Cérémonie de remise de la Lampe de la paix: la paix reste l’étoile qui doit nous guider et notre objectif le plus cher, déclare le Secrétaire général
On trouvera, ci-après, le texte du discours du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcé à l’occasion de la cérémonie de remise de la Lampe de la paix, tenue à New York et Assise (Italie), aujourd’hui:
C’est à la fois un immense honneur et un privilège de vous rejoindre pour cette cérémonie et de me voir remettre la Lampe de la paix. J’aurais aimé être parmi vous dans la superbe basilique Saint-François!
En me faisant cet honneur, vous rendez hommage au travail du personnel des Nations Unies qui, partout dans le monde, œuvre pour la paix: les diplomates, les travailleurs et travailleuses humanitaires, les spécialistes du développement mais aussi les Casques bleus, qui risquent leur vie pour préserver et promouvoir la paix.
Pardonnez-moi de poursuivre mon allocution en anglais. L’ONU a été créée au nom de la paix, à l’issue de deux guerres mondiales atroces qui ont commencé ici, en Europe. La paix reste l’étoile qui doit nous guider et notre objectif le plus cher.
C’est notre quête de la paix qui nous réunit ici aujourd’hui. Je remercie Sa Majesté le Roi Abdallah pour l’action qu’il mène en faveur de la paix partout sur la planète et pour l’appui indéfectible qu’il apporte aux solutions internationales, à la solidarité, au dialogue et aux droits humains. J’exprime également ma gratitude au frère Moroni, à Son Éminence le cardinal Bassetti et à tous les franciscains qui œuvrent dans le monde entier au nom de la paix.
Je suis très proche des franciscains, du fait d’abord de l’amitié qui me lie de longue date au père Vitor Melicias, le prêtre franciscain qui a présidé mes deux cérémonies de mariage, baptisé mes enfants et célébré la messe de nombreuses fois chez moi. Prénommé « Antonio » et natif de Lisbonne, j’ai un attachement tout particulier à saint Antoine – l’un des premiers franciscains. Les habitants de Lisbonne et ceux de Padoue ne s’entendront peut-être jamais sur la ville à laquelle appartient saint Antoine – mais il est évident qu’il appartient à l’humanité tout entière.
Je suis croyant et j’ai une grande admiration et un profond respect pour l’œuvre de saint François: ce prix et cette cérémonie signifient donc beaucoup pour moi. Dès ma prise de fonctions comme Secrétaire général, j’ai fait de la promotion de la paix ma priorité, après avoir vu, quand j’étais Haut-Commissaire aux réfugiés, ce que les conflits peuvent produire de pire. J’ai œuvré à la relance d’une diplomatie au service de la paix. J’ai donné une plus grande place à la prévention, mettant sur pied des systèmes et des dispositifs permettant de mieux analyser les risques, d’améliorer la prise de décisions et d’aider les États Membres à agir avant que n’éclate la violence.
À l’apparition de la COVID-19, j’ai compris quelle menace pour la paix elle représentait et j’ai immédiatement appelé à un cessez-le-feu mondial afin de combattre notre ennemi commun – le virus. Durant mon second mandat, j’entends poursuivre ces initiatives grâce à mes bons offices et continuer de jouer mon rôle de courtier honnête, de créateur de passerelles et de messager de la paix.
Toutefois, la lutte pour la paix est souvent une tâche sisyphéenne, tant les conflits d’aujourd’hui sont complexes et imbriqués les uns dans les autres. Nous vivons dans un monde où la paix, sans cesse menacée, se dérobe. De nombreux pays, voire des régions entières, sont depuis longtemps en proie à des conflits dont on ne voit pas la fin. Et dans les lieux épargnés par la guerre depuis des décennies, on néglige la valeur de la paix et on la bat en brèche. C’est pourquoi les moments comme aujourd’hui, où l’on honore la paix et où l’on réfléchit à l’obligation que l’on a de la défendre et de la faire prospérer, sont particulièrement importants.
Véritable visionnaire, saint François d’Assise avait une conception holistique de la paix – une conception qui, comme de son vivant il y a huit cents ans, est d’actualité encore aujourd’hui. Le saint patron de l’écologie a beaucoup à nous apprendre sur la façon dont nous pourrions faire la paix avec la nature. Nos habitudes de production et de consommation, insoutenables dans la durée, sont à l’origine d’une triple crise planétaire: le dérèglement climatique; l’appauvrissement catastrophique de la biodiversité; une pollution qui tue des millions chaque année.
Le pape François fait également ce constat dans son encyclique inspirante Laudato Si. Notre guerre contre la nature menace toute vie humaine et maintes espèces animales et végétales. Le dérèglement du climat provoque des incendies de forêt, des inondations, des sécheresses et d’autres phénomènes météorologiques extrêmes sur tous les continents. Il alimente des conflits autour des ressources rares comme l’eau potable et les terres fertiles – conflits qui dégénèrent facilement en violences.
L’année dernière, plus de 30 millions de personnes ont dû quitter leur foyer à cause de catastrophes liées au climat, et beaucoup d’entre elles ont trouvé refuge dans des pays touchés également par l’urgence climatique.
La triple crise planétaire exige une action urgente de la part de tous les acteurs: gouvernements, organisations internationales, entreprises, villes et particuliers. La solidarité mondiale est un impératif, non seulement pour réduire de 45% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, mais aussi pour venir en aide aux populations et aux pays déjà soumis à rude épreuve. Les pays en développement ont besoin d’accéder sans tarder aux fonds destinés à l’action climatique, afin de pouvoir adapter leurs infrastructures et leurs économies et renforcer leur résilience.
L’action climatique permet de bâtir la paix. Les initiatives de reboisement, la coopération dans le domaine de l’eau et la gestion transfrontalière des terres protègent et restaurent la nature, mais ce sont aussi des moyens de rapprocher les populations les unes des autres et du monde naturel qui les entoure. C’est la voie de l’avenir. Pour assurer le bien-être de l’humanité, il faut rétablir et protéger la santé de notre planète et celle de tout ce qu’elle abrite. Comme l’avait compris saint François, vivre en harmonie avec son environnement et vivre en paix les uns avec les autres sont deux choses intimement liées.
Saint François était également en avance sur son temps lorsqu’il établissait un lien entre justice économique, humilité et paix. Aujourd’hui, la pauvreté et les inégalités atteignent des niveaux record et menacent la paix aux niveaux mondial et local. L’humilité est passée de mode. Et pourtant la pandémie de COVID-19 a montré combien elle était nécessaire. L’orgueil et l’excès de confiance ont gravement entravé la riposte mondiale. Un virus microscopique a mis le monde à genoux. Deux ans plus tard, nous souhaitons peut-être en avoir fini avec le COVID-19, mais il n’en a pas fini avec nous.
La pandémie s’est nourrie des profondes inégalités qui existent dans le monde. L’inégalité économique lui a permis de se propager dans les pays et parmi les populations les plus pauvres. L’inégalité dans l’accès aux vaccins a permis au virus de continuer à muter et de donner naissance à des variants possiblement plus contagieux et plus mortels. L’inégalité dans l’accès aux financements internationaux fait que les pays les plus pauvres sont empêtrés dans la dette, tandis que les plus riches peuvent investir dans un relèvement solide.
Avant même la pandémie, les gens perdaient confiance dans leurs institutions et les personnes chargées de les représenter. Aujourd’hui, l’aliénation et le cynisme sont plus répandus que jamais à l’égard de dirigeants et d’élites qui n’ont pas su protéger leur population et agir dans l’intérêt de tous.
L’augmentation de la pauvreté et la montée des inégalités portent directement atteinte aux droits humains. Cela va de pair avec de mauvais indicateurs de santé, des taux élevés de criminalité et de corruption et une forte instabilité. Par ailleurs, les personnes marginalisées et isolées sont vulnérables aux arguments de ceux qui rejettent la responsabilité de leurs malheurs sur les autres. Ce n’est pas un hasard si l’accroissement des inégalités s’accompagne d’une montée du racisme, de l’extrémisme et du nationalisme.
Dans le même temps, je trouve admirables les personnes qui, issues des régions et des groupes les moins puissants, se transforment en porte-drapeau de leur cause. Des adolescentes font entendre leur voix et font bouger le monde. Les dirigeants des petits États insulaires en développement tiennent aux puissants un discours de vérité. Les enfants et les jeunes, la société civile, les villes et les associations locales s’unissent pour défendre les droits humains, l’action climatique et la paix.
Saint François avait compris que la paix était étroitement liée à l’humilité et à la compassion. Comme le rappelle le pape François, saint François nous montre le lien indissociable qui existe « entre le souci de la nature, la justice envers les pauvres, la participation à la société et la paix intérieure ».
Vu d’aujourd’hui, ce qu’il y a sans doute de plus remarquable dans la conception que saint François avait de la paix est son caractère inclusif. À une époque de conflits religieux sanglants et violents, alors même qu’on déniait la qualité d’être humain aux musulmans et aux juifs partout en Europe, saint François choisit de risquer sa vie et partit prôner la paix en Orient. Sa rencontre avec le Sultan el-Malek el-Kamel pendant la cinquième croisade a été, bien avant l’heure, un exemple de dialogue interconfessionnel visant à encourager la tolérance, le respect et la compréhension mutuelle.
De retour d’Égypte, saint François entreprit dans ses écrits de concevoir comment son ordre, les franciscains, pourrait dialoguer avec les musulmans – une révolution pour l’époque. Les chercheurs ont même constaté que ses enseignements ultérieurs avaient été influencés par des éléments tirés de l’islam comme l’appel à la prière ou les 99 noms de Dieu. Sa mission est un exemple et une leçon riche d’enseignements pour toutes celles et ceux d’entre nous qui luttons pour la paix, en particulier au Moyen-Orient, où persistent hélas des tensions et des conflits interreligieux.
Nous avons toutes et tous un rôle à jouer pour mettre un terme à la polarisation qui afflige bon nombre de sociétés contemporaines. Face à la montée de l’islamophobie, de l’antisémitisme, des actes antichrétiens, du racisme et de la xénophobie, nous devons toutes et tous défendre notre humanité commune. Nous devons nous détourner des personnalités religieuses et politiques qui exacerbent les différences. Il faut que les dirigeants, quels qu’ils soient, assument leurs responsabilités, condamnent tous les actes de violence et de haine et s’emploient à remédier aux maux qui, en profondeur, sapent la cohésion sociale.
Les sociétés étant de plus en plus multiethniques, multireligieuses et multiculturelles, il nous faut œuvrer davantage à l’inclusion. Chaque groupe social doit avoir la conviction que son identité est respectée et que sa participation à la société dans son ensemble est appréciée.
La tolérance ne suffit pas. Nous devons apprendre à nous respecter et à nous aimer les uns les autres. Créer des passerelles entre les principales religions du monde est l’un des grands projets de notre époque. En signant il y a deux ans leur document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, le pape François et le grand iman d’Al-Azhar, Cheik Ahmed el-Tayeb, nous ont adressé un précieux message de respect mutuel, de tolérance, de compassion et de paix.
Je souhaiterais conclure par une dernière réflexion. La paix nous oblige.
Car la paix, ce n’est pas l’acceptation passive du statu quo. C’est un acte concret. C’est un choix – et parfois, c’est vrai, un choix difficile. Mais dans notre monde fracturé et troublé, c’est un choix vital. C’est même le seul choix qui nous reste. La paix demeure la force qui anime l’action de l’ONU, chaque jour, dans chaque pays. Je croirai en un monde réellement attaché à la paix lorsque les journaux n’emploieront plus seulement des correspondants de guerre, mais aussi des correspondants de paix. Lorsque les États financeront non seulement des budgets de défense, mais aussi des budgets de paix.
Comme le dit le pape François dans l’encyclique Fratelli Tutti, ce n’est qu’en empruntant le chemin de la paix, dans la solidarité, que nous pourrons bâtir un avenir meilleur pour toutes et pour tous. Car la paix –à la différence de la guerre– peut accomplir des merveilles. Je vous remercie encore de l’honneur que vous me faites en me décernant cette Lampe de la paix. Dans un monde où nous pouvons tout choisir, faisons le choix de la paix. Je vous remercie.