SG/SM/10685-PI/1746

LES DESSINS HUMORISTIQUES ONT LE POUVOIR D’INFORMER MAIS AUSSI D’OFFENSER, ESTIME KOFI ANNAN

16/10/2006
Secrétaire généralSG/SM/10685
PI/1746
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

LES DESSINS HUMORISTIQUES ONT LE POUVOIR D’INFORMER MAIS AUSSI D’OFFENSER, ESTIME KOFI ANNAN


Vous trouverez ci-après le texte intégral de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, à l’occasion du séminaire « Désapprendre l’intolérance » sur le thème « Dessins pour la paix », le 16 octobre:


Bienvenue à l’Organisation des Nations Unies.  Je suis très heureux que nous soyons parvenus à réunir ce groupe d’éminents dessinateurs au Siège de l’ONU.


Permettez-moi de remercier le Halle Institute, Shashi et ses collègues du Département de l’information de l’ONU, en particulier le personnel de notre Centre régional d’information à Bruxelles, et surtout mon ami Plantu.  C’est lui qui a eu l’idée du séminaire d’aujourd’hui et de l’exposition qui l’accompagne, que nous avons l’intention de présenter à Bruxelles, à Genève, au Caire et dans d’autres centres à travers le monde.  Il s’emploie depuis de nombreuses années à donner corps à cette idée.


J’ai toujours pensé que les dessins humoristiques occupent une place prépondérante dans la presse.  Ils jouent un rôle particulier en façonnant l’opinion publique, car une image a généralement sur le cerveau un effet plus fort et plus direct que des mots, et aussi parce qu’il y a beaucoup plus de gens qui sont prêts à regarder un dessin qu’à lire un article.


Si vous feuilletez un journal, le fait de s’arrêter pour lire un article demande une décision délibérée, mais il est pratiquement impossible de ne pas regarder un dessin.


Les dessinateurs ont donc beaucoup d’influence sur la façon dont différents groupes de personnes se perçoivent mutuellement.


Ils peuvent nous encourager à porter un regard critique sur nous-mêmes, et accroître notre empathie vis-à-vis des épreuves et des frustrations d’autrui.  Mais ils peuvent aussi faire le contraire.  En bref, ils ont une lourde responsabilité.


Les dessins humoristiques nous font rire.  Sans eux, notre vie serait nettement plus morose.  Mais ils font plus que cela: ils ont le pouvoir d’informer, mais aussi d’offenser.  Hormis la douleur physique, peu de choses peuvent nous atteindre plus directement qu’une caricature de nous-mêmes, d’un groupe auquel nous appartenons ou, pire encore peut-être, d’une personne que nous respectons profondément.


Autrement dit, les dessins humoristiques peuvent à la fois exprimer et encourager l’intolérance, et aussi la provoquer.  La triste vérité est qu’ils font souvent les trois à la fois.


Par conséquent, si nous entendons « désapprendre » l’intolérance, comme nous invite à le faire le titre de cette série de séminaires, il nous faut ouvrir le débat aux dessinateurs.


Ils peuvent nous aider à regarder leur travail et les réactions qu’il suscite en nous de manière plus lucide.


Nous pouvons peut-être aussi les aider eux à réfléchir à la façon dont ils peuvent user de leur influence, non pour renforcer les stéréotypes ou déchaîner les passions, mais pour promouvoir la paix et la compréhension.  Ils peuvent certainement s’entraider pour le faire.


Plantu, qui est un caricaturiste brillant et sensible, a eu cette idée il y a longtemps.  Lorsqu’il est venu m’en parler, en janvier de cette année, nous n’avions tous deux aucune idée de la levée de boucliers que les caricatures du prophète Mahomet n’allaient pas tarder à provoquer sur la scène internationale.


Mais cette affaire, et les réactions qu’elle a suscitées, nous a montré à tous combien il est crucial et urgent d’organiser des rencontres comme celle d’aujourd’hui.


Oui, les dessins humoristiques peuvent offenser, et cela fait partie de leur rôle.  Si l’on interdisait tous les dessins choquants, nos journaux et sites Web deviendraient très ennuyeux, et nous nous priverions d’une forme importante d’observation sociale et politique.


De fait, je ne suis pas convaincu que pour régler ce problème, il faille en appeler le moins du monde à l’autorité de l’État.  Même si nous décidions de n’interdire que les dessins qui sont profondément insultants pour beaucoup de gens, nous attendrions tout de même de l’État qu’il porte des jugements très subjectifs, et nous serions pris dans l’engrenage de la censure.


Je préfère nettement laisser les rédacteurs en chef, et les dessinateurs eux-mêmes, décider de ce qui doit être publié.  Ils doivent avoir conscience de leur responsabilité et au moins réfléchir à la façon dont leur travail pourrait être perçu et interprété par différents groupes de personnes.


Cela implique-t-il une « autocensure »?  Dans un sens, oui, mais une autocensure qui s’exercerait, j’ose l’espérer, dans un esprit de respect sincère pour les sentiments des autres, et non motivée par la crainte.


Cela implique-t-il un comportement « politiquement correct »?  Non, j’ose l’espérer, si cela doit signifier être ennuyeux et prétentieux.  Mais oui tout de même, si cela signifie garder à l’esprit que les autres ont des sentiments.  Il n’y a rien d’admirable, ni de drôle d’ailleurs, à accabler d’humiliations et de mépris un groupe de la société dont les membres se sentent déjà vulnérables et apeurés.


J’espère aussi que nous pouvons éviter de nous engager dans une sorte de « guerre du dessin », dans laquelle un groupe chercherait à riposter à une offense (réelle ou perçue comme telle) en publiant ce qu’il estimerait être le plus insultant pour un autre groupe, dans la tradition de la loi du talion.


Au bout du compte, comme nous l’a enseigné le mahatma Gandhi, nul n’est vainqueur dans ce cas, et ce n’est certainement pas le meilleur moyen de promouvoir la compréhension et le respect mutuel entre des gens de croyance ou de culture différente.


Je ne veux pas dire qu’il existe des solutions aisées et évidentes à ces problèmes.  Nous devons admettre qu’il y a parfois des tiraillements, sinon des contradictions, entre des valeurs différentes qui sont intrinsèquement aussi précieuses les unes que les autres.


Dans les domaines du rétablissement et de la consolidation de la paix, il est fréquent d’observer de tels tiraillements entre la paix et la justice.  Dans le cas présent, on pourrait en percevoir entre la liberté d’expression et le respect des croyances et des sentiments d’autrui.


Lorsque cela se produit, il ne s’agit pas d’affirmer la primauté d’une valeur sur une autre, mais plutôt rechercher des moyens de préserver l’une et l’autre et de les rapprocher.  C’est précisément ce que le présent séminaire nous offre la possibilité de faire.


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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