DANS LE DOMAINE DE LA SANTÉ, NOUS DEVONS ARRÊTER DE FAIRE L’ÉQUIVALENT DE CE QUE SERAIT LE MAINTIEN DE LA PAIX SANS LA CONSOLIDATION DE LA PAIX, DÉCLARE KOFI ANNAN
| |||
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York |
DANS LE DOMAINE DE LA SANTÉ, NOUS DEVONS ARRÊTER DE FAIRE L’ÉQUIVALENT DE CE QUE SERAIT LE MAINTIEN DE LA PAIX SANS LA CONSOLIDATION DE LA PAIX, DÉCLARE KOFI ANNAN
On trouvera ci-après le texte intégral du discours prononcé par le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, à la cent cinquante-neuvième réunion annuelle des membres de l’Académie de médecine de New York,le 9 mai:
Je suis heureux et honoré d’être parmi vous. Alors que l’ONU vient de fêter son soixantième anniversaire, l’Académie de médecine de New York tient déjà sa cent cinquante-neuvième réunion annuelle. Vous avez pris pas mal d’avance!
Pour plusieurs autres raisons également, c’est humblement que je me tiens devant vous. Pour analyser les problèmes politiques dont je m’occupe, il faut une certaine aptitude au diagnostic. Mais je suis parfaitement incapable de me servir d’un microscope, et mes connaissances en anatomie sont très superficielles. Je suis donc assez peu qualifié pour être parmi vous.
Dans mon domaine, la prévention sert à éviter les conflits armés, et les opérations sont confiées à des soldats de maintien de la paix, les Casques bleus, non à des chirurgiens et des anesthésistes. Si Hippocrate était mentionné à l’Assemblée générale des Nations Unies, beaucoup d’ambassadeurs penseraient probablement qu’on vient de les qualifier, une fois de plus, d’hypocrites. Quoique d’autres diraient peut-être que nous devrions nous rappeler plus souvent le premier principe d’Hippocrate: « Avant tout, ne pas nuire ».
Tout cela étant dit, l’ONU et les organismes des Nations Unies savent que la santé se trouve au cœur de l’œuvre qu’ils mènent pour le développement et la sécurité dans le monde.
J’en suis profondément conscient depuis le tout début de ma carrière aux Nations Unies. Tout le monde ne sait peut-être pas que c’est à l’Organisation mondiale de la santé que j’ai commencé; c’était il y a très longtemps, peu après la découverte des quatre humeurs, vers l’époque de l’invention de la pilule, des années avant que la variole ne soit éradiquée et 20 ans avant que le mot « sida » n’entre dans notre vocabulaire.
Les membres de l’Académie de médecine de New York étaient aux premières loges pour constater cette évolution et les conséquences qu’elle a eues pour la santé de l’homme. Depuis l’époque où votre institution a été créée, l’espérance de vie dans ce pays a littéralement doublé, grâce surtout à la maîtrise des maladies infectieuses. Les progrès se poursuivent. Mais si certaines avancées sont sans commune mesure avec ce que nous aurions pu imaginer il y a quelques dizaines d’années, certains problèmes le sont aussi.
Cette constatation, vous avez pu la faire vous-mêmes dans le cadre de votre mission, en particulier dans les milieux urbains défavorisés.
Le fait que vous vous intéressiez en particulier à la santé en milieu urbain vous donne aussi une perspective intéressante sur les problèmes de santé qui se posent à l’échelle mondiale. Les questions que vous étudiez, qu’il s’agisse des disparités dans le domaine de la santé, du VIH/sida ou de l’accès aux soins, sont les mêmes que celles dont nous nous occupons, à une autre échelle.
À l’heure actuelle, plus de la moitié de l’humanité, soit plus de 3 milliards d’êtres humains, vivent en ville. Près d’un milliard d’entre eux, soit une personne sur six, habitent des taudis où il n’y a ni logements dignes de ce nom, ni services de base. On pense que ce chiffre passera à 2 milliards au cours des 25 prochaines années. Comme la pauvreté s’urbanise de plus en plus, ce sont les pays les plus pauvres qui s’en ressentiront le plus.
La pauvreté urbaine crée à son tour un terrain propice aux maladies et autres problèmes de santé. Des millions de personnes sont sans abri. Les plus vulnérables, dont les femmes et les enfants, sont les premières victimes de la violence, de la criminalité, du surpeuplement, et de tous les dangers que posent, pour la santé, les conditions de vie inhumaines caractéristiques des villes en expansion rapide.
C’est dans ce funeste univers urbain que les épidémies font le plus de ravages, qu’il s’agisse du paludisme, de la tuberculose ou du sida, les plus meurtrières des maladies de notre temps.
Arrêtons-nous un instant sur ces trois maladies et leurs effets.
Au moins 300 millions de cas graves de paludisme se déclarent chaque année, et plus d’un million de personnes en meurent. Neuf sur dix de ces personnes sont des Africains, et pour la plupart ce sont de jeunes enfants. Le paludisme est la première cause de mortalité des moins de 5 ans en Afrique. Il compte pour 40% des dépenses de santé publique d’un continent qui a bien besoin de toutes ses ressources.
La tuberculose emporte 5 000 personnes chaque jour. Elle en tue plus d’un million et demi par an, et plus de 8 millions de cas nouveaux sont détectés chaque année. L’Afrique est le seul continent où le nombre de cas continue d’augmenter. L’année dernière, les ministres africains de la santé ont déclaré qu’il s’agissait d’une véritable crise.
La tuberculose ne sera pas vaincue tant que la lutte contre le sida, qui met tant de gens à sa merci, ne sera pas plus efficace. Le sida a tué près de trois millions de personnes l’an dernier. Il touche de plus en plus de femmes et de jeunes, désormais majoritaires parmi les victimes. Une fois encore, c’est surtout en Afrique qu’il frappe, mais il représente probablement l’épidémie la plus vaste et la plus meurtrière que le monde ait jamais connue. Comme il tue surtout les adultes, il aggrave la pauvreté, fait des millions d’orphelins et entraîne une détérioration continue des services publiques: police, armée, enseignement, administration locale et, bien sûr, santé publique. Il n’est donc pas qu’un puissant frein au développement, mais aussi une menace pour la stabilité et la sécurité. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, la lutte contre cette maladie est une de mes priorités personnelles.
Mesdames et Messieurs, ce qui s’est passé ces dernières années a forcé les gouvernements du monde entier à reconnaître que les problèmes de santé sont de dimension mondiale et ne s’arrêtent pas aux frontières. Aucun pays n’est à l’abri.
En 2003, sur une période de trois mois, le SRAS a infecté plus de 8 000 personnes dans 30 pays, et ne s’est pas moins joué des systèmes de santé perfectionnés des pays développés que de ceux des pays en développement.
Au cours de l’année écoulée, à cause de la grippe aviaire, il a fallu abattre des millions d’animaux sur trois continents, les experts craignant que le virus ne mute et ne déclenche une pandémie de grippe humaine. Celle de 1918 avait tué 50 millions de personnes, et cela bien avant l’ère des voyages aériens.
La libération accidentelle ou délibérée d’agents biologiques mortels pourrait avoir des conséquences aussi graves, voire plus, et le risque ne fera que croître puisque la biotechnologie continue à évoluer plus vite que nous ne mettons en place les garde-fous et les règlements nécessaires.
Toutes ces menaces qui pèsent sur notre sécurité biologique, aussi disparates puissent-elles sembler, sont liées entre elles. Nous n’avons d’autre choix que de les prendre toutes en compte. Nous devons arrêter de faire dans le domaine de la santé l’équivalent de ce que serait le maintien de la paix sans la consolidation de la paix: une intervention indispensable dictée par les meilleurs sentiments, mais probablement sans effets durables.
Ce que nous devons faire, c’est agir en même temps sur plusieurs fronts prioritaires.
Premièrement, nous devons faire un sort à l’idée que les problèmes de santé publique ne sont que des questions de santé publique. Les problèmes graves tels que le sida, la mortalité infantile et le risque de déclenchement d’une pandémie de grippe sont aussi des questions de développement, et parfois de sécurité. Des mesures doivent donc être prises aux échelons les plus élevés du gouvernement, de la société civile, et du monde des affaires et de la finance. Le mode de pensée bureaucratique selon lequel nous avons toujours fonctionné doit être abandonné, pour que les divers ministères et départements puissent, ensemble, adopter une démarche globale.
Une telle démarche a déjà été adoptée en ce qui concerne le sida. Après un démarrage d’une lenteur tragique, une action s’est mise en marche au niveau adéquat: Conseil de sécurité de l’ONU, Assemblée générale des Nations Unies, Organisation mondiale du commerce, Union africaine et G-8 notamment. De nombreux chefs d’État et de gouvernement ont personnellement pris la tête du programme de leur pays. Il fallait tout cela pour qu’existe enfin une chance d’enrayer la pandémie.
Deuxièmement, nous devons consacrer davantage de ressources aux dispositifs de surveillance et de lutte. L’année dernière, l’Assemblée mondiale de la santé a manifesté sa détermination en adoptant deux nouveaux règlements sanitaires internationaux nécessaires au renforcement des efforts mondiaux de maîtrise des épidémies. Il faut que les gouvernements consacrent plus d’attention et plus de fonds au développement des moyens locaux et nationaux de détection et d’intervention rapides. Il faut aussi que les donateurs –ne fut-ce que par pur intérêt– apportent leur aide et leur coopération aux pays en développement.
Troisièmement, nous devons partir du principe que la santé publique ne dépend pas que des techniques et interventions médicales. Elle dépend tout autant de facteurs tels que l’autonomisation des femmes, les droits de l’homme, l’éducation, l’état de l’environnement et la qualité des emplois. C’est sur ce principe que reposent les Objectifs du Millénaire pour le développement, plan adopté par les gouvernements de tous les pays du monde en vue de l’édification d’un monde meilleur au XXIe siècle.
Quatrièmement –et c’est extrêmement important– nous devons faire des efforts sérieux pour que des systèmes de santé auxquels tous les gens aient accès soient mis en place dans les pays en développement. Pour cela, il faudra absolument trouver le moyen de remédier à la grave pénurie de personnel de santé que connaissent tant de ces pays.
Ces dernières années, il est apparu très clairement que les systèmes de santé sont loin d’être équipés pour faire face à toutes sortes de problèmes nouveaux. Dans de nombreuses parties du monde, la pénurie de personnel de santé a atteint des proportions catastrophiques. Dans beaucoup de pays très pauvres, alors que la population augmente, le nombre d’agents sanitaires diminue.
Partout dans le monde en développement, le personnel de santé doit composer avec des difficultés économiques, une infrastructure qui se détériore, et des troubles sociaux. Il se pose toutes sortes de difficultés complexes touchant aux conditions de travail, à la rémunération, à la formation, et à l’exode des spécialistes et du personnel hautement qualifié vers des pays plus riches. Le sida a frappé très durement le personnel de santé, à la fois directement et indirectement.
Rien qu’en Afrique, il faudrait 1 million d’agents sanitaires supplémentaires pour atteindre le minimum nécessaire à la réalisation des objectifs du Millénaire. À défaut, les enfants ne seront pas vaccinés, les maladies contagieuses se répandront comme des traînées de poudre, les maladies curables ne seront pas soignées, les femmes continueront de mourir en couches. Et nous n’aurons pas le dessus sur le sida, la tuberculose et le paludisme.
Pour que ce problème de capacités puisse être réglé, il va falloir créer des partenariats et mettre en place des mécanismes de coopération sur les plans nationaux et mondiaux, dans tous les secteurs (éducation, transports, finances, etc. ), et bien entendu dans le domaine de la santé.
Il va falloir aussi créer des coalitions nationales et internationales pour l’adoption et la mise en œuvre de plans nationaux d’intervention d’urgence dans le domaine de la santé, afin de mobiliser les compétences techniques, la créativité et l’appui politique indispensables.
Il va falloir s’attaquer plus directement à la pénurie de main d’œuvre en envisageant de nouvelles politiques de gestion des ressources humaines qui incitent les agents sanitaires à rester sur place et répondent à leurs besoins tout au long de leur carrière.
Il va falloir enfin trouver des moyens financiers importants pour former et rémunérer de nouveaux agents.
Nous devons tirer parti du potentiel immense que possèdent les pays en développement pour créer une main-d’œuvre capable de répondre aux besoins courant des populations, ainsi que de faire face aux maladies les plus meurtrières de notre temps. Il faut donc que s’opère dans le monde en développement la transformation qui s’est opérée ici au début du siècle dernier, grâce à laquelle d’un assortiment de praticiens non professionnels est né un corps de spécialistes de la médecine scientifique.
Aujourd’hui, certains pays riches importent jusqu’à 25% de leur personnel médical et infirmier d’autres pays, dont la plupart sont en développement, ce qui ouvre des portes aux intéressés mais réduit les capacités de leurs pays d’origine. Parallèlement, beaucoup de pays développés commencent à comprendre qu’en matière de santé, tous les pays sont interdépendants. Sachant cela, ils pourraient, dans l’intérêt de tous, investir beaucoup plus dans la mise en valeur des ressources humaines des pays en développement.
Ils pourraient aussi alimenter plus généreusement le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui en quelques années seulement est devenu une des principales sources de financement des programmes de lutte contre ces maladies.
Ils pourraient soutenir plus énergiquement le travail d’ONUSIDA, programme au sein duquel 10 entités du système des Nations Unies conjuguent leurs efforts et leurs moyens pour vaincre le sida.
Ils pourraient investir dans le Programme de lutte contre le paludisme de l’Organisation mondiale de la santé, ainsi que dans des programmes nationaux.
Ils pourraient contribuer à l’application des recommandations figurant dans le plan mondial « Halte à la tuberculose », lancé cette année par l’OMS. Si ce plan est intégralement mis en œuvre, 14 millions de vies pourraient être sauvées au cours des 10 prochaines années. Mais il faut pour cela que chacun y mette du sien.
Ils pourraient enfin s’acquitter de leur part la responsabilité collective que nous avons de veiller à ce que tous les pays, riches et pauvres, soient protégés et prêts à réagir en cas de pandémie de grippe.
Votre pays est un partenaire important et un donateur généreux dans tous ces domaines. Nous ne gagnerons pas le combat pour la santé sans son apport. Les organisations telles que la vôtre peuvent jouer un rôle déterminant en faisant le travail de sensibilisation et de surveillance nécessaire pour que cet apport continue d’être fourni.
Je vous remercie de votre attention, et plus encore de votre attachement à la santé des hommes du monde entier. Puissent beaucoup d’autres suivre votre exemple.
* *** *
À l’intention des organes d’information • Document non officiel