Instance permanente : les représentants des peuples autochtones renouvellent leur demande d’une présence de la « nation autochtone » à l’Assemblée générale de l’ONU
La quatrième journée de la vingtième session de l’Instance permanente sur les questions autochtones a été l’occasion pour les organisations autochtones de renouveler leur demande d’une participation accrue aux travaux de l’ONU et d’une représentation de la « nation » des peuples autochtones à l’Assemblée générale.
L’Instance dont le thème des travaux est « Paix, justice et institutions solides: le rôle des peuples autochtones dans la réalisation de l’objectif de développement durable no 16 », a également entendu, ce matin, deux exposés, dont un intitulé « Transformer notre monde: le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ».
À ce sujet, Mme JOAN CARLING, de la « Tebtebba Foundation » a alerté que malgré les engagements pris en faveur d’une mise en œuvre équilibrée du développement économique, social et environnemental, les priorités des États s’axent davantage sur une croissance économique non durable au nom du « développement national » en partenariat avec des entreprises et des investisseurs, dont les activités ne sont guère réglementées en termes de garanties sociales et environnementales.
C’est un facteur majeur de la violation des droits collectifs des peuples autochtones, qui se traduit par un accaparement généralisé de leurs terres et de leurs ressources, l’émergence de conflits autour de leur utilisation, des déplacements forcés ainsi que l’augmentation de la pauvreté, la destruction du patrimoine culturel, et l’augmentation de la violence contre les femmes et les filles. C’est également un facteur majeur contribuant à la dégradation des forêts, ainsi qu’à la perte de la biodiversité dans les territoires autochtones, a prévenu Mme Carling qui a également décrié l’établissement de projets d’énergie renouvelable, en territoire autochtones sans le consentement des populations concernées. « La déforestation pour l’expansion de l’agro-industrie, d’une part, et la conservation des forêts, d’autre part, laissent des millions de peuples autochtones de côté », a-t-elle dénoncé.
Abordant le sujet de la COVID-19, Mme Carling a appelé les peuples autochtones à prêter attention aux plans de redressement, ainsi qu’aux tentatives d’écoblanchiment au nom des « solutions fondées sur la nature » promues par des entreprises. Pour faire face aux effets de la pandémie, un nombre croissant de pays justifient la création de plans de relance économique non durables largement basés sur l’extraction des ressources, l’exploitation du charbon ainsi que des projets d’agro-industrie et d’énergie renouvelable qui ont des effets néfastes sur les peuples autochtones, a-t-elle alerté.
Il faut mettre un terme à la criminalisation des droits fonciers et des défenseurs des droits humains, a insisté à son tour Mme JANENE YAZZIE, de l’« International Indigenous Treaty Council » qui a souligné que les peuples autochtones ne pourront pas s’impliquer dans la mise en œuvre du Programme 2030 s’ils sont confrontés à une violence et à une criminalisation sanctionnées par l’État lorsqu’ils exercent leurs droits.
Elle a par ailleurs appelé à assurer une meilleure représentation des peuples autochtones au Forum politique de haut niveau du Conseil économique et social (ECOSOC), notant qu’à l’heure actuelle, ils occupent un nombre limité de places. Elle a également recommandé à l’Instance de travailler avec le grand groupe des peuples autochtones pour fournir des orientations à l’ECOSOC sur la manière de mettre pleinement en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ainsi que pour résoudre des problèmes de longue date, à commencer par la reconnaissance des droits des peuples autochtones à leurs terres et à leurs ressources.
Discussion générale
Suite à ces deux interventions, le « Fund for the Developments of Indigenous Peoples of Latin America and the Caribbean (FILAC) », a souligné la nécessité de promouvoir le dialogue avec le secteur privé afin de changer le modèle de développement fondé sur les industries extractives. La délégation a également recommandé de transférer des ressources aux peuples autochtones pour qu’ils réalisent les objectifs de développement durable et a appelé à lutter contre la fracture numérique.
L’Association des défenseurs des droits des peuples autochtones d’Australie a souhaité que le Gouvernement australien fasse rapport sur la mise en œuvre des objectifs de développement durable relatifs aux peuples autochtones, soulignant que ces derniers doivent pouvoir participer à la réalisation du Programme 2030. De son côté, l’Australie a indiqué que le Gouvernement et les peuples autochtones ont lancé en juillet 2020 un accord visant à réduire le fossé entre les peuples autochtones et le reste de la population afin d’améliorer leur situation économique et sécuritaire.
Au nom des pays nordiques, la Suède a abordé la question de l’autodétermination, notant que celle des Sami est assurée dans les différents pays où ils se vivent. Elle a également fait observer que les peuples autochtones du Groenland jouissent de la forme la plus avancée d’autonomie. L’Association des peuples autochtones du grand nord de Russie (RAIPON) a indiqué que des lois avaient été promulguées par le Gouvernement russe pour assurer le respect des droits des peuple autochtones, notamment dans le domaine foncier. Ils bénéficient aussi de services éducatifs qui respectent leurs modes de vie. Au Chili l’enseignement de la langue et la culture autochtone est intégré au programme scolaire. Il existe également un projet de logement pour les peuples autochtones qui vise à réduire les inégalités et les retards de développement.
En matière de droits fonciers, la Ministre des affaires étrangères de Guyana a fait savoir que son gouvernement avait relancé un projet à la pause depuis 15 ans. Les peuples autochtones sont aujourd’hui propriétaires de 15% des terres du pays, et dans 5 ans, ce sera 20%. En outre, le plan de relèvement du Gouvernement après la pandémie consacre 3,6 millions de dollars pour appuyer les peuples autochtones dans le domaine agricole, et 112 tracteurs ont été achetés pour améliorer la productivité agricole.
Le Nicaragua a lui aussi affirmé avoir beaucoup avancé sur la question foncière autochtone pour ensuite détailler sa stratégie de lutte contre la pandémie de COVID-19 parmi les peuples autochtones, laquelle repose notamment sur l’intégration du savoir traditionnel dans les soins et l’administration des vaccins dans le respect du consentement libre, préalable et éclairé. De son côté, El Salvador a élaboré une réponse spécifique aux besoins des peuples autochtones qui assure la distribution de produits de première nécessité et d’hygiène, les vaccins et l’élaboration d’un plan d’action après la pandémie pour préparer à d’autres crises.
Face à la pandémie de COVID-19, le Caucus autochtones d’Asie a demandé des mesures de protection sociale et un suivi de l’application des mesures prises en faveur des peuples autochtones dans les différents plans de relèvement des gouvernements. La pandémie n’a pas eu d’incidence sur le mode de vie traditionnel, a fait savoir à son tour l’Association KOLA SAMI, précisant que des cours à distance sont offerts dans presque tout le territoire autochtone sami. Cette association, qui compte 142 groupes sami, a également indiqué que des accords ont été conclus sur le partage des zones de pâturage et pêches ainsi que pour fixer le prix de la viande de rennes. Le dialogue avec les sociétés industrielles d’extraction est une autre priorité de l’Association qui souhaite également l’organisation d’une conférence internationale sur les langues sames.
La Fédération Khmer Kampuchéa Krom a signalé que la persistance des disparités sociales entre les peuples autochtones et le reste de la population est dûe au refus du Gouvernement du Viet Nam de reconnaître les droits du peuple khmer. Le Gouvernement doit se soumettre à l’examen quadriennal de l’ECOSOC. De son côté, le Groupe des amis des peuples autochtones a demandé de prendre en compte les avis des peuples autochtones lors du processus d’examen quadriennal du Conseil économique et social (ECOSOC). Le Réseau des jeunes d’Amérique latine et des Caraïbes (CEM AIMARA) a recommandé à l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) d’organiser un forum des jeunes autochtones sur les changements climatiques en 2022
M. ALEXEY TSYKAREV, membre de l’Instance (Fédération de Russie) a ensuite présenté une étude sur les « Institutions représentatives et formes d’auto-administration des peuples autochtones d’Europe orientale, de la Fédération de Russie, d’Asie centrale et de Transcaucasie: modalités de participation renforcée ». Il a recommandé à l’Instance permanente de soutenir et de renforcer l’aspiration des peuples autochtones à développer des systèmes d’auto-administration. Le système des Nations Unies et d’autres organisations internationales ne doivent pas créer de processus qui font obstacles à la réalisation de cette aspiration, a-t-il estimé.
La parole a ensuite été donnée à deux membres du Comité temporaire de l’Organe de coordination autochtone pour le renforcement de la participation aux Nations Unies. Dans un premier temps, Mme MARIAM W. M. ABOUBAKRINE, ancienne Présidente de l’Instance permanente, a revendiqué l’adhésion des peuples autochtones à l’Assemblée générale de l’ONU pour confirmer qu’ils sont une nation. Elle a également demandé la participation des Touaregs aux travaux de l’ONU. Nous continuerons de lutter par des moyens novateurs, a annoncé Mme Aboubakrine qui a déploré que la représentativité des peuples autochtones n’est toujours pas garantie à l’ONU. Il faut renforcer la participation des peuples autochtones en tant que tels et non en tant que membres de la société civile, a-t-elle estimé.
« L’avenir du monde dépend de la nécessité pour les peuples autochtones de faire entendre leur voix e à l’échelon international », a renchérit Mme DARIA EGEREVA qui a demandé une réunion avec le Secrétaire général et le Président de l’Assemblée générale pour définir les processus à suivre pour assurer la participation accrue des peuples autochtones aux travaux de l’ONU. Les peuples autochtones doivent être inclus dans toutes les consultations et négociations aux Nations Unies, y compris la nomination de deux des quatre conseillers du Président de l’Assemblée générale. Elle a également recommandé au Président de l’Assemblée générale de tenir une série de réunions informelles de haut niveau avec les États sur la participation accrue des peuples autochtones aux travaux de l’ONU.
Il faut avancer ce débat et prendre des mesures, a exhorté le Canada, au nom d’une vingtaine de pays pour qui la voix des peuples autochtones mérite d’être entendue à l’ONU. Le Parlement Sami de Finlande a encouragé l’Instance à participer aux discussions sur la participation des peuples autochtones aux travaux de l’ONU, tandis que l’« International Indian Treaty Council (IITC ») a défendu la présence des peuples autochtones dans le système des Nations Unies afin de favoriser la protection et la promotion de leur patrimoine et de leur culture ainsi que le rapatriement des biens culturels autochtones.
Commentant l’étude sur les institutions représentatives, la Fédération de Russie a déploré que l’avis de son gouvernement n’ait pas été sollicité. Il existe de nombreuses initiatives en Russie pour appuyer la participation des peuples autochtones et le rapport n’a pas pris en compte les spécificités des peuples autochtones en Russie, a-t-elle regretté. La délégation a par ailleurs dénoncé le fait que l’Ukraine a fait appel à un leader autoproclamé des Tatars qui a utilisé des informations non-vérifiées.
La Crimée qui fait partie intégrante de l’Ukraine bien qu’occupée par la Russie, a rétorqué l’Ukraine qui a alerté que cette occupation a des conséquences catastrophiques pour les Tatars et les autres peuples autochtones La délégation a demandé à l’Instance de réagir contre « les menaces proférées par la Russie contre l’Instance et le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones ».