SG/SM/20098

Financement du développement et COVID-19: le Secrétaire général appelle à alléger la dette et à reconstruire sur des bases plus durables, en prévenant que l’inaction pourrait coûter très cher

On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée à la Réunion de haut niveau sur le financement du développement, à New York, aujourd’hui:

Je vous remercie toutes et tous pour votre solidarité, et je suis reconnaissant aux Premiers Ministres du Canada et de la Jamaïque d’avoir organisé conjointement cette réunion. 

Si nous n’agissons pas maintenant, la pandémie de COVID-19 causera des ravages et des souffrances inimaginables dans le monde entier.  Elle entraînera une faim et une famine sans précédent.  Elle plongera soixante millions de personnes de plus dans l’extrême pauvreté.  Elle privera de moyens de subsistance jusqu’à la moitié de la population active mondiale, soit 1,6 milliard de personnes.  Elle fera chuter la production mondiale de 8,5 billions de dollars – le plus fort déclin depuis la Grande Dépression des années 1930.  Nous devons l’éviter.

La pandémie a révélé notre fragilité.  Malgré les énormes progrès technologiques et scientifiques accomplis au cours des dernières décennies, nous avons été précipités dans une crise humaine sans précédent par un virus microscopique.  Nous devons y faire face dans l’unité et la solidarité.  Un aspect essentiel de la solidarité est le soutien financier. 

Je me félicite des mesures qui ont déjà été prises par le Fonds monétaire international, le Groupe de la Banque mondiale, les banques régionales de développement et d’autres institutions financières internationales et le G20.  Malgré cela, nombre de pays en développement n’ont pas les moyens de lutter contre la pandémie et d’investir dans la relance.  Aujourd’hui, nous demandons que des mesures collectives soient immédiatement prises dans six domaines revêtant une importance capitale. 

Tout d’abord, les liquidités mondiales.  La ruée vers la sécurité causée par la pandémie a provoqué des sorties de capitaux de certaines grandes économies émergentes.  De nombreux autres pays ont vu leur marge de manœuvre budgétaire réduite par la quasi-stagnation de l’activité économique, ce qui les a empêchés d’importer des fournitures médicales essentielles. 

Le dangereux télescopage ainsi produit entre la crise sanitaire et la crise économique risque d’avoir pour effet de les prolonger et de les aggraver toutes les deux.  Les mécanismes existants sont sollicités au maximum de leurs capacités, et les ressources du Fonds monétaire international pourraient ne pas suffire.  Nous disposons des outils nécessaires pour renforcer les liquidités mondiales.  Je vous exhorte à en faire usage, et tout particulièrement à envisager une nouvelle émission de droits de tirage spéciaux. 

Deuxièmement, la dette souveraine.  Les retombées économiques de la pandémie menacent de provoquer une vague de défauts de paiement dans les pays en développement.  Des crises de la dette généralisées nuiront à la lutte contre la COVID-19 et entraveront le développement durable pendant de nombreuses années.  Les pays concernés n’auront aucune perspective d’atteindre les objectifs de développement durable.  Le moratoire sur la dette proclamé par le G20 est une première étape.  Il ne concerne toutefois que les pays les moins avancés.

J’ai récemment eu l’occasion de visiter plusieurs îles des Caraïbes et du Pacifique – des pays à revenu intermédiaire qui enregistrent une croissance économique solide bien qu’ils soient en première ligne de la crise climatique.  Grâce à une action rapide et décisive, ces pays ont été largement épargnés par l’impact sanitaire de la COVID-19.  Mais nombre d’entre eux sont lourdement endettés, et leur économie est aujourd’hui en chute libre.  Les petits États insulaires dépendent fortement du tourisme et des envois de fonds, qui sont tous deux au point mort aujourd’hui.  Les ménages qui disposaient d’un revenu sûr sont exposés à un risque imminent de pauvreté et de faim.

De nombreux pays en développement et à revenu intermédiaire sont très vulnérables et sont déjà en situation de surendettement –ou s’y trouveront bientôt– en raison de la récession mondiale.  Les efforts visant à alléger le poids écrasant de la dette ne peuvent se limiter aux pays les moins avancés.  Ils doivent également bénéficier à tous les pays en développement et pays à revenu intermédiaire qui demandent un délai de grâce en raison de la perte d’accès aux marchés financiers.  Il est urgent de trouver des solutions pérennes au problème de la dette afin de créer un espace propice au financement de la reprise et des objectifs de développement durable.

Mon troisième point concerne les créanciers du secteur privé, qui détiennent une part croissante de la dette souveraine des pays en développement.  Toute stratégie globale en matière de dette doit notamment s’appuyer sur un dialogue constructif visant à amener ces créanciers à chercher des solutions.  Nous devons trouver des moyens créatifs et des mesures d’incitation permettant d’encourager les créanciers opérant aux conditions du marché à se joindre aux efforts visant à alléger la dette.

Quatrièmement, le financement extérieur.  Les investissements directs, les exportations et les envois de fonds sont en forte baisse.  Nous ne pouvons pas laisser cette situation s’installer.  Nous nous devons d’envoyer un signal clair et de renforcer la confiance pour relancer l’investissement dans le développement durable.  L’alignement des incitations destinées aux systèmes financiers mondiaux sur les objectifs de développement durable permettrait précisément d’envoyer un tel signal.

Cinquièmement, la lutte contre les flux financiers illicites.  L’optimisation fiscale, la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et la corruption privent déjà les pays en développement de centaines de milliards de dollars chaque année.  Nous devons colmater les fuites.  À moyen terme, nous devons également avoir le courage et la volonté de réexaminer les systèmes nationaux et les cadres internationaux.

Sixièmement, nous devons reconstruire sur des bases plus durables.  La COVID-19 a exposé et exacerbé des inégalités et des injustices profondes que nous devons combattre – notamment l’inégalité de genre.  Les répercussions économiques sont plus graves pour les femmes, qui ont généralement des économies et des revenus inférieurs à ceux des hommes.

Tous nos efforts doivent tendre vers l’élaboration de solutions durables et résilientes qui nous permettent non seulement de venir à bout de la COVID-19, mais aussi de lutter contre la crise climatique, de réduire les inégalités et d’éliminer la pauvreté et la faim.  Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’Accord de Paris permettent précisément de remédier aux défaillances mises au jour et exploitées par la pandémie.  L’ONU est mobilisée pour aider les pays à mettre en œuvre ces accords tout au long de la crise liée à la COVID-19 et au-delà.

Nous vivons une époque aussi difficile que dangereuse, et nous devons relever ce défi avec toute l’urgence, tout le sérieux et toute la responsabilité qui s’imposent.  Surmonter la pandémie de COVID-19 et reconstruire sur des bases plus durables sera coûteux.  Mais ne pas le faire serait plus coûteux encore.  Il s’agit là d’une crise mondiale, et il nous appartient à tous de la régler.  Commençons ici, dès maintenant.  Travaillons ensemble.

Je vous remercie.

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