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L’escalade des opérations militaires russes en Ukraine entraine une escalade des violations des droits de l’homme, dénonce M. Guterres, en insistant sur le retour du dialogue et de la diplomatie 

On trouvera ci-après le discours qu’a prononcé, aujourd'hui, le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, à l’ouverture de la quarante-neuvième session ordinaire du Conseil des droits de l’homme:

Partout dans le monde, les droits humains sont attaqués.  Les autocraties montent en puissance.  Le populisme, le nativisme, le racisme et l’extrémisme gangrènent les sociétés.  La pandémie de COVID-19, les inégalités et la crise climatique amputent de leurs droits économiques et sociaux les populations de régions et de continents entiers.

Les divisions s’accentuent.  La défiance et l’égoïsme gagnent du terrain.  Nous sommes réunis aujourd’hui pour parler des solutions.  Des solutions ancrées dans nos libertés fondamentales et nos droits humains durables.  Des solutions fondées sur les droits politiques, civils, économiques, sociaux et culturels, qui sont indivisibles et interdépendants.  Ces droits sont inhérents et intrinsèques à l'être humain.

Ils ne peuvent être confisqués par la dictature ou abolis par la pauvreté.  Ils ne sont pas non plus un luxe que l’on peut remettre à plus tard.  Les droits humains sont incontournables.  Ils sont puissants.  Chacun le sait, partout, instinctivement.  Les autocrates, en particulier, savent que les droits humains constituent la plus grande menace pour leur pouvoir.  Nier, rejeter, détourner l’attention : ils ne reculent devant rien tandis qu’ils piétinent les libertés et droits fondamentaux.

Contraindre la fermeture d’une organisation reconnue de défense des droits humains, grande par son histoire et par ses liens internationaux, n’est pas le signe d’un État fort.  C’est le signe d’un État qui craint la puissance des droits humains.  Enlever des militantes des droits des femmes et brutaliser des femmes dans la rue, c’est le fait d’un patriarcat aux abois, qui craint pour sa survie.  Opprimer et contrôler les minorités, les priver de la liberté de parler leur propre langue et de pratiquer leur religion en paix, c'est pour un État faire preuve de faiblesse, et non de force.

Les individus revendiqueront toujours leurs droits et libertés. C’est profondément ancré en nous.  Chaque marche contre l'oppression, chaque mouvement de libération, chaque voix qui s’élève contre l'injustice est une affirmation des droits humains.  Voilà pourquoi l’ONU œuvre chaque jour, partout dans le monde, pour faire respecter et promouvoir les droits humains de toutes et de tous.

En présentant mes priorités à l’Assemblée générale le mois dernier, j’ai tiré la sonnette d’alarme dans cinq domaines : la COVID-19, la finance mondiale, l’action climatique, l’anarchie dans le cyberespace, et la paix et la sécurité.  La solution à chacune de ces crises est fondée sur les droits humains.

Premièrement, la COVID-19.  La pandémie l’a clairement montré : tous les droits humains – civils, politiques, sociaux, économiques et culturels – sont universels et indivisibles.  Et une fois de plus, ce sont les populations vulnérables et marginalisées qui souffrent le plus.  Les pays à revenu élevé ont administré 13 fois plus de doses de vaccin que les pays à faible revenu.  L’inégalité vaccinale est le reflet d’un profond mépris pour les droits humains des populations de pays et de régions entiers.

Le droit aux soins de santé est un droit humain.  Les vaccins mis au point grâce à l’argent public doivent être distribués équitablement, pour le bien public.  J’exhorte tous les gouvernements, les compagnies pharmaceutiques et les partenaires à offrir d’urgence un soutien politique et financier à la stratégie mondiale de vaccination de l’Organisation mondiale de la Santé, dont l’objectif est de vacciner 70% de la population de chaque pays.  Je les exhorte à agir dès maintenant sur la levée des brevets et les transferts de technologie.

Parallèlement, la pandémie continue d’éroder les droits économiques et sociaux des femmes et des hommes du monde entier, plongeant des centaines de millions de personnes dans la faim et la pauvreté.  Elle a aussi servi de prétexte pour cacher une flambée de violations des droits civils et politiques, caractérisée par une surveillance de masse, des discriminations et des atteintes à la liberté d’expression.

Le meilleur moyen de lutter contre ces violations est d’ancrer notre riposte dans ces mêmes droits.  C’est l’approche présentée dans mon Appel à l’action en faveur des droits humains, dans le Programme 2030 ainsi que dans les Objectifs de développement durable. Nous avons besoin de solutions basées sur les droits, et d'un développement inclusif et durable, fondé sur l’universalité des droits et des opportunités.

Deuxièmement, les inégalités de relèvement après la pandémie témoignent de la faillite morale de notre système financier mondial.  Ce système n’a pas su protéger les droits des millions d’habitants des pays du Sud.  La pandémie a asphyxié les économies en développement.  Nombre d'entre elles risquent de se retrouver en situation de défaut de paiement.  Peu d'entre elles seront en mesure d'investir dans une reprise solide et durable.  Quant à l’éducation, c’est une crise dans la crise. Des centaines de millions d’enfants pourraient être affectés toute leur vie de ces années loin de l’école.

Les solutions à ces injustices contraires à tout intérêt résident dans les droits humains.  Un Nouveau pacte mondial, qui garantit un partage plus large et plus équitable du pouvoir, des richesses et des opportunités, est un impératif en matière de droits humains.  Cela suppose de remettre à plat le système financier mondial, afin que les pays en développement puissent investir dans les Objectifs de développement durable.

Il nous faut aussi un contrat social renouvelé, fondé sur l’universalité des droits et des chances, pour lutter contre la pauvreté et la faim, investir dans l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie et rétablir la confiance et la cohésion sociale.  Les droits des femmes et des filles doivent être au premier plan.  La reprise est l’occasion d’investir de manière ciblée en faveur des femmes –que ce soit en matière d’éducation, d’emploi, de formation, et de travail décent– et de rattraper les reculs enregistrés pendant la pandémie.

Troisièmement, la crise climatique est une crise des droits humains.  La triple urgence planétaire des changements climatiques, de la pollution et de la perte de biodiversité représente une menace pour tous les droits humains.  Le rapport sur l’adaptation aux changements climatiques, publié aujourd’hui par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, sonne également le glas du monde tel que nous le connaissons.

Les inondations, les sécheresses et l’élévation du niveau de la mer entraîneront bien davantage de catastrophes humanitaires, de pénuries alimentaires et de migrations.  Jusqu’à un cinquième de la planète pourrait devenir trop chaude pour que les êtres humains puissent y survivre.  

Soyons clairs: Quelques pays foulent aux pieds les droits du reste du monde.  Une poignée d’entreprises engrange de grands bénéfices tout en ignorant les droits des plus pauvres et des plus vulnérables.

La jeunesse, les femmes et les jeunes filles, les petits États insulaires et les communautés autochtones résistent, en première ligne.  Nous sommes à leurs côtés.  Je me félicite que ce Conseil ait reconnu le droit à un environnement sain.  C’est un outil important pour la responsabilisation et la justice climatique.  Nombre des propositions que j’ai formulées dans mon rapport sur Notre programme commun offrent des occasions cruciales pour faire avancer ce droit.

L’Accord de Paris est intrinsèquement lié aux droits humains.  La limite de 1,5 degré de réchauffement fixée dans l’Accord est essentielle pour prévenir des souffrances humaines bien supérieures à celles des pires crimes contre l’humanité.

Quatrièmement, le numérique est le Far West des droits humains.  De la fracture numérique béante, qui concerne 2,9 milliards de personnes, aux coupures d’Internet, aux campagnes de désinformation et à la prolifération des logiciels espions, les technologies numériques sont souvent discriminatoires et portent souvent atteinte aux droits humains.  La censure et les attaques en ligne sont devenues monnaie courante, notamment contre les minorités ethniques et religieuses, les membres de la communauté LGBTIQ+, les jeunes, les communautés autochtones, et les militants des droits des femmes.  Alimentés par l’intelligence artificielle, les algorithmes discriminent et excluent. 

La science et la raison sont en état de siège ; les mensonges et les théories du complot se répandent comme une traînée de poudre.  La cyberguerre et la mise au point d’armes reposant sur l’intelligence artificielle constituent une menace sans précédent pour les droits humains.  Internet doit être traité comme un bien public mondial.  Tout le monde, partout, devrait pouvoir en profiter.  Nous avons besoin d’un espace public numérique qui soit inclusif et sûr pour toutes et tous; et de plateformes de réseaux sociaux qui soutiennent les libertés et droits humains.

Si des garde-fous sont essentiels, ils ne doivent jamais être utilisés pour étouffer des débats légitimes.  C’est pourquoi les cadres réglementaires doivent être ancrés dans les droits humains et faire l’objet de consultations inclusives. C’est l’approche adoptée dans mes propositions d’un Code mondial de conduite pour promouvoir l’intégrité de l’information publique, ainsi que d’un Pacte numérique mondial.

Cinquièmement, l’expansion de la violence et des conflits dans le monde entier prive des millions de personnes de leurs droits humains.  L'escalade des opérations militaires menées par la Fédération de Russie en Ukraine entraîne une escalade des violations des droits humains.  Nous connaissons le résultat inévitable de la guerre : des pertes civiles ; des femmes, des enfants et des hommes forcés de quitter leur foyer; la faim, la pauvreté et d'énormes perturbations économiques.  

Le conflit est la négation totale des droits humains dans tous les domaines.  La liberté d'expression est attaquée, et des rapports font état de journalistes et de militants arrêtés.  Je n'ai cessé d'appeler à la fin de l'offensive et au retour sur la voie du dialogue et de la diplomatie.  Pendant ce temps, notre mission de surveillance des droits de l'homme en Ukraine poursuit son travail, et nos agences humanitaires vont intensifier leurs opérations.  Nous devons montrer à toutes les personnes en Ukraine que nous sommes à leurs côtés en ces temps de besoin.

Les civils pris dans un conflit subissent non seulement des violations de leurs droits à la sécurité et à la protection, mais aussi souvent de leurs droits à l’alimentation, à l’eau potable, aux soins de santé, à l’éducation et à l’emploi.  Cruelle ironie, il n’est pas rare que ces conflits trouvent eux-mêmes leur origine dans un déni des droits humains, qu’il s’agisse de discrimination à l’égard de minorités ou d’inégalités et d’injustices criantes. La protection des minorités et la promotion de leurs droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques comptent parmi nos meilleurs outils de prévention des conflits.

C’est la diversité qui fait la richesse de la civilisation humaine.  Partout dans le monde, nous devons mettre l’accent sur les droits des minorités de manière beaucoup plus nette et soutenue.  Du Myanmar à l’Afghanistan, en Éthiopie et ailleurs, j’exhorte les autorités à mieux protéger les minorités et à respecter l’égalité des droits de tous leurs habitants, pendant et après les conflits.  Les réfugiés et les migrants ont besoin d’une protection toute particulière.

En 2021, plus de 5 200 personnes ont perdu la vie sur les routes migratoires.  Les politiques hostiles d’asile et de migration, et les discours xénophobes qui les accompagnent souvent, menacent la vie des migrants et des réfugiés et révèlent l’hypocrisie de ceux qui prétendent montrer l’exemple en matière de droits humains.  Pour être efficaces, les politiques migratoires doivent être fondées sur la coopération entre les États et sur le plein respect des droits et de la dignité de tous.

Je tiens à exprimer une fois de plus mon soutien sans réserve au travail de la Haute-Commissaire aux droits de l’homme pour la protection et le renforcement des droits humains partout dans le monde.  Je suis rentré récemment de Chine, où j’ai exprimé mon espoir quant au fait que les discussions actuelles permettront une visite crédible de la Haute-Commissaire dans le pays, y compris dans la région autonome du Xinjiang.  Partout, les minorités doivent pouvoir conserver et célébrer leur identité culturelle et religieuse tout en contribuant à la société dans son ensemble.

Le mouvement en faveur des droits humains est une affirmation de notre humanité fondamentale.  Je remercie tous ceux qui travaillent pour le Conseil des droits de l’homme – et ma gratitude et mon respect s’étendent bien au-delà de cette salle magnifique.  Les travaux en faveur des droits humains se déroulent pour l’essentiel dans des bureaux exigus, des salles d’audience et des salles de presse, des centres de détention et des prisons.  Ils se déroulent partout où l’on s’efforce de promouvoir l’accès aux soins de santé, à l’éducation, au logement, à la sécurité alimentaire, à l’eau et à l’assainissement pour les personnes les plus vulnérables du monde.

Les défenseurs de l’environnement, dont beaucoup sont des femmes et des jeunes, sont en première ligne de la défense des droits humains.  Par leur travail quotidien de plaidoyer, de surveillance et d’investigation, les défenseurs des droits humains, notamment les journalistes et les avocats, défendent notre humanité commune – souvent au prix de grands risques personnels.  Ensemble, ils contribuent à bâtir un monde de dignité et d’égalité pour toutes et tous.  Je les salue et je rends hommage à leur travail.

Je vous remercie.

 

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