En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/10643-AG/10501

À LA VEILLE DE LA FIN DE SON MANDAT COMME SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, KOFI ANNAN RÉAFFIRME SA FOI EN LE POUVOIR DE L’ORGANISATION

19/09/2006
Secrétaire généralSG/SM/10643
AG/10501
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

À LA VEILLE DE LA FIN DE SON MANDAT COMME SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, KOFI ANNAN RÉAFFIRME SA FOI EN LE POUVOIR DE L’ORGANISATION


Comme solution aux divisions nées de l’injustice de l’économie internationale, du désordre mondial et du mépris des droits de l’homme, il préconise des Nations véritablement Unies


On trouvera ci-après le discours prononcé à l’Assemblée générale par le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan :


La première fois que je me suis adressé à vous depuis cette tribune, en 1997, mon sentiment était que l’humanité se trouvait face à trois grands défis. 


Le premier consistait à faire en sorte que la mondialisation profite à tous, et non pas seulement aux plus favorisés. 


Le deuxième consistait à sortir du désordre qui s’était installé après la fin de la guerre froide pour accéder à un ordre vraiment nouveau, un monde où règnent la paix et la liberté, tel que le concevaient les auteurs de notre Charte. 


Le troisième consistait à protéger les droits et la dignité des personnes, si généralement foulés au pied, en particulier ceux des femmes. 


En tant que deuxième Secrétaire général africain, je me sentais directement concerné par ces trois défis, celui du développement, celui de la sécurité, et celui des droits de l’homme et de l’état de droit. 


L’Afrique risquait fort d’être exclue du cercle des bénéficiaires de la mondialisation, voire reléguée en marge de l’économie mondiale et abandonnée à son sort. 


L’Afrique était le théâtre de certains des conflits les plus longs et les plus violents. 


Beaucoup d’Africains se voyaient injustement condamnés à être exploités et opprimés de génération en génération, le pouvoir colonial ayant fait place à un ordre économique inéquitable à l’échelle mondiale, et dans certains cas à des dirigeants corrompus et des chefs de guerre sur le plan local. 


Au cours des 10 années qui se sont écoulées depuis, beaucoup ont cherché les moyens de relever ces défis.  Leurs efforts ont porté des fruits, mais les événements nous ont aussi placés face à de nouveaux problèmes, ou plutôt ont donné à ceux que nous connaissions une forme différente ou une nouvelle acuité. 


Dans le domaine économique, la mondialisation et la croissance ont continué sur leur lancée. 


Certains pays en développement, surtout des pays d’Asie, ont été des moteurs de cette croissance.  Des millions de personnes ont ainsi été libérées du joug de la pauvreté perpétuelle. 


Parallèlement, sur le plan des politiques de développement, le monde a progressé, la rivalité des modèles cédant la place à l’acceptation d’objectifs communs.  La question n’est plus de savoir quel modèle adopter, mais quels objectifs se fixer.  Le VIH/sida est à présent reconnu comme un immense obstacle au développement, et la lutte a commencé.  Je suis fier du rôle que l’ONU a joué.  Le développement, de même que les Objectifs du Millénaire pour le développement, est désormais à l’avant-plan dans toutes nos activités.


Il ne faut pourtant pas se faire d’illusions.  Le miracle asiatique ne s’est pas encore reproduit dans d’autres parties du monde.  Et même dans les pays d’Asie les plus dynamiques, les bénéfices sont loin d’être également répartis.


Et il est peu probable que les Objectifs du Millénaire pour le développement soient atteints partout d’ici à 2015.


Certes, bien des pays en développement comprennent désormais beaucoup mieux ce qu’est la bonne gouvernance, et pourquoi il faut s’en préoccuper.  Mais en pratique, beaucoup sont encore très loin du compte.


Certes, des progrès ont été accomplis en matière d’allégement de la dette, et des promesses assez encourageantes ont été faites en ce qui concerne l’aide et l’investissement.  Mais le « partenariat mondial pour le développement », surtout dans le domaine du commerce, crucial, n’existe en fait encore que sur papier.


Chers amis, la mondialisation n’est pas un vent qui gonfle toutes les voiles.  Elle pousse certains mais menace d’en renverser d’autres.  Et même parmi ceux qui ont le vent en poupe d’après les statistiques, beaucoup se sentent en position très précaire et sont pleins de ressentiment face à ceux qui, plus favorisés, semblent ne se poser aucune question. 


La mondialisation, qui en théorie nous rapproche, risque donc en pratique de nous éloigner de plus en plus les uns des autres.


Sommes-nous plus en sécurité sur le deuxième plan, c’est-à-dire plus à l’abri de la guerre et de ses ravages? 


Ici encore, certaines statistiques pourraient nous persuader que oui.  Il y a moins de conflits entre États, et de nombreuses guerres civiles ont pris fin. 


Ici encore, je suis fier du rôle qu’a joué l’ONU.  Et je suis fier des Africains, qui ont mis fin à beaucoup des conflits qui déchiraient notre continent. 


Mais ici encore, il faut se garder des illusions. 


Dans bien trop de régions du monde –en particulier dans le monde en développement– la population subit encore les effets de violents conflits, dans lesquels les armes légères révèlent toute leur puissance meurtrière.


Qui plus est, la population du monde entier est menacée par la prolifération des armes de destruction massive, même si certains en sont plus conscients que d’autres.  Il est scandaleux qu’il n’y ait pas un mot, dans le Document final du Sommet de l’an dernier, sur la non-prolifération et le désarmement, pour la simple raison que les États n’ont pas été capables de décider ensemble auquel des deux donner la priorité.  Il est plus que temps de mettre fin à cette querelle aussi frivole qu’irresponsable et d’agir d’urgence sur les deux fronts à la fois.


En outre, tout comme certains de ceux qui profitent de la mondialisation se sentent malgré tout menacés, certains de ceux qui sont relativement à l’abri des conflits ne se sentent pas pour autant en sécurité. 


Ça, c’est aux terroristes que nous le devons.  Le terrorisme fait relativement peu de victimes par rapport à d’autres formes de violence.  Mais il généralise un sentiment d’insécurité et de crainte.  Sentiment qui amène beaucoup à ne plus côtoyer que ceux qui partagent leurs convictions ou leur mode de vie, et à exclure de leur cercle tous ceux qu’ils perçoivent comme « étrangers ». 


C’est ainsi qu’alors que les migrations internationales font cohabiter des millions de personnes de différentes religions et de différentes cultures, les malentendus et les stéréotypes qui nourrissent l’idée d’un « choc des civilisations » gagnent du terrain, et certains, apparemment enclins à fomenter une nouvelle guerre des religions, cette fois à l’échelle mondiale, se saisissent de tout manque d’égards volontaire ou involontaire pour les croyances ou la symbolique sacrée des autres. 


Ce climat de crainte et de suspicion est constamment réenflammé par la violence au Moyen-Orient.


On pourrait être tenté de penser que le conflit arabo-israélien n’est qu’un conflit régional parmi tant d’autres.  Il n’en est rien.  Aucun autre conflit n’est porteur d’une telle charge symbolique et émotionnelle pour tant de gens éloignés du champ de bataille. 


Tant que les Palestiniens vivront sous occupation, frustrés et humiliés au quotidien, tant que les Israéliens risqueront leur vie dès qu’ils sortent de chez eux, les passions continueront à s’enflammer un peu partout. 


D’un côté, les partisans d’Israël estiment que ce pays est trop durement jugé, selon des normes qui ne sont pas appliquées à ses ennemis; et trop souvent c’est vrai, en particulier dans certains organes de l’ONU.


De l’autre côté, les gens s’indignent qu’Israël fasse un usage aussi disproportionné de la force à l’encontre des Palestiniens et continue d’occuper et de confisquer des terres arabes. 


Tant que le Conseil de sécurité ne sera pas capable de régler ce conflit, et de mettre fin à une occupation qui dure maintenant depuis près de 40 ans, en amenant les deux parties à accepter et à appliquer ses résolutions, le respect dont bénéficie l’ONU continuera de s’amenuiser.  Notre impartialité continuera d’être mise en doute, nos efforts pour régler d’autres conflits continueront de se heurter à des résistances, y compris en Iraq et en Afghanistan, pays dont les peuples ont tout aussi terriblement besoin de notre aide, qui leur est due, et notre personnel dévoué et courageux, au lieu d’être protégé par le drapeau bleu, continuera d’être exposé à la colère et à la violence nées de politiques qu’il ne maîtrise ni ne soutient.


Qu’en est-il du troisième grand problème de l’humanité, celui de l’état de droit, et des droits et de la dignité des êtres humains?  Ici encore, il y a eu des progrès considérables.


Davantage de droits sont à présent inscrits dans des traités internationaux, et cette Assemblée s’apprête à codifier ceux d’un groupe de personnes qui en ont particulièrement besoin: les personnes handicapées ou moins valides.


Davantage de gouvernements sont à présent élus par ceux qu’ils gouvernent, et comptables devant eux.


Certains auteurs de crimes considérés comme les plus atroces que l’humanité ait jamais connus ont été traduits en justice. 


Et l’an dernier, réunie au plus haut niveau, cette Assemblée a solennellement proclamé l’existence –pour les États en premier lieu, mais aussi, en dernier recours, pour l’ensemble de la communauté internationale représentée par l’ONU– d’une responsabilité de protéger les populations menacées de génocide, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité.


Et pourtant,…et pourtant…


Chaque jour, nous apprenons que des lois ont été transgressées, que des crimes monstrueux ont été commis à l’encontre d’individus et de groupes minoritaires.  


Même la lutte nécessaire et légitime menée partout dans le monde contre le terrorisme sert de prétexte pour amputer ou abroger les droits de l’homme, ce qui ne fait que renforcer le crédit moral des terroristes et les aider à recruter.


Et malheureusement, une fois de plus, le plus dur se passe en Afrique, au Darfour, où le spectacle des hommes, femmes et enfants obligés de fuir parce que les meurtres, les viols et la destruction de leur village par le feu se poursuivent, vide de son sens l’engagement qu’a pris la communauté internationale de protéger les populations contre les pires exactions.


Bref, Madame la Présidente, les événements des 10 dernières années n’ont pas réglé, mais aggravé, les trois grands problèmes que j’ai mentionnés: l’injustice de l’ordre économique mondial, le désordre mondial et le mépris généralisé pour les droits de l’homme et la loi.  Par conséquent, les divisions sont telles aujourd’hui qu’elles mettent en péril jusqu’à la notion de communauté internationale, sur laquelle repose l’Organisation des Nations Unies.


Et pourtant, plus que jamais, nous sommes tous dans le même bateau.  Bien des difficultés qui se posent à nous sont donc de portée mondiale.  Elles appellent une action mondiale à laquelle tous les peuples doivent participer.


C’est à dessein que je parle de « peuples », comme le préambule de la Charte, et non d’« États ».  Il était clair pour moi il y a 10 ans, et il est plus clair encore aujourd’hui, que les relations internationales ne sont pas que l’affaire des États.  Les relations internationales sont des relations entre peuples, dans lesquelles ceux que nous appelons les « acteurs non étatiques » jouent un rôle déterminant et parfois extrêmement utile.  Tous ces acteurs ont un rôle à jouer dans un ordre mondial véritablement multilatéral centré sur une Organisation des Nations Unies renouvelée et redynamisée.


Oui, je demeure convaincu que la réduction de la fracture passe nécessairement par des Nations véritablement Unies.  Changements climatiques, VIH/sida, équité des échanges commerciaux, migrations, droits de l’homme: on en revient toujours là.  Il est indispensable pour chacun de nous, pour notre village, notre quartier, notre pays, que l’on s’attaque à chacun de ces problèmes.  Et pourtant, chacun d’eux a pris des proportions planétaires et on ne peut rien y faire si on n’agit pas à l’échelle de la planète, en menant une action concertée et coordonnée par cette institution, la plus universelle qui soit. 


Ce qui compte, c’est que les forts, ainsi que les faibles, acceptent d’être liés par les règles communes, de se traiter les uns les autres avec respect. 


Ce qui compte, c’est que tous les peuples reconnaissent qu’il importe d’écouter, de faire des compromis, de prendre en considération l’avis d’autrui.


Ce qui compte, c’est que tous aillent les uns vers les autres, non pour s’affronter mais pour s’atteler ensemble à la tâche: celle de bâtir ensemble un avenir commun.


Or, cela ne sera possible que si les peuples sont unis par quelque chose de plus fort qu’un marché mondial, ou même un ensemble de règles mondiales.


Il faut que chacun de nous partage la souffrance de tous ceux qui souffrent, et la joie de tous ceux qui espèrent, où que ce soit dans le monde.  


Chacun de nous doit gagner la confiance de ses frères et sœurs humains, indépendamment de leur race, de leur couleur ou de leur religion, et apprendre à se fier à eux. 


C’est en cela que croyaient les fondateurs de l’ONU.  C’est en cela que je crois.  Et c’est en cela que l’immense majorité des gens de ce monde veulent croire. 


Et c’est ce qui a inspiré les réformes et les idées nouvelles de l’Organisation ces 10 dernières années, années mouvementées s’il en fut.  Du maintien à la consolidation de la paix, des droits de l’homme au développement en passant par les secours humanitaires, j’ai eu la chance de diriger le Secrétariat –ainsi que son personnel, des hommes et des femmes extraordinaires et dévoués– pendant une période où vos ambitions pour l’Organisation ont parfois paru sans bornes, contrairement aux moyens que vous mettiez à sa disposition. 


Ces dernières semaines, surtout, en parcourant le Moyen-Orient, j’ai à nouveau senti la légitimité de l’ONU et la portée de son action.  Le rôle indispensable qu’elle a joué dans le rétablissement de la paix au Liban nous a rappelé à tous quel pouvoir pouvait être le sien, quand tout le monde souhaite son succès.


C’est la dernière fois que j’ai l’honneur de présenter mon rapport annuel à cette Assemblée.  Permettez-moi, pour conclure, de vous remercier de m’avoir permis d’occuper le poste de Secrétaire général pendant cette décennie remarquable. 


Ensemble nous avons hissé d’énormes rocs en haut de la montagne, même si quelques-uns nous ont échappé et sont retombés.  Avec ses vents vivifiants et sa vue panoramique sur le monde, cette montagne est le meilleur endroit qui soit. 


Oui, ce fut une période difficile et pleine d’embûches, mais aussi une période faite de moments palpitants et enrichissants.  Lorsque je m’imagine, dans la prochaine étape de ma vie, déchargé du poids qui pesait sur mes épaules, je sais que la montagne va me manquer.  Oui, je regretterai ce qui est, au bout du compte, le poste le plus exaltant du monde.  Au moment de céder la place aux autres, je garde, obstinément, espoir dans notre avenir commun.


Je vous remercie.


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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