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À Sciences Po, António Guterres prévient que le multilatéralisme doit se réinventer pour la survie de la coopération internationale et pour le bien commun

On trouvera, ci-après, le texte bilingue du discours du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, devant les étudiants de Sciences Po, à Paris, aujourd’hui:

Je suis naturellement très heureux de me joindre à vous pour un échange sans détours sur l’état de notre monde.

Vous le savez, la situation internationale a rarement été aussi sombre.

Des guerres qui s’enlisent…

Une crise climatique fait rage…

Une reprise économique post-COVID terriblement inégale…  

Un fossé révoltant entre riches et pauvres qui exacerbe la méfiance et les divisions…

Et chaque jour apporte son lot d’avertissements sur les dangers de technologies non régulées.

Force est de reconnaître que nos actions collectives ne sont pas à la hauteur de tous ces défis.

La coopération et les normes internationales sont aujourd’hui affaiblies.

Les institutions et mécanismes multilatéraux ne sont plus adaptés à notre monde.

Comment pourrait-il en être autrement?

L’essentiel de ces cadres multilatérales – qu’il s’agisse du Conseil de sécurité ou des institutions de Bretton Woods – a été bâti au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et reflète les rapports de force politiques et économiques de l’époque.

Un quart à peine des États membres d’aujourd’hui étaient présents à la création de ces institutions.

Près de 80 ans plus tard, notre monde est aujourd’hui très différent.

Les institutions internationales doivent être à son image.

Elles doivent représenter tous les peuples; tous les continents; toutes les économies.

Le multilatéralisme doit se réinventer de fond en comble.

Il en va de la confiance – et de la survie même – de la coopération internationale.

Car aujourd’hui, cette confiance fait cruellement défaut et notre monde est de plus en plus fracturé.

Les pays en développement souffrent, et une fois de plus, les plus vulnérables paient le prix le plus fort.

Nous devons renverser la vapeur, reconstruire des ponts et réformer notre action collective sur tous les fronts: la finance internationale, le climat, la paix et la sécurité, ou encore les nouvelles technologies.

Tout d’abord, en matière de financement du développement.

À mi-chemin de l’échéance de 2030 pour les objectifs de développement durable, le monde fait marche arrière.

L’architecture financière mondiale est non seulement dépassée et inefficace, elle est structurellement injuste pour les pays en développement.

Un exemple parmi d’autres: l’année dernière, le Fonds monétaire international a alloué plus de 600 milliards d’euros en Droits de tirage spéciaux pour accroître les liquidités en cas de crise.

Les pays de l’Union européenne, avec 447 millions d’habitants, ont reçu près de 150 milliards d’euros…

Pendant ce temps-là, l’Afrique –dont la population, avec plus d’1,3 milliards de personnes, est trois fois plus importante– n’a reçu que 31 milliards.

C’est conforme aux règles actuelles d’attribution des Droits de tirage spéciaux du Fond Monétaire International, mais c’est profondément immoral.

Cela accroît les inégalités et nourrit la méfiance entre le Nord et le Sud, je dirais même entre l’Ouest et le Sud, entre pays développés et en développement.

Et le fossé économique et social risque de se transformer en une fragmentation politique.

Nous devons agir avant qu’il ne soit trop tard.

Nous devons réformer les institutions financières internationales en profondeur – afin qu’elles soient au service de tous. 

C’est le message que j’ai porté au Sommet aujourd’hui et c’est la feuille de route que j’ai présenté la semaine dernière – pour une architecture financière mondiale capable de remplir son rôle de filet de sécurité global, un rôle qu’elle n’a pas été capable de remplir pendant la crise de la COVID-19. 

Bien sûr, cela ne se fera pas du jour au lendemain. 

Mais nous pouvons d’ores et déjà prendre des mesures urgentes pour répondre aux besoins des pays en développement.

Mon plan de relance des objectifs de développement durable propose des mesures concrètes.

Les dirigeants des pays développés peuvent dès aujourd’hui:

Mettre en place un mécanisme efficace d’allégement de la dette;

Demander aux banques multilatérales de développement de changer leurs modèles économiques afin de mobiliser davantage de fonds privés pour le développement durable et l’action climatique.

Élargir le financement d’urgence en réorientant les Droits de tirage spéciaux inutilisés et en recourant à d’autres mécanismes novateurs pour accroître les liquidités mondiales;

Mettre fin dès maintenant aux subventions pour les énergies fossiles et les réorienter vers des usages plus durables dans les pays en développement.

Toutes ces mesures permettraient de faire reculer la pauvreté, de relancer les économies et d’investir dans l’avenir des populations.

Nous pouvons, et nous devons, prendre ces mesures dès maintenant. 

Il est également urgent d’accroître la coopération internationale en matière d’action climatique.

Notre monde se dirige vers une augmentation de la température de 2,8 degrés d’ici la fin du siècle.

Vous savez ce que cela signifie: la disparition de régions entières et une planète invivable pour des centaines de millions de personnes.

Il nous faut beaucoup plus d’ambition sur deux axes: l’atténuation et la justice climatique.

Il est encore possible de limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 degré – mais à condition de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 45% d’ici à 2030.

C’est pourquoi j’ai proposé un Pacte de solidarité climatique, afin que les grands émetteurs fournissent des efforts supplémentaires pour réduire leurs émissions et les pays les plus riches soutiennent les économies émergentes dans cette voie du point de vue financier et technologique.

J’ai également présenté un Programme d’accélération pour intensifier ces efforts.

Les dirigeants des pays développés en particulier doivent tout faire pour atteindre l’objectif de zéro émission nette le plus près possible de 2040 – et ceux des économies émergentes d’ici à 2050.

Mais pour agir, les pays en développement doivent être soutenus.

Les pays développés savent ce qu’ils doivent faire: tenir la promesse de mobiliser 100 milliards de dollars en faveur des pays en développement pour l’action climatique; établir le fonds pour les pertes et dommages convenu lors de la dernière COP; doubler le financement de l’adaptation; favoriser les investissements privés et transferts de technologies qui permettront un développement massif des énergies propres dans les pays en développement; et enfin mettre en place des systèmes d’alerte rapide, afin que chaque personne sur terre soit protégée des événements climatiques extrêmes.

Il en va de la justice climatique… et de la survie de notre planète. 

Third, international cooperation on peace and security is at a standstill.  The world has entered a new era of geostrategic competition.  Widening divisions are leading us towards a bipolar world.  And once again, our existing tools are inadequate.

The Russian [Federation] invasion of Ukraine, in violation of the United Nations Charter and international law, is the latest striking example.  The Security Council is not only no longer representative of the world, it is often paralysed, as it is the case with the war in Ukraine.  And even the various groups and platforms outside the multilateral system — such as the G20 [Group of 20] — are caught up in these divisions.

The world cannot go on like this.  It is time to rethink our approach to peace and security.  I am therefore proposing a New Agenda for Peace which will look at peace as a whole, to identify the root causes of conflict and prevent the seeds of war from sprouting.

The New Agenda for Peace will address all forms of threat, taking a holistic view of the peace continuum, from prevention, mediation, reconciliation, peacekeeping to peacebuilding and sustainable development, with greater participation of women and young people in peace processes.

We also need a new generation of peace enforcement and counter-terrorism operations, led by regional organizations — in particular the African Union — but with a strong mandate from the UN Security Council under Chapter VII of the Charter, and with guaranteed, predictable funding.  Also, to have accountability, notably in relation to human rights violations.

There is an urgent need for a global ban on cyberattacks on civilian infrastructure and on autonomous lethal weapons.  This is, for me, a central question when one looks at the new weapons being developed.  To eliminate human agency in the decision to kill is something that we cannot accept in any circumstances.

Which brings me to the fourth area that requires greater international cooperation:  new technology.  Misinformation and hatred — particularly against women — spread online like wildfire. The business model of social networks promotes and monetizes anger and hate.

Some tech companies exploit our personal information and manipulate our behaviour — with total disregard for our privacy.  Meanwhile, some Governments use spyware and mass surveillance to control their people — trampling their fundamental rights.

These dangerous trends could be multiplied exponentially by artificial intelligence.  Humanity is entering a new technological era.  But, we are far from prepared.  Artificial intelligence is challenging our collective sense of reality.  Even its creators have called for guardrails before it’s too late.

But, we don't have the beginnings of global digital governance. That is why I'm calling for a Global Digital Compact that brings Governments, regional organizations, the private sector and civil society together.  I will also appoint a high-level advisory group on artificial intelligence.

And I am open to any initiative by Member States to create an international agency for artificial intelligence, which could take inspiration from the International Atomic Energy Agency (IAEA).

That would be an institution that could concentrate on one hand, on knowledge, deep knowledge about artificial intelligence and its developments, and at the same time, have the kind of monitoring mechanism that would be necessary to avoid the worst consequences of artificial intelligence.

As you can see, this is not a time for tinkering or half measures.  This is a time for transformation.  Transformation rooted in solidarity and respect for human rights and human dignity. Thanks to Sciences Po, you are preparing to take up these challenges.

Some of you are already working and may realize how difficult it can be to shake up the status quo.  I urge you never to give up.  Never abandon the ideals of mutual understanding, cooperation and a sense of the common good.

Allow me a personal observation, when deciding on your career, resist the siren calls of companies that are destroying our planet; that are stealing our privacy; and trading in lies and hatred.  They will pay a lot but it’s not the right thing to do.

My generation has clearly failed in many respects — especially on the climate crisis.  I count on your generation to keep turning up the heat on global leaders.  Hold the powerful accountable.  Sound the alarm.  Stand up for each other and our planet and human rights.  And build a better future — rooted in solidarity, equality and sustainability.  Thank you, and I look forward to answering your questions.

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