SG/SM/18728-SC/13013

Myanmar: le Secrétaire général demande au Conseil de sécurité de faire front commun et d’appuyer l’action de l’ONU pour mettre fin à la tragédie

On trouvera ci-après la déclaration du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, lors du débat du Conseil de sécurité tenu aujourd’hui sur la situation au Myanmar:

Je me félicite de cette occasion de faire un exposé au Conseil sur la crise au Myanmar.

Le 2 septembre, j’ai écrit au Conseil, l’exhortant à des efforts concertés pour prévenir une nouvelle escalade de la crise dans le nord de l’État rakhine.  Je suis encouragé de voir qu’en moins d’un mois, le Conseil a examiné la situation à quatre reprises.

La réalité sur le terrain exige une action -une action rapide- pour protéger la population, atténuer les souffrances, empêcher une aggravation de l’instabilité, s’attaquer aux causes profondes de la situation et forger enfin une solution durable.

L’exposé qui suit est fondé sur les données que nous avons recueillies sur le terrain et présente ce qui, autant que nous puissions voir, s’est passé, i se passe encore et doit être fait.

La crise actuelle s’est gravement détériorée depuis les attaques du 25 août conduites par l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan contre les forces de sécurité du Myanmar.  Aujourd’hui, je condamne une fois encore ces attaques.  Depuis lors, la situation a dégénéré et est devenue la crise des réfugiés qui se développe le plus rapidement au monde, entraînant une situation humanitaire et des droits de l’homme cauchemardesque.

Je continue d’appeler les autorités du Myanmar à prendre trois mesures immédiates: premièrement, mettre fin aux opérations militaires; deuxièmement, permettre un accès sans entrave de l’aide humanitaire; et, troisièmement, garantir le retour en toute sécurité, librement consenti, dans la dignité et durable des réfugiés dans leurs régions d’origine.

Je voudrais maintenant examiner ce que nous savons des opérations militaires qui ont eu lieu depuis le 25 août.

S’il y a eu des versions contradictoires dans un environnement extrêmement complexe, certains éléments sont clairs.  Au moins 500 000 civils ont fui leurs foyers et trouvé refuge au Bangladesh.  Bien que le nombre total de déplacés ne soit pas connu, on estime que 94% d’entre eux sont des Rohingya.

L’effroyable situation humanitaire n’est pas seulement un terreau fertile pour la radicalisation; elle expose également les personnes vulnérables, notamment les jeunes enfants, au risque de devenir la proie d’activités criminelles, y compris la traite.  Nous avons entendu des récits qui font froid dans le dos de ceux qui ont fui, principalement des femmes, des enfants et des personnes âgées.  Ces témoignages font état d’une violence excessive et de graves violations des droits de l’homme, notamment de tirs aveugles d’armes à feu, de la présence de mines terrestres et du recours à la violence sexuelle. 

Ces agissements sont inacceptables et doivent cesser immédiatement.  Les règles et principes du droit international des droits de l’homme sont clairs: tout usage de la force par les autorités doit se faire dans le respect des obligations du Myanmar en matière de droits de l’homme en vertu du droit international et être conforme aux normes en matière de droits de l’homme bien établies.  Surtout, ces actions doivent respecter pleinement les droits fondamentaux des personnes touchées, indépendamment de leur appartenance ethnique ou de leur religion.  L’utilisation de la force meurtrière, même dans les situations d’urgence, doit être proportionnelle à la menace à l’ordre public, et il faut s’attacher avec le plus grand soin à réduire au minimum le dommage causé et les pertes en vies humaines, en particulier pour les personnes et les communautés non armées.

Les autorités ont affirmé que les opérations de sécurité se sont terminées le 5 septembre, à la suite d’importants déplacements dans le nord de l’État rakhine, où les Rohingya étaient majoritaires.  Toutefois, les déplacements semblent s’être poursuivis, et des incendies de villages musulmans ainsi que des pillages et des actes d’intimidation nous ont été signalés. 

Les autorités du Myanmar elles-mêmes ont indiqué qu’au moins 176 des 471 villages musulmans que compte le nord de l’État rakhine ont été totalement abandonnés.  Dans le canton de Rathedaung, trois quarts de la population rohingya ont fui.  La plupart des villages et les trois anciens camps pour personnes déplacées ont été entièrement incendiés.  Seules trois communautés musulmanes isolées sont restées à Rathedaung.  Ailleurs aussi, la majorité des villages abandonnés étaient peuplés en majorité de musulmans.

Une tendance inquiétante à la violence, et aux départs massifs des groupes ethniques de leurs foyers qui s’ensuivent, semble se dessiner.  L’incapacité de stopper cette violence systématique pourrait faire que celle-ci ne s’étende au centre de l’État rakhine, où 250 000 autres musulmans pourraient devoir fuir.  Ils sont surpassés en nombre par les communautés rakhine, dont certaines commettent des actes de violence contre leurs voisins musulmans en guise d’autodéfense ou pour faire justice elles-mêmes.

La violence dans l’État rakhine –qu’elle soit le fait de l’armée ou d’éléments radicaux au sein des communautés– doit cesser.  Les autorités du Myanmar doivent s’acquitter de l’obligation fondamentale qui leur incombe d’assurer la sûreté et la sécurité de toutes les communautés et de faire respecter l’état de droit sans discrimination.

Je voudrais en venir maintenant à la question de l’accès humanitaire.  Il est impératif que les organismes des Nations Unies et leurs partenaires non gouvernementaux puissent avoir un accès immédiat et sûr à toutes les communautés touchées.  Je suis vivement préoccupé par ce climat d’hostilité envers les Nations Unies et les organisations non gouvernementales.  En effet, cela pourrait donner lieu à une violence inacceptable, comme les récentes attaques perpétrées contre le Comité international de la Croix-Rouge par des villageois rakhine à Sittwe.

Les autorités du Myanmar ont indiqué à maintes reprises ces derniers jours que le moment n’est pas propice à la reprise d’un accès sans entraves.  Étant donné les besoins énormes, cette position est profondément regrettable.  Les Nations Unies doivent pouvoir atteindre les régions touchées sans plus de retard.

Je voudrais aussi parler de la question du retour en toute sécurité des réfugiés dans leurs localités d’origine.  Je demande aux membres du Conseil de sécurité de se joindre à moi pour exiger que tous ceux qui ont fui au Bangladesh puissent exercer leur droit à un retour dans leurs foyers en toute sécurité, librement consenti, dans la dignité et durable.  Les autorités du Myanmar se sont engagées à utiliser le cadre établi dans la Déclaration conjointe des Ministres des affaires étrangères du Bangladesh et du Myanmar de 1992 pour faciliter ces retours. 

Certes, cela peut être un point de départ utile, mais ce n’est pas assez dans les circonstances présentes.  Surtout, ce cadre ne fait pas référence au règlement de la cause profonde du déplacement et il exige en outre la présentation de documents que les Rohingya qui ont fui ne sont peut-être pas en mesure de fournir.  L’ONU veut un plan pour un retour librement consenti et appelle la communauté internationale à appuyer un tel effort.  Cela doit inclure une aide au développement des villages des Rohingya de retour dans leurs foyers, et la mise en œuvre des recommandations formulées par la Commission consultative sur l’État rakhine concernant la vérification et la citoyenneté.  Le rapatriement librement consenti exige aussi, comme première mesure, l’immatriculation des réfugiés au Bangladesh, selon les normes internationalement reconnues.  L’ONU est prête à aider le Myanmar et le Bangladesh dans toutes les phases de cet important processus. 

Pour veiller à un retour en toute sécurité, librement consenti et dans la dignité des réfugiés dans l’État rakhine –conformément au droit international des réfugiés–, il faudra que se rétablisse la confiance mutuelle entre les communautés.  L’amélioration des relations entre les communautés est un aspect critique d’un règlement durable de la crise et l’une des recommandations essentielles de la Commission consultative sur l’État rakhine dirigée par M. Kofi Annan. 

Dans cet environnement extrêmement complexe, les autorités du Myanmar doivent s’efforcer de désamorcer les tensions et de défendre et protéger les droits de toutes les communautés, notamment les droits de propriété.  Ceux qui ont fui doivent pouvoir retourner chez eux en paix et ne pas avoir à subir encore un autre cycle de violence.  Il serait particulièrement important d’éviter d’installer encore une fois les déplacés dans des endroits où les conditions de vie sont proches de celles d’un camp.

Au Bangladesh, les Nations Unies continuent d’accélérer leur réponse humanitaire.  Le Haut-Commissaire pour les réfugiés s’y est rendu il y a quelques jours.  Dans les deux prochaines semaines, le Programme alimentaire mondial, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’UNICEF vont se rendre dans la région frontalière du Bangladesh.  Le 9 octobre, le Haut-Commissariat pour les réfugiés, l’OCHA et l’OIM convoqueront une conférence des donateurs.

Lors de ma rencontre la semaine dernière avec la Première Ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, je l’ai vivement remerciée des soins fournis aux réfugiés.  Je félicite les pays qui appuient le Bangladesh dans sa réponse.  Je voudrais aussi souligner qu’il importe que le Myanmar et le Bangladesh renforcent leur coopération.  À cet égard, je salue la visite de haut niveau que doivent prochainement effectuer des représentants du Myanmar au Bangladesh.

La crise a eu de nombreuses répercussions sur les pays voisins et sur la région dans son ensemble, notamment le risque d’affrontements entre communautés.  On ne doit pas s’étonner si des décennies de discrimination et le deux poids, deux mesures dans le traitement des Rohingya ouvrent la voie à la radicalisation.  Ce dont nous avons besoin à l’avenir, ce sont des partenariats efficaces avec les autorités du Myanmar, en particulier avec les militaires.  Il faut que toutes les parties concernées s’abstiennent de toute action susceptible d’aggraver la situation déjà précaire sur le terrain. 

Je salue la participation ici aujourd’hui du Conseiller à la sécurité nationale, U Thaung Tun – ainsi que du Représentant permanent du Bangladesh, M. Masud Bin Momen.  J’apprécie les efforts faits par le Conseiller à la sécurité nationale pour engager le dialogue avec les différentes parties prenantes au cours de la semaine de haut niveau de l’Assemblée générale.  En plus des discussions qu’elle a eues avec le Secrétariat sur la coopération future, la délégation du Myanmar a pris contact avec celle du Bangladesh pour essayer de rétablir le dialogue.  Le Myanmar a aussi demandé à l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est de lui fournir l’assistance humanitaire dont il a désespérément besoin. 

J’attends avec intérêt un suivi efficace et crédible de l’engagement pris par les autorités d’autoriser un meilleur accès, notamment à la communauté internationale, aux médias et aux acteurs humanitaires.  La coopération régionale avec le Myanmar sera essentielle aussi, et l’ONU l’appuie résolument.  Je salue le rôle important joué à cet égard par la Ministre indonésienne des affaires étrangères, Mme Marsudi.  Elle a préconisé une approche qui fait écho aux trois points que j’ai soulignés, et c’est aussi ce que de nombreux pays demandent.

La crise a souligné l’urgente nécessité de trouver une solution politique aux causes profondes de la violence.  Le fond du problème, c’est l’apatridie prolongée et la discrimination qui y est associée.  Les recommandations de la Commission consultative sur l’État rakhine dessinent la voie à suivre pour un avenir à long terme.

Les musulmans de l’État rakhine doivent pouvoir obtenir la nationalité.  La loi sur la nationalité actuellement en vigueur au Myanmar ne permet qu’une citoyenneté partielle.  Nous encourageons le Myanmar à réviser cette législation conformément aux normes internationales.  En attendant, un exercice de vérification efficace, comme celui prévu précédemment, devrait permettre à ceux qui y ont droit d’obtenir la nationalité en vertu des lois actuelles.  Tous les autres doivent pouvoir obtenir un statut juridique qui leur permet de mener une vie normale, notamment de circuler librement, d’avoir accès aux marchés du travail, à l’éducation et aux soins de santé. 

Je demande aux dirigeants du Myanmar, notamment aux chefs militaires, de condamner l’incitation à la haine et à la violence raciales, ainsi que de prendre toutes les mesures propres à désamorcer les tensions entre les communautés.  Nous avons pris bonne note des déclarations faites par les autorités de Myanmar que nul n’est au-dessus de la loi.  Il est absolument nécessaire que ceux qui ont commis des violations des droits de l’homme aient à en répondre afin d’endiguer la violence actuelle et de prévenir toute maltraitance à l’avenir.

Les Nations Unies resteront un partenaire proche du Myanmar et collaboreront étroitement avec lui au règlement de ces questions pressantes.  Nous n’avons d’autre intention que d’aider le Myanmar à promouvoir le bien-être de tous les habitants du pays.  Nous n’avons d’autre intérêt que de voir les communautés bénéficier de la paix, de la sécurité, de la prospérité et du respect mutuel.  Et nous n’avons à cœur que d’atténuer les souffrances indicibles de tant de personnes vulnérables – tout en forgeant une solution durable qui affirme les valeurs partagées, promeuve le respect mutuel et défende la dignité humaine. 

Je demande au Conseil de sécurité de faire front commun et d’appuyer l’action que nous menons pour mettre fin à cette tragédie.

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