Le Secrétaire général propose au Conseil de sécurité une réflexion « novatrice » sur la médiation pour résoudre les conflits complexes actuels
On trouvera ci-après la déclaration faite aujourd’hui par le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, à la réunion du Conseil de sécurité sur le maintien de la paix et de la sécurité internationales:
Les guerres deviennent de plus en plus complexes, tout comme les efforts de médiation en faveur de la paix. De nos jours, les conflits internes ont souvent des dimensions régionales et transnationales. Nombre d’entre eux sont caractérisés par un mélange fatal de groupes armés fragmentés et d’intérêts politiques financés par des activités criminelles. Dans différentes régions du monde, des conflits perdurent pendant des années et des décennies, entravant le développement et freinant l’exploitation du potentiel national. Il est de plus en plus difficile de conclure des accords de paix globaux, qui sont en outre de plus en plus éphémères. La volonté politique s’affaiblit; l’attention de la communauté internationale se détourne. Par exemple, depuis des décennies, la République centrafricaine connaît des conflits nationaux et locaux qui se chevauchent, alors qu’une quinzaine d’accords de paix ont été signés dans ce pays depuis 1997.
Même si la situation dans de nombreuses régions du monde laisse à désirer, je suis convaincu qu’il est en notre pouvoir de nous attaquer à ces tendances et de les inverser. C’est pourquoi, depuis le début de mon mandat, l’une de mes principales priorités a été d’intensifier les efforts diplomatiques en faveur de la paix. Comme je n’ai cessé de le souligner, nous devons faire de la prévention notre priorité. Toutefois, la prévention implique également des investissements dans la médiation, la consolidation de la paix et le développement durable. Nous devons faire preuve d’audace et d’originalité pour mettre en commun les mécanismes et les capacités à notre disposition dans le domaine de la médiation.
L’ONU dispose de nombreuses ressources en matière de médiation, que nous déployons de diverses façons. Mes envoyés et représentants spéciaux agissent par la voie de consultations, de bons offices et de négociations officielles, souvent aux côtés d’envoyés et de médiateurs d’organisations régionales ou d’États Membres. Ils dirigent parfois des processus politiques, comme en Libye ou au Yémen. Ils peuvent diriger une opération complexe de maintien de la paix, comme au Mali, ou se concentrer sur la prévention par l’intermédiaire d’un bureau régional, comme en Afrique de l’Ouest.
La coopération avec d’autres acteurs en matière de médiation est essentielle. Je voudrais citer à cet égard deux exemples récents. À Madagascar, mon Conseiller spécial a travaillé en étroite coordination avec les Envoyés spéciaux de l’Union africaine, de la Communauté de développement de l’Afrique australe, de l’Union européenne et de l’Organisation internationale de la Francophonie pour faciliter un processus de négociations pacifiques et inclusives dirigé par les Malgaches, en vue de la tenue d’élections libres et justes. En Gambie, l’action coordonnée de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, de l’Union africaine, de l’ONU et des pays voisins a permis d’éviter une crise politique majeure et d’appuyer une transition démocratique.
Les membres de l’Équipe de médiateurs de réserve prodiguent des conseils en République centrafricaine sur les questions relatives à la justice transitionnelle, dans le cadre du processus de paix en cours dans ce pays. Au Yémen, ils participent à la mise en place du processus de médiation dirigé par mon Envoyé spécial. Au Soudan du Sud, ils ont apporté leur appui à l’Autorité intergouvernementale pour le développement, qui dirige le processus de médiation. L’implication résolue de la région, en particulier des pays voisins –avec l’appui du Conseil de sécurité– a été un élément essentiel de l’accord conclu récemment par les dirigeants sud-soudanais en vue de mettre un terme au conflit.
Des contacts discrets jouent également un rôle. Les pourparlers qui continuent d’être menés avec les Taliban, malgré des années de guerre et de combats, loin des projecteurs, permettent de préciser les positions des uns et des autres. Cette approche a également joué un rôle constructif en vue de la reprise des contacts avec la République populaire démocratique de Corée. En outre, l’ONU travaille en collaboration avec des acteurs privés dans le domaine de la médiation, notamment les organisations non gouvernementales, qui ont parfois une plus grande marge de manœuvre pour établir des contacts et encourager le dialogue avec les groupes armés, les milices et d’autres acteurs. Par ailleurs, de l’Afghanistan au Zimbabwe, un grand nombre d’autres acteurs –organismes nationaux et groupes de la société civile, notamment les organisations de femmes, les chefs religieux et les jeunes militants– jouent un rôle dans les efforts de médiation au niveau local et communautaire.
Recourir à la médiation pour mettre fin aux conflits complexes d’aujourd’hui signifie que nous devons mutualiser et coordonner tous ces mécanismes. Nous devons également trouver de nouveaux moyens pour adopter des approches plus inclusives, qui sont essentielles pour que les efforts de médiation soient couronnés de succès. C’est ce que nous essayons de faire à l’ONU. Je continue d’offrir mes bons offices et d’intervenir personnellement chaque fois que cela peut apporter une valeur ajoutée, aux côtés de mes envoyés et représentants spéciaux, en faisant fond sur l’expertise de l’ONU dans son ensemble et de la communauté des médiateurs en général.
Pour compléter mes efforts et ceux de mes envoyés, j’ai créé le Comité consultatif de haut niveau chargé des questions de médiation. Je salue la présence de l’archevêque de Canterbury parmi nous aujourd’hui, et je me réjouis à la perspective de coopérer avec lui dans le cadre de plusieurs initiatives concrètes dans les mois à venir. Je tiens également à remercier l’ancien Président nigérian Olusegun Obasanjo, membre du Comité consultatif de haut niveau, qui s’est rendu au Libéria en mon nom pour apporter son appui au transfert pacifique du pouvoir après les élections de 2017. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de la façon dont nous pouvons déployer les membres du Comité consultatif de haut niveau pour faire avancer la cause de la prévention des conflits. Les membres du Comité consultatif de haut niveau ont de l’expérience et des réseaux dans le domaine de la médiation, à tous les niveaux. Je compte sur eux pour fournir des conseils adaptés à la situation, pour trouver de nouveaux points d’ouverture et pour faciliter la création et le renforcement des capacités de nos partenaires.
Le succès des efforts de médiation et le règlement pacifique des différends exigent une compréhension approfondie des dirigeants et de leurs partisans, ainsi qu’une forte volonté politique. La Déclaration conjointe de paix et d’amitié signée le mois dernier par les dirigeants de l’Éthiopie et de l’Érythrée, après 20 ans de conflit et d’impasse, est un exemple de courage politique, qui a déjà eu des effets positifs dans l’ensemble de la région. Toutefois, nous devons aussi poursuivre et renforcer nos efforts pour aller au-delà des négociations avec les élites politiques et militaires. Cela signifie qu’il faut agir aux niveaux infranational et local pour rétablir la paix à partir de la base. Les autorités locales, la société civile et les chefs traditionnels et religieux ont tous un rôle essentiel à jouer. Par exemple, le processus de la conférence nationale en Libye est un processus inclusif et qui remonte de la base au sommet, qui a permis de recueillir des informations précieuses sur les aspirations du peuple libyen. Mes envoyés appuient les efforts déployés au niveau local pour régler les conflits communautaires au Soudan du Sud et mènent des échanges de vues avec le Comité consultatif des femmes syriennes et le Bureau d’aide à la société civile dans le cadre du processus syrien. En République centrafricaine, nous maintenons des contacts au niveau local avec les autorités nationales et les chefs religieux pour appuyer l’initiative de l’Union africaine.
Nous investissons également dans une participation véritable et le leadership des femmes en ce qui concerne les processus de paix, en veillant à ce que les femmes soient toujours représentées à la table des négociations et puissent faire entendre leur voix. J’insiste sur l’importance des processus inclusifs auprès de mes envoyés spéciaux et j’ai nommé trois femmes à des postes de médiation de haut niveau ces derniers mois. L’émergence de réseaux régionaux de médiatrices est une autre évolution importante. Le Réseau des médiatrices de paix des pays nordiques et FemWise, le réseau de médiatrices de l’Union africaine, sont des exemples notables à cet égard. Les membres de mon Conseil consultatif de haut niveau sont déjà en contact avec ces groupes.
Dans le cadre de la médiation inclusive, il faut accorder davantage d’attention aux dimensions sexospécifiques des conflits, notamment la violence sexuelle liée au conflit et les effets qu’ont, selon le sexe, les décisions relatives à la reconstruction au lendemain de la guerre. Par exemple, la mise en place d’un comité constitutionnel au lendemain d’un conflit ou d’un système fédéral peut avoir des incidences importantes sur les femmes et leur participation.
Nous devons également faire davantage pour établir des contacts avec les jeunes, qui sont des agents incontournables du changement et des défenseurs de la paix. Nous notons avec satisfaction que six jeunes réfugiés ont participé en qualité d’observateurs au Forum de haut niveau pour la revitalisation au Soudan du Sud. Nous devons encourager et soutenir la participation des jeunes hommes et des jeunes femmes aux processus de paix. Nous organiserons la première conférence internationale sur ce sujet à Helsinki au début de l’année prochaine.
Enfin, nous devrions investir dans les possibilités de médiation et de conciliation offertes par les technologies de l’information. Nous sommes tous conscients du rôle que les médias sociaux peuvent jouer pour exacerber les divisions et provoquer l’hostilité. Cependant, les plateformes sociales peuvent aussi être un outil pour rassembler les communautés, stimuler le dialogue, partager l’information et réparer les injustices de l’histoire.
Les parties au conflit sont très au fait des divisions de la communauté internationale et elles en jouent. Le Conseil de sécurité occupe une place centrale dans le règlement des conflits, en particulier lorsqu’il signale aux belligérants qu’ils doivent résoudre pacifiquement leurs différends. Lorsque le Conseil est uni, nous sommes tous plus efficaces, y compris dans nos efforts de médiation. Lorsque le Conseil ne parvient pas à s’unir, nos efforts de médiation en souffrent. Les membres du Conseil, et plus largement les États Membres, peuvent également soutenir les efforts de médiation en veillant à ce que les régions parlent d’une seule voix. Les messages cohérents des organisations régionales et sous-régionales, qui ont l’expertise, l’expérience et la capacité nécessaires pour trouver des réponses novatrices aux défis les plus difficiles à relever, peuvent être d’un grand soutien aux travaux du Conseil.
Au fur et à mesure que le paysage des conflits a changé, notre compréhension de ce qui constitue un processus de médiation efficace a changé. Une réflexion novatrice sur la médiation n’est plus une option; c’est une nécessité. J’exhorte les représentants à s’engager en faveur d’une utilisation plus efficace de la médiation comme outil pour sauver et améliorer la vie de millions de personnes dans le monde.