Appel à l’action du Secrétaire général face à la famine et aux souffrances liées aux conflits au Soudan du Sud, en Somalie, au Yémen et au Nigéria
On trouvera ci-après la déclaration du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, lors de la réunion du Conseil de sécurité, tenue aujourd’hui, sur la famine dans plusieurs théâtres de conflit:
Il y a neuf mois, quelque 20 millions de personnes étaient exposées à un risque sérieux de famine au Soudan du Sud, en Somalie au Yémen et dans le nord-est du Nigéria. Près de 100 000 personnes au Soudan du Sud étaient au bord de la famine.
À l’époque, j’ai fait part de ma profonde préoccupation aux États Membres dans deux lettres dans lesquelles j’ai appelé à agir et à apporter une aide urgente aux organismes d’aide humanitaire et de développement. J’ai aussi tenu une conférence de presse ici à New York sur la crise, avec les principaux responsables du Programme mondial pour l’alimentation, du Bureau de la coordination des affaires humanitaires, du Programme des Nations Unies pour le développement, et avec des représentants de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et de l’UNICEF.
En mars, je me suis rendu en Somalie où j’ai constaté de visu le besoin d’une augmentation massive de l’aide internationale pour éviter la famine. J’ai entendu des récits déchirants de personnes forcées d’abandonner leurs foyers à cause de la sécheresse, et le mois dernier, la réunion de haut niveau sur la famine organisée en marge de l’Assemblée générale a mis en lumière la persistance de nos graves préoccupations.
La communauté internationale a répondu rapidement à ces alertes. Les donateurs ont répondu présents. Environ 70% des fonds requis ont été reçus. Les opérations d’acheminement de l’aide ont été accélérées. Les organismes humanitaires et leurs partenaires font bénéficier maintenant chaque mois près de 13 millions de personnes d’une assistance alimentaire et nutritionnelle vitale, de soins de santé et autre aide. Les partenaires de développement ont aussi répondu présents en travaillant avec les organismes humanitaires pour faire le lien entre les secours d’urgence et les programmes à long terme visant à rompre le cycle du risque et de la vulnérabilité.
Mais bien que nous ayons réussi à prévenir la famine, nous n’avons pas pu faire autant avec les souffrances.
La famine reste une réalité pour des millions de personnes. Les enfants âgés de moins de 5 ans porteront toute leur vie les séquelles physiques et psychiques du retard de croissance.
En fait, au cours des neuf derniers mois, le besoin en aide humanitaire s’est accru dans ces quatre régions. Le nombre de personnes à risque a augmenté. Au Soudan du Sud, environ 6 millions de personnes vivent dans une insécurité alimentaire grave – soit 5 millions de plus depuis le depuis de l’année.
L’aide humanitaire sauve des vies, mais nous n’avons pas remédié à l’une des causes profondes de ces crises alimentaires: les conflits.
Quelque 80% des fonds fournis par le Programme alimentaire mondial vont à des régions touchées par les conflits. Environ 60% des 815 millions de personnes souffrant de la faim vivent aujourd’hui à l’ombre de conflits. Trois-quarts des enfants souffrant de retards de croissance dans notre monde vivent dans des pays déchirés par les conflits. Tant que ces conflits ne seront pas réglés, et tant que le développement ne prendra pas racine, des communautés et des régions entières continueront d’être ravagées par la faim et la souffrance.
Je voudrais parler de chacune de ces crises individuellement.
Dans le nord-est du Nigéria, quelque 8,5 millions de personnes ont maintenant besoin d’une aide humanitaire.
Il y a eu des améliorations concrètes en matière de sécurité alimentaire dans certaines régions grâce aux efforts du Gouvernement et des organisations humanitaires, mais les organismes humanitaires se heurtent à des obstacles du fait des attaques continues de Boko Haram, tandis que les opérations de l’armée nigériane affectent aussi l’accès humanitaire. Nous pensons que jusqu’à 700 000 personnes dans certaines parties totalement inaccessibles des États de Borno et de Yobe pourraient avoir besoin d’une aide urgente. Deux-tiers des établissements de santé dans ces deux États ont été endommagés, et ceux qui fonctionnent encore manquent de personnel, d’eau potable, et de médicaments et d’équipements de base, ce qui pose de graves défis face à des épidémies de choléra, de paludisme et de rougeole.
En Somalie, plus de 6 millions de personnes dépendent de l’aide humanitaire pour leur survie. Les organismes humanitaires et leurs partenaires sont confrontés à des conflits armés, à l’insécurité, à des routes bloquées, et à une bureaucratie inutile. Quatre agents humanitaires ont été tués au cours des huit premiers mois de cette année, et plus de 100 incidents violents ont affecté les organisations humanitaires.
De vastes régions du sud et du centre de la Somalie restent encore sous le contrôle ou l’influence des Chabab. Près de 1,9 million de personnes ayant besoin d’aide sont hors de portée des organismes humanitaires. L’accès par les routes est gravement limité par des postes de contrôle et des barrages illégaux. Les Chabab et d’autres groupes armés non étatiques ciblent les humanitaires et confisquent ou détruisent les fournitures d’aide. Pendant ce temps, le Gouvernement impose fréquemment des obstacles bureaucratiques, comme l’imposition arbitraire de taxes ou l’ingérence dans le recrutement et dans l’octroi des contrats.
Au Soudan du Sud, la famine localisée a été évitée, mais une insécurité alimentaire grave a atteint des niveaux sans précédents. Le Gouvernement et les groupes de l’opposition empêchent les organismes humanitaires d’atteindre les zones qui ont besoin d’une aide urgente, notamment certaines parties des régions de l’Équatoria, du Haut-Nil et du sud et de l’ouest de Wau.
Dix-neuf agents humanitaires ont été tués depuis le mois de janvier, et plus de 440 autres ont été réaffectés. Les stocks de fournitures humanitaires sont régulièrement pillés des convois et des bâtiments. Plus de 830 incidents liés à l’accès ont été signalés cette année, et dans plus de la moitié des cas les organismes humanitaires ont été la cible d’actes de violence. Cela équivaut à plus d’une attaque par jour contre les organismes humanitaires. Le Gouvernement et les forces de l’opposition sont impliqués. L’effondrement de l’économie a eu pour corollaire une généralisation de la violence et une recrudescence de la criminalité, rendant ainsi l’acheminement de l’aide alimentaire encore plus dangereux.
Au Yémen, le Programme alimentaire mondial et ses partenaires ont aidé à prévenir la famine en atteignant 7 millions de personnes en août – une augmentation de plus de 60% depuis le premier semestre de l’année, mais des millions d’autres personnes continuent d’en pâtir. L’accès à environ 700 000 personnes dans les gouvernorats de Saada, Hajjah, Al Hodeïda et Taez reste difficile en raison des obstacles bureaucratiques, des raids aériens, des tirs d’artillerie et des combats au sol.
Tant l’alliance des forces loyales à Abdelmalek Al-Houthi et à Ali Abdallah Saleh, qui contrôlent Sanaa, la capitale, que le Gouvernement yéménite ont limité les mouvements du personnel et l’acheminement de l’aide humanitaires. Un blocus économique a entraîné une hausse de plus de 50% du prix des carburants, et de plus de 30% du prix des produits alimentaires, par rapport à ce qu’ils étaient avant la crise. Dans l’intervalle, la plus grave épidémie de choléra au monde a tué plus de 2 000 personnes, et le nombre de cas suspects a atteint quelque 800 000.
Les parties aux conflits dans ces quatre pays se sont engagées à respecter le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, mais la plupart d’entre elles n’ont pas donné suite à leurs engagements. J’engage ceux qui exercent une influence sur elles à leur rappeler qu’elles sont tenues de traduire leur engagement en mesures pratiques et de lutter immédiatement contre l’impunité. Autrement dit, elles doivent autoriser et faciliter rapidement un passage sans entraves des secours humanitaires, n’imposer des restrictions que de bonne foi, et respecter et protéger le personnel et les fournitures humanitaires.
Je demande également que des mesures soient prises d’urgence pour s’attaquer aux causes profondes des conflits, améliorer l’accès et atténuer les souffrances humaines.
Plus précisément, je demande au Conseil de continuer à accompagner et à appuyer le processus politique en Somalie et à encourager le Gouvernement fédéral somalien et les États membres de la Fédération à stabiliser leurs relations. Nous constatons avec inquiétude que ce processus ne se déroule pas aussi bien que nous le souhaiterions. En l’absence de progrès sur le plan politique et de la sécurité, toute amélioration de la situation humanitaire ne peut être que temporaire. Il importe au plus haut point d’apporter des précisions sur des questions clefs relatives aux États membres de la Fédération, notamment la répartition des pouvoirs et les accords sur le partage des revenus et des ressources entre le Gouvernement fédéral et les États. Je me félicite des efforts déployés par le Gouvernement et plusieurs États membres de la Fédération pour améliorer l’accès en dégageant les routes et en supprimant les points de contrôle illégaux, et je demande que les progrès se poursuivent à cet égard.
Au Nigéria, j’encourage le Gouvernement et ses homologues de la région du bassin du lac Tchad à élaborer une stratégie régionale pour s’attaquer aux causes profondes de cette crise. J’exhorte tous les partenaires à redoubler d’efforts pour fournir une aide humanitaire et pour apporter des solutions à long terme permettant de parvenir au développement durable. Il est essentiel de renforcer la présence civile dans les zones nouvellement accessibles et je salue les efforts déployés par le Gouvernement à cette fin.
Au Yémen, nous faisons face à de plus en plus d’obstacles et d’ingérence de la part l’alliance entre les houthistes et les unités fidèles à Ali Abdullah Saleh qui contrôle Sanaa, alors que le Gouvernement yéménite et ses partenaires regroupées au sein de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite essaient de rétablir leur légitimité. J’appelle toutes les parties à garantir un accès sans entrave aux personnes qui ont besoin d’aide. Je réitère mon appel en faveur du versement des salaires des fonctionnaires et du bon fonctionnement, sans interruption, du port d’Hodeïda. Ce qu’il faut en priorité, c’est que les parties retournent à la table des négociations et concentrent leurs efforts à la conclusion d’un accord. Les États Membres qui ont une influence sur les parties doivent également jouer leur rôle.
Enfin, j’exhorte les parties au conflit au Soudan du Sud à prendre des mesures urgentes pour prévenir l’exacerbation de l’insécurité alimentaire et l’intensification des mouvements de réfugiés qui menacent de déstabiliser la région et continuent de provoquer des souffrances humaines et la misère. J’encourage tous les États Membres à appuyer le forum de haut niveau sur la revitalisation du processus de paix, une initiative de l’Autorité intergouvernementale pour le développement, qui a progressé ces dernières semaines. J’exhorte le Gouvernement à faciliter l’accès aux personnes qui ont besoin d’aide, à assurer la sécurité des travailleurs et des fournitures humanitaires et à éliminer les obstacles bureaucratiques à l’acheminement de l’aide.
Le mois dernier, les organismes des Nations Unies chargés de l’alimentation et de la nutrition ont publié le rapport intitulé L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2017. Ce rapport met en relief l’inversion apparente de la tendance baissière sur le long terme de la courbe de la faim dans le monde. Inévitablement, les conflits et les violations du droit international humanitaire exacerbent la vulnérabilité à toutes sortes de menaces, y compris l’insécurité alimentaire, et à leur tour, ces menaces amènent les populations à fuir. Le Programme alimentaire mondial estime qu’une augmentation de 1% de l’insécurité alimentaire entraîne une augmentation de 2% du nombre de réfugiés.
Quand un conflit éclate dans un pays, les pays voisins sont sollicités pour fournir de la nourriture et des services de base aux réfugiés. Cela peut conduire à davantage d’instabilité et avoir des répercussions sur la sécurité de toute une région et au-delà.
Comme toujours, la prévention doit être notre mot d’ordre. Les mécanismes d’alerte rapide en ce qui concerne la famine ont bien fonctionné dans le nord-est du Nigéria, au Yémen, en Somalie et au Soudan du Sud. Nous continuerons à appuyer la prévention de la famine et l’aide humanitaire.
L’aide humanitaire et le renforcement du respect du droit international doivent aller de pair avec des investissements dans une paix pérenne et des solutions globales à long terme.
Ces pays sont confrontés à l’extrémisme violent et sont en même temps touchés par la récession économique et la baisse des prix du pétrole. Il s’agit d’exemples patents des défis complexes et multidimensionnels auxquels nous sommes confrontés. Il leur faut une approche à l’échelle du système qui tient compte du lien entre le développement et l’action humanitaire et de son lien avec la paix.
Les organismes de développement doivent intervenir rapidement, en proposant des solutions innovantes. La Banque mondiale a montré qu’il était possible de mettre en œuvre des programmes axés sur le développement, en complément des interventions humanitaires, même dans des pays fragiles comme le Yémen.
Je salue ces efforts, auxquels doivent participer les pays voisins au sein de la région et les États qui sont en première ligne des efforts déployés. À long terme, nous devons donner la priorité à ce qu’il faut aux communautés et aux pays pour sortir des conflits et d’une instabilité prolongés. Nous devons aider les gens non seulement pour qu’ils puissent survivre, mais aussi prospérer.
Pour le moment, nous devons nous engager d’urgence à accroître l’aide humanitaire et à financer les programmes qui sont déjà en place. Partout où nous n’avons pas pu prévenir ou régler un conflit, nous devons aider les victimes et les survivants de ce conflit.
Il est inadmissible que les organismes humanitaires soient obligés de prendre des décisions où ils doivent choisir entre la vie ou la mort en fonction de qui doit recevoir de l’aide ou pas, en raison d’une pénurie de ressources.
Je tiens à remercier les membres du Conseil de leur solidarité et sollicite leur engagement et leur appui continus.