IL FAUT DONNER AUX JEUNES LES EMPLOIS DÉCENTS QU’ILS MÉRITENT, SOULIGNE KOFI ANNAN, LORS DU SOMMET DE L’UNION EUROPÉENNE, DE L’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES
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IL FAUT DONNER AUX JEUNES LES EMPLOIS DÉCENTS QU’ILS MÉRITENT, SOULIGNE KOFI ANNAN, LORS DU SOMMET DE L’UNION EUROPÉENNE, DE L’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES
On trouvera ci-après le texte intégral du discours du Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, au quatrième Sommet des chefs d’État de l’Union européenne, de l’Amérique latine et des Caraïbes, tenu à Vienne le 12 mai:
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier personnellement, Chancelier Schüssel, et le peuple autrichien pour la générosité de votre accueil, et de vous remercier tous de me donner l’occasion de prendre la parole devant votre assemblée. Je dois aussi dire ma gratitude aux chefs d’État et de gouvernement réunis ici pour le soutien qu’ils n’ont cessé d’accorder à l’Organisation des Nations Unies, ainsi qu’à moi-même en qualité de Secrétaire général.
C’est pour moi un sujet particulier de satisfaction que notre réunion ait lieu à Vienne car cette ville magnifique est l’un des lieux où l’Organisation lutte contre plusieurs des maux qui accablent nos sociétés, qui vont du trafic de drogues à la criminalité organisée en passant par les armes de destruction massive ou la corruption.
L’endroit est donc parfaitement choisi pour que vous puissiez vous pencher sur certains des problèmes que doivent résoudre vos régions respectives, et sur la nécessité de travailler ensemble pour y parvenir.
Parmi ces problèmes, il y a l’augmentation du chômage des jeunes, non seulement dans les sociétés que vous représentez, mais aussi dans le monde entier.
Excellences, il est pour moi tout à fait évident que le manque de perspectives auquel nos jeunes font face est un problème qui mérite plus d’attention qu’il n’en reçoit, et qui d’ailleurs touche à beaucoup d’autres sujets inscrits à votre ordre du jour.
Permettez-moi de saisir l’occasion pour vous faire part de quelques réflexions que m’inspire un problème qui devient de plus en plus grave.
Les jeunes de 15 à 24 ans représentent aujourd’hui dans le monde le quart de la population active seulement, mais pourtant la moitié des chômeurs. L’Union européenne à elle seule compte plus de 4,3 millions de jeunes gens sans emploi, l’Amérique latine et les Caraïbes, plus de 8.8 millions. En Europe, il y a 7% de sans-emploi parmi les adultes, mais il y en a 18% parmi les jeunes. En Amérique latine et dans les Caraïbes, l’écart est tout aussi frappant: 15% de jeunes mais 5.6% d’adultes sont sans travail.
Non seulement les jeunes ont plus de mal à trouver du travail, dans quelque secteur que ce soit, mais en plus la part des emplois productifs dignes de ce nom qui leur revient est encore plus restreinte. Partout dans le monde, ce sont eux qui travaillent les plus longues heures, reçoivent les salaires les plus faibles, ont les emplois les plus précaires. Quand l’économie va bien, ils sont les derniers que l’on embauche et quand elle va mal, les premiers que l’on congédie.
Les jeunes se heurtent à un paradoxe absolument incroyable: qu’alors qu’ils sont en moyenne mieux éduqués que les travailleurs plus âgés, ils ont moins facilement accès à l’emploi. Un tel état de choses entretient un sentiment d’injustice et fait croire que les études n’améliorent pas les chances de trouver du travail.
S’il y a une leçon à tirer de tout cela, c’est que ni les pays industrialisés ni les pays en développement n’ont réussi à offrir à leur jeunesse de travailler dans de bonnes conditions.
De plus, la généralisation du chômage fait peser un danger particulier sur une société démocratique, parce que si elle ne sait pas créer des emplois, elle fait perdre confiance dans la démocratie et détourne l’opinion publique des réformes économiques que la raison imposerait.
Le mécontentement est aujourd’hui palpable dans de nombreuses parties de l’Amérique latine, où un taux élevé de chômage se traduit par de la défiance pour les institutions démocratiques et l’économie de marché. Les démocraties des Caraïbes connaissent une vague de violence, de toxicomanie et de VIH/sida alimentée par le chômage. Dans certaines régions d’Amérique latine et des Caraïbes, beaucoup de jeunes sans emploi partent à l’étranger en quête de travail. Leurs envois de fonds font vivre parfois des collectivités entières, mais il est évident que les sociétés et les familles qu’ils ont quittées auraient avantage à ce qu’ils leur consacrent leurs compétences et leur énergie.
En même temps, un chômage persistant dans une économie développée, en Europe par exemple, crée des conditions que les mouvements politiques extrémistes et xénophobes cherchent à exploiter.
Il est clair qu’il faut faire quelque chose face à des tendances aussi alarmantes, qui sont souvent plus marquées parmi les groupes les plus touchés par le chômage, comme le sont les jeunes. Et, avec 1,2 milliard de jeunes qui atteindront l’âge de travailler dans les 10 prochaines années, le monde ne peut se contenter de vœux pieux.
Faut-il ajouter que ces tendances auraient une réciproque extraordinairement positive? Quelle différence si tous ces jeunes trouvaient réellement un travail digne de ce nom! Diminuer de moitié le taux de chômage des jeunes dans le monde et le ramener à peu près au niveau de celui des adultes reviendraient à ajouter 3 500 milliards de dollars au PIB mondial. En Amérique latine et dans les Caraïbes, pour ne parler que de ces deux régions, un surcroît de 298 milliards de dollars représenterait le PIB annuel combiné du Costa Rica, de l’Équateur, de la République dominicaine et du Pérou.
Et je ne parle que des avantages économiques directs. Des jeunes qui travaillent sont aussi des jeunes qui consomment, qui épargnent et qui payent des impôts. Des jeunes qui travaillent sont moins enclins à la toxicomanie et à la criminalité. L’emploi des jeunes réduit aussi les inégalités: en Amérique latine, le taux de chômage des jeunes dans la tranche de 20% de la population la plus pauvre est trois fois plus élevé que dans la tranche de 20% la plus riche. Mais surtout, le travail donne un sens à la vie des jeunes gens et leur donne un intérêt réel pour la réussite de leur communauté.
Si j’insiste ainsi sur cet aspect du chômage, c’est que le potentiel d’une jeunesse qui travaille est largement reconnu mais est encore plus largement sous-exploité. C’est le cas en Europe, c’est le cas en Afrique, en Amérique latine et en Australie, c’est le cas dans les Caraïbes et en Asie. C’est le cas partout, et ce n’est acceptable nulle part.
Lors du Sommet mondial de l’an dernier, à New York, les dirigeants du monde entier sont convenus de faire du plein-emploi productif et du travail pour tous, y compris les femmes et les enfants, l’objectif central des politiques nationales et internationales et des politiques nationales de développement, y compris les stratégies de lutte contre la pauvreté. Je tiens à préciser à ce propos que cela fait longtemps que mon bon ami Juan Samovia du BIT s’efforce de faire considérer ces questions comme prioritaires, et qu’il a souvent été une voix isolée. Je suis heureux de constater qu’il n’est plus seul aujourd’hui.
Il s’agit maintenant de passer des déclarations aux actes, sur le plan national comme sur le plan international. Le problème n’est ni simple, ni facile et il ne se prête certainement pas à une solution toute faite. Mais, je me permettrai quand même d’indiquer quelques angles d’approche qui me paraissent nécessaires.
En tout premier lieu, il faut donner la priorité à l’emploi dans tous les cas, quelle que soit la décision dont il s’agit. Les débats politiques traditionnels traitent la création d’emplois comme la conséquence obligée de la croissance économique. Aussi la politique économique s’occupe-t-elle davantage de tenir l’inflation en échec et d’augmenter la production que de créer des emplois. Or, il s’avère de jour en jour que la croissance, si elle est un facteur décisif de création d’emplois, ne peut à elle seule en créer toujours suffisamment.
Nous devons repenser notre façon d’aborder le problème et placer la création d’emplois au même rang que la croissance économique dans nos politiques économiques et sociales, nationales et internationales. Lorsque par exemple on parle de politique macroéconomique, le réflexe institutionnel devrait toujours être de se demander : « Quelles incidences cela peut-il avoir sur l’emploi? »
Améliorer la situation générale de l’emploi est un moyen nécessaire pour réduire le chômage des jeunes mais ce n’est pas un moyen suffisant. Il faut des mesures particulières pour venir à bout du désavantage relatif qui frappe les jeunes qui accèdent au marché du travail.
Ensuite, il faut que les politiques nationales de la jeunesse s’attachent à améliorer les possibilités d’emploi pour les jeunes tout en renforçant leurs aptitudes. Les gouvernements doivent s’employer à susciter et à encourager la demande de travailleurs jeunes et à favoriser l’offre d’une main-d’œuvre jeune possédant les qualifications recherchées.
La demande de travailleurs jeunes peut être soutenue si l’on cible des secteurs dotés d’un potentiel élevé d’emploi pour les jeunes, tels que les services ou l’informatique. Les politiques d’emploi devraient être réorientées pour assurer un meilleur équilibre entre la flexibilité et la sécurité, toutes deux nécessaires dans un monde en rapide mutation, de la part tant des employeurs que des travailleurs. De même, le renforcement des systèmes de placement peut contribuer à faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail.
Pour ce qui est de l’offre, trop de travailleurs, jeunes et moins jeunes, se retrouvent prisonniers d’un chômage de longue durée, faute de qualifications ou faute du coup de pouce qui les ferait accéder au marché du travail ou y revenir.
En Amérique latine, pour améliorer la situation de l’emploi chez les jeunes, il faut réduire le gouffre qui existe en matière d’éducation: les jeunes qui proviennent de milieux pauvres, ruraux et autochtones sont bien loin derrière les autres en matière d’accès à l’école, ce qui se traduit pour eux par l’inaccessibilité des emplois dignes de ce nom et un taux de chômage plus élevé.
Les institutions nationales de formation et d’éducation sont trop souvent impuissantes à doter la population des qualifications et des aptitudes nécessaires à une économie dynamique et mondialisée. Ce problème touche les jeunes de plein fouet car ils n’ont pas l’expérience professionnelle qui compenserait les insuffisances de leur formation. Dans leur cas, les programmes combinant la formation en entreprise et la fréquentation d’écoles professionnelles seraient particulièrement bienvenues. Cette solution fonctionne très bien en Allemagne, pays qui présente une proportion de jeunes dans l’ensemble des chômeurs parmi les plus basses au monde.
L’enseignement officiel doit aussi améliorer les services d’orientation professionnelle et fournir davantage de renseignements sur le marché du travail. Nombre de jeunes chômeurs proviennent de collectivités où le chômage est également élevé parmi les générations qui les précèdent. Ne disposant pas de modèles quant au rôle du travail, ils n’ont souvent que l’école vers qui se tourner pour obtenir des conseils d’orientation professionnelle. Pour leur part, les agences publiques de l’emploi, qui offrent à la fois des conseils en matière de choix de carrière et des informations sur le marché du travail, peuvent jouer un rôle important en aidant les jeunes à choisir une carrière ou trouver un emploi.
Troisièmement, et ce n’est pas moins important, une approche intégrée en faveur d’un emploi productif pour les jeunes exige des politiques et des programmes orientés vers la promotion non seulement d’emplois en plus grand nombre mais aussi d’emplois de qualité. Compte tenu de la grande proportion de jeunes qui se trouvent dans des conditions d’emploi précaires et incertaines, et de leur surreprésentation dans l’économie parallèle, une action urgente s’impose pour améliorer les conditions de travail et protéger les droits des travailleurs. Cette idée de l’« emploi digne de ce nom » sera le thème du débat de haut niveau du Conseil économique et social de 2006. Plus que d’un simple gagne-pain, il s’agit d’un emploi productif où les droits sont respectés, qui donne lieu à un revenu correct et qui s’accompagne d’une protection sociale.
Mes chers amis, ces trois grandes lignes d’action devraient placer l’emploi au cœur de toutes nos interventions. Ce n’est que si nous réussissons à les suivre concrètement que nous permettrons aux jeunes gens du monde entier d’améliorer leur sort, qu’ils vivent dans les villes ou dans les campagnes. Ce n’est qu’alors que nous aurons la bonne réponse, face à la frustration et à la colère des jeunes chômeurs des Caraïbes et d’Amérique latine. Ce n’est qu’alors que nous saurons que la mondialisation peut profiter à tous et que chacun peut y trouver son compte.
Il va sans dire que l’objectif d’un emploi décent pour tout travailleur de bonne volonté exige que nous agissions en partenariat. Il n’est pas un pays, pas un intervenant, qui puisse prétendre relever seul ce défi. Les gouvernements ne peuvent se passer des entreprises; les entreprises, de leur côté, ne peuvent faire fi des syndicats et de la société civile. Nous avons besoin de véritables coalitions en faveur du changement; nous devons unir nos forces dans un but commun. Le système des Nations Unies est prêt à faire sa part. D’ores et déjà, des initiatives multilatérales telles que le Réseau pour l’emploi des jeunes offrent l’occasion d’œuvrer avec les gouvernements pour formuler des plans d’action nationaux reprenant certaines des suggestions que j’ai faites.
En Amérique latine, le Programme des Nations Unies pour le développement travaille en partenariat pour aider à soulager les tensions sociales et corriger tant les symptômes que les effets du chômage dans le cadre d’un programme de développement plus général. Ses initiatives vont de l’éducation civique et de la justice aux droits de l’homme et à la citoyenneté démocratique. Au cœur de ces initiatives, se trouve la nécessité d’appuyer les politiques publiques, telles que la politique en faveur de la création d’emploi, qui renforce le lien entre les sociétés démocratiques et des collectivités fortes, afin que jeunes et moins jeunes puissent associer l’idée d’avantages tangibles à celle de processus électoral.
Mais il est clair que si l’ONU et les partenariats de la société civile peuvent et doivent apporter leur pierre à l’édifice, c’est aux gouvernements qu’il revient de prendre la tête de la lutte contre le chômage.
Ce sont les gouvernements qui contrôlent le marché de l’emploi. Ce sont les gouvernements qui établissent les politiques et les priorités au niveau national. Ce sont eux qui créent les institutions qui dispenseront les services publics, tels que l’éducation et la formation, afin de répondre aux divers besoins de la nation. Eux encore qui sont à la base des programmes de l’ONU, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Et enfin, eux qui doivent concrétiser les promesses de la Déclaration du Millénaire « de formuler et d’appliquer des stratégies qui donnent aux jeunes, partout dans le monde, une chance réelle de trouver un travail décent et utile ».
Si les gouvernements posent ces fondements, la société civile et le secteur privé répondront présents et les emplois suivront, j’en suis certain.
Celui qui fait l’expérience du chômage tôt dans sa vie en reste marqué. Il se peut que ses perspectives plus lointaines de carrière soient brisées. Il lui est très difficile, n’ayant plus l’habitude de travailler, de se relever, il est entraîné dans la spirale du désespoir, de la pauvreté et de l’instabilité sociale, spirale destructrice non seulement pour lui mais aussi pour toute la société.
Nous ne pouvons nous permettre de laisser cette spirale se perpétuer. Les jeunes sont notre atout majeur, notre avenir. Nous devons leur épargner une telle fatalité.
Mes chers amis, décidons de travailler ensemble à donner à nos jeunes des emplois décents qu’ils méritent, pour qu’ils puissent prendre pleinement part à la vie de toutes nos sociétés. Je n’imagine pas de meilleure façon d’assurer l’avenir de nos pays et du monde que de faire en sorte que nos jeunes soient productifs et aient des emplois décents.
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