SG/SM/13930-L/3158

L’équilibre entre paix et justice est une trêve acceptée le canon sur la tempe, déclare le Secrétaire général à la Conférence de révision du Statut de Rome

01/06/2010
Secrétaire généralSG/SM/13930
L/3158
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

L’ÉQUILIBRE ENTRE PAIX ET JUSTICE EST UNE TRÊVE ACCEPTÉE LE CANON SUR LA TEMPE, DÉCLARE LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL À LA CONFÉRENCE DE RÉVISION DU STATUT DE ROME


Vous trouverez ci-après le texte de l’allocution prononcée par le Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, sous le thème « Une nouvelle ère de responsabilité », le 31 mai à Kampala (Ouganda), à la Conférence de révision du Statut de Rome:


Permettez-moi tout d’abord de remercier le Président Yoweri Museveni et le peuple ougandais d’avoir d’organisé cette rencontre historique.  Je les remercie également de leur chaleureux accueil.  Je suis certain de me faire l’interprète de tous en disant que nous nous sommes sentis entre amis dès notre arrivée à Entebbe.


Il y a 12 ans, les dirigeants mondiaux se sont réunis à Rome pour créer la Cour pénale internationale.  Bien peu s’imaginaient qu’elle serait aujourd’hui parfaitement opérationnelle, menant des enquêtes et jugeant les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans un nombre toujours plus grand de pays.  Rarement, depuis la création de l’Organisation des Nations Unies, la cause de la paix, de la justice et des droits de l’homme avait-elle été servie avec autant d’éclat.


Nous sommes réunis aujourd’hui pour la première Conférence d’examen du Statut de Rome.


C’est l’occasion non seulement de faire le bilan des progrès accomplis mais aussi de préparer l’avenir.  Plus encore, c’est l’occasion de réaffirmer avec force le refus collectif de l’impunité pour les auteurs de crimes contre l’humanité –afin que nul n’ose plus les commettre.  Ce jour est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la justice pénale internationale.


L’ère de l’impunité a pris fin.  Lentement mais sûrement, c’est une autre ère qui s’ouvre, celle de la responsabilité.  Tout a commencé, il y a déjà plusieurs décennies, avec la création des Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo.  Et l’étau s’est resserré avec la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda, du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et de tribunaux mixtes en Sierra Leone, au Cambodge et au Liban.


Maintenant, nous avons la Cour pénale internationale, une juridiction permanente dont le pouvoir et le champ d’action ne cessent de s’étendre.  Il n’est pas question de faire marche arrière.  Dans cette nouvelle ère de responsabilité, ceux qui commettent les pires crimes humains seront tenus pour responsables.  Simples soldats ou chefs militaires, petits fonctionnaires chargés d’exécuter les ordres ou hauts dirigeants politiques, ils devront rendre compte de leurs actes.


Voici la liste de ceux qui ont déjà été traduits en justice: général Ante Gotovina; Jean-Paul Akayesu, maire; Chea Nuaon et Radovan Karadžić, hauts responsables politiques; Jean Kambanda, Premier Ministre; Slobodan Milošević et Charles Taylor, Chefs d’État.


Il n’y a pas si longtemps, cela aurait été inconcevable.  Aujourd’hui, c’est la voie de l’avenir.


Nous sommes réunis à Kampala afin de poursuivre sur cette lancée, afin d’aider la Cour à accomplir tout ce qu’elle peut et doit accomplir.  Mais pour ce faire, nous devons être conscients de certaines réalités.


Premièrement, pour avoir le rayon d’action nécessaire, et pour être un instrument efficace de dissuasion autant que de justice, la Cour doit jouir d’un appui universel.  Les auteurs de crimes contre l’humanité n’auront alors nulle part où se cacher.  Je félicite le Bangladesh d’avoir ratifié le Statut de Rome, devenant le 111e État partie. Et j’exhorte à nouveau tous les États qui ne l’ont pas encore fait à devenir partie au Statut de Rome.


Deuxièmement, cette Cour ouvre de nouvelles possibilités pour ce qui est des droits des victimes, notamment le droit à réparation.  Elle affirme à juste titre que la justice doit être non seulement punitive mais aussi réparatrice.


Troisièmement, la Cour pénale internationale demeure une juridiction de dernier ressort, qui n’intervient que lorsque les tribunaux nationaux ne font pas le nécessaire, ou sont incapables de le faire.  C’est là un point important: si un État n’est pas réellement disposé à ouvrir des enquêtes et engager des poursuites, la Cour peut intervenir.  Aucun gouvernement ou système judiciaire qui se rend complice de crimes internationaux ne peut soustraire les auteurs à la justice.


Vos débats de la semaine prochaine s’annoncent larges et intenses.  Les questions sont difficiles et souvent controversées; il n’y aura souvent pas de réponse toute faite.  Peut-être la question la plus épineuse sera-t-elle celle de l’équilibre entre paix et justice.  À mon sens, la question n’en est pas une.


Dans les conflits d’aujourd’hui, les civils sont souvent les principales victimes.  Les femmes, les enfants et les personnes âgées sont à la merci d’armées et de milices qui, dans un but stratégique, violent, torturent, tuent et détruisent villages, cultures, bétail et points d’eau.  Plus le crime est odieux, plus il est efficace en tant qu’arme de guerre.


Il est bien naturel que les victimes veuillent mettre fin à de telles horreurs, même si le prix à payer est l’immunité de leurs tortionnaires.  Mais c’est là une trêve qu’elles acceptent le canon sur la tempe, et qui n’apporte ni dignité, ni justice, ni espoir pour l’avenir.


S’il est peut-être vrai que le fait de choisir le mauvais moment pour exiger qu’il soit rendu compte des actes criminels peut dissuader les parties belligérantes de s’asseoir autour d’une table des négociations, si cela risque même de perpétuer les effusions de sang, une chose est certaine: il n’est plus temps d’opposer la paix à la justice.


Entre la guerre et la paix, il faut autre chose : la réconciliation et le pardon, pour reconstituer le tissu social.  Ce sont les serviteurs de la paix et de la justice.  Nous n’avons d’autre choix que de rechercher les deux ensemble, sans les dissocier.


Ces dernières années, la justice pénale internationale s’est imposée comme une voix puissante contre l’épidémie qu’est la violence à l’égard des femmes.  En 1998, le Tribunal pour le Rwanda a été la première juridiction pénale internationale à qualifier le viol de crime contre l’humanité.  Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone a condamné trois membres du Revolutionary United Front pour esclavage sexuel.  À l’heure où je parle, les auteurs présumés de viols et d’esclavage sexuel en République démocratique du Congo sont accusés de crimes de guerre devant la Cour pénale internationale.


Cette jurisprudence envoie un message fort et nécessaire.  À vous de faire en sorte que ce message continue d’être entendu.  De fait, le moment est venu d’augmenter le volume.


Dans le cadre du mandat que m’a confié le Conseil de sécurité, j’ai récemment nommé Mme  Margot Wallström au poste de Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit.  Elle défend activement la cause des femmes et je compte sur elle pour tirer le meilleur parti de ses fonctions.  Je demande instamment à la Cour de maintenir cette question au premier rang de ses priorités.


Nous avons tous entendu au moins l’une des critiques adressées à la Cour, à savoir qu’elle est « sélective », qu’elle concentre trop souvent son attention sur les pays africains au détriment des crimes graves commis ailleurs.


Ces critiques me semblent injustes et infondées.  Certes, les faits sont exacts: toutes les affaires pendantes devant la Cour concernent l’Afrique.


Cela dit, la plupart de ces affaires ont été déférées au Procureur par les gouvernements concernés, qui considèrent à juste titre la Cour comme une source d’appui et non comme une menace.  J’ajouterai même que, dans le cas du Darfour, la décision de renvoi émanait du Conseil de sécurité.  Le Kenya est le seul cas où le Procureur a pris l’initiative de demander à la Cour d’autoriser une enquête officielle.


Chaque cas doit être examiné au fond.  La Cour est censée s’appuyer sur des éléments de preuve.  Je ferai également une observation d’ordre plus général: toutes ces affaires ont le soutien des Africains, car ils estiment que la Cour se range résolument aux côtés des victimes, comme nous devrions tous le faire.  La présence parmi nous d’un aussi grand nombre d’organisations non gouvernementales africaines exprime clairement le soutien de la société civile et des peuples africains envers la Cour pénale internationale.


Permettez-moi de conclure par des éloges.  Si nous sommes réunis ici aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à l’immense contribution de la société civile.  Ces organisations civiques qui agissent dans une optique mondiale ont été parmi les premières à proposer la création d’une cour pénale internationale permanente.  Elles ont été nombreuses à se rallier à une cause commune, au sein de la Coalition pour la Cour pénale internationale, et à mener une vaste campagne en faveur du Statut de Rome.


Depuis lors, elles ont contribué pour beaucoup à promouvoir la Cour pénale internationale et à inciter les dirigeants mondiaux à l’appuyer.  L’existence même de la Cour témoigne de leur vision, de leur ténacité et de leur détermination à créer un monde plus juste et plus humain.


À tous ceux venus à Kampala de tous les coins du monde, je dis merci.  Aucun d’entre nous ne serait ici sans vous.


Les décisions que vous prendrez cette semaine auront des effets dans le monde entier, partout où des injustices sont commises, partout où les gens vivent dans la peur.  Souvenons-nous des mères de Srebrenica, des orphelins de la Sierra Leone, des champs de la mort du Cambodge et du Rwanda.  Tant de noms horribles, tant de lieux hantés.


Il y a bien longtemps, nous avons dit « plus jamais ».  C’est pourquoi la Cour existe.  C’est pourquoi nous sommes réunis ici.  C’est ce que nous avons accompli ensemble au prix de tant d’efforts.  Le Statut de Rome représente le meilleur de nous-mêmes, notre aspiration la plus noble –à la paix et à la justice.


Nous rendons hommage à mon prédécesseur, Kofi Annan, pour avoir si souvent et si ardemment défendu la création de la Cour.  Nous applaudissons tous ceux qui ont signé le Statut de Rome, et nous souhaitons la bienvenue à ceux qui ne l’ont pas encore fait mais qui sont des nôtres aujourd’hui.


À cet égard, nous souhaitons la bienvenue tout particulièrement aux États-Unis et nous nous félicitons du nouvel esprit de réengagement instauré sous la conduite du Président Barack Obama.


En 1998, le Statut de Rome est devenu le symbole de la justice pénale internationale.  Inscrivons aujourd’hui Kampala dans cette histoire illustre, comme la ville où la communauté internationale a affirmé d’une seule voix que l’ère de l’impunité était révolue et, agissant de concert, a ouvert une nouvelle ère de responsabilité.


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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