LE COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME ACHÈVE L’EXAMEN DU RAPPORT DU RWANDA EN ÉPLINGLANT LES ATTEINTES À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
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Pacte international relatif
aux droits civils et politiques
Comité des droits de l’homme
Quatre-vingt-quinzième session
2604e séance – matin
LE COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME ACHÈVE L’EXAMEN DU RAPPORT DU RWANDA EN ÉPLINGLANT LES ATTEINTES À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
Après être longuement revenus sur les éléments d’incompatibilité entre les tribunaux populaires Gacaca et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les experts du Comité des droits de l’homme ont vivement critiqué les atteintes à toutes les formes de liberté d’expression au Rwanda.
Au deuxième et dernier jour de l’examen du rapport périodique présenté par ce pays des Grands Lacs, les 18 experts, chargés de surveiller l’application du Pacte, se sont beaucoup interrogés sur le fonctionnement de la presse et de l’opposition politique.
Outre les exactions à l’encontre de journalistes tant nationaux qu’internationaux, l’experte américaine s’est exclamée « aucune excuse ne saurait justifier le fait qu’un individu soit attaqué à coups de barres de fer ». Elle a aussi cité le cas de l’ancien Président Pasteur Bizimungu, qui a été jeté en prison après avoir créé un nouveau parti politique.
Dénonçant un « climat de terreur » au Rwanda, l’experte a qualifié de « staliniste » et « d’injustifiée » la façon dont le Gouvernement rwandais argue du divisionnisme pour prévenir toute critique. Dans mon pays, a rétorqué le Représentant permanent de ce pays, parler de divisionnisme ne relève pas du stalinisme mais bien d’un souci de ne pas voir resurgir la haine ethnique. Si on autorise de nouveau une propagande ethnique, on compromet l’édification de l’État, a-t-il insisté.
La situation dans les prisons, notamment celles des enfants a également été au cœur des discussions du Comité avec la délégation rwandaise. Les experts se sont attardés sur la différence entre travaux d’intérêt général et travaux forcés. Une nouvelle fois, la délégation a été appelée à répondre aux nombreuses questions sur la conformité du système Gacaca avec l’article 14 du Pacte relatif au droit à un procès équitable.
Les lois qui régissent ce système, a-t-elle dit, réprime tout acte d’intimidation dirigé contre un juge ou un témoin et tout acte de corruption de la part d’un juge. Le Représentant permanent du Rwanda a insisté sur le fait que ce système a permis de relever le défi du nombre de dossiers dont était saisi le système judiciaire classique, mais aussi le défi de la réconciliation nationale.
L’experte américaine a rappelé ce qui s’est passé dans les Balkans pendant la guerre quand des individus ont manipulé les institutions publiques pour régler des questions privées, en particulier, dans le domaine foncier. Elle a mis en garde le Rwanda contre le poids des rumeurs.
La délégation rwandaise était composée de Joseph Nsengimana, Représentant permanent du Rwanda; Hope Timukunde, membre de la Commission des droits de la personne; Eugène Rusanganwa, chargé des droits de l’homme au Ministère de la justice; Étienne Nkerabigwi, juriste au Ministère des affaires étrangères et Coordonnateur du Groupe de travail sur les rapports soumis aux organes de traités; et Moses Rugema de la Mission du Rwanda auprès de l’ONU.
Le Comité des droits de l’homme tiendra jusqu’au 23 mars, des séances privées pour examiner les plaintes. Après le désistement du Tchad, il devrait s’attaquer au rapport périodique de l’Australie.
EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE
Suite de l’examen du troisième rapport périodique du Rwanda ( CCPR/C/RWA/3 )
Réponses de la délégation aux questions écrites (CCPR/C/RWA/Q/3/Rev.1)
Interdiction de l’esclavage et du travail forcé (art. 8)
Répondant aux allégations selon lesquelles le Rwanda serait à la source de nombreux cas de trafic d’êtres humains, en particulier des enfants victimes du travail forcé et de femmes formées à la prostitution, la délégation a indiqué qu’il existait très peu d’informations à ce sujet. Le seul élément d’information concerne une femme qui aurait tenté de traverser la frontière avec un enfant qui n’était apparemment pas le sien, a précisé la délégation. Elle a ensuite signalé que les enfants et les femmes font l’objet de beaucoup d’attention de la part du Gouvernement rwandais et qu’un large éventail de lois ont été créés pour les protéger.
Traitement des personnes privées de liberté (art. 10)
S’attelant ensuite aux nombreuses préoccupations que suscitent les conditions de vie dans les prisons rwandaises, la délégation a qualifié de « déplorable » la situation qui y prévalait pendant les années 90, une situation qui reflétait la conjoncture globale du pays. Elle a affirmé que cette condition s’améliore chaque année depuis 2000 et qu’elle est désormais conforme aux normes en vigueur. Les directeurs de prisons des pays voisins se rendent même au Rwanda pour y étudier le système carcéral, s’est notamment félicitée la délégation. Elle a également indiqué que des prisons « appropriées » sont en cours de construction, notamment un établissement destiné aux prisonniers en provenance d’Arusha.
La délégation a ensuite expliqué que des mesures administratives destinées à désengorger les prisons sont régulièrement appliquées. Il existe aussi des mécanismes d’autofinancement des prisons, comme, par exemple, le recyclage des déchets émanant des institutions carcérales.
Passant au système de la peine de travaux d’intérêt général, la délégation a indiqué que celle-ci avait été instituée en 2005 afin de non seulement punir les personnes coupables de génocide, mais aussi de réconcilier la population. Cette initiative a également permis de désengorger les prisons du pays. La délégation a expliqué que ces condamnés purgent la moitié de leur peine en prison, et l’autre, en effectuant des travaux d’intérêt général comme, par exemple, le traçage de nouvelles routes, le terrassement, la construction de maisons pour les personnes vulnérables et les rescapés du génocide, ou encore le drainage des marais. Ces travaux sont estimés à 14 milliards de francs rwandais, a précisé la délégation.
En outre, elle a insisté sur le fait que tout en purgeant leur peine, les individus peuvent s’intégrer à la communauté, puisque le dialogue s’instaure toujours avant d’aboutir à une acceptation mutuelle.
Droit à un procès équitable (art. 14)
La délégation a été invitée à répondre aux allégations sur le système de justice populaire Gacaca. Certaines informations font état du manque de formation des procureurs et des juges des tribunaux Gacaca, de pratiques de corruption constatées dans certaines communes, d’actes d’intimidation à l’encontre des autorités judiciaires, de la pénurie d’avocats de la défense, ainsi que d’un accès restreint à un avocat. En outre, les dispositions de la loi de 2007 relative à ce système auraient accéléré le déroulement des procédures Gacaca, mais au détriment de l’équité et de la qualité des jugements.
Le représentant du Rwanda a d’abord souligné que l’avantage de ce système est qu’il permet de réintégrer le criminel dans sa communauté, ce que l’on ne voit pas nécessairement dans le système judiciaire classique. Une grande partie des tribunaux Gacaca sont déjà fermés mais au plus fort de leur fonctionnement, on en comptait 9 000. Le représentant a insisté sur le fait que les experts et juristes nationaux et internationaux consultés par le Gouvernement ont dit ne pas trouver de formule plus appropriée pour juger un nombre si élevé de personnes.
Avec le temps, a rassuré le représentant, des juges ont été mis à la tête de ces tribunaux et une procédure d’appel a été instituée. Il a néanmoins admis que certains juges pouvaient être corrompus, mais dans certains cas l’assemblée générale de Gacaca les sanctionnait. En quatre ou cinq ans, la majeure partie du million de personnes jugées ont été condamnée, ont purgé leur peine parfois et réintégré leur communauté.
De nombreuses réformes ont également été introduites dans ce domaine pour assurer des procès équitables, tandis qu’une loi réprime tout acte d’intimidation faite aux juges ou aux témoins. Les juges de Gacaca sont également passibles de répression en cas de corruption, a ajouté le représentant, avant de conclure de faire observer que la majorité de la population préférait les juridictions Gacaca à cause de la rapidité et de la simplicité des procès.
Depuis l’instauration du système Gacaca, a ajouté le responsable des droits de l’homme au Ministère de la justice du Rwanda, sur les 1 056 606 dossiers reçus par les juridictions Gacaca, plus de 992 000 ont été traités. Les 62 000 restants devraient être clôturés d’ici à la fin du mois de juin 2009. Les personnes indigentes bénéficient de l’assistance gratuite d’un avocat du barreau, et un forum d’aide juridique a été mis en place. Grâce à une coopération avec la société civile, des maisons d’accès à la justice pour orienter les inculpés dans le système judiciaire sont également entrain d’être implantées sur l’ensemble du territoire rwandais. L’établissement d’un fonds d’aide à l’accès à la justice est aussi à l’étude, a-t-il annoncé, en reconnaissant que le défi demeure énorme.
Liberté d’expression et interdiction de tout appel à la haine nationale et raciale (art. 19 et 20)
Ici, la délégation a dû répondre aux allégations selon lesquelles des représentants de médias indépendants et d’organisations non gouvernementales (ONG) ont été harcelés, intimidés, arrêtés et détenus illégalement pour avoir critiqué le parti au pouvoir. En outre, des journalistes seraient accusés d’incitation à la haine interethnique dans le but d’être forcés au silence.
Le représentant a qualifié d’outrée, voir même erronée la perception selon laquelle il y aurait un problème de liberté d’expression pour la presse et les partis d’opposition au Rwanda. Nous avons vécu le drame du mauvais rôle que la presse peut jouer dans une situation de divisionnisme et de massacre, et nous sommes encore au lendemain de cette situation, a signalé le représentant, qui a rappelé que la presse avait servi d’arme du crime pendant le génocide rwandais. Il importe d’éduquer chaque Rwandais, y compris la presse, a insisté le représentant pour qui la presse doit aider la nation à construire l’unité nationale et la réconciliation. Il a convenu que cette prérogative ne devait pas empêcher la presse de faire la lumière sur des problèmes liés à la corruption ou à l’abus de pouvoir. Mais il a argué que la diffamation a un rapport avec le divisionnisme et la haine ethnique.
Pour contrer les appels à la haine, à la discrimination ou encore à la violence, le représentant a mis l’accent sur l’importance de l’éducation et a attiré l’attention sur les programmes d’éducation civique mis en place au Rwanda. Aussi, un institut de recherche pour la paix et la démocratie organise-t-il régulièrement des conférences, tandis qu’un centre d’éducation à la paix et aux droits de l’homme est en voie de création dans la région des Grands Lacs.
Protection de l’enfant (art. 24)
Pour ce qui est des taux de scolarité dans le pays, la délégation a indiqué qu’en 2008, 50,87% des filles et 49,13% des garçons étaient scolarisés au niveau primaire, par rapport à 50,9% et 49,1% en 2005. En outre, 47,85% des filles rwandaises suivaient une éducation secondaire en 2008, par rapport à 47,2% en 2005.
La délégation a signalé que les filles qui sont majoritaires dans le cycle primaire deviennent légèrement minoritaires dans le cycle secondaire. Pour donner les mêmes chances aux filles et aux garçons, des mesures de discrimination positive ont été mises en place, de même que des mesures sociales, comme la création de toilettes séparées, ou encore des mesures d’incitation comme l’attribution de prix.
Quant à la réintégration des enfants ayant participé au génocide, la délégation a expliqué que ces enfants vont dans des camps de solidarité pour y suivre des cours de civisme destinés, ainsi qu’une formation professionnelle qui leur permettra d’exercer un métier. Il a aussi mis l’accent sur les programmes de développement et de protection.
Participation à la vie publique (art. 25)
Dans cette série de questions, les experts ont inclus les allégations faisant état de nombreuses irrégularités lors des élections de 2003, telles que des cas de fraude et d’intimidation de l’opposition.
Le représentant du Rwanda a d’abord indiqué que tout citoyen capable a le droit de prendre part à la direction des affaires publique du pays, ainsi qu’il est défini par les articles 2, 9, 11, 37 et 45 de la Constitution, entre autres. Il a principalement commenté l’article 9 qui traite des minorités et des groupes ayant été défavorisés dans l’histoire sociale du pays. La Commission électorale nationale est un organe indépendant, a-t-il affirmé. En 2003 et 2008, des observateurs sont venus veiller au bon déroulement des élections. Le Rwanda, qui a ratifié la Charte africaine sur la démocratie et la bonne gouvernance, a mis en place une loi et des dispositifs d’application « vraiment fonctionnels », a encore affirmé le représentant, qui a aussi expliqué que les lois électorales rwandaises prévoient des mécanismes de recours devant les tribunaux en cas d’irrégularité éventuelle constatée au cours des élections. Au sujet des allégations sur les irrégularités, il a signalé que des enquêtes avaient été effectuées par les organes compétents.
Sur le plan administratif, une Commission de la fonction publique a été créée pour garantir l’objectivité, l’impartialité et la transparence dans le recrutement des agents du service public. Il existe également des bureaux d’inspection du travail et un Bureau de l’Ombudsman qui sert de liaison entre le citoyen et les services publics et privés.
Toutefois, le représentant a reconnu que les Twas indigents méritent de bénéficier d’une attention particulière, au même titre que les autres citoyens qui se trouvent dans la même situation. Admettant qu’ils ont été marginalisés dans l’histoire, il a signalé qu’ils sont aujourd’hui membres de la direction des affaires publiques, au même titre que les autres groupes ethniques. Le Président a en effet le pouvoir de nommer certains membres du Sénat pour veiller à ce que certains groupes marginalisés soient effectivement représentés dans les hautes instances du pays. Aussi, un Twa est-il Sénateur.
Diffusion du Pacte et des observations finales du Comité (art. 2)
Dans un premier temps, le responsable des droits de l’homme du Ministre de la justice a indiqué que la Constitution du pays avait repris plusieurs dispositions du Pacte dans la partie relative aux droits et libertés fondamentaux. Par ailleurs, des informations sur le Pacte ont été traduites dans la langue nationale, le kinyarwanda, et plusieurs catégories de personnes, dont les autorités pénitentiaires, les officiers de l’armée et les agents de la police nationale, ont été formés à ses principes. Il existe également des séances de sensibilisation dans les prisons et dans les différents districts du pays, ainsi qu’au sein de la police nationale, du corps des officiers militaires et des membres de l’appareil judiciaire.
Il a ajouté que le Groupe de travail sur l’élaboration des rapports aux organes de traités, dont il est membre, avait aussi pour but d’assurer la mise en place de stratégie de sensibilisation et de diffusion. Cette stratégie prévoit des séances de formation pour toutes les couches de la population, en collaboration avec les médias. Le Ministre de la justice a lui-même une émission de radio qui passe tous les lundis.
Réclamant davantage de précisions, M. ABDELFATTAH AMOR, expert de Tunisie, a tout d’abord voulu savoir où en était le projet de réforme du Code pénal. Il a ensuite signalé que certaines sources avaient fait état de plusieurs cas de prostitution forcée, mais qu’aucune plainte n’avait été enregistrée, ni aucune recherche menée. Passant au problème de l’appel à la haine raciale, l’expert a rappelé que l’article 20 du Pacte fait obligation aux États d’adopter des lois appropriées pour y faire obstacle.
Il a mis l’accent sur l’importance de l’éducation et a signalé que certains enseignants restent parfois trop marqués par leur appartenance ethnique ou leur passé. Pour ce qui est de l’éducation des filles, l’expert a estimé qu’il y avait là un problème lié à l’éducation des familles. Il est dommage que le Rwanda, qui est à l’avant-garde de la parité, ne fasse pas plus pour promouvoir l’éducation des filles, a-t-il dit. Pour ce qui est de la réintégration des enfants ayant participé au génocide, l’expert tunisien a voulu savoir s’ils bénéficiaient d’un suivi psychologique et si devenus adultes, ils pouvaient intégrer l’armée rwandaise.
Mme RUTH WEDGWOOD, experte des États-Unis, est revenue sur la question des conditions de détention, tout en prenant note d’une amélioration depuis 2000. Elle a encouragé le Gouvernement à réfléchir plus avant sur le problème de l’insertion dans la communauté car la détention dans des conditions inhumaines, même si c’est nécessaire, n’en demeure pas moins humiliante et dégradante. Les prisons, de par leur nature sont violentes, mais ce n’est pas une excuse pour que l’État s’en rende coupable, a insisté Mme Wedgwood, qui a également fait état des préoccupations des ONG à cet égard, notamment en ce qui concerne le droit de visite et le manque de rations alimentaires. On ne peut pas faire souffrir de la faim des prisonniers, s’est-elle exclamée, en comparant cette situation à celles tant critiquées dans certaines prisons dans son propre pays où certains responsables pénitentiaires se rendent coupables d’abus intolérables.
Mettant l’accent sur le caractère fondamental de la liberté d’expression, elle a demandé que la presse, quelle que soit sa façon particulière de présenter les problèmes, soit habilitée à travailler en toute liberté. Ce n’est pas facile d’être au Gouvernement et sous les feux de la rampe, a-t-elle reconnu. Citant les estimations d’observatoire de la presse aux États-Unis, elle a indiqué que le Rwanda figure parmi les 15 derniers pays en matière de liberté de la presse. S’il y a une sympathie générale pour le Rwanda, il est tout de même troublant d’entendre l’argument du divisionnisme chaque fois que l’on exprime une opinion critique.
Elle a stigmatisé la dissolution par le Gouvernement de certains partis politiques dont des membres ont été forcés à l’exil. Qualifiant de « staliniste » et d’« injustifiée », la façon dont le Gouvernement rwandais argue du divisionnisme, l’experte a cité les cas de Jean-Bosco Gasasira, directeur du Journal Umuvigizi, qui aurait été battu à coups de barres de fer. D’autre part, elle a aussi cité les cas du Directeur de Radio Rwanda et du Président du Haut Conseil de la presse qui ont menacé sur les ondes de Radio Rwanda l’éditeur du journal Umuco, ce qui est en violation de l’article 19 du Pacte.
Des journalistes de la BBC et de Voice of America, a encore dénoncé l’experte américaine, ont été menacés de perdre leur accréditation et ils ne sont pas les seuls. Elle s’est déclarée préoccupée par ce décalage de la part d’un pays qui a connu des horreurs telles que le génocide. « Peut être que le pays se serait effondré si Paul Kagamé n’était pas au pouvoir, je ne le sais pas, mais nous avons ici des exemples et des tendances où l’opposition n’avait pas le droit de s’exprimer », a-t-elle remarqué. De nationalité congolaise, un professeur de droit à Kigali, M. Idesbald Byabuze Katabaruka, a été arrêté pour un article critique envers le Front patriotique rwandais (FPR) alors que Pasteur Bizimungu et Charles Ntakirutinka, du Parti démocrate pour le renouveau (PDR) ont aussi maille à partir avec les autorités pour désobéissance civile.
L’experte a émis l’espoir que la barque du Gouvernement s’oriente bien dans les 20 à 30 années à venir, car la critique est une chose saine pour un Gouvernement. Sur la question du droit des objecteurs de conscience, elle a fait état d’informations selon lesquelles certains objecteurs de conscience auraient été battus par des patrouilles nocturnes des Forces de défense locale.
Venant à la question des Twas, l’experte américaine a signalé que leurs souffrances ont commencé parce qu’ils étaient associés aux Hutus. Ce groupe, qui a par ailleurs perdu, sa place traditionnelle dans les parcs volcaniques et autres régions, est désormais condamné à l’errance ou au travail journalier. Au niveau mondial, a souligné l’experte, la tendance est à l’octroi de réparations aux groupes ethniques. Elle a donc plaidé en faveur du rétablissement de leur mode de vie traditionnel s’ils en formulent le désir.
Mme CHRISTINE CHANET, experte de la France, s’est tout d’abord félicitée de la franchise de la délégation et de la volonté manifeste du Gouvernement rwandais d’instaurer l’état de droit dans un pays qui a connu un génocide. Évoquant l’article 190 de la Constitution rwandaise sur la hiérarchie des normes, l’experte s’est dite perplexe quant à son application, compte tenu de l’existence des tribunaux populaires Gacaca. Elle a remis en doute la compatibilité de cette juridiction avec l’article 14 du Pacte, s’agissant en particulier du principe d’impartialité.
Ce mélange de justice populaire, coutumière, parallèle et de masse me pose problème, a-t-elle avoué, car comment faire la différence entre justice et vengeance personnelle. Elle a également fait part de ses préoccupations face au nombre de dossiers qui ont été traités par ces juridictions et s’est demandée comment les personnes pouvaient s’informer de leurs droits et préparer leurs dossiers. Il me semble que l’avocat est parfois réduit à un statut de « zombie », a-t-elle dit craindre, en relevant des informations selon lesquelles certaines personnes se voient infliger des peines plus lourdes si elles refusent de plaider coupables. Passant aux travaux d’intérêt général, elle a voulu savoir qui y avait droit et quelle est la différence avec des travaux forcés. Existe-t-il des contrôles, des limites dans le temps et des examens médicaux d’aptitude à ces travaux, a-t-elle voulu savoir.
Mme ZONKE ZANELE MAJODINA, experte de l’Afrique du Sud, est revenue sur la situation des Twas. Cette population autochtone se trouve en petit nombre dans de nombreux pays de la région et est souvent mal intégrée dans les sociétés où elle vit. La position du Rwanda de refuser de reconnaître les minorités ethniques risque de provoquer des tensions à l’avenir, a prévenu l’experte, qui a cependant dit comprendre une position qui tend à mettre l’accent sur l’unité du pays en définissant tout le monde comme d’abord et avant tout Rwandais.
M. IULIA ANTOANELLA MOTOC, experte de la Roumanie, a demandé des éclaircissements sur la distinction que fait le Rwanda entre « peuple autochtone » et « minorité ». Elle a rappelé la revendication des Twas de devenir un peuple autochtone, dans le contexte de la Convention pertinente. Elle voulu savoir si cela poserait un problème au Gouvernement rwandais, avant de revenir sur la question de la diffusion auprès des juges des dispositions du Pacte. Son homologue M. LAZHARI BOUZID, expert de l’Algérie, a voulu savoir pourquoi la Constitution rwandaise parle de formation politique et pas de parti politique. Il a aussi voulu savoir si la Commission électorale nationale avait des prérogatives pour promouvoir le droit de vote auprès des citoyens, droit qui n’est pas mentionné dans la Constitution.
M. PRAFULLACHANDRA NATWARLAL BHAWATTI, expert de l’Inde, a rappelé qu’il s’était rendu au Rwanda pour enquêter sur les massacres. Il y a rencontré un grand nombre de personnes et avait été fortement impressionné par l’inquiétude des citoyens qu’il a rencontrés. S’associant aux questions de ses collègues, il a réitéré celle de l’experte roumaine sur l’éducation et la formation spécifique des juges. Il s’est demandé si cette formation visait uniquement la catégorie inférieure des juges ou si elle concernait tous les juges. Certes, le pays est extrêmement pauvre et chaque fois qu’il y a un déni de droits, les gens ne peuvent pas toujours saisir une cour, a-t-il noté. Bien souvent, ils ne connaissent tout simplement pas leurs droits.
Quelles mesures, s’est-il interrogé, ont été prises pour informer la population. Quelle est la nature de l’assistance juridique fournie à la population? L’expert de l’Inde a insisté sur l’indépendance des juges, mais surtout sur la nécessité pour le système judiciaire rwandais de disposer de juges compatissants et conscients du degré de pauvreté des personnes auxquelles ils ont affaire.
M. KRISTER THELIN, expert de la Suède, a indiqué qu’à Treblinka, en Pologne, il n’existe plus rien aujourd’hui à part une pierre où est inscrit « plus jamais ». La triste réalité est que ce qui n’aurait jamais dû se reproduire s’est produit au Rwanda, a-t-il dit. L’expert est ensuite revenu sur les préoccupations face aux questions liées à l’indépendance de justice, aux obstacles à la liberté d’expression, dont la liberté de la presse et des médias. Le Rwanda, a-t-il conclu, n’ignore pas que certaines parties du Pacte sont le résultat direct de l’histoire sanglante de la Deuxième Guerre mondiale.
Répondant à cette dernière série de questions, la délégation rwandaise a relevé un problème d’informations dans le chef des experts. Les informations des années 90 dominent toujours, a-t-il regretté. Au Rwanda, parler de divisionnisme n’a rien à voir avec une vision staliniste des choses, c’est une réalité de terrain de laquelle il faut tenir compte au risque de voir resurgir la haine ethnique. Un pays comme le nôtre est particulièrement sensible aux risques de génocide, a enchainé la délégation. Si on autorise de nouveau une propagande ethnique, on compromet l’édification d’un État, a-t-il prévenu. La délégation a invité les experts à se rendre au Rwanda pour constater par eux-mêmes le degré de liberté dont la presse jouit.
S’agissant de l’opposition politique, le représentant du Rwanda a indiqué qu’il était lui-même membre du Parti libéral et connaissait donc le système de fonctionnement des partis. Il faut admettre, a-t-il plaidé, que les systèmes démocratiques diffèrent les uns des autres. Celui du Rwanda est différent de celui de la France qui est lui-même distinct de celui de l’Allemagne. Le représentant a ensuite expliqué que le Mouvement démocratique républicain (MDR) est le parti qui en 1972 avait cultivé la division au Rwanda. En 1991, le multipartisme est revenu et le MDR a ressurgi avec la même idéologie, avant de participer activement au génocide, a rappelé le représentant, qui a souhaité que les experts s’informent davantage sur la situation qui existe actuellement au Rwanda.
Pour ce qui est des Twas, le représentant a estimé qu’il y avait là encore un problème d’histoire. Il a argué que les membres de ce groupe ne vivent pas dans les forêts depuis les années 50 comme ils le prétendent, mais bien avec le reste de la population rwandaise. Il a néanmoins indiqué qu’il s’agissait là d’un groupe marginalisé et envers lequel il importe de fournir des mesures d’incitation à une plus grande intégration. Il a ensuite déclaré que les groupes tutsis et hutus ne correspondaient en rien au découpage tribal du pays, mais découlait bien de l’effort de classification qu’ont fait les Allemands. Nous n’avons qu’une seule ethnie au Rwanda, c’est l’ethnie rwandaise, et un seul objectif politique, la reconstruction du pays, a insisté le représentant.
Au sujet des juridictions Gacaca, il a appelé les experts à accepter les systèmes capables de résoudre les problèmes du pays contrairement à d’autres systèmes peut-être plus classiques. Les Gacaca respectent les fondements du droit, a affirmé le représentant. « Qui connaîtrait mieux les tenants et les aboutissants d’un génocide perpétré en plein jour que les membres mêmes de la communauté où il s’est produit », a-t-il lancé. Le représentant a également affirmé que de nombreux chercheurs étudient actuellement le système Gacaca.
Dans ses réponses aux questions sur les travaux d’intérêt général, le responsable des droits de l’homme du Ministère de la justice, a précisé que les condamnés travaillent uniquement de jour et jouissent d’une pause à midi. Contrairement à ce qui a été dit, il ne s’agit ni de « corvée » ni de « travail forcé », a insisté le responsable rwandais. Il a aussi informé le Comité qu’un centre national de psychiatrie assure le suivi des enfants qui ont souffert d’un traumatisme.
Quant à la formation des juges, il a dit qu’elle s’adresse à tous les juges. L’institution de formation est devenue un établissement habilité à délivrer des diplômes, a-t-il aussi indiqué. Quant à l’assistance juridique aux indigents, il a souligné qu’avec ses moyens limités, l’État ne peut couvrir toutes les dépenses. Il a attiré l’attention sur l’aide apportée par les maisons d’accès à la justice.
Dans ses derniers commentaires, l’experte américaine a établi une distinction entre moyens et fins et a jugé qu’aucune excuse n’était acceptable devant le fait qu’un individu soit attaqué avec des barres de fer. Elle a estimé que ce type d’attaques contre des journalistes ou des opposants était totalement inadmissible. Elle a fait état de déclarations d’ONG selon lesquelles il est impossible de créer un parti d’opposition, par exemple.
Elle a mentionné le climat de terreur qui règne encore dans le pays et a vivement encouragé le Gouvernement rwandais à ne pas pénaliser la population qui se voit ainsi forcée à passer dans la clandestinité pour s’exprimer. Après avoir mentionné les Balkans où après la guerre, les gens manipulaient les questions publiques pour régler des questions privées, elle a mis en garde la délégation rwandaise contre le poids des rumeurs.
Pour ce qui est des objecteurs de conscience, elle a également suggéré de ne pas donner foi aux rumeurs, en insistant sur la nécessité pour un jury d’être dûment au fait de la situation. Notant que des tribunaux populaires comme les Gacaca peuvent prononcer des peines très lourdes, elle a imploré le Gouvernement de prêter attention à cette question grave « car le Rwanda moderne a besoin de clarté ».
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