La route vers un monde meilleur, un monde plus sûr, un monde plus juste est en chacun de nous, estime le Secrétaire général
On trouvera ci-après l’allocution prononcée par le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, à l’ouverture du débat général de l’Assemblée générale, le 20 septembre:
Je tiens à vous remercier ici-même du soutien que vous m’avez accordé tout au long des dix années pendant lesquelles j’ai eu le privilège de servir l’Organisation des Nations Unies.
Lors de ma prestation de serment, en décembre 2006, je me suis engagé à travailler avec vous pour « nous, les peuples ».
Guidés par la Charte et comptant sur le dévouement du personnel, nous avons accompli beaucoup de choses ensemble.
Mais je m’adresse également à vous, plein d’inquiétude.
Un abîme de méfiance sépare les citoyens de leurs dirigeants. Poussés par les extrémistes, nous pensons en termes de « nous » et « eux ». Nous sommes agressés par l’élévation du niveau de la mer, les niveaux record de chaleur et les tempêtes d’une violence extrême. Nombreux sont ceux qui vivent le danger au quotidien.
Cent trente millions de personnes ont besoin d’assistance vitale. Des dizaines de millions d’entre elles sont des enfants et des jeunes, la future génération est de ce fait déjà menacée.
Pourtant, après un mandat de 10 ans, je suis convaincu plus que jamais que nous avons le pouvoir de mettre fin à la guerre, à la pauvreté et à la persécution. Nous avons les moyens de prévenir les conflits. Nous avons la possibilité de combler l’écart entre riches et pauvres, et de garantir à tous la jouissance de leurs droits.
Les objectifs de développement durable constituent notre manifeste en faveur d’un avenir meilleur.
L’Accord de Paris sur les changements climatiques nous donne les moyens de relever le grand défi de notre époque.
Nous n’avons plus de temps à perdre. Je vous exhorte à faire le nécessaire pour que l’Accord de Paris entre en vigueur cette année. Nous avons seulement besoin de 26 pays ne représentant que 15% des émissions.
Je vous demande de nous aider à bâtir un monde à faible émission de carbone, un monde plus résilient, qui offre davantage de perspectives et de meilleures conditions de vie à nos enfants.
Ces grands progrès sont compromis par de graves menaces à la sécurité.
Les conflits armés sont de plus en plus longs et complexes. La mauvaise gouvernance fait basculer des sociétés dans le gouffre. La radicalisation menace la cohésion sociale, et c’est précisément ce que recherchent les extrémistes violents.
Les conséquences tragiques se manifestent brutalement du Yémen à la Libye et à l’Iraq, de l’Afghanistan jusqu’au Sahel et dans le bassin du lac Tchad.
Aujourd’hui, c’est le conflit en Syrie qui fait le plus grand nombre de morts et crée la plus grande instabilité. Il n’y a pas de solution militaire. Beaucoup de groupes tuent de nombreux innocents, mais aucun ne surpasse le Gouvernement syrien, qui continue d’utiliser des bombes-barils contre les populations civiles et de torturer systématiquement des milliers de détenus. Les puissants commanditaires qui alimentent la machine de guerre ont également du sang sur les mains. Dans cette salle se trouvent aujourd’hui des représentants de gouvernements qui ont ignoré, facilité ou financé des atrocités infligées à des civils syriens par toutes les parties au conflit en Syrie, qui y ont participé ou les ont même planifiées ou perpétrées.
Alors même que nous pensons que la situation ne saurait empirer, nous tombons de plus en plus bas dans l’ignominie. L’attentat ignoble, brutal et apparemment délibéré commis hier contre un convoi humanitaire des Nations Unies et du Croissant-Rouge arabe syrien en est le dernier exemple.
Les Nations Unies ont été contraintes de suspendre les convois humanitaires à cause de cet acte écœurant. Les agents humanitaires qui apportaient une aide vitale étaient des héros. Ceux qui les ont bombardés sont des lâches.
Il est essentiel que les responsables de crimes tels que ceux-là aient à répondre de leurs actes.
J’invite tous ceux qui ont une influence à amener les parties à mettre fin aux combats et à s’asseoir à la table des négociations. Une transition politique se fait attendre depuis trop longtemps. Après autant de violence et de chaos, l’avenir de la Syrie ne devrait pas être lié au destin d’un seul homme.
Il y a un an, la Palestine a fièrement hissé son drapeau au Siège de l’Organisation des Nations Unies. Et pourtant, la perspective d’une solution à deux États s’éloigne de jour en jour.
Entre-temps, l’occupation entre dans sa cinquantième année.
Ami à la fois d’Israël et du peuple palestinien, je suis peiné de voir que ces dix dernières années ont été des années perdues pour la paix, des années qui ont vu l’expansion des colonies de peuplement illégales, des années témoins de la division entre Palestiniens, des années caractérisées par une polarisation grandissante et un sentiment croissant de désespoir.
C’est de la pure folie. Remplacer la solution de deux États par le principe d’un seul État aurait des conséquences néfastes, privant les Palestiniens de leur liberté et de l’avenir auquel ils ont droit et éloignant Israël de son projet de démocratie juive pour l’isoler davantage du reste du monde.
S’agissant de la péninsule coréenne, le cinquième essai nucléaire de la République populaire démocratique de Corée menace une fois de plus la sécurité régionale et internationale. Dans le même temps, les souffrances et le désespoir du peuple ne cessent de croître. Je demande instamment aux dirigeants de ce pays de changer de cap et de respecter leurs obligations, non seulement envers leur propre peuple mais aussi envers la famille des nations.
En Ukraine, la violence cause des troubles internes, relance les tensions à travers l’Europe et ranime les rivalités géopolitiques.
Au Soudan du Sud, les dirigeants ont également trahi leur peuple.
Dans bien trop d’endroits, les dirigeants réécrivent la constitution, manipulent les élections et prennent d’autres mesures désespérées pour s’accrocher au pouvoir.
Les dirigeants doivent comprendre que c’est du peuple qu’ils tiennent leur mandat, qu’il ne constitue pas un bien personnel.
Je le dis très clairement: vous devez être au service du peuple. N’ébranlez pas la démocratie; ne pillez pas les ressources de votre pays, n’emprisonnez pas et ne torturez pas vos détracteurs.
En adoptant hier la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, nous avons réalisé de grands progrès en ce qui concerne la protection contre les conflits et la tyrannie. Ce document indique la voie à suivre pour sauver des vies et protéger les droits de millions de personnes. Nous devons tous tenir ces promesses.
Trop souvent, réfugiés et migrants se heurtent à la haine. Les musulmans, en particulier, sont la cible de stéréotypes et d’une méfiance qui rappellent les heures les plus sombres du passé. Responsables politiques et candidats, ne faites pas ce calcul politique cynique et dangereux qui consiste à accumuler les votes en divisant le peuple et décuplant la peur. Le monde doit dire non aux mensonges et aux entorses à la vérité, et rejeter toutes les formes de discrimination.
Nous devons également nous attaquer aux causes des déplacements forcés, c’est-à-dire investir dans la prévention des conflits et mener une diplomatie patiente. Et, à mesure qu’augmente la demande d’opérations de maintien de la paix, nous devons continuer de renforcer ces opérations pour aider les pays à rétablir et maintenir la paix. Je me félicite que l’Assemblée générale ait adopté le Plan d’action pour la prévention de l’extrémisme violent, qui nous permettra de lutter contre les facteurs qui alimentent les conflits.
Au Myanmar, la transition entre dans une phase prometteuse. À Sri Lanka, tout est fait pour refermer les blessures de la guerre. Dans les deux pays, il ne pourra y avoir réconciliation que si tous les groupes, minoritaires ou majoritaires, participent à l’édification d’une nouvelle union.
Lundi prochain, je me rendrai en Colombie pour la signature d’un accord de paix qui mettra fin à l’un des plus vieux conflits armés. L’Organisation des Nations Unies accompagnera le peuple colombien tout au long de ce processus.
La conclusion d’un accord sur Chypre est également en bonne voie.
Nous devons tous appuyer les progrès et les solutions qui sont maintenant à portée de main.
Je saisis cette occasion pour exprimer mes regrets au sujet de deux situations qui ont terni la réputation de l’Organisation et, pire encore, traumatisé les nombreuses populations que nous servons.
Premièrement, les actes odieux d’exploitation et de violence sexuelles commis par certains soldats de la paix et d’autres membres du personnel des Nations Unies ont aggravé les souffrances de populations déjà prises dans un conflit armé et sapé les efforts accomplis par tant d’autres agents de l’ONU dans le monde. Les protecteurs ne doivent jamais devenir des prédateurs. Les États Membres et le Secrétariat doivent redoubler d’efforts pour faire appliquer et renforcer la politique de tolérance zéro de l’Organisation.
Deuxièmement, Haïti a cumulé les épreuves: peu après un tremblement de terre dévastateur, le pays a été frappé par une épidémie de choléra. J’ai beaucoup de regret et de peine face aux terribles souffrances du peuple haïtien affecté par le choléra. Une nouvelle stratégie s’impose pour atténuer sa détresse et améliorer ses conditions de vie. Nous sommes fermement résolus à nous acquitter durablement de cette responsabilité morale.
Nous élaborons actuellement un ensemble de mesures d’assistance pour les personnes les plus directement touchées et redoublons d’efforts pour établir de solides systèmes d’approvisionnement en eau, d’assainissement et de santé, qui sont la meilleure défense à long terme contre les maladies. Nous n’y parviendrons qu’avec l’appui politique et financier sans faille des États Membres.
Je vous donnerai plus tard des précisions sur cette stratégie. Unissons nos efforts pour honorer nos obligations envers le peuple haïtien.
Je voudrais aborder brièvement quelques autres domaines qui, je l’espère, resteront longtemps des priorités de l’Organisation.
Je suis fier qu’ONU-Femmes ait vu le jour durant mon mandat. C’est maintenant notre défenseur en titre de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes, dans notre action en faveur d’une « planète à 50/50 ». J’ai nommé davantage de femmes à des postes de responsabilité dans l’Organisation que par le passé, et je suis fier de me dire féministe.
Les femmes soutiennent la moitié du ciel et sont indispensables pour atteindre tous nos objectifs.
Nous devons donc faire bien davantage pour mettre fin à la discrimination ancestrale et à la violence chronique contre les femmes, promouvoir leur participation à la prise de décisions, et offrir à chaque fille le départ qu’elle mérite dans la vie.
Je suis un fervent défenseur des droits de toutes les personnes, quelle que soit leur origine ethnique, leur religion ou leur orientation sexuelle.
Notre système de défense des droits de l’homme, et l’initiative « Les droits humains avant tout », placent les droits de l’homme au centre de nos activités. Ce sont les piliers de la société et les antidotes à l’extrémisme violent et à la désillusion des citoyens.
Plus que par le passé, nous avons fait porter nos efforts sur la responsabilité de protéger et, par notre action, fait avancer la lutte contre la peine de mort. Les condamnations historiques prononcées par la Cour pénale internationale et d’autres institutions ont fait progresser l’application du principe de responsabilité, mais nous avons encore à faire pour empêcher de nouveaux génocides et d’autres atrocités criminelles.
Le rôle de la société civile est essentiel dans la conduite de ces efforts.
Je vous demande de vous joindre à moi aujourd’hui pour accorder une plus grande place à la société civile et à l’indépendance des médias, sans qu’il soit porté atteinte aux libertés de réunion et d’expression.
Ces dix dernières années nous avons réalisé de grands progrès dans les domaines de l’éducation et de la santé.
Nous avons pratiquement éradiqué la polio. De plus en plus de femmes survivent à l’accouchement. Davantage d’enfants sont scolarisés et vivent plus longtemps, dans de meilleures conditions. Les mesures que nous avons prises ensemble pour contenir l’épidémie d’Ebola nous ont préparés à de futures urgences sanitaires. Les travaux du groupement tactique mondial sur la santé nous rappellent que la vigilance s’impose bien avant que les pandémies fassent la une des journaux.
La maîtrise des armes meurtrières a progressé grâce à la Convention sur les armes à sous-munitions et au Traité sur le commerce des armes, ainsi qu’à l’action efficace menée contre les armes chimiques. Nous devons tirer parti de cet élan pour nous rapprocher de l’objectif ultime: éliminer les armes nucléaires une fois pour toutes.
Le Sommet mondial sur l’action humanitaire a permis de renforcer les opérations de secours pour s’orienter vers la prévention et la résilience, ainsi que la réduction des besoins.
Nous tirons parti, comme jamais auparavant, de l’énergie des jeunes, notamment grâce à l’action de mon tout premier Envoyé pour la jeunesse et du nouvel Envoyé spécial sur l’emploi des jeunes.
Les partenariats avec le secteur privé se sont multipliés: nous encourageons les entreprises à adopter des pratiques responsables qui soient les meilleures pour la société et le monde.
Nous avons aussi fait de grands progrès pour ce qui est d’adapter et de réformer l’Organisation aux réalités du XXIe siècle.
Pour continuer à faire des progrès, nous devrons faire preuve d’une solidarité sans pareille.
Nous sommes parfois nos pires ennemis. Les États Membres ne s’étant toujours pas mis d’accord sur une méthode de réforme du Conseil de sécurité, ce qui risque de nuire à son efficacité et à sa légitimité.
Dans le même esprit, je voudrais proposer de lancer une grande réforme, qui n’a que trop tardé, pour garantir l’équité et l’efficacité au sein de l’Organisation des Nations Unies.
J’ai vu bien trop souvent des propositions appuyées par un grand nombre d’États Membres être bloquées par quelques États, voire par un seul, grand ou petit, au nom du consensus.
À maintes reprises, des mesures essentielles et des idées judicieuses ont été bloquées au Conseil de sécurité, bloquées à l’Assemblée générale, bloquées dans le processus budgétaire, par la Conférence du désarmement et d’autres organes.
Dans le monde complexe dans lequel nous vivons, est-il juste qu’un seul pays jouisse d’un pouvoir aussi disproportionné et prenne le reste du monde en otage sur tant de questions importantes?
Il ne faut pas confondre consensus et unanimité. La population mondiale est en droit de se demander si c’est la manière dont une organisation dans laquelle nous avons placé autant de nos espoirs et de nos aspirations devrait fonctionner.
Je vous propose, Monsieur le Président, d’envisager avec mon successeur la possibilité de créer un groupe de haut niveau qui sera chargé de trouver des moyens concrets d’améliorer le processus décisionnaire à l’Organisation des Nations Unies.
Il importe aussi que les États respectent l’indépendance du Secrétariat, en application de la Charte. Quand tout ce qu’il y a à dire a été dit dans nos rapports, les États Membres ne doivent pas essayer de réécrire l’histoire.
Quand notre personnel en charge des droits de l’homme agit au nom des plus vulnérables, les États Membres ne doivent pas leur barrer la route.
Quand nos agents humanitaires doivent venir en aide à des populations assiégées, les États Membres doivent lever tous les obstacles pour qu’ils puissent s’acquitter de leur tâche.
Et quand nos envoyés et notre personnel soulèvent des questions difficiles, les États Membres ne doivent pas les frapper d’ostracisme ni menacer de les bannir du pays.
Nous devons tous être ouverts et comptables envers ceux au service desquels nous travaillons.
Il existe un dernier indicateur de tous les changements qui sont survenus au cours de la dernière décennie.
C’est difficile à croire, mais lorsque j’ai pris mes fonctions, le smartphone n’avait pas encore fait son apparition.
Aujourd’hui, c’est une véritable bouée de sauvetage et aussi, parfois, une malédiction!
Nous ne pouvons plus vivre sans nos smartphones.
Grâce à nos téléphones et aux réseaux sociaux, le monde est connecté d’une manière qui était totalement inimaginable lorsque je suis entré en fonctions. C’est vrai, ils sont exploités à mauvais escient par les extrémistes et les mouvements haineux. Mais ils ont aussi permis la constitution de nouvelles communautés et l’avènement de nouvelles occasions.
Pour moi, c’est un rappel du pouvoir de l’individu, le pouvoir de changer le monde.
Après tout, c’est grâce aux peuples du monde entier que le Programme 2030 est le plus inclusif des processus de développement de notre époque. Des millions de personnes se sont mobilisées pour pousser les dirigeants à s’engager dans la lutte contre les changements climatiques.
Ce pouvoir de l’individu, c’est quelque chose que j’ai pu observer aux quatre coins du monde au cours des dix dernières années.
Des personnes comme Rebecca Johnson, une infirmière que j’ai rencontrée en Sierra Leone. Après avoir contracté le virus Ebola et être parvenue à s’en relever, elle a de nouveau risqué sa vie afin de sauver sa communauté.
Et bien sûr des individus comme Yusra Mardini, cette jeune nageuse syrienne qui est parvenue à pousser jusqu’à la terre ferme l’embarcation endommagée qu’elle avait empruntée avec d’autres réfugiés et qui a ensuite participé à l’épreuve de natation aux Jeux olympiques.
Et bien sûr, des personnes comme la jeune Malala Yousafzai, qui est venue à l’Organisation des Nations Unies pour nous rappeler qu’un seul livre, une seule plume et un seul être peuvent faire une différence.
L’avènement d’un monde parfait est sans doute un horizon lointain.
Mais il est en la mesure de tout un chacun de tracer un chemin vers un monde meilleur, un monde plus sûr, un monde plus juste.
Dix ans après ma nomination, je sais qu’ensemble, unis, nous pouvons y arriver.