menées à travers le monde, en étroite collaboration avec nos partenaires. Je continuerai d’apporter mon appui à ces travaux importants, ainsi qu’au Haut-Commissariat, dans notre lutte pour les droits humains partout dans le monde.
Les droits humains sont l’oxygène de l’humanité. Mais ils sont asphyxiés, les uns après les autres. Par les autocrates, qui écrasent l’opposition parce qu’ils craignent ce dont serait capable un peuple ayant pleinement les moyens d’agir. Par le patriarcat, qui empêche les filles d’aller à l’école et les femmes de jouir de leurs droits fondamentaux. Par les guerres et la violence, qui privent les populations de leur droit à l’alimentation, à l’eau, et à l’éducation. Par les bellicistes, qui se rient du droit international, du droit international humanitaire et de la Charte des Nations Unies.
Les droits humains sont asphyxiés par la crise climatique. Par un système financier mondial en faillite morale, qui fait trop souvent obstacle à une plus grande égalité et au développement durable. Par des technologies incontrôlables comme l’intelligence artificielle, qui suscitent de grands espoirs mais recèlent aussi la capacité de violer les droits humains en un seul clic. Par une intolérance croissante à l’égard de groupes entiers, qu’il s’agisse des peuples autochtones, des migrants et réfugiés, de la communauté LGBTQI+, ou encore des personnes handicapées. Et par les discours de ceux qui, prêchant la division et la colère, considèrent les droits humains non pas comme un bienfait pour l’humanité, mais comme un obstacle au pouvoir, au profit et au contrôle qu’ils convoitent.
En bref, les droits humains, sous le coup d’attaques vicieuses, sont dans leurs derniers retranchements. Cette situation représente une menace directe pour tous les mécanismes et systèmes établis de haute lutte au cours des 80 dernières années pour protéger et faire progresser les droits humains.
Or, comme le rappelle le Pacte pour l’avenir adopté récemment, les droits humains sont, en fait, une source de solutions. Le Pacte définit les mesures que nous pouvons prendre pour gagner le combat pour les droits humains sur plusieurs fronts.
Premièrement, réaliser les droits humains grâce à la paix et instaurer la paix grâce aux droits humains. Les conflits infligent des violations massives des droits humains. Dans le Territoire palestinien occupé, les violations des droits humains ont connu une hausse vertigineuse depuis les horribles attaques perpétrées par le Hamas le 7 octobre, et les niveaux intolérables de mort et de destruction à Gaza.
Je suis gravement préoccupé par la montée des violences et des autres violations commises en Cisjordanie occupée par les colons israéliens, ainsi que par les appels à l’annexion. Nous assistons à un cessez-le-feu précaire. Nous devons éviter à tout prix une reprise des hostilités. La population de Gaza a déjà trop souffert.
Il est temps d’instaurer un cessez-le-feu permanent, de libérer tous les otages restants, de réaliser des progrès irréversibles vers la solution des deux États, la fin l’occupation, et la création d’un État palestinien indépendant, dont Gaza ferait partie intégrante.
Au Soudan, les bains de sang, les déplacements de population et la famine ravagent le pays. Les parties en conflit doivent prendre immédiatement des mesures pour protéger les civils, défendre les droits humains, cesser les hostilités et instaurer la paix. Les mécanismes nationaux et internationaux de surveillance et d’enquête en matière de droits humains devraient être autorisés à documenter ce qui se déroule sur le terrain.
En République démocratique du Congo, nous sommes témoins d’un tourbillon mortel de violences et d’atroces violations des droits humains, amplifié par la récente offensive du M23, soutenue par les forces de défense rwandaises. Plus les villes tombent, plus le risque d’une guerre régionale augmente.
Il est temps de faire taire les armes. L’heure est à la diplomatie et au dialogue. Le récent sommet conjoint qui s’est tenu en Tanzanie a ouvert la voie en renouvelant l’appel à un cessez-le-feu immédiat. La souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC doivent être respectées. Le peuple congolais mérite la paix.
Au Sahel, j’appelle à la reprise du dialogue régional afin de protéger les citoyens du terrorisme et des violations systémiques des droits humains et de créer les conditions du développement durable.
Au Myanmar, la situation s’est considérablement aggravée au cours des quatre années qui se sont écoulées depuis que les militaires ont pris le pouvoir et détenu arbitrairement des membres du gouvernement démocratiquement élu. Il nous faut resserrer la coopération pour mettre fin aux hostilités et ouvrir la voie à une transition démocratique inclusive et au retour à un régime civil, permettant le retour en toute sécurité des réfugiés rohingyas.
En Haïti, nous constatons des violations massives des droits humains: plus d’un million de personnes ont été déplacées et les enfants sont en proie à une augmentation effroyable des violences sexuelles et de l’enrôlement dans les gangs. Dans les jours à venir, je présenterai au Conseil de sécurité des Nations Unies des propositions pour renforcer la stabilité et la sécurité du peuple haïtien, notamment par le biais d’un mécanisme d’assistance efficace des Nations Unies destiné à soutenir la Mission multilatérale de soutien à la sécurité, à la police nationale et aux autorités haïtiennes. Une solution durable nécessite un processus politique - mené et pris en charge par le peuple haïtien - qui rétablisse les institutions démocratiques à travers des élections.
Le Pacte pour l’avenir demande la mise en place de processus et de démarches pour la paix ancrés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le droit international et la Charte des Nations Unies. Le Pacte pour l’avenir appelle à des processus et des approches de paix fondés sur la Déclaration universelle des droits de l’homme, le droit international et la Charte des Nations Unies. Il propose des mesures précises visant à privilégier la prévention des conflits, la médiation, le règlement des conflits et la consolidation de la paix. Il énonce également l’engagement pris de s’attaquer aux causes profondes des conflits, qui sont bien souvent liées au déni des besoins et des droits humains fondamentaux.
Deuxièmement, le Pacte pour l’avenir fait progresser les droits humains grâce au développement. Les objectifs de développement durable et les droits humains sont intrinsèquement liés. Ils représentent des besoins humains réels: la santé, l’alimentation, l’eau, l’éducation, le travail décent et la protection sociale.
Alors que moins d’un cinquième des objectifs sont en passe d’être réalisés, le Pacte appelle à une accélération massive des progrès grâce au plan de relance des objectifs de développement durable, à la réforme de
l’architecture financière mondiale et à la prise de mesures réfléchies pour les pays qui croulent sous la dette. Il s’agit donc, notamment, de mener une action ciblée pour vaincre la violation des droits humains la plus répandue dans l’histoire: l’inégalité pour les femmes et les filles.
Le Pacte appelle à investir pour lutter contre toutes les formes de discrimination et de violence à l’égard des femmes et des filles et pour permettre à celles-ci de participer véritablement à tous les domaines de la vie et d’y jouer un rôle moteur. Avec la Déclaration sur les générations futures, le Pacte appelle à défendre les droits et l’avenir des jeunes en promouvant le travail décent, en éliminant les obstacles à la participation des jeunes et en améliorant la formation. Le Pacte numérique mondial appelle tous les pays à soutenir les jeunes innovateurs, à cultiver l’esprit entrepreneurial et à doter la prochaine génération des connaissances et compétences numériques nécessaires.
Troisièmement, le Pacte pour l’avenir établit que l’état de droit et les droits humains vont de pair. L’état de droit, lorsqu’il est fondé sur les droits humains, est un pilier essentiel de la protection. Il protège les plus vulnérables. C’est la première ligne de défense contre la criminalité et la corruption. Il favorise des économies et des sociétés équitables, justes et inclusives. Il oblige les auteurs d’atrocités commises en violation des droits humains à rendre compte de leurs actes. Il offre aux individus un espace civique où faire entendre leur voix et permet aux journalistes d’accomplir leur travail essentiel, à l’abri des ingérences et des menaces. Et il réaffirme l’engagement du monde en faveur de l’égalité d’accès à la justice, de la bonne gouvernance et d’institutions transparentes et responsables.
Quatrièmement, réaliser les droits humains grâce à l’action climatique. L’année dernière a été la plus chaude jamais enregistrée, et vient couronner la décennie la plus chaude jamais enregistrée. La hausse des températures, la fonte des glaciers et le réchauffement des océans ne peuvent mener qu’au désastre. Inondations, sécheresses, tempêtes meurtrières, famine, déplacements massifs: notre guerre contre la nature est aussi une guerre contre les droits humains. Nous devons prendre un autre chemin.
Je salue les nombreux États Membres qui reconnaissent légalement le droit à un environnement sain, et j’appelle tous les pays à faire de même. Les gouvernements doivent tenir leur promesse d’élaborer cette année de nouveaux plans d’action nationaux pour le climat couvrant l’ensemble de l’économie, et ce bien avant la COP 30 qui se tiendra au Brésil. Ces plans doivent limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 degré, notamment en accélérant la transition énergétique mondiale.
Nous avons également besoin d’une augmentation massive des financements pour l’action climatique dans les pays en développement, afin de s’adapter au réchauffement de la planète, de réduire les émissions et d’accélérer la révolution des énergies renouvelables, qui offre d’énormes possibilités économiques. Nous devons nous opposer aux campagnes mensongères menées par de nombreux acteurs de l’industrie des combustibles fossiles et à ceux qui la font vivre et s’en rendent complices… Tout comme nous devons protéger et défendre les personnes qui sont en première ligne de la lutte pour une justice climatique.
Et cinquièmement, réaliser les droits humains grâce à une gouvernance renforcée et améliorée des technologies. À l’heure où des technologies en rapide mutation s’immiscent dans tous les aspects de notre vie, je m’inquiète des risques qu’elles représentent pour les droits humains.
Dans le meilleur des cas, les médias sociaux sont un lieu de rencontre où l’on peut échanger des idées et débattre avec respect. Mais ils peuvent aussi devenir un théâtre de confrontations enflammées et d’une ignorance flagrante. Un lieu où les poisons que sont la mésinformation, la désinformation, le racisme, la misogynie et les discours de haine sont non seulement tolérés, mais, bien souvent, encouragés. La violence verbale en ligne peut facilement se transformer en violence physique dans le monde réel.
Les reculs récents en matière de vérification des faits et de modération de contenu sur les réseaux sociaux rouvrent grand la porte à plus de haine, plus de menaces et plus de violence. Que l’on ne s’y trompe pas. Ces reculs entraîneront une diminution de la liberté d’expression, et non une amplification – car les gens craignent de plus en plus de s’exprimer sur ces plateformes. Dans le même temps, la grande promesse de l’intelligence artificielle s’accompagne d’un risque insondable qui met en péril l’autonomie, l’identité et le contrôle humains – jusqu’aux droits humains.
Face à ces menaces, le Pacte numérique mondial rassemble le monde entier pour veiller à ce que les droits humains ne soient pas sacrifiés sur l’autel de la technologie. Il s’agit notamment de collaborer avec les entreprises numériques et les décideurs politiques pour étendre le respect des droits humains à tous les recoins du cyberespace, en mettant notamment l’accent sur l’intégrité de l’information sur toutes les plateformes numériques.
Les Principes mondiaux pour l’intégrité de l’information que j’ai lancés l’année dernière viendront étayer et orienter les efforts que nous déploierons en vue de créer un écosystème de l’information plus humain.
Le Pacte numérique mondial comprend également le premier accord universel sur la gouvernance de l’intelligence artificielle qui donne voix au chapitre à tous les pays, ainsi que des engagements en matière de renforcement des capacités, visant à ce que tous les pays et toutes les personnes bénéficient du potentiel de l’intelligence artificielle. Pour cela, il faut investir dans l’accès à Internet à un prix abordable, dans les formations au numérique et dans les infrastructures; aider les pays en développement à utiliser l’intelligence artificielle pour développer les petites entreprises, améliorer les services publics et connecter les communautés à de nouveaux marchés; et mettre les droits humains au centre des systèmes fondés sur l’intelligence artificielle.
Les décisions du Pacte –d’établir un Groupe scientifique international indépendant et un Dialogue mondial régulier garantissant la participation de tous les pays dans l’élaboration de l’avenir de l’intelligence artificielle– constituent des avancées importantes. Il faut les concrétiser.
Nous pouvons mettre fin à l’asphyxie des droits humains en donnant vie au Pacte pour l’avenir et aux travaux de ce Conseil. Attelons-nous à cette tâche – ensemble. Nous n’avons pas un instant à perdre.