CNUCED XII: LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL APPELLE À UN « NEW DEAL » EN MATIÈRE DE POLITIQUE ALIMENTAIRE MONDIALE
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CNUCED XII: LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL APPELLE À UN « NEW DEAL » EN MATIÈRE DE POLITIQUE ALIMENTAIRE MONDIALE
Ban Ki-moon invite les délégations à repenser leurs stratégies commerciales et de développement
On trouvera ci-après le texte de l’allocution prononcée par le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, à l’occasion de la douzième session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), à Accra, au Ghana, le 20 avril:
C’est avec un grand plaisir mais aussi de profondes inquiétudes que je déclare ouverte la douzième session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement.
Nous avons certes de quoi nous réjouir. Nous vivons une des périodes de transformation économique les plus extraordinaires de l’histoire. De 1990 à 2007, la mesure de l’économie mondiale est passée de 23 000 milliards de dollars à 53 000 milliards. Le commerce a augmenté de 133 %. Les pays en développement ont contribué pour plus de la moitié à cette croissance. Ils représentent aujourd’hui près de 40 % du commerce mondial et réalisent la moitié de ces échanges entre eux. Des pays naguère pauvres sont devenus des moteurs de croissance pour d’autres, arrachant ainsi des centaines de millions de personnes à la pauvreté.
Le commerce et la mondialisation sont les moteurs de ce cercle vertueux. Étant donné les forces qui remodèlent notre monde –la croissance économique de l’Asie, pour n’en citer qu’une–, il est clair que cette tendance va se poursuivre, voire s’accélérer. Et pourtant, nous faisons face à une urgence en matière de développement.
La raison en est simple: tous les pays n’ont pas profité de cette vague. Dans 142 pays, les pauvres sont certes entraînés par la croissance mondiale de l’économie. Mais dans 50 autres, les plus pauvres parmi les pauvres, il n’en va pas de même. La croissance mondiale n’est pas passée par là. Les stratégies de développement de ces pays ont échoué. Les nôtres aussi.
Nous ne pouvons pas laisser pour compte le milliard d’habitants les plus pauvres de notre planète. Nous ne pouvons négliger leurs besoins, qui sont réels et urgents. Il nous faut une réflexion nouvelle, des approches novatrices. Il est particulièrement opportun que nous soyons réunis ici, à Accra. Nulle part au monde, en effet, le défi posé par la marginalisation économique n’est plus criant qu’en Afrique.
La crise du développement se manifeste de bien des manières. Permettez-moi d’en aborder trois, qui sont au premier plan de l’actualité.
D’abord, la flambée des prix des denrées alimentaires. Vous êtes tous au courant des proportions alarmantes de ce problème. D’après le Programme alimentaire mondial, le prix des produits agricoles essentiels (blé, maïs et autres céréales) a augmenté de plus de 50 % au cours des six derniers mois. Le riz atteint de nouveaux records presque tous les jours. Récemment, un pays asiatique désireux d’acquérir du riz chez un État voisin s’est vu annoncer, au lieu du prix attendu de 400 dollars par tonne, un prix de 500 dollars. Lorsque les acheteurs ont eu le feu vert de leur gouvernement pour procéder à l’achat, le prix était passé à 750 dollars, et on ne savait pas si la marchandise était encore disponible.
Il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle manifestation n’éclate, de l’Égypte à Haïti ou de la Côte d’Ivoire au Burkina Faso. Certains pays ont interdit l’exportation du riz ou du blé; d’autres ont décidé de créer des encouragements financiers à l’importation de marchandises supplémentaires. Ces mesures menacent de fausser les échanges internationaux et d’aggraver les pénuries.
Les raisons de la crise sont nombreuses et ne peuvent être liées uniquement, comme le font certains, à un simple déséquilibre entre biocarburants et agriculture, même si c’est en effet un des facteurs en cause. La hausse des prix du pétrole a augmenté les coûts de production et de transport. La production alimentaire mondiale a été touchée cette année par la sécheresse et par d’autres catastrophes naturelles. La croissance économique a exercé un effet haussier sur la consommation, spécialement en Asie. La spéculation financière et la chute persistante du dollar sont d’autres facteurs à retenir.
Ce qui est certain, c’est que ces trois dernières années, le monde a consommé plus de denrées alimentaires qu’il n’en a produites. Les réserves de céréales sont au niveau le plus bas depuis 30 ans. La situation est insupportable.
Nous devons prendre des mesures au plus vite pour assurer la sécurité alimentaire mondiale. Il faut commencer par répondre aux besoins humanitaires immédiats. Cette année, le Programme alimentaire mondial compte nourrir 73 millions de personnes. Mais pour y arriver, il a besoin de 755 millions de dollars supplémentaires, simplement pour couvrir la hausse du coût des programmes en cours. La demande augmentant, le Programme va devoir recourir au rationnement sur de nombreux théâtres d’opération. Ce tsunami n’est pas l’événement d’un jour. Il va poursuivre sa course et risque de provoquer des dégâts dévastateurs.
À long terme, il faut donc augmenter la production agricole. Dans ce domaine, on peut être optimiste. Selon les experts, il n’y a pas de raison que l’Afrique ne connaisse pas une « révolution verte » et qu’elle n’augmente pas considérablement sa production de denrées alimentaires. Le Malawi y est déjà parvenu. À elle seule, l’amélioration de l’efficacité des marchés peut avoir un effet énorme. D’après le Programme alimentaire mondial, environ un tiers des pénuries alimentaires dans le monde sont dues à des goulets d’étranglement dans les marchés locaux et dans le système de distribution.
Il peut être tentant de voir la solution à l’intérieur même du problème. Quand les prix montent, se dira-t-on, l’offre fait de même. Mais le monde réel ne correspond pas à celui des cours élémentaires d’économie. Au Kenya, au Mali, au Laos et en Éthiopie, pour ne nommer que quelques-uns des pays les plus pauvres et les plus vulnérables, les agriculteurs réduisent fortement les semailles de la prochaine saison, dans certains cas de deux tiers ou plus encore, à cause de la hausse des prix des engrais, influencée par la hausse du prix du pétrole. Nombreux sont les petits exploitants, dans le monde entier, qui ne peuvent pas investir pour l’avenir, même pas pour des produits aussi fondamentaux et aussi essentiels que les denrées alimentaires.
Il faut étudier toutes ces questions à fond, mais le temps presse. La communauté internationale doit prendre des mesures rapidement pour éviter des conséquences plus dévastatrices, qu’il s’agisse de la situation politique ou de la sécurité. Je me réjouis d’apprendre que la Banque mondiale compte augmenter l’enveloppe des crédits agricoles à l’Afrique pour la faire passer de 400 à 800 millions de dollars en 2009, ce qui constituera une première étape vers un « new deal » en matière de politique alimentaire à l’échelle mondiale. Je félicite les États-Unis d’Amérique pour leur offre d’aide alimentaire d’urgence de 200 millions de dollars. Je conviens avec le Premier Ministre britannique, Gordon Brown, que la crise alimentaire mondiale doit figurer parmi les priorités du prochain sommet du G-8, qui se tiendra au Japon.
L’ONU doit assumer un rôle de chef de file dans la coordination de la réaction mondiale, en collaborant avec la Banque mondiale et le FMI. Les organismes des Nations Unies tels que la FAO, le Fonds international de développement agricole et le Programme des Nations Unies pour le développement sont au premier plan de cette lutte, avec le Programme alimentaire mondial, l’UNICEF et les organisations humanitaires de l’ONU. Le Président du Conseil économique et social de l’ONU organisera une session spéciale sur la crise à la mi-mai. Au début du mois de juin, la FAO organisera une réunion de haut niveau afin d’examiner les stratégies à mettre en œuvre et les besoins de financement. De mon côté, dès demain, je demanderai à toute mon équipe de s’employer à mobiliser l’action internationale.
Il est urgent de suivre de près la situation sur les marchés des denrées alimentaires et l’évolution de leurs prix, en particulier dans les villes, pour que nous puissions prendre en compte les troubles liés à l’alimentation dans nos projets d’aide humanitaire, de consolidation de la paix et de sécurité. Nous devons nous pencher sur la façon de remplacer l’aide alimentaire classique par une aide à la production alimentaire, qui vise à renforcer les capacités locales et nationales dans le domaine de l’agriculture. Les déplacements que j’effectuerai en Afrique de l’Ouest au cours des prochains jours me permettront de me rendre compte de visu des progrès obtenus et de ceux qu’il reste à accomplir.
Ne nous y méprenons pas: le problème est grave. Toutefois, il convient de ne pas s’alarmer inconsidérément. Nous disposons d’une importante panoplie de solutions et savons lesquelles appliquer. Nous pouvons par ailleurs mobiliser les ressources et les volontés politiques nécessaires. Cette crise ne doit pas se limiter à nos yeux à un problème à court terme, mais être perçue comme un cadre d’action durable.
En effet, c’est une grande chance de s’attaquer aux racines des problèmes dont souffrent nombre de personnes parmi les plus pauvres de la planète, petits agriculteurs à 70 %. Si nous les aidons, en leur apportant une assistance et en combinant judicieusement de saines mesures aux niveaux local et international, nos efforts seront payants. Sans compter qu’à l’issue du processus, nous aurons frappé un grand coup en faveur de la justice sociale et du développement.
Permettez-moi d’évoquer très brièvement deux autres aspects de la crise mondiale en matière de développement qui doivent nous interpeller: les objectifs du Millénaire pour le développement et les changements climatiques.
Vous savez que nous sommes à mi-chemin dans notre campagne de lutte contre la pauvreté dans le monde. Nous avons, certes, obtenu d’importants progrès, mais la plupart des pays sont bien loin d’avoir atteint les objectifs fixés, surtout en Afrique. C’est pourquoi j’ai créé le Groupe de pilotage pour la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement en Afrique, et j’organiserai, en septembre prochain, une réunion de haut niveau sur ces objectifs en marge du débat général. Sauf à repenser nos stratégies, en dépassant le discours stérile qui consiste à dire que « nous devons redoubler d’efforts », nous trahirons nos engagements à l’égard de millions de pauvres. Comme l’a indiqué Robert Zoellick sur le ton de l’avertissement la semaine dernière, l’escalade des prix des denrées alimentaires dans le monde pourrait se traduire par l’anéantissement de sept ans d’efforts en faveur de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement. En d’autres termes, nous risquons de revenir à la case départ.
Nous savons également l’influence considérable qu’exercent désormais les changements climatiques. La sécheresse menace les récoltes et l’approvisionnement en eau en Afrique subsaharienne. Les phénomènes climatiques extrêmes ont les mêmes effets en Asie. Ces menaces pèsent le plus lourdement sur les habitants les plus pauvres de la planète, ceux qui sont le moins à même de s’adapter.
Ces trois questions tiendront une place centrale dans nos activités pour les années à venir, et je compte sur vous, membres des délégations participant à la douzième session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, pour contribuer de manière déterminante à l’amélioration des politiques commerciales et de développement, dont le rôle est si essentiel au succès.
À l’évidence, le Cycle de Doha doit aboutir. Par aboutir, j’entends au minimum permettre aux pays en développement à faible revenu d’exporter leurs biens et services agricoles et non agricoles sur des marchés nouveaux et importants. Il est temps que les pays les plus riches revoient leurs programmes obsolètes de subventions agricoles. Les économistes s’accordent à dire que ces programmes entravent les échanges commerciaux et pénalisent les pays les plus pauvres de façon disproportionnée, contribuant ainsi à la crise actuelle. Si nous ne pouvons nous débarrasser aujourd’hui de ces vestiges d’un autre temps, alors même que les prix sont élevés, quand le pourrons-nous?
Nous devons aider les pays les plus pauvres à tirer parti de ces nouveaux débouchés en orientant l’aide, notamment l’aide au développement, vers des projets propres à renforcer les capacités industrielles et de production locales, qu’il s’agisse de construire des routes ou des écoles ou encore de bâtir des systèmes de santé. Les Initiatives d’aide au commerce peuvent être un puissant catalyseur.
Par ailleurs, nous devrions veiller à aider les pays en développement riches en ressources à répondre plus largement à l’explosion de la demande mondiale de matières premières. Pour aider ces pays à mieux gérer leurs ressources, certains économistes proposent que nous fixions à l’échelle mondiale des normes en matière de réglementation des taxes et des redevances, par exemple, ou que nous aidions les gouvernements à investir les recettes issues du secteur des matières premières dans des sources de croissance économique à plus long terme. Un programme mondial de gestion des matières premières en faveur du développement pourrait servir de tremplin pour faire des progrès dans la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement.
Les conflits et l’instabilité politique sont des obstacles majeurs au développement économique, tout comme l’absence d’une véritable gouvernance. Nous devons agir pour renforcer l’aide que nous apportons aux pays qui sortent d’un conflit. Nous devons également hâter la transition entre maintien de la paix et consolidation de la paix, raison principale pour laquelle je me rends en Côte d’Ivoire et au Libéria. Une rapide amélioration des conditions de vie dans les situations d’après conflit peut contribuer à éviter la reprise des hostilités. Aussi, les efforts que nous déployons dans le cadre de la Commission de consolidation de la paix doivent-ils mieux intégrer le potentiel non négligeable des politiques commerciales et de développement en matière de promotion du relèvement de la société et de la reprise économique.
Nous traversons actuellement une période d’incertitude économique croissante, dont l’enchérissement des denrées alimentaires et du pétrole et l’agitation sur les marchés financiers sont loin d’être les seules manifestations. Même si la croissance mondiale devrait rester forte, certaines régions pourraient être sur le point de connaître un ralentissement. Cette conférence vient donc à point nommé, qui donne l’occasion d’examiner les politiques à mettre en œuvre pour protéger les pays et les populations les plus pauvres.
Ne perdez pas de vue que le moteur d’une si large prospérité au cours des dernières décennies, à savoir le développement du commerce et de l’économie, conservera toute sa force d’entraînement à l’avenir. Je reconnais que de nombreux pays font face à des choix difficiles. La première fonction de tout gouvernement est, bien sûr, de nourrir sa population. Toutefois, nous devons rester sourds aux sirènes du protectionnisme. Les marchés internationaux des céréales DOIVENT rester libres et fonctionner sans entrave. Les guerres protectionnistes qui s’engagent sur les marchés des denrées alimentaires ne profitent, à long terme, à personne.
En définitive, notre mission est de veiller à ce que le cercle vertueux ne soit pas rompu et à ce que ses retombées positives atteignent le plus grand nombre, et tout particulièrement ceux qui n’en ont pas bénéficié jusqu’ici. C’est en augmentant les échanges commerciaux et non en les réduisant que nous nous sortirons de cette impasse.
La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement est peut-être notre meilleur espoir de collaborer dans le cadre d’un partenariat mondial en faveur du développement. Accordons-nous sur le point suivant: les bienfaits de la mondialisation peuvent, et devraient, être partagés plus équitablement. Et accordons-nous également sur le principe selon lequel personne ne devrait être laissé à l’écart.
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