En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/18537-SC/12842-DH/5362

M. António Guterres rappelle que « prévenir et mettre fin aux conflits » est sa priorité et invite à traduire le droit international humanitaire en réalité

On trouvera, ci-après, l’allocution du Secrétaire général, M. António Guterres, prononcée, aujourd’hui, à l’occasion du débat thématique du Conseil de sécurité consacré à la protection des civils en période de conflit armé:

Je vous remercie, Monsieur le Président, de l’occasion qui m’est donnée d’aborder la question cruciale de la protection des civils en période de conflit armé.

Au cours des 10 années que j’ai passées en tant que Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, j’ai vu, dans les camps et les zones d’installation de réfugiés que j’ai visités aux quatre coins du monde, les conséquences tragiques de notre incapacité à protéger les civils pris dans un conflit.  J’ai entendu d’innombrables histoires horribles et rencontré nombre de femmes et filles, hommes et garçons qui ont fui pour sauver leur vie.  Leurs souffrances sont incalculables, tout comme le potentiel humain gâché qu’ils représentent.  Toutefois, malgré nos efforts, les civils continuent d’être les principales victimes des conflits dans le monde. 

En Syrie, la Commission d’enquête internationale indépendante a recueilli des preuves relativement à des attaques et des sièges persistants, qui ne semblent pas en passe de s’arrêter.  Au Soudan du Sud, de graves violations se poursuivent alors que les parties au conflit prennent pour cible des civils, y compris des travailleurs humanitaires.  Au Yémen, les parties au conflit traquent les civils et s’en prennent à eux. 

Suite aux attaques contre le personnel et les fournitures humanitaires, le personnel recruté sur le plan national continue d’être exposé à des dangers.  L’interdiction délibérée de l’accès à l’aide et le recours abusif aux restrictions bureaucratiques sont de plus en plus fréquents dans les zones de conflit.  Les souffrances atteignent des niveaux intolérables lorsque les civils sont privés de nourriture et de soins de santé suite à des sièges qui peuvent durer des mois voire des années dans certains cas.

Des villes comme Alep, Djouba et Mossoul sont devenues des pièges mortels, et les conséquences de la destruction des logements, des écoles, des marchés, des hôpitaux et des infrastructures essentielles seront ressenties par les générations futures. 

Les attaques contre les hôpitaux et le personnel médical et l’enlèvement des fournitures médicales des convois humanitaires reflètent un grave mépris du droit international et de la protection des civils. 

La violence sexuelle endémique, notamment les viols, les enlèvements, la traite des êtres humains, l’esclavage sexuel et les mariages forcés, contribue aux souffrances disproportionnées infligées aux femmes et aux filles en période de conflit.  Les femmes sont particulièrement en danger dans le contexte de guérillas urbaines, lors de perquisitions de domiciles, d’opérations menées dans des zones résidentielles et de passages aux postes de contrôle.

Cette brutalité a forcé un nombre sans précédent de civils à prendre la fuite en quête de sécurité.  Au niveau mondial, on compte plus de 65 millions de déplacés en raison de conflits, de violences et de persécutions, dont deux tiers dans leur propre pays. 

Ces attaques persistantes contre les civils, conjuguées à l’absence d’accès à l’aide, sont également un facteur important du risque de famine provoquée par des conflits auquel sont exposées 20 millions de personnes au Nigéria, en Somalie, au Soudan du Sud et au Yémen.

Il y a un an, le Conseil de sécurité a pris des mesures spécifiques pour améliorer la protection des soins médicaux en période de conflit armé en adoptant la résolution 2286 (2016).  En août, mon prédécesseur a présenté des recommandations, que j’appuie pleinement, en vue de la mise en œuvre rapide de cette résolution par les États Membres et les autres parties à des conflits. 

On espérait que les conditions de vie de millions de personnes touchées par la guerre et la violence allaient s’améliorer grâce à ces initiatives.  Cependant, il n’y a pas eu beaucoup de changements sur le terrain.  Les attaques contre le personnel médical et les installations médicales continuent et personne n’est épargné. 

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, des attaques contre les installations médicales –y compris les hôpitaux, les médecins et les ambulances–, les blessés et les malades ont été commises dans au moins 20 pays touchés par un conflit en 2016.  Dans la plupart de ces pays, des systèmes médicaux fragiles étaient déjà mis à rude épreuve et le personnel essayait tant bien que mal de soigner un nombre extrêmement élevé de personnes.  Dans la plupart des cas, personne n’a eu à répondre de ces actes.

En Syrie, Médecins pour les droits de l’homme a recensé plus de 400 attaques avérées contre des installations médicales depuis le début du conflit.  Plus de 800 membres du personnel médical ont été tués. 

Au Yémen, quelques mois seulement après l’adoption de la résolution 2286 (2016), 15 personnes, dont 3 membres du personnel médical, ont été tuées lorsqu’un hôpital a été la cible d’une frappe aérienne – alors que le toit du bâtiment avait été clairement marqué et que les coordonnées GPS de l’hôpital avaient été transmises à toutes les parties au conflit. 

En Afghanistan, le nombre d’attaques contre les installations sanitaires et le personnel médical qui ont été signalées en 2016 est presque le double de ce qu’il était en 2015.

Ces attaques sont le reflet d’une tendance générale.  Les parties au conflit traitent les hôpitaux et les cliniques de santé comme des cibles au lieu de respecter leur statut de sanctuaire.  Cela va à l’encontre de l’esprit des Conventions de Genève, des principes fondamentaux du droit international humanitaire et de notre humanité. 

Non seulement ces attaques causent des souffrances immédiates aux patients, aux médecins et à leurs familles mais elles privent également des communautés entières de soins de santé essentiels, ce qui rend ces communautés inhabitables et contribue à la crise mondiale des déplacés. 

En Syrie, plus de la moitié des installations médicales sont fermées ou ne fonctionnent que partiellement, et deux tiers des membres du personnel médical spécialisé ont fui le pays.  Au Soudan du Sud, après des années d’attaques contre des installations médicales, moins de 50% de ces installations sont en service dans les zones touchées par le conflit.  Cela limite fortement les services qu’elles peuvent fournir.

La résolution 2286 (2016) et les recommandations du Secrétaire général constituent un cadre important pour renforcer le respect des normes du droit international humanitaire.  Ce qu’il faut maintenant, ce sont des mesures pour traduire ces mots en réalité.

Des progrès ont été réalisés.  La Suisse et le Canada ont mis en place un groupe informel d’États pour appuyer la mise en œuvre de la résolution 2286 (2016). 

Plusieurs États Membres sont en train de revoir leurs lois et leurs politiques en vue de renforcer la mise en œuvre au niveau national. 

Dans certaines zones de conflit, les parties au conflit et les autorités nationales envisagent de prendre des mesures de désescalade et font des efforts crédibles pour mener des enquêtes en cas d’incidents.

Pour sa part, l’ONU améliore ses activités de collecte de données, ce qui nous permettra de mieux comprendre les tendances et d’agir pour les changer.  L’Organisation mondiale de la Santé compile et partage les informations sur les attaques qui entravent l’accès aux soins médicaux. 

Je salue ces efforts et remercie les organisations de la société civile qui ont joué un rôle très important à cet égard.  J’exhorte tous les acteurs concernés à y faire fond pour faire des progrès en la matière.

De manière plus générale, il y a trois moyens évidents d’améliorer la protection des civils dans le contexte de conflits armés :

Premièrement, nous devons renforcer le respect du droit international humanitaire et des droits de l’homme. 

J’exhorte les parties à des conflits à prendre des mesures concrètes pour limiter les dommages causés aux civils lors des opérations militaires, comme elles en ont l’obligation au titre du droit international, et je demande à tous les États Membres d’user de leur influence pour promouvoir le respect du droit international et amener les auteurs de violations à rendre des comptes. 

J’exhorte les personnes qui jouent un rôle dans les transferts d’armes à faire preuve de plus de responsabilité et à prendre en compte les conséquences que ces ventes peuvent avoir sur des vies humaines et sur notre sécurité commune.  En outre, je prie tout le monde d’appuyer les mécanismes internationaux de responsabilisation qui complètent les efforts nationaux, notamment la Cour pénale internationale.

Deuxièmement, nous devons renforcer la protection des missions humanitaires et médicales en mettant en œuvre les recommandations formulées par mon prédécesseur au sujet de la résolution 2286 (2016).  La portée de la plupart de ces mesures peut et doit être étendue afin de protéger d’autres acteurs humanitaires et tous les civils. 

Nous devons également donner la priorité à la protection des civils dans le cadre des opérations de paix des Nations Unies et veiller à ce que les missions des Nations Unies aient la capacité de s’acquitter de leurs mandats.  Le Conseil de sécurité a un rôle central à jouer ici.  Je demande à tous les États Membres de faire de l’approbation des Principes de Kigali sur la protection des civils une priorité, sans plus tarder.

Troisièmement, nous devons faire davantage pour prévenir les déplacements forcés et trouver des solutions durables pour les réfugiés et les déplacés.  Il nous faut un accord robuste et global pour rétablir l’intégrité du régime international de protection des réfugiés, conformément au respect du droit international des réfugiés, et nous devons nous engager à agir pour améliorer la situation des déplacés. 

Nous devons également nous attaquer aux causes des déplacements de populations.  Pour ce faire, nous devons nous attaquer aux causes profondes des conflits en investissant dans un développement inclusif et durable; en promouvant tous les droits de l’homme –civils, politiques, économiques, sociaux et culturels– et l’état de droit; en renforçant la gouvernance et les institutions; et en renforçant les capacités de médiation, du niveau local au niveau des gouvernements.

Personne n’est gagnant dans les guerres d’aujourd’hui; tout le monde est perdant.  Je lance un appel à tous les dirigeants, aux parties à des conflits et à ceux qui ont une certaine influence pour qu’ils mettent fin à ces conflits qui font rage et pour qu’ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter que d’autres conflits n’éclatent. 

Prévenir les conflits et y mettre fin est ma première priorité en tant que Secrétaire général.  J’appelle tout le monde à en faire également une priorité, pour le bien des millions de civils qui souffrent de par le monde.

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