Le Secrétaire général invite le Conseil de sécurité à inclure la prévention de la violence sexuelle liée aux conflits dans tous les mandats de paix
On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors du débat du Conseil de sécurité consacré aux violences sexuelles en période de conflit, à New York, aujourd’hui:
Je remercie l’Allemagne et S. E. le Ministre fédéral des affaires étrangères, M. Heiko Maas, d’avoir organisé cet important débat. Je souhaite la bienvenue aux lauréats du prix Nobel de la paix, Mme Nadia Murad et le docteur Denis Mukwege, et je les remercie de l’action extraordinaire qu’ils mènent.
Leurs activités de sensibilisation mettent en lumière deux éléments essentiels de notre réponse au crime de violences sexuelles en période de conflit: l’appel à la justice et la nécessité de fournir appui et assistance aux victimes. Bien que leurs efforts aient leur origine en Iraq et en République démocratique du Congo, ils ont des répercussions mondiales. L’ONU est fière de travailler avec les victimes et les rescapé(e)s pour appuyer les mouvements qu’ils ont lancés. Je souhaite également la bienvenue à Mme Inas Miloud et à Mme Amal Clooney, et je les remercie de leur militantisme et de leurs activités de sensibilisation.
Dix ans se sont écoulés depuis la création du mandat et du Bureau de la Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit. Au cours de la dernière décennie, la manière d’appréhender le crime des violences sexuelles liées aux conflits et leurs effets sur la paix et la sécurité internationales, les mesures à adopter pour le prévenir et y mettre fin et la prise en charge multidimensionnelle dont ont besoin les rescapé(e)s a changé.
C’est le résultat des activités de sensibilisation et de l’action menées par des individus, des gouvernements, des institutions et des organisations non gouvernementales. Je félicite toutes les personnes et entités qui ont participé à ces efforts, notamment le Conseil, qui a mis en place un cadre normatif solide pour traiter cette question.
Un nombre croissant de gouvernements se montrent disposés à rechercher la justice et à fournir des services aux rescapé(e)s. Les groupes de défense ont incontestablement démontré que la violence sexuelle est délibérément utilisée comme tactique de guerre, pour terroriser les gens, déshumaniser les communautés et déstabiliser les sociétés, de manière qu’il leur faut des années, voire des décennies, pour se relever.
Les organisations locales de la société civile, dont beaucoup sont des organisations de femmes, sont en première ligne de nos efforts pour prévenir ce crime et garantir une réparation, et elles méritent notre appui ferme et constant. Des personnes héroïques, dont certaines sont parmi nous aujourd’hui, ont fait preuve d’un grand courage en dénonçant les dommages énormes et durables causés par ce crime, qui est le plus souvent perpétré contre les femmes et les filles.
Le système des Nations Unies a redoublé d’efforts en prenant des mesures pour mettre en œuvre les résolutions adoptées par le Conseil sur les femmes et la paix et la sécurité. Pour ne citer que quelques exemples, les soldats de la paix des Nations Unies reçoivent désormais une formation systématique pour prévenir et combattre les violences sexuelles en période de conflit. Nous avons renforcé notre capacité d’enquêter sur les crimes de violence sexuelle et sexiste en déployant des enquêteurs spécialisés auprès des commissions d’enquête des Nations Unies et des tribunaux nationaux et internationaux. Nous avons amélioré nos données et notre analyse de ces crimes, base essentielle pour une prévention efficace. Et nous aidons les gouvernements à améliorer leurs réponses et leurs services pour les rescapé(e)s.
Malgré tous ces efforts, la réalité sur le terrain n’a pas changé. La violence sexuelle reste une caractéristique horrible des conflits partout dans le monde.
Tout au long de ma carrière, j’ai entendu des récits de première main sur la violence sexuelle dans les zones de guerre, de la République démocratique du Congo à l’ex-Yougoslavie. Au Bangladesh, l’année passée, des réfugiés rohingya m’ont parlé du viol collectif de femmes et de filles dans leurs foyers avant qu’elles ne fuient le Myanmar.
C’est pourquoi le Président du Comité international de la Croix-Rouge, Peter Maurer, et moi-même nous sommes engagés, au début de cette année, à redoubler d’efforts pour prévenir et faire cesser ces crimes, et à placer les victimes et les rescapé(e)s au centre de notre action. En même temps, nous avons exhorté les gouvernements à faire davantage pour s’attaquer à ce problème et pour venir en aide aux rescapé(e)s.
Nous devons être conscients que les violences sexuelles en période de conflit touchent principalement les femmes et les filles parce qu’elles sont étroitement liées à des questions plus générales d’inégalité entre les sexes et de discrimination. C’est pourquoi la prévention doit reposer sur la promotion des droits des femmes et de l’égalité des genres dans tous les domaines avant, pendant et après les conflits, notamment en assurant la participation pleine et effective des femmes à la vie politique, économique et sociale et la mise en place d’institutions de justice et de sécurité accessibles et adaptées.
Nous devons aussi reconnaître qu’il existe des liens entre les violences sexuelles en période de conflit, les inégalités entre les sexes et la discrimination et l’extrémisme violent et le terrorisme. Les extrémistes et les terroristes fondent souvent leurs idéologies sur l’assujettissement des femmes et des filles et utilisent la violence sexuelle de diverses manières, allant du mariage forcé à la réduction en esclavage.
La violence sexuelle continue d’alimenter les conflits et compromet gravement les perspectives d’une paix durable. Mon rapport (S/2019/280) présente une série de recommandations visant à fournir une approche globale de la violence sexuelle liée aux conflits.
La prévention est un thème fort présent tout au long de ces recommandations. J’encourage le Conseil à inclure la prévention de la violence sexuelle liée aux conflits dans toutes ses résolutions portant sur la situation d’un pays ainsi que dans les mandats des opérations de paix.
J’encourage également le Conseil à tenir pleinement compte de la question des violences sexuelles liées aux conflits dans les activités de ses comités des sanctions et à inclure des mesures visant à prévenir ces crimes dans ses initiatives de réforme du secteur de la sécurité et du secteur judiciaire.
Il est également essentiel de renforcer la prévention dans le contexte des efforts de rétablissement de la paix déployés par le Conseil.
Nous savons que lorsque des femmes participent à des missions de maintien de la paix, le taux de dénonciation des crimes de violence sexuelle augmente et que la protection contre la violence sexuelle est renforcée. Lorsque des femmes participent aux négociations de paix, il y a plus de chances que les auteurs de ces crimes soient amenés à en répondre. Lorsque des femmes participent à la surveillance du cessez-le-feu, elles peuvent veiller à ce que le suivi des actes de violence fondée sur le genre et la communication d’informations y relatives soient garantis.
Mes recommandations soulignent également la nécessité de renforcer les efforts en faveur de la justice et de l’application du principe de responsabilité. Même s’il y a eu quelques condamnations très médiatisées, les auteurs de violences sexuelles liées aux conflits jouissent d’une impunité généralisée. La plupart de ces crimes ne font jamais l’objet d’une plainte ou d’une enquête, et encore moins de poursuites.
Je recommande notamment d’appuyer plus résolument l’action que mènent les autorités nationales pour réformer les lois, gagner en efficacité dans les enquêtes et les poursuites, et protéger de la stigmatisation et de la peur de représailles les rescapé(e)s qui témoignent. Je souligne également la nécessité de renforcer l’appui apporté aux rescapé(e)s et à leurs familles, notamment en matière d’accès aux soins de santé, de réparations et d’autres formes d’assistance.
Je salue les efforts déployés par le docteur Mukwege pour créer un fonds mondial d’aide aux victimes et j’appelle tous les États Membres à y contribuer afin que ce fonds puisse transformer la vie des personnes touchées et leur donner accès à des réparations.
Je remercie les membres du Conseil pour le leadership dont ils ont fait preuve ces 10 dernières années. Ce programme a bénéficié à la fois de l’engagement et du consensus des membres du Conseil, et j’encourage les membres du Conseil à continuer d’œuvrer de concert pour aplanir les divergences qui les opposent. L’action menée au niveau mondial pour faire face à ces crimes doit permettre de punir leurs auteurs et d’apporter un appui global aux rescapé(e)s, dans le plein respect de leurs droits fondamentaux.
Ensemble, nous pouvons et devons remplacer l’impunité par la justice et l’indifférence par l’action.