SG/SM/18448-SC/12725

La paix ne pouvant être tenue pour acquise en Europe, M. António Guterres appelle à régler pacifiquement les conflits, notamment en Ukraine, et à juguler les tensions

On trouvera, ci-après, le message du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcé aujourd’hui au Conseil de sécurité lors du débat sur les conflits en Europe:

J’étais dans un avion hier soir, rentrant à New York depuis Lisbonne, lorsque, durant le vol, l’une des hôtesses m’a apporté une note qui venait du commandant de bord.  Cette note m’annonçait que Vitaly Churkin était décédé.  Je dois avouer que ma première réaction a été l’incrédulité. 

Je n’ai eu l’occasion de travailler avec lui que peu de temps, comme avec nombre de membres du Conseil de sécurité, mais j’avais tout de suite eu l’impression qu’il faisait partie de ces gens qui incarnent la vie même.  Malheureusement, ce n’était ni une plaisanterie de mauvais goût, ni de la désinformation; c’était la vérité. 

Je crois sincèrement que Vitaly Churkin n’était pas seulement un remarquable diplomate, mais aussi un être humain extraordinaire, doué d’une combinaison unique d’intelligence, de savoir, et de fermeté avec laquelle il exprimait ses propres convictions.  Il était également doté d’un sens de l’humour singulier, et d’une nature extrêmement chaleureuse qui nous poussait tous à nous lier naturellement d’amitié avec lui.

Je tiens à exprimer mes plus profondes condoléances à Mme Irina Churkina, à la famille de Vitaly, au Gouvernement et au peuple de la Fédération de Russie, et tout particulièrement aux collègues de Vitaly Churkin à la Mission russe et au Ministère des affaires étrangères.

Je pense que la disparition de Vitaly est une très grande perte pour nous tous à l’ONU, notamment pour le Conseil, où sa voix distinctive s’est fait constamment entendre ces 10 dernières années, et où, je le crois, cette même voix sera regrettée lors des séances à venir.

Je remercie la présidence ukrainienne d’avoir convoqué la présente séance, qui nous donne l’occasion de partir du débat tenu le mois dernier sur la prévention des conflits, et ce de la manière la plus tangible et la plus concrète.

Les deux conflits mondiaux qui ont éclaté en Europe au cours de la première moitié du siècle dernier ont joué un rôle fondamental dans la création de l’Organisation des Nations Unies et du Conseil de sécurité, puisqu’ils sont nés de l’inaltérable conviction que l’on pouvait et que l’on devait prévenir ces guerres. 

Au cours des 70 dernières années, les pays européens ont été à l’avant-garde de la prévention des conflits.  Les institutions européennes ont démontré que rassembler des pays au moyen des mécanismes fondés sur des règles en vue de régler les différends sans recourir à la violence était une stratégie efficace.

Les dirigeants européens ont établi un dispositif collectif de paix et de sécurité sophistiqué et se sont employés à promouvoir l’ensemble des droits de l’homme, aussi bien civils et politiques que sociaux, économiques et culturels.  Beaucoup de sociétés européennes sont multiculturelles, multiconfessionnelles et multiethniques.  Les pays et collectivités qui ont investi sur les plans politique et économique dans la cohésion et l’inclusion montrent que la diversité est source de créativité et d’innovation. 

Cela étant, nous ne devrions pas tenir la paix et la prospérité en Europe pour acquises.  La transition vers un monde multipolaire multiplie les incertitudes et les risques.  Nous avons besoin d’institutions multilatérales et d’organisations régionales solides pour maintenir la paix et la stabilité alors que nous affrontons cette nouvelle réalité dangereuse.  À l’heure où de graves conflits perdurent en Europe, de nouveaux problèmes et menaces se font jour.  Le populisme, le nationalisme, la xénophobie et l’extrémisme violent sont à la fois des causes et des répercussions des conflits.

Le Conseil de sécurité est saisi de nombre de situations de conflit dans la région.  L’ONU travaille en complémentarité avec les organisations et mécanismes régionaux qui ont été créés pour relever ces défis, conformément au Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies. 

L’ONU dirige des efforts en faveur de la paix en Europe, notamment les négociations visant à parvenir à un règlement global et durable de la question chypriote, une question de longue date.  L’ONU et moi-même sommes à la disposition des deux communautés chypriotes et des Puissances garantes pour appuyer les efforts visant à trouver une solution acceptable pour tous.

L’ONU, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et l’Union européenne coprésident les discussions internationales de Genève concernant la Géorgie.  Dans les Balkans, nous coopérons étroitement avec nos partenaires régionaux à l’appui d’une paix durable au Kosovo, dans le contexte de la résolution 1244 (1999).  Grâce aux efforts de mon Envoyé spécial, l’ONU facilite les discussions visant à régler ce qu’on appelle la « question du nom », qui oppose l’ex-République yougoslave de Macédoine à la Grèce. 

Ailleurs, notre action complète les efforts déployés par les acteurs et les mécanismes régionaux, notamment l’OSCE, l’Union européenne et d’autres, pour régler les situations dans le sud du Caucase et en Moldova, ainsi que le conflit en cours en Ukraine.  Le système des Nations Unies est également actif sur le terrain en matière de consolidation de la paix, de gouvernance, de droits de l’homme, de développement et d’état de droit.  Cette action multidimensionnelle est au cœur des liens qui existent entre la prévention des conflits et le maintien de la paix, en promouvant la stabilité dans la région et au-delà.

L’expression « conflit gelé », qui est souvent utilisée pour désigner certains conflits en Europe, est de nature à induire en erreur.  Tant que les accords de paix n’ont pas été signés et mis en œuvre, le risque d’une reprise de la violence persiste, comme nous avons pu le constater en avril dernier au Haut-Karabakh dans le sud du Caucase.  L’ONU appuie pleinement les efforts du Groupe de Minsk de l’OSCE et exhorte les parties au conflit à réduire les tensions et à appliquer pleinement les mesures de prévention des conflits qui ont été adoptées d’un commun accord.  J’exhorte toutes les parties prenantes à faire preuve d’une plus grande volonté politique, non seulement pour renforcer le régime de cessez-le-feu et mettre en œuvre les engagements qui ont été contractés, mais également en vue de la reprise d’un processus de négociation viable et global.

Le conflit transnistrien en Moldova, lui aussi, n’est toujours pas résolu.  Des progrès ont été réalisés dans le cadre du processus « 5 + 2 », mené par l’OSCE, mais il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à un règlement durable dans l’intérêt des populations qui habitent de part et d’autre du fleuve Dniestr. 

Dans les Balkans occidentaux, les conflits dévastateurs des années 90 ont laissé des séquelles graves, et les efforts de réconciliation et de consolidation de la paix n’ont pas encore abouti.  Il est essentiel de préserver les progrès accomplis ces 20 dernières années en Bosnie-Herzégovine et ailleurs.  J’appelle instamment à la poursuite des efforts visant à promouvoir la normalisation des relations entre Belgrade et Priština et à résoudre la « question du nom » qui oppose depuis longtemps la Grèce à l’ex-République yougoslave de Macédoine.

Les crises qui ont éclaté en Géorgie en 2008 et en Ukraine en 2014 montrent qu’il existe toujours un risque de voir de nouveaux conflits apparaître en Europe.  L’ONU appuie pleinement les discussions internationales de Genève, qui entreront bientôt dans leur dixième année, et exhorte les participants à faire preuve de volonté politique pour trouver des solutions innovantes dans l’intérêt de tous.  Des progrès ont été récemment réalisés, notamment en ce qui concerne les questions humanitaires, mais il reste encore beaucoup à faire pour régler des questions importantes qui ont trait à la paix et à la sécurité.  Il faut parvenir sans plus tarder à un accord en ce qui concerne le non-recours à la force, la liberté de mouvement et les personnes déplacées.

Le conflit tragique en cours en Ukraine montre que les violences locales peuvent se transformer en affrontements plus graves.  Elles peuvent avoir des conséquences géopolitiques qui risquent de compromettre la paix et la sécurité régionales et internationales.  Les mises en cause directes de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale nous rappellent que nous devons œuvrer de concert pour préserver et consolider un ordre international fondé sur des règles pour maintenir la paix et la sécurité, conformément à la Charte.

Conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, l’ONU demeure résolue à appuyer le règlement pacifique de ce conflit, de manière à préserver pleinement la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de l’Ukraine. 

L’ONU appuie pleinement les efforts déployés dans le cadre du format Normandie, du Groupe de contact trilatéral et de la Mission spéciale d’observation de l’OSCE et a appelé à maintes reprises toutes les parties à honorer pleinement tous les engagements qu’ils ont pris dans le cadre du processus de Minsk, dans la lettre et l’esprit.  Il faut un cessez-le-feu immédiat et complet.

Je prends note de la réunion tenue le 18 février dans le cadre du format Normandie, qui a entériné les dernières mesures de cessez-le-feu adoptées par le Groupe de contact trilatéral et qui ont sont entrées en vigueur hier, notamment le retrait immédiat des armes lourdes.  J’espère que cela se traduira finalement par des progrès véritables vers la paix, que les populations de l’est de l’Ukraine attendent depuis longtemps.  J’exhorte toutes les parties à faire de la protection des civils leur plus haute priorité.

En ce qui concerne le conflit en Ukraine et toutes les autres situations de conflit, j’exhorte toutes les parties prenantes à éviter des mesures unilatérales ou des tentatives de créer des situations de fait sur le terrain, car cela ne fait que compliquer et saper les efforts visant à parvenir à des règlements négociés.  Cela est particulièrement pertinent compte tenu des dernières mesures prises dans le cadre des conflits dans l’est de l’Ukraine et dans le sud du Caucase.  La communauté internationale doit se garder de prendre de telles mesures.

Les conflits en Europe ne sont pas seulement une tragédie pour les personnes touchées directement: les personnes tuées, blessées ou déplacées, qui ont perdu des êtres chers, qui n’ont pas accès aux soins de santé ou qui perdent des années cruciales d’éducation.  Ces conflits réduisent également à néant les acquis du développement et empêchent les communautés et les sociétés de réaliser pleinement leur potentiel et de contribuer à la prospérité régionale et mondiale.

Le progrès économique et le développement durable reposent sur la stabilité à long terme qui, à son tour, passe par la paix, la sécurité et le respect des droits de l’homme.  On ne saurait imputer l’émergence et la poursuite des conflits en Europe à un seul facteur.  Dans de nombreux cas, les accords de paix ne sont tout simplement pas mis en œuvre.  Parmi d’autres facteurs, on peut citer notamment les mises en cause de la gouvernance démocratique et de l’état de droit ainsi que la manipulation des tensions ethniques, économiques, religieuses et communautaires pour des intérêts personnels ou politiques, alimentés en partie par l’exacerbation des rivalités géopolitiques.

Quelles que soient les causes, l’incapacité des institutions régionales et internationales, y compris notre incapacité, à prévenir et à régler les conflits compromet gravement leur crédibilité ainsi que leurs chances de succès à l’avenir.  J’appelle à une réflexion honnête sur ce cercle vicieux.  J’encourage les États Membres de l’ONU, le Conseil, les mécanismes régionaux et toutes les parties prenantes à redoubler d’efforts pour définir un programme de paix et de sécurité visant à relever les défis complexes actuels.  Le statu quo n’est pas viable.

L’ONU dispose d’outils, de normes, de programmes, d’enseignements et de pratiques exemplaires éprouvés à l’échelle mondiale en matière de médiation, de promotion du dialogue, d’alerte et d’intervention rapides, de prévention et de règlement des conflits et de consolidation de la paix.  Ils sont à la disposition des États Membres et des mécanismes régionaux qui participent à de tels efforts. 

J’exhorte tous ceux qui ont de l’influence à redoubler d’efforts pour régler les conflits en cours et faire en sorte que les tensions actuelles n’entraînent de nouveaux conflits.  Cela est essentiel pour préserver la stabilité et la coopération en Europe et au-delà, sur la base de la confiance et du respect mutuels.  L’ONU et moi-même, personnellement, sommes disposés à vous soutenir.

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