SG/SM/10752

TRANSCRIPTION DE LA CONFÉRENCE DE PRESSE DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, M. KOFI ANNAN, AU PALAIS DES NATIONS, À GENÈVE, LE 21 NOVEMBRE 2006

21/11/2006
Secrétaire généralSG/SM/10752
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

TRANSCRIPTION DE LA CONFÉRENCE DE PRESSE DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, M. KOFI ANNAN, AU PALAIS DES NATIONS, À GENÈVE, LE 21 NOVEMBRE 2006


Le Secrétaire général:  Bonjour Mesdames et Messieurs.  C’est, comme toujours, un plaisir de vous rencontrer.  Ce sera peut-être l’une de nos dernières rencontres, notre dernière rencontre, ou plutôt votre dernière rencontre avec moi en tant que Secrétaire général, et je tiens à vous remercier pour votre courtoisie et la façon dont, au fil des années, vous avez rendu compte des travaux de l’Organisation et de mes propres activités.  Il est vrai que nous, à New York, donnons quelquefois l’impression que nous nous considérons comme le centre du monde.  Mais vous, ici, à Genève accomplissez un travail absolument essentiel pour l’Organisation et aussi pour la communauté internationale, en vous occupant notamment des droits de l’homme, des questions humanitaires, des questions concernant la santé et le VIH, qui sont très importantes pour nous.  Vous nous avez donc aussi rendu grandement service et, comme vous le savez, les questions humanitaires représentent désormais un aspect tout à fait essentiel de nos activités.  Naturellement, je sais bien que vous ne vous intéressez pas uniquement aux questions humanitaires et médicales mais je tiens à vous remercier pour votre contribution et votre travail.  Comme je me suis déjà beaucoup exprimé depuis mon arrivée à Genève et au cours des derniers mois, je préfère m’abstenir de répéter ce que j’ai déjà dit et vous laisser autant de temps que possible pour les questions.  Donc allons-y directement.  J’essayerai de répondre à vos questions.


Question:  Bonjour Monsieur le Secrétaire général.  Je voudrais, au nom de l’Association des correspondants auprès des Nations Unies (ACANU), dont je suis le Président, et en tant que correspondant en chef de l’agence Reuters, vous souhaiter de nouveau la bienvenue ici dans la salle de presse III.  Nous sommes très sensibles à l’intérêt que vous avez toujours porté à ce qui se passe ici à Genève et apprécions la bonne volonté avec laquelle vous acceptez, lors de vos visites, de répondre à nos questions, pour autant que vous disposiez de suffisamment de temps.  Nous espérons que votre successeur suivra votre exemple.  Je voudrais donc simplement, au nom de l’ACANU, vous souhaiter une retraite très paisible et, j’en suis certain, très active, et, qui sait, peut-être aurons-nous l’occasion de vous croiser un de ces jours à Globus en train de faire vos courses.


Je me bornerai à vous poser une question très brève sur la situation au Darfour.  Il y a eu, ces derniers jours, un certain nombre d’éléments nouveaux: vous avez-vous-même annoncé que le Gouvernement soudanais était disposé à accepter la participation de l’Organisation des Nations Unies à une force de maintien de la paix; le Secrétaire général [adjoint], Jan Egeland, a, de son côté, indiqué que le Soudan acceptait de participer à de nouveaux pourparlers de paix avec les deux groupes rebelles, restés à l’écart jusqu’ici.  Mais, dans le passé, les espoirs suscités par ce genre d’annonce ont été très souvent déçus.  Je me demande donc quel sentiment vous inspire la situation actuelle.  Peut-on vraiment parler de tournant ou s’agit-il encore une fois de faux espoirs?


Le Secrétaire général:  Merci beaucoup.  Je pense que l’accord auquel je suis parvenu avec les parties soudanaises à Addis-Abeba il y quelques jours marque effectivement un tournant.  Pour la première fois, nous avons pu réunir tout le monde, c’est-à-dire les autorités soudanaises et les représentants des membres permanents [du Conseil de sécurité].  Étaient également présents le Président de la Commission de l’Union africaine, M. Konaré, ainsi que les représentants du Congo, du Gabon, du Nigéria et du Sénégal.  Dans le passé, des messages ont été envoyés au Soudan par différentes voies, mais je ne suis pas sûr que le discours tenu ait toujours été le même.  Alors que là, pour la première fois, nous nous sommes tous retrouvés dans la même salle et sommes convenus d’une démarche, d’une démarche en trois étapes, qu’il nous faut maintenant mettre en œuvre.  Comme je l’ai dit à la presse, les Soudanais ont accepté cette démarche mais en indiquant qu’ils avaient besoin de se consulter sur l’effectif de la force, qui, selon nos estimations, devrait être composée de 17 000 militaires et de 3 000 policiers.  Il y [a eu] des discussions sur le point de savoir comment le commandant de la force serait désigné, si la décision serait prise par la seule Union africaine ou en consultation avec l’ONU, ainsi que, bien entendu, au sujet du représentant spécial qui agirait au nom des deux organisations et de la façon dont il serait représenté.  Il s’agit là des seuls points en suspens sur lesquels les Soudanais devaient se consulter avant de donner leur réponse aussi rapidement que possible afin que M. Konaré puisse soumettre une proposition au Comité de la paix et de la sécurité de l’Union africaine le 24 novembre.  En fait, nous espérons bien avoir leur réponse aujourd’hui ou, au plus tard, demain.  Je sais qu’une réunion a lieu ce matin en Libye entre les Soudanais et les dirigeants régionaux et j’ai le sentiment qu’il en sortira une réponse définitive.  Je suis donc très confiant et je pense que Jan Egeland avait raison de l’être aussi.  Ce qui importe c’est que nous allions de l’avant et que l’accord soit mis en œuvre immédiatement, car nous ne pouvons nous permettre d’avoir un vide à la fin de l’année, au moment du passage en 2007.  Merci.


Question:  Certains ont appelé l’ONU à prendre ses distances par rapport à l’UE et aux États-Unis afin de devenir un médiateur objectif au Moyen-Orient.  Que pensez-vous du Conseil des droits de l’homme? Est-ce que le fait de consacrer trois sessions au Moyen-Orient le discrédite ou, au contraire, renforce sa crédibilité en tant que seul organe à se soucier vraiment de la défense des droits de l’homme et à se préoccuper des violations flagrantes dont ceux-ci font l’objet?


Le Secrétaire général:  Se soucier de quels droits de l’homme? Excusez-moi, je n’ai pas entendu la dernière partie de votre question.


Question:   J’ai dit que le Conseil des droits de l’homme avait consacré trois sessions extraordinaires au Moyen-Orient.  D’après certains, cela le discrédite.  Mais d’autres ont une opinion opposée.  Qu’en pensez-vous?


Le Secrétaire général:  Le Conseil des droits de l’homme, qui remplace la Commission des droits de l’homme, était censé faire le point sur la situation des droits de l’homme dans tous les pays.  En fait, le mécanisme d’examen collégial était l’une des innovations.  Je rappelle qu’au cours des discussions, j’ai moi-même fait valoir qu’il faudrait examiner le bilan des membres du Conseil dans le domaine des droits de l’homme; avant de s’intéresser au bilan des autres pays, ceux-ci devraient commencer par examiner leur propre bilan.  L’idée ou l’espoir était que le Conseil fasse un large tour d’horizon et passe en revue le plus grand nombre de situations possibles.  Que cela s’explique ou non par le fait que ses réunions ont coïncidé avec la guerre du Liban, il a eu tendance à se concentrer sur la question palestinienne, et évidemment, lorsque vous vous concentrez sur la question israélo-palestinienne, sans même évoquer le Darfour et d’autres questions, certains s’interrogent: le Conseil n’a-t-il aucun fair play, pourquoi devrait-il négliger d’autres situations et se concentrer sur une région? J’espère qu’à mesure que nous avancerons, le Conseil élargira son champ d’action et qu’il se penchera sur la situation des droits de l’homme dans d’autres pays et prendra les mesures voulues, car s’il se concentre uniquement sur la question israélo-palestinienne, son attitude suscitera les commentaires que vous avez évoqués.


Sur le point de savoir si l’ONU devrait prendre ses distances par rapport à l’Union européenne et aux États-Unis, je rappellerai d’abord que les États-Unis et l’Union européenne, ainsi que les pays de la région sont des acteurs majeurs, qui exercent une grande influence sur toute tentative de règlement au Moyen-Orient.  Il nous faut donc travailler avec eux.  Mais, que les choses soient claires, sur la question de l’embargo ou du refus d’appuyer le Hamas, ce sont les donateurs qui ont indiqué qu’ils ne donneraient pas d’argent et n’apporteraient pas leur appui au Hamas tant que celui-ci ne souscrirait pas aux trois principes suivants: acceptation de l’existence d’Israël, fin des violences et respect des engagements déjà pris.  Ainsi, même si vous examinez le communiqué de janvier, vous verrez qu’il y est dit clairement que les membres donateurs sont convenus de ne pas verser d’argent.  Nous ne sommes pas les donateurs, nous n’étions pas en mesure de faire cela, mais nous avons très fortement poussé à la création du mécanisme temporaire qui permettra d’envoyer des fonds en Palestine pour aider les pauvres et ceux qui sont dans le besoin.  Merci.


Question:  Monsieur le Secrétaire général, pourriez-vous nous donner votre avis sur la réforme inachevée du Conseil de sécurité.  Pensez-vous qu’il reste encore un peu de la dynamique nécessaire ou qu’au contraire on a laissé passer le moment propice et qu’il faudra peut-être encore attendre une dizaine d’années?  Merci beaucoup.


Le Secrétaire général:  J’espère que les États Membres iront de l’avant et n’attendront pas encore 10 ans pour mener à bien la réforme nécessaire du Conseil.  J’estime que la proposition qui a été faite est bonne et j’ai fait savoir très clairement que, de mon point de vue, aucune réforme de l’Organisation des Nations Unies ne sera complète sans la réforme du Conseil de sécurité.  Il nous faut adapter la structure et la composition du Conseil aux réalités du XXIe siècle et ne pas perpétuer des accords qui reflètent les réalités géopolitiques de 1945. En outre, la structure du Conseil a soulevé beaucoup de problèmes, même au cours du processus de réforme, car les États Membres ont tendance maintenant à considérer toutes choses à travers le prisme du pouvoir, − qui a le pouvoir, qui va gagner du pouvoir et qui va en perdre − d’autant plus que, pour la plupart d’entre eux, l’ONU a une base de pouvoir trop étroite, centrée sur cinq pays.  Chaque fois qu’une proposition est avancée à propos de la réforme ou des structures, on cherche uniquement à savoir quel groupe va y gagner et quel groupe va y perdre, et je dois dire que le comportement des cinq membres permanents n’a pas toujours été d’un grand secours.  Par exemple, lorsque nous avons mis sur pied la Commission de consolidation de la paix, ils ont immédiatement exigé cinq sièges et ils les ont obtenus, et lorsque nous avons commencé à discuter du Conseil des droits de l’homme, ils ont également voulu que cinq sièges leur soient automatiquement réservés.  Les États Membres ayant bien entendu réagi, ils ont fait marche arrière.  Naturellement, lorsque ce genre de choses arrive, les petits pays et les gouvernements des nombreux pays non alignés ont le sentiment que l’appétit de pouvoir des cinq membres permanents du Conseil de sécurité est insatiable et vous avez inévitablement ce type de conflit.  J’espère donc que la proposition qui a été avancée et qui prévoit de porter le nombre de membres du Conseil à 25 et de créer soit six sièges permanents supplémentaires sans droit de veto soit six sièges semi-permanents, permettra aux États Membres d’aller de l’avant. 


Il leur faut parvenir à un compromis.  Je leur ai dit qu’ils se trouvaient devant un choix: soit ils s’entendent pour réformer le Conseil, y entrent et participent à ses activités tout en continuant à rechercher la solution idéale, soit ils restent en dehors du Conseil et continuent de chercher la solution idéale, ce qui peut leur prendre encore 10 ou 20 ans.  S’ils trouvaient un compromis − par exemple s’ils acceptaient, au lieu d’un siège semi-permanent pour quatre ans et d’un siège permanent sans droit de veto, des sièges semi-permanents pour 10 ou 8 ans − je suis convaincu qu’ils obtiendraient un accord.  Malheureusement, j’ai manqué de temps pour favoriser l’émergence d’un compromis de ce type ou les aider à parvenir à un consensus.  Mais j’espère que mon successeur, en travaillant avec les gouvernements qui voient les choses de la même façon, trouvera une solution.  Il est absolument essentiel que le Conseil soit réformé.



Question:  Pourriez-vous, Monsieur le Secrétaire général, faire le point sur la situation en Iraq, indiquer ce qui selon vous pourrait-être fait pour l’améliorer, en ayant à l’esprit que depuis plus de trois ans la présence de l’ONU en Iraq n’est guère notable, et que la semaine dernière le Premier Ministre britannique a qualifié la situation de «désastreuse».


Le Secrétaire général:  Votre question suggère-t-elle une réponse déterminée? La situation est très, très difficile, et nous devons vraiment trouver des moyens créatifs de la contrôler.  Je crois que chacun s’accorde sur la nécessité de s’atteler à une tâche essentielle, à savoir la révision de la Constitution, qui devrait permettre d’assurer un partage équitable du pouvoir et des ressources entre les différents groupes.  Aujourd’hui, les sunnites ont le sentiment qu’ils sont défavorisés par la Constitution et par le partage des ressources et du reste, et tout le monde a accepté que la Constitution soit révisée.  Je crois que l’on assiste en Iraq à la lutte de chaque groupe pour défendre sa place dans le pays, tant en ce qui concerne le pouvoir que l’influence et les ressources; si cette question peut être réglée grâce à la Constitution, on aura contribué à calmer le jeu.  Il est important de trouver une formule qui permette de rassembler les Iraquiens afin qu’ils recherchent une solution à leurs différences internes.  Les voisins de l’Iraq auront également un rôle à jouer, tout comme la communauté internationale, et je pense que si l’on aborde la question dans cette optique, en essayant de régler de l’intérieur les questions qui les divisent, en obtenant un appui aux niveaux régional et international, il faudra sans doute alors mettre toutes les parties autour d’une table et les faire participer à une conférence plus large.


La question de la présence militaire est bien évidemment épineuse.  D’une certaine manière, les États-Unis sont piégés en Iraq, dans la mesure où ils ne peuvent ni rester ni partir.  D’aucuns affirment que leur présence est un problème, d’autres considèrent que s’ils partent précipitamment la situation s’aggravera, et qu’ils doivent donc calmer le jeu et stabiliser la situation avant de partir.  Il est évident que les États-Unis devront faire preuve d’une extrême prudence; le calendrier du retrait devra être optimal en ce sens qu’il ne devrait pas aboutir à une détérioration accrue de la situation, mais permettre qu’au moment du départ, au moment du retrait, les Iraquiens soient en mesure d’assurer eux-mêmes un niveau de sécurité raisonnable.


Question:  Monsieur le Secrétaire général, pendant votre mandat, la situation en matière de désarmement s’est apparemment détériorée dans le monde en général, et il semblerait que le nombre de pays disposant d’armes nucléaires ait tendance à augmenter.  À quoi attribuez-vous cette situation, et pensez-vous qu’il soit possible d’y remédier dans un futur proche?


Le Secrétaire général:  Permettez-moi de dire que le TNP, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, a joué un rôle extrêmement important dans nos efforts pour contrôler la prolifération nucléaire.  Je crois que c’est [le Président] Kennedy qui avait prédit qu’il y aurait, à notre époque, une trentaine d’États nucléaires.  Cette prévision ne s’est pas réalisée, et cela essentiellement grâce au TNP et à sa mise en œuvre.  Il est vrai qu’il a été contesté par quelques pays, en particulier la Corée du Nord et l’Iran.  Il est important de s’efforcer de renforcer le TNP et son Protocole additionnel, et de faire en sorte que les gouvernements aient l’obligation de le signer.  Nous devons être vigilants, mais je crois que nous avons là quelque chose qui a marché.  Il faut veiller à ne pas affaiblir le TNP et son application.  Permettez-moi également d’observer que lorsque vous dites que [les régimes] de désarmement et non-prolifération se sont affaiblis au cours des 10 dernières années, je ne suis pas certain que cet affaiblissement se soit produit uniquement ces 10 dernières années.  Pour être franc, je ne pense pas que les puissances nucléaires aient montré la voie à suivre et qu’elles aient fait ce qu’elles devaient faire.  Je ne veux pas polémiquer sur la question de savoir qui est premier, le désarmement ou la non-prolifération.  Je pense qu’ils sont tous deux importants, et j’ai souvent eu l’occasion de déclarer que si les puissances nucléaires avaient ouvert la voie et donné l’exemple en désarmant, elles auraient envoyé un message au reste du monde, qui aurait ainsi compris qu’il est inutile de s’armer, de dépenser des millions et des milliards pour s’armer si au bout du compte il faudra de toute façon désarmer.  Mais aussi longtemps que les puissances nucléaires s’accrocheront à leurs armes, voire tenteront d’en produire de plus puissantes, parce qu’elles en ont besoin pour assurer leur sécurité, d’autres gouvernements voudront disposer de ces armes pour assurer eux-aussi leur sécurité.  C’est pourquoi il faut être parfaitement clair sur ce point, et je crois que le désarmement est tout aussi important que la non-prolifération.  Merci.


Question:  Monsieur le Secrétaire général, on a l’impression, pendant cette fin de mandat, que l’un des principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies, en l’occurrence le principe d’autodétermination, du droit des peuples à la liberté et du devoir de la communauté internationale de leur venir en aide pour réaliser cela, se transforme, comme disait un défenseur des droits de l’homme palestinien, en devoir des victimes d’être des victimes sages, sinon ils seraient taxés de terroristes ou boycottés, y compris par quelques instances des Nations Unies.  Pour le Secrétaire général des Nations Unies, pour l’ex-étudiant de HEI qui a tant disserté sur ces principes, pour le citoyen du monde, est-ce qu’un tel dérapage serait acceptable d’un point de vue légal ou moral? Merci beaucoup.


Le Secrétaire général:  Je vais vous répondre en anglais parce que je ne veux pas perdre les nuances.


Permettez-moi de dire que le droit à l’autodétermination est quelque chose que l’ONU devrait et doit respecter.  C’est ce droit qui a conduit à l’indépendance de Timor-Leste.  C’est ce droit qui sous-tend nos pourparlers avec le POLISARIO et les Marocains.  Et c’est ce même droit qui oriente notre action en Israël et en Palestine, lorsqu’on parle de la terre contre la paix et du droit des peuples de choisir leurs propres dirigeants.  Un peu partout dans le monde nous avons encouragé la bonne gouvernance, et je crois que chacun peut constater qu’aujourd’hui bien plus de pays sont gouvernés de manière démocratique et que bien plus de peuples ont pu choisir leurs propres dirigeants et déterminer leur avenir.  Je ne crois pas que l’ONU puisse se désintéresser de cette question.  La situation en Palestine et en Israël à laquelle vous faites allusion est une situation particulièrement difficile, avec laquelle nous sommes tous aux prises aujourd’hui.  De nombreuses initiatives sont actuellement débattues.  Vous avez noté qu’il y a quelques temps, le Premier Ministre espagnol, le Président français et le Premier Ministre italien ont proposé d’organiser une conférence internationale.  D’autres propositions sont faites pour tenter de trouver une solution.  Lorsque je suis revenu de la région l’été dernier, après la guerre du Liban, j’ai moi-même indiqué que ce qui s’était passé dans ce pays était un avertissement, que la communauté internationale se devait d’agir très rapidement pour tenter de stabiliser la situation au Liban et normaliser ses relations avec Israël, et qu’il fallait également rechercher une paix globale au Liban, en Syrie et avec la Palestine.  Il me semble que dans les mois ou les années à venir nous allons assister à des initiatives très fortes sur cette question, car le statu quo ne satisfait et ne devrait satisfaire personne.


Question:  Monsieur le Secrétaire général, la corruption est galopante un peu partout dans le monde.  Une conférence sur la question doit d’ailleurs se tenir à Amman dans deux semaines.  Néanmoins, l’homme de la rue, les gens normaux comme vous et moi et d’autres, sont très inquiets car la corruption fait des ravages, et a des incidences sur la traite d’êtres humains, le trafic de drogues, et le système judiciaire.  D’après votre expérience sur la manière dont il convient de traiter les questions difficiles, qu’est-ce qui pourrait être fait de manière plus radicale pour remédier d’une manière ou d’une autre au problème.  Par ailleurs, j’aimerais vous dire, maintenant que votre mandat est sur le point de s’achever, que vous êtes devenu une figure en Afrique; les gens disent: Nelson Mandela et Kofi Annan se sont unis pour appuyer les Africains et l’Afrique.  Je crois qu’il est toujours bon de savoir qu’un peu partout dans le monde les gens vous prennent au sérieux.


Le Secrétaire général:  Je crois qu’ils disent Kofi Annan et Mandela parce que nous avons tous les deux les cheveux blancs.  Vous avez raison en ce qui concerne la question de la corruption, du crime organisé à l’échelon international, de la traite d’êtres humains, etc.  Mais je crois que ce que nous devons faire pour lutter contre ce fléau c’est tout d’abord de dire qu’il existe une convention contre la corruption, et qu’il faut travailler tous ensemble par-delà les clivages internationaux.  Il nous faut également encourager les gouvernements à être transparents, à ouvrir leurs systèmes, à ne pas créer une situation dans laquelle, pour chaque activité, les gens doivent se procurer un nombre incalculable d’autorisations.  Dans certains pays, vous devez accomplir 119 démarches pour créer une société, ce qui prend environ un an, et à chaque étape quelqu’un veut recevoir sa part; une telle bureaucratie permet ce type de corruption.  S’il est possible de supprimer la bureaucratie, d’être transparent, de créer des réglementations adaptées et un environnement qui libère les forces créatives ainsi que l’esprit d’entreprise des gens, et bien il faut le faire.  Je pense aussi qu’il faut être très sévère et très rigoureux avec des fonctionnaires corrompus lorsqu’on en rencontre.


S’agissant de la traite d’êtres humains et des questions connexes, la communauté internationale prend de plus en plus conscience de ce phénomène, mais celui-ci est également lié à la législation en matière d’immigration.  Il arrive ainsi parfois que des personnes touchent de l’argent pour faire sortir des gens clandestinement, pour les emmener d’un point A à un point B, et exigent ensuite qu’ils payent une rançon, qu’ils versent des sommes très importantes pendant une certaine période, ou bien alors elles les forcent à se prostituer.  Nous sommes tous parfaitement conscients du phénomène à présent.  L’Office des Nations Unies à Vienne travaille très activement avec les gouvernements sur cette question.  Je pense néanmoins qu’il faut admettre que la question des migrations va être à l’ordre du jour pendant un bon moment, qu’on ne pourra pas stopper ce phénomène, qu’on ne peut pas l’arrêter en construisant des murs.  Ce qu’il faut, c’est élaborer des règles adaptées et une législation appropriée en la matière, et accepter le fait que les migrations, si elles sont traitées correctement, peuvent faire trois vainqueurs: le pays d’origine, le pays d’accueil et le migrant lui-même.  Nous en avons eu un merveilleux exemple pendant la coupe du monde.


Question:  Monsieur Annan, c’est un plaisir de vous voir ici.  J’aimerais revenir à l’Iraq si vous le permettez.  Apparemment, la Syrie et l’Iraq viennent de rétablir des relations diplomatiques, rompues il y a fort longtemps, et le Président iraquien, [Jalal] Talabani va se rendre en Iran à la fin de la semaine.  J’aimerais connaître votre réaction sur ce sujet.  Pensez-vous que les Iraquiens et leurs voisins sont en train de mettre quelque chose en place bien plus vite que les États-Unis ne l’escomptaient, et peut-être même ne le souhaitaient? Croyez-vous en fin de compte que c’est ainsi, en prenant en main leur propre situation, que les Iraquiens amèneront les États-Unis et les autres à s’en aller?


Le Secrétaire général:  Vous vous souviendrez que j’étais en Syrie et en Iran en septembre dernier; j’ai toujours affirmé qu’il fallait les faire participer et qu’ils devaient contribuer à la solution.  J’ai rencontré les dirigeants de ces deux pays et j’ai débattu de cette question en profondeur avec eux; en fait, il y a tout juste trois jours, j’ai eu une conversation téléphonique avec le Président [Bashar Al-] Assad et le Président [Mahmoud] Ahmadinejad au sujet de la situation au Liban et je leur ai dit qu’il fallait qu’ils travaillent avec moi, avec nous, pour stabiliser le Liban et pour encourager l’unité du peuple libanais.  Le Président syrien m’a alors informé que son Ministre des affaires étrangères allait se rendre en Iraq pour y tenir des discussions, et j’espère que lorsqu’il en reviendra, j’aurai également la possibilité de m’entretenir avec lui pour savoir ce qui s’est passé et ce qui a été convenu.  En fait, je crois que si les voisins qui ont un rôle à jouer pouvaient s’entendre et travailler avec les Iraquiens pour calmer la situation, cela serait très positif.  Les voisins peuvent jouer un rôle positif ou négatif.  Ils peuvent décider d’appuyer l’une ou l’autre des parties en Iran.  Ils peuvent aussi décider de travailler avec elles pour aboutir à une désescalade.  C’est pourquoi nous avons toujours encouragé les voisins de la région, les pays voisins de l’Iraq, à s’entendre pour travailler ensemble; il est évident que si la Syrie et l’Iran ont un rôle positif à jouer, il n’en reste pas moins qu’il est dans l’intérêt de tous les pays, y compris la Syrie et l’Iran, que l’Iraq soit en paix.  C’est pourquoi je les engage à user de leur influence et à faire tout ce qu’ils peuvent pour contribuer à pacifier l’Iraq.  Il ne s’agit pas de se demander si cela va aider les États-Unis ou la force multinationale; après tout, il s’agit également de leur zone d’influence et ce qui se passe en Iraq a des effets négatifs sur ces pays.


Question:  Monsieur le Secrétaire général, pendant les années au cours desquelles vous avez occupé cette fonction, quel a été le plus grand succès de l’ONU, le résultat dont vous êtes vraiment fier? Par ailleurs, pouvez-vous également nous dire quel a été l’échec le plus retentissant pendant votre mandat, la décision que vous regrettez vraiment?  Merci.


Le Secrétaire général:  Cette question est fréquemment posée.  Je pense que nous avons apporté quelque contribution au système, et il y a deux points dont nous devons tous être fiers il me semble.  J’ai indiqué hier que l’un de ces points très importants est le fait que la communauté internationale ait décidé de lutter contre la pauvreté et de mettre en œuvre les objectifs du Millénaire pour le développement.  Ce qui est ici en jeu, ce sont les besoins et les intérêts de milliards de personnes dans le monde, et si nous pouvons faire des progrès en la matière nous aiderons un très grand nombre de personnes.  Je me félicite également que nous ayons fait avancer les droits de l’homme et l’état de droit, et en fin de compte, les États Membres ont admis qu’ils avaient la responsabilité de protéger.  En ce qui concerne les maladies infectieuses, je crois que le monde commence à comprendre que nous sommes tous dans le même bateau, qu’il s’agisse du syndrome respiratoire aigu sévère ou du VIH/sida.  Les États Membres et le monde intensifient à présent la lutte contre le VIH/sida, à l’avant-garde de laquelle se trouvent l’ONU et ONUSIDA.  Il convient également de mentionner la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, à laquelle je suis fier d’avoir contribué.  Il me semble également que l’ONU a tendu la main et ouvert grand ses portes à la société civile, aux fondations du secteur privé et aux universités; en partenariat avec ces trois entités, elle s’attaque aux problèmes du monde, reconnaissant que les gouvernements ne peuvent pas le faire tout seuls.  Je pourrais continuer mais je vais m’arrêter ici.


Pour ce qui est du regret, je persiste à dire que c’est la guerre en Iraq, et le fait que les débats et les discussions qui se sont tenus au Conseil de sécurité n’aient pas réussi à l’empêcher.  Je suis intimement convaincu que la guerre aurait pu être évitée et que les inspecteurs auraient dû avoir un peu plus de temps.  Et bien sûr, après cela, le [19] août 2003, il y a eu la disparition tragique de mes collègues et amis qui étaient allés en Iraq pour apporter leur aide, parce que nous pensons qu’indépendamment des différences il faut s’efforcer de remettre l’Iraq sur pied.  Et ces extraordinaires collègues et amis se sont proposés pour y aller, et ils sont morts dans un attentat.  Cela a été réellement très dur pour moi et mes collègues, fut très difficile à avaler et à accepter.


Question:  Tout en mettant l’homme au cœur des activités des Nations Unies par un appel à une nécessaire solidarité pour ne pas dire à un partenariat responsable, vous avez demandé aux Africains de prendre leur destin en main; aujourd’hui, pensez-vous que votre appel a été bien saisi? Cumulativement à cette question, j’aimerais savoir: quel est le message que vous adressez aux politiciens et au peuple sénégalais pour les élections présidentielles et législatives de février? Je vous remercie.


Le Secrétaire général:  Je crois que nous sommes en train de faire des progrès.  Il y a des jeunes Africains, des jeunes leaders, qui cherchent à prendre les choses en main; qui ne demandent qu’état de droit; qui sont prêts à prendre des risques et contester les gouvernements si les politiques tournent dans une direction qui n’est pas acceptable.  Ils n’ont plus peur.  Je crois que cela est sain.  Évidemment, il y a les sociétés civiles qui jouent un rôle important aussi, aujourd’hui, en Afrique et cela est nouveau.  En ce qui concerne les élections au Sénégal, je ne sais pas si je peux m’en mêler, mais j’espère que tout le monde acceptera les résultats, que la campagne sera ouverte et équitable.


Question:  Monsieur le Secrétaire général, vous allez beaucoup nous manquer et je suis sûre que bien d’autres collègues partagent mon avis.  La question que je voulais vous poser vous a déjà été posée; il s’agissait de savoir si vous aviez un regret.  Alors, j’ai une autre question, un peu plus folle.  Si on vous disait: «Monsieur le Secrétaire général, restez encore pour un autre mandat», est-ce que vous accepteriez? Si oui, pourquoi et sinon, aussi pourquoi?


Le Secrétaire général:  On dit qu’il y a toujours un début et une fin à tout et je pense que j’ai eu mon tour, deux mandats.  C’est raisonnable et c’est suffisant, et je crois qu’il est temps de quitter le devant de la scène et de laisser la place à un autre Secrétaire général.  J’ai apporté ma contribution et, pour ce que nous en savons, il fera peut-être même mieux que moi.  Je pense qu’il est non seulement démocratique mais aussi sain de faire un roulement et de changer périodiquement.  J’ai eu le privilège et l’honneur, au cours des 10 dernières années, d’être à la tête de cette Organisation et j’ai fait de mon mieux pour respecter ses idéaux et pour la diriger aussi efficacement que je le pouvais.  Mais je pense que le moment est venu pour moi de passer à autre chose.  Je crois sincèrement que même si on m’avait demandé de rester, j’aurais dit que je suis à un moment de ma vie où j’ai besoin d’un équilibre entre l’action et la réflexion, et rester Secrétaire général ne m’aurait pas permis de l’avoir.  J’adresse à mon successeur tous mes vœux de succès et je suis sûr que lui aussi apportera sa contribution.  C’est quelqu’un de très bien et il devrait réussir.  Merci.



Question:  Monsieur le Secrétaire général, on dit que vous prenez votre retraite, mais vous êtes loin d’avoir l’air fatigué et d’être prêt à vous retirer.  Je préférerais donc donner au mot retraite le sens de nouveau départ.  Étant donné que vous venez d’une région du monde qui semble avoir tant de besoins sur le plan politique et sur le plan économique, etc., qu’avez-vous l’intention de faire de ce nouveau départ?


Le Secrétaire général:  C’est une interprétation intéressante du mot retraite.  Je ne suis pas fatigué, je vais continuer, je ne me retire pas, je passe à une nouvelle phase de ma vie.  Je voudrais travailler avec les gouvernements africains et d’autres gouvernements sur la question de la sécurité alimentaire, les encourager à prendre au sérieux l’agriculture et la productivité agricole.  Nous sommes le seul continent qui ne peut pas se nourrir.  Nous sommes aussi le seul continent qui n’ait pas connu de révolution verte.  Nous avons la terre et les compétences, et je pense que nous devrions réellement nous concentrer sur l’agriculture.  Cela créerait non seulement des emplois, mais cela nous donnerait également un sentiment de sécurité.  Au moment où nous parlons, l’ONU est en train de nourrir des millions d’Africains et cette situation ne peut pas durer.  Je consacrerai donc une partie de mon temps à cela.  J’offrirai des conseils si l’on fait appel à mes services.  Je vais probablement écrire un peu.  Je ne manquerai pas d’activités, je n’ai pas d’inquiétude à me faire à ce sujet, mais j’aimerais consacrer un peu de temps à l’Afrique également.


Question:  Monsieur le Secrétaire général, avant de poser ma question, je voudrais juste revenir rapidement sur ce que l’on vient de vous demander.  Tout d’abord, écarteriez-vous complètement l’idée de revenir à l’ONU en tant que facilitateur ou envoyé spécial pour résoudre une crise quelconque comme l’a fait Mandela pour le Burundi par exemple? Mon autre question est la suivante: l’une des grandes avancées des 10 dernières années a été le développement de la justice internationale avec la création de la Cour pénale internationale.  Mais quiconque a été aux prises avec la realpolitik sur le terrain des négociations de paix comme au Darfour ou dans le nord de l’Ouganda avec [Joseph] Kony [chef de l’Armée de résistance du seigneur] sait que les mises en accusation ou les menaces de mise en accusation peuvent compliquer le processus.  Des réformes seraient-elles envisageables selon vous, et, d’autre part, pensez-vous que le fait que les grandes puissances se tiennent à l’écart de la CPI complique la situation et que les gouvernements africains ont ainsi plus de mal à accepter les décisions rendues?


Le Secrétaire général:  Ma réponse à votre première question est que cela dépendra beaucoup des circonstances et des crises.  Si je peux être utile dans une situation de crise, aider à arrêter une guerre ou des massacres et ramener les gens à la table des négociations sur une base raisonnable, je pourrais l’envisager mais cela dépendra beaucoup des circonstances et de la nature de la situation en cause.  Mais laissez-moi vous dire tout de suite que je ne le recherche pas.  J’ai déjà suffisamment d’activités en vue mais, s’il le faut, je le ferai.


Avec votre deuxième question, vous soulevez une question très délicate.  Il a toujours existé une tension entre la paix et la justice; la question est de savoir laquelle des deux vient en premier? Et certains diront la paix, la paix réelle est-elle possible sans justice? Mais parfois, la quête de la justice, si elle ne suit pas un ordre approprié, peut compliquer la quête de la paix.  On en a eu un exemple avec l’Armée de résistance du seigneur qui est actuellement en pourparlers avec le Gouvernement ougandais.  Mais son dirigeant, [Joseph] Kony, ne veut pas apparaître, si les pourparlers sont publics, tant qu’il n’aura pas été amnistié et naturellement la CPI ne peut pas l’amnistier.  Le Président [Yoweri] Museveni lui a promis l’amnistie mais il n’est pas en mesure de le faire dès l’instant où l’acte d’accusation a été émis par la Cour.  Il y a eu d’autres situations où nous savions que certaines des personnes avec lesquelles il valait la peine de négocier avaient commis des crimes et se retrouveraient finalement sur le banc des accusés.  Nous avons pourtant trouvé un moyen de négocier avec elles pour établir la paix.  La situation dans [les] Balkans offre un bon exemple.  Certaines des parties aux négociations étaient frappées d’une interdiction de voyager mais nous faisions des exceptions et nous les faisions venir par avion à Genève de façon que des négociations puissent avoir lieu afin de résoudre le conflit.  Parmi ceux avec qui nous avons vraiment travaillé pour parvenir à un accord, je citerai Milosevic, Mladic et Karadzic, et bien sûr nous savons à présent qu’ils font partie de l’Histoire et que l’un d’eux est mort et les deux autres sont en fuite.  La même question se pose également avec le Soudan.  Des actes d’accusation ont été émis et on a l’impression que certains officiers supérieurs de l’armée et d’autres personnes craignent que si un grand nombre de forces internationales des Nations Unies devaient arriver dans le pays, ce serait pour les arrêter, bien que nous ayons indiqué que ces forces ont pour mandat de créer un environnement sûr, de protéger les personnes déplacées, de veiller à ce que les agents des organisations humanitaires aient accès aux personnes qui ont besoin d’eux et d’aider à appliquer l’accord qui a été conclu à Abuja.  Mais je ne crois pas que cela les ait rassurés et c’est un problème dont nous traitons dans nos discussions.  Je n’ai pas de formule toute prête.  Dans certaines situations, nous avons pu instaurer la paix et nous occuper ensuite de la question de la justice.  Dans d’autres situations, comme celle de votre pays [l’Afrique du Sud], il a été créé une Commission Vérité et réconciliation pour encourager les gens à décharger leur conscience.  Mais dans une situation de guerre et dans le cadre d’un processus de maintien de la paix, il faut un jugement très, très aiguisé et très fin, pour savoir dans quel ordre doit se faire la quête de la paix et de la justice.


Question:  Comme tout le monde dans cette salle, nous sommes très désolés de vous entendre dire que vous donnez aujourd’hui votre dernière conférence de presse.  Mais d’après ce que nous savons de vos futurs projets de résidence, nous pouvons peut-être espérer vous revoir à l’occasion d’un séminaire au bord du lac, quelque part entre ici et Vevey.  Nous vous souhaitons, à vous et à votre famille, le meilleur pour l’avenir.  Ma question est la suivante: j’aimerais savoir si vous êtes satisfait des services des forces de maintien de la paix des Nations Unies.  Pensez-vous qu’elles font un bon travail?  Faudrait-il qu’il y en ait plus? Devrait-on renforcer tout le système ou peut-être le laisser disparaître? Merci.


Le Secrétaire général:  Il y a quelques années, on pensait que les forces de maintien de la paix des Nations Unies approchaient de leur fin après avoir atteint leur apogée dans les années 90 lorsqu’il y avait environ 75 000 soldats déployés dans le monde.  Les effectifs ont été radicalement réduits tombant à 10 000‑15 000 hommes.  Nous sommes à présent revenus à environ 90 000 et si tous les déploiements requis devaient se concrétiser, y compris au Darfour, nous atteindrions probablement plus de 120 000 à 140 000 soldats, ce qui est énorme pour l’ONU.  Nous ne sommes pas une grande organisation militaire.  Nous fournissons des services d’appui et d’assistance à ces opérations avec un personnel relativement peu nombreux.  Mais j’ai été très content d’apprendre il y a peu de temps que selon une étude réalisée par la Rank Corporation, et certains d’entre vous voudront peut-être y jeter un coup d’œil, l’ONU mène les opérations de maintien de la paix mieux que le Gouvernement des États-Unis et d’autres et cela m’a fait plaisir pour mon personnel qui travaille très dur.  Cela dit, je tiens à préciser que nous avons presque atteint la limite de nos capacités.  J’ai fait part de cette situation au Conseil [de sécurité] en indiquant qu’il devait faire attention à ne pas nous donner trop à faire.  Il y a une limite à ce qu’une organisation relativement petite peut accepter.  Nous avons aussi eu quelques problèmes au sein des opérations de maintien de la paix.


Je pense que je devrais saisir cette occasion pour évoquer la question de l’exploitation sexuelle qui a fait couler beaucoup d’encre.  Je pense en un sens, sans vouloir critiquer qui que ce soit, que ces événements n’ont pas été rapportés dans la presse d’une façon totalement juste à l’égard des membres des forces de maintien de la paix, militaires et civils, courageux et travailleurs qui sont déployés dans le monde entier pour apporter de l’aide.  Comme vous le savez, l’ONU ne possède pas sa propre armée.  Nous empruntons les contingents aux gouvernements et nous les empruntons aux gouvernements qui sont disposés à nous en fournir.  Certains contingents sont beaucoup mieux commandés que d’autres.  Nous avons eu des problèmes avec certains soldats et une poignée de civils, nous en avons licencié certains et renvoyé des soldats chez eux.  Je souhaiterais, lorsque l’on rapporte ces faits, que l’on dise un contingent de tel ou tel pays, un soldat de tel ou tel pays a fait ceci ou cela et non pas que l’ONU est impliquée.  En réalité, ce qu’il est même intéressant de savoir, c’est que lors de deux incidents récents, nous n’avons même pas pu imposer des sanctions disciplinaires aux coupables, nous avons dû demander au gouvernement concerné de le faire.  Il se peut que nous ayons huit contingents différents dans un pays et qu’un seul de ces contingents ou que les membres d’un seul contingent commettent de tels actes criminels.  Les six ou sept autres, qui sont bien commandés, n’ont jamais aucun autre problème, pourtant on condamnera globalement les forces de maintien de la paix au Congo.  Il y a de gros contingents, extrêmement bien commandés, et maintenus très occupés dont les membres n’ont jamais été impliqués dans ces affaires.  Et je ne pense pas que ce soit vraiment juste.  C’est pourquoi, je vous demanderai instamment de bien vouloir parfois, si vous le pouvez, approfondir les choses.  Cela nous aide aussi à exercer des pressions sur les gouvernements concernés pour qu’ils forment leurs soldats et leur apprennent à avoir une attitude responsable et pour qu’ils sachent aussi que nous allons suivre la situation pour savoir s’ils vont imposer ou non des sanctions disciplinaires aux soldats responsables à leur retour chez eux.  C’est pourquoi je plaide pour un peu plus d’équité.  Et je pense que malheureusement les opérations de maintien de la paix vont se poursuivre.  Nous serions heureux de ne plus avoir d’opérations de maintien de la paix parce que les opérations de maintien de la paix et les déploiements de contingents sont le reflet du monde dans lequel nous vivons, des turbulences et des conflits qui le caractérisent, et nous préférerions de beaucoup ne plus avoir à intervenir.  Mais malheureusement, la tendance va dans le sens contraire.


Merci beaucoup et bonne chance.


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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