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Instance permanente: le Rapporteur spécial alerte que la COVID-19 représente une « menace existentielle » pour les peuples autochtones

Le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, a alerté, ce matin, que le virus de la COVID-19 représente une menace existentielle pour les peuples autochtones, et qu’en l’absence d’une action renforcée des États, la pandémie reléguera encore plus loin ces communautés dont les moyens d’existence et la culture risquent de disparaître.

Intervenant dans le cadre de la vingtième session de l’Instance permanente sur les questions autochtones, M. FRANCISCO CALÍ TZAY a décrié le fait que les besoins des peuples autochtones ne sont pas pris en compte dans les politiques de riposte à la pandémie.  L’inclusion rapide des peuples autochtones à l’élaboration des plans d’urgence est donc essentielle, y compris pour mieux se préparer à ce type de crise à l’avenir, a-t-il fait valoir.

L’Instance permanente a ensuite entendu la Présidente du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones et le Président du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les peuples autochtones avant d’ouvrir la discussion à ses membres puis aux délégations dans le cadre d’un dialogue consacré aux droits de l’homme.

Venu passer en revu ses activités depuis sa prise de fonctions en mai 2020, en pleine pandémie, M. Tzay a indiqué que son premier rapport à l’Assemblée générale a porté sur les conséquences de la COVID-19 sur les peuples autochtones et donne un aperçu des violations de leurs droits suite aux mesures prises pour endiguer la pandémie.  Si les entreprises privées ont été autorisées à poursuivre leurs activités et à empiéter sur les terres autochtones, les peuples autochtones ont été la cible de mesures répressives qui ont porté atteinte à leur liberté d’expression et à leur droit de réunion notamment dans le contexte de la protection de leurs terres, a-t-il dénoncé.

En ce qui concerne les prochaines priorités thématiques de son mandat, le Rapporteur spécial a indiqué qu’outre la question des droits fonciers, l’impact de la COVID-19, et la criminalisation des peuples autochtones, il compte se pencher sur l’importance des connaissances autochtones dans le contexte des changements climatiques, ainsi que le droit des peuples autochtones à l’eau.  Les défis auxquels sont confrontés les peuples autochtones dans les zones urbaines et l’impact du travail forcé seront également examinés, entre autres.  S’agissant des visites officielles, il a fait part de son intention de se rendre au Groenland et au Danemark dès que les conditions sanitaires le permettront.

En venant au thème de la session actuelle, « Paix, justice et institutions solides: le rôle des peuples autochtones dans la réalisation de l’objectif 16 de développement durable », le Rapporteur spécial a souligné que l’accès effectif des peuples autochtones à la justice repose sur leur accès au système juridique de l’état ainsi qu’à celui qui leur est propre.  Il est donc important d’accorder tout l’appui nécessaire aux systèmes judiciaires autochtones.

À son tour, Mme LAILA SUSANNE VARS, Présidente du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, a indiqué que l’impact disproportionné de la pandémie de COVID-19 sur les peuples autochtones avait été examiné en novembre et décembre 2020 lors des quatre réunions virtuelles du Mécanisme qui ont remplacé sa session habituelle.  Un séminaire a également été organisé sur les droits des enfants autochtones et un autre sur le droit à l’autodétermination.  Une étude a également été réalisée au sujet des droits des enfants autochtones, laquelle souligne que la capacité des peuples autochtones à répondre aux besoins de leurs enfants dépend de leur capacité à faire valoir leur droit à l’autodétermination.

Un rapport sur le droit à l’autodétermination est en cours d’élaboration et sera examiné lors de la prochaine session du Mécanisme.  Mme Vars a expliqué que ce document examine notamment les dangers découlant d’une confusion entre l’autodétermination et l’exigence d’un consentement libre, préalable et éclairé.  Il met également en exergue l’interdépendance du droit à l’autodétermination et d’autres droits de l’homme, y compris les droits à la participation, à la consultation et les droits fonciers.

Mme Vars a par ailleurs indiqué que suite à la finalisation d’un engagement auprès de la Suède, le processus de rapatriement au peuple yaqui (Mexique) du Maaso Kova et d’autres objets de la collection yaqui du Musée national des cultures du monde la Suède avait pu commencer.  Le Mécanisme a par ailleurs finalisé une demande d’engagement présentée par COIAB au Brésil et une mission prévue au Canada est également en cours de préparation.

De son côté, M. PABLO MIS, Président du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les peuples autochtones, a indiqué que depuis sa création en 1985, le Fond a permis d’appuyer la participation de plus de 3 000 représentants des peuples autochtones aux mécanismes des droits de l’homme de l’ONU.  Depuis 2020, le Fonds a élargi son mandat pour appuyer la participation des peuples autochtones au Forum sur les entreprises et les droits de l’homme et aux processus sur les changements climatiques.

En 2020, le Fonds a déboursé 523,175 dollars pour appuyer la participation de 152 représentants autochtones, mais en raison de la pandémie, très peu d’entre eux ont pu se déplacer.  Vu la persistance des incertitudes concernant la situation sanitaire mondiale, le Fonds a décidé d’appuyer la participation des peuples autochtones aux réunions prévues à partir de septembre 2021, à raison de 141 625 dollars.  

M. Mis a ensuite signalé que l’incertitude quant aux contributions à venir continue d’avoir une incidence sur l’exécution du mandat du Fonds.  Si l’élargissement du mandat a créé de nouvelles opportunités pour les peuples autochtones, cela a également entraîné des demandes croissantes de soutien, a-t-il fait savoir.  Il a ensuite salué l’Allemagne, l’Australie, le Chili, l’Estonie, la Finlande, le Mexique, la Norvège, le Pérou et le Saint-Siège pour leurs contributions généreuses au Fonds en 2020.

Suite à ces interventions, Mme IRMA PINEDA SANTIAGO, membre de lInstance (Mexique), a décrié le manque de concertation entre les gouvernements et les peuples autochtones, et a insisté sur l’importance d’instaurer le dialogue pour parvenir à des accords sur les droits humains des peuples autochtones.  À son tour, Mme HINDOU OUMAROU IBRAHIM, membre de lInstance (Tchad) a indiqué que l’accès des peuples autochtones à l’information durant la pandémie a été « très compliqué » et que nombre d’entre eux ne savent pas comment se protéger.  En outre, la fermeture des frontières dans le contexte de la pandémie a provoqué des conflits autours des ressources car les communautés pastorales ne peuvent plus franchir les frontières pour faire paître leurs troupeaux.  Elle a appelé à faire pression pour assurer l’égalité en matière d’information et de vaccination.  Une étude sur le respect des droits fonciers des peuples autochtones au Sahel et en République démocratique du Congo (RDC) serait également utile.  L’experte a par ailleurs demandé au Fonds d’appuyer la participation des peuples autochtones aux réunions virtuelles en finançant leur accès à l’Internet.  La grande majorité des peuples autochtones en Afrique n’a pas accès à l’électricité ce qui rend leur participation à ce type de réunions impossible, a-t-elle indiqué.

Le Fonds doit en effet assouplir les modalités de participation des peuples autochtones et appuyer leur accès à Internet, a renchéri M. ALEKSEI TSYKAREV, membre de l’Instance (Fédération de Russie) qui s’est par ailleurs interrogé sur les possibilités de coopération entre les mandats afin d’éviter les doublons.  De son côté, Mme HANNAH MCGLADE, membre de l’Instance (Australie) s’est préoccupée des taux encore élevés de retrait d’enfant aborigène à leur famille.  Elle a également signalé que les enfants aborigènes sont disproportionnellement ciblés par une loi qui stipule que des enfants peuvent être considéré comme pénalement responsable dès l’âge de 10 ans.

Discussion générale

Au cours de la discussion générale qui a suivi, la grande majorité des intervenants a constaté que la pandémie de COVID-19 avait aggravé la situation des peuples autochtones.  L’Union européenne a notamment voulu savoir quels sont les plus grands défis à relever pour veiller au respect de leurs droits dans le contexte de la pandémie.  La priorité doit être accordée à la vaccination des peuples autochtones, dans le respect de leurs droits et sur la base d’une approche interculturelle, a estimé le Fonds de développement pour les peuples autochtones d’Amérique latine et des Caraïbes, tandis que le Conseil international de traités indiens a appelé le Rapporteur spécial à envisager une étude sur la COVID-19 et le droit à l’eau.

Quelles sont les meilleures pratiques en matière de dialogue avec les peuples autochtones dans le contexte de la pandémie, a demandé à son tour le Canada qui a prôné un échange de pratiques optimales au niveau international en matière de ripostes à la pandémie.  Le Danemark, au nom des pays nordiques a estimé, pour sa part, que les mesures de prévention sanitaire doivent tenir compte des traditions autochtones.  Abordant la question du rapatriement des objets cérémoniaux, la délégation a également voulu obtenir des conseils sur les moyens d’établir des relations entre les peuples autochtones et les musées.

La Ministre du développement social et de la famille du Chili a indiqué que 17 sièges seront réservés aux représentants des peuples autochtones au sein de la convention constitutionnelle, leur permettant ainsi de participer à la rédaction de la prochaine constitution du pays.  L’Asia Indigenous Peoples Pact a insisté sur l’importance du consentement libre, préalable, et éclairé, déplorant le déroulement de certains projets au Myanmar, au Bangladesh et aux Philippines.  Comment appuyer les processus de paix en territoire autochtone et la tenue d’un dialogue positif avec les gouvernements pour protéger les droits des peuples autochtones en Asie?

Le Conseil saami a appelé l’Instance à souligner que les gouvernements doivent respecter les décisions juridiques nationales et internationales, alertant notamment que dans sa région, l’application de plusieurs décisions juridiques relatives notamment à un projet minier et à un fichier électoral n’avait pas progressé comme il se doit.  De son côté, l’Ukraine s’est alarmée des campagnes de répression qui ciblent les Tatars de Crimée et de l’adoption récente d’un décret qui prive les citoyens ukrainiens du droit à la propriété foncière.

Après que le Guatemala ait fait part de son attachement au Mécanisme d’experts, l’Australie a reconnu que les peuples autochtones sont victimes d’un accès inéquitable à la justice.  Un projet a été lancé dans les territoires du nord pour promouvoir l’emploi et venir à bout de l’incarcération, et la lutte contre la violence à l’encontre des femmes autochtones est une autre priorité du Gouvernement qui a établi des systèmes de prévention et de notification à l’intention des peuples aborigènes et du Détroit de Torres.  À son tour, le Brésil a fait savoir que 306 mesures de contrôle ont été lancées pour empêcher l’abattage et l’extraction minière dans plus de 200 territoires autochtones.  En outre, 60% des peuples autochtones ont été vaccinés contre la COVID-19, et des distributions de vivres sont effectuées afin de faire face à l’insécurité alimentaire.

« On ne peut pas accepter la politique génocidaire du Brésil », a alors déclaré l’Association autochtone Karipuna qui a alerté que les terres autochtones du Brésil sont envahies et que la violence s’y est aggravée.  Elle a appelé l’Instance à exhorter le Brésil à prendre des mesures d’urgence pour renforcer les institutions et le contrôle des terres autochtones.   

De son côté, Human Rights Watch s’est alarmé de la situation des peuples autochtones au Venezuela, victimes d’attaques disproportionnées, de déplacements forcés, de torture et de traitements inhumains, ainsi que des répercussions d’un projet illégal d’extraction minière.  L’ONG a demandé au Gouvernement vénézuélien de respecter les recommandations qui figurent dans le rapport de la Haute-Commissaire aux droits de l’homme et de lancer un plan de vaccination urgent pour les peuples autochtones « afin de garantir la survie des peuples ancestraux ».  Enfin, la Commission nationale des droits humains de la Nouvelle Zélande a parlé de l’application d’un plan d’action national en appui aux peuples autochtones.

Réagissant à ces commentaires et questions, le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones a indiqué que la reconnaissance du droit à l’autodétermination permettait de faciliter les bonnes pratiques en matière de prévention de la pandémie.  Il a de plus souligné que l’accès aux territoires est particulièrement important, estimant que tous les mécanismes devraient traiter de cette question.  La Présidente du Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones a indiqué qu’elle aimerait en savoir plus sur la situation en Nouvelle-Zélande où un dialogue a « clairement » eu lieu avec les peuples autochtones, avant de faire part de sa disponibilité à dialoguer avec l’Australie au sujet des enfants autochtones.  À son tour, le Président du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les peuples autochtones a fait savoir que lors de sa dernière réunion, le Conseil d’administration du Fonds s’est engagé à réfléchir aux moyens d’appuyer une participation novatrice des peuples autochtones aux travaux de l’ONU.

Cette matinée de travaux a ensuite été résumée par M. Vital Bambanze, membre de l’Instance (Burundi).

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