« LA CONSTRUCTION DE L’ONU DU XXIE SIÈCLE » AU CŒUR DU DISCOURS PRONONCÉ PAR LE VICE-SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DEVANT L’INSTITUT ROYAL BELGE
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« LA CONSTRUCTION DE L’ONU DU XXIE SIÈCLE » AU CŒUR DU DISCOURS PRONONCÉ PAR LE VICE-SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DEVANT L’INSTITUT ROYAL BELGE
(Publié le 12 octobre – retardé à la traduction)
On trouvera ci-après le texte de l’allocution que le Vice-Secrétaire général de l’ONU, Mark Malloch Brown, a prononcé à l’Institut royal belge:
Le sujet que nous abordons aujourd’hui est vaste: « La construction de l’ONU du XXIe siècle ». Pour comprendre les défis que l’Organisation devra relever pendant ce siècle, il nous faut remonter à la fin de la guerre froide et à l’extraordinaire période de mondialisation qui l’a suivie.
Dans les années 90, nous avons été témoins d’une spectaculaire intégration des économies mondiales sur les plans du commerce, de l’information, des capitaux, et même des courants culturels. Ainsi, d’une certaine façon, il semblait que nous étions entrés dans une période où les organisations internationales voyaient leurs rêves réalisés; pendant ces années de guerre froide, l’ordre mondial qu’elles avaient appelé de leurs vœux avec peu d’écho s’était finalement concrétisé.
Nous qui croyons en ces organisations avons été véritablement consternés par le fait que, 15 ans plus tard, presque toutes connaissaient une grave crise concernant leur légitimité, leur mandat et leurs objectifs, et pas seulement celle des Nations Unies, mais aussi la Commission européenne, les institutions de Bretton Woods, et même l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) –en dépit de son retrait progressif des opérations sur le terrain. Et si toutes ces organisations ont du mal à regagner le terrain perdu auprès de l’opinion publique de leurs pays membres, à reprendre contact avec ceux qu’elles cherchent à aider, à renouer avec les gouvernements qui doivent leur apporter leur concours, je pense qu’il faut chercher des origines et des raisons communes à la crise qu’elles traversent.
Je vois trois raisons majeures à cette crise.
La première porte sur la gouvernance; la deuxième sur le nombre croissant d’exigences auxquelles l’ONU doit répondre; la troisième sur l’écart entre ces nouvelles exigences et la mission des organisations.
En matière de gouvernance, toutes ces institutions ont un système de prise de décisions qui est lié à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.
Et pourtant, lorsqu’on compare la situation d’aujourd’hui à celle d’hier, le monde ne pourrait pas être plus différent. La Chine, bien que membre permanent du Conseil de sécurité, a manifestement, à certains égards, du mal à se faire entendre. Pourtant, elle représente avec l’Inde le tiers de la population mondiale et a sans nul doute une part encore plus grande dans le dynamisme et l’évolution économiques du monde actuel.
En outre, le Conseil de sécurité ne compte pas l’Inde parmi ses membres, comme des voix courroucées l’ont fait remarquer au cours des débats sur son élargissement. Ni bien sûr le Brésil, ni l’Allemagne, ni, devrais-je ajouter, l’Italie ni même un seul État africain.
Mais l’important, ce n’est pas tant qu’on laisse de côté de grands pays qui sont des puissances majeures mais plutôt que l’on ne tient pas compte du point de vue de ceux qui peuvent contribuer de façon essentielle à résoudre dans le monde le type de problèmes auxquels, pour ce qui est de l’ONU, le Conseil de sécurité doit faire face.
Il sera par exemple très difficile de traiter le problème du Soudan et du Darfour tant que toutes les compagnies pétrolières du Soudan n’auront pas formé un front diplomatique pour pousser le Gouvernement de Khartoum à accepter le déploiement d’une force de l’ONU. Et il est tout simplement impossible que les puissances occidentales traditionnelles résolvent le problème de la Corée du Nord sans que la Chine, bien entendu, et d’autres puissances régionales asiatiques interviennent réellement.
Ou prenez la question des conflits. L’Organisation, bâtie sur les cendres de 1945, reposait sur une certaine conception du règlement des conflits propre aux guerres conventionnelles entre États. Aujourd’hui, ces guerres sont devenues très rares. La plupart des conflits auxquels nous devons faire face en Afrique ou ailleurs se situent à l’intérieur d’un État et sont suscités par des clivages d’origine ethnique, religieuse, sociale ou autre.
S’il est vrai que nous avons ces 10 dernières années réduit avec un certain succès le nombre de ces guerres, il est une source de conflits, de violences et de pertes humaines qui, partie d’un niveau relativement bas, prend une ampleur croissante, c’est le terrorisme. Alors que l’Assemblée générale vient d’adopter la Stratégie antiterroriste de l’ONU, mettant en place le cadre onusien de la lutte contre ce fléau mondial –initiative dont on ne peut que se réjouir– l’application de ce programme sera rendue difficile par les controverses politiques qui n’ont pas encore été résolues: le terrorisme d’État, la définition même du terrorisme, l’autodétermination et l’occupation étrangère.
Finalement, à l’heure de la mondialisation, il est pratiquement impossible de réduire les inégalités et la pauvreté, alors que plus d’un milliard d’êtres humains vivent avec moins d’un euro par jour et, que plus de la moitié de la population mondiale, environ 45%, continue de vivre avec moins de deux euros. Mais, alors que les débats évoluent progressivement et que de nouvelles questions apparaissent, les structures prévues demeurent dans l’ensemble inchangées depuis 60 ans.
Certains jours à l’ONU, je me sens un peu découragé par la disproportion entre l’ampleur des problèmes et l’insuffisance des moyens institutionnels dont nous disposons pour les résoudre.
Il y a les matins où on apprend que des conflits ont éclaté dans la nuit, quelque part dans le monde. Il y a le Darfour, qui continue de refuser l’intervention internationale qui mettrait un terme à ce qui s’apparente aujourd’hui à un génocide national. Il y a aussi la difficile question que pose le programme nucléaire iranien, qui est également au centre de l’attention du Conseil de sécurité et de la communauté internationale; sans parler de la difficulté insurmontable de la situation qui perdure dans le grand Moyen-Orient, notamment la question israélo-palestinienne, plus récemment le conflit au Liban avec toutes les conséquences qui en découlent et la stabilisation de l’Iraq. Et bien qu’à l’ONU nous nous soyons tenus un peu en marge de l’action menée en Iraq pour stabiliser la situation – au moins par rapport au rôle que nous avons joué en Afghanistan – nous y avons néanmoins la deuxième présence internationale en importance après la coalition, et nous avons participé très activement aux élections, à la rédaction de la Constitution, aux négociations politiques en vue de la formation d’un gouvernement largement représentatif, et plus récemment, à la mise en place d’un pacte international entre l’Iraq et la communauté internationale qui permettra de seconder l’ensemble des efforts de stabilisation du pays sur les plans politique et économique. Dans ce dernier domaine ainsi que dans bien d’autres, nous avons travaillé en partenariat étroit avec la Commission européenne.
Mais, au delà de ces questions politiques, j’appellerai votre attention sur un sujet que j’ai déjà mentionné : la grippe aviaire. En effet, il nous reste encore, à l’ONU, à trouver comment assurer la poursuite de ses opérations en cas d’épidémie et, si malheureusement celle-ci se produit, comment fournir une aide et un appui humanitaires dans le monde entier tout en essayant de protéger notre personnel et de renforcer l’efficacité des opérations dans d’autres domaines.
À ces vieux problèmes de conflit et de santé, de nouveaux sont, bien sûr, venus s’ajouter. Par exemple, sous quel angle l’ONU devrait-elle s’intéresser à la gouvernance de l’Internet? Ainsi, lorsqu’on se penche sur ce large éventail de problèmes, on en revient inévitablement à la même question : comment une vénérable institution conçue en 1945 peut-elle faire face à tout cela?
Pour y répondre, laissez-moi vous exposer ce que le Secrétaire général Kofi Annan considère comme étant les trois piliers autour desquels nous devons réorganiser l’ONU, lui donner une nouvelle orientation, la rapprocher de ses principales parties prenantes, les peuples du monde, et faire en sorte qu’elle réponde mieux à leurs besoins. Et après avoir bien observé les publics occidentaux et ceux des pays en développement, il nous a semblé que les exigences se recoupaient dans trois grands domaines: le développement, la sécurité ainsi que les droits de l’homme et la démocratie.
En ce qui concerne le développement, nous avions la conviction que le monde d’aujourd’hui devait s’attaquer à la pauvreté de façon collective car les tendances actuelles ne peuvent tout simplement pas se maintenir. C’est en définitive cet élan qui a donné naissance à l’objectif particulièrement ambitieux de réduire de moitié l’extrême pauvreté dans le monde d’ici à 2015. C’est un objectif qui a été défini en 2000 au Sommet du Millénaire des Nations Unies, et dont la réalisation doit en partie être organisée par l’ONU, mais qui a atteint ce niveau grâce à l’appui beaucoup plus large fourni par des gouvernements très divers, le secteur privé et d’autres partenaires.
Des progrès indéniables ont déjà été réalisés – tout particulièrement l’engagement pris par l’Union européenne d’augmenter progressivement à l’avenir l’aide financière au développement dans des proportions qui nous permettront d’atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement et la cible de 0,7%.
En conséquence, dans le domaine du développement, le monde d’aujourd’hui s’est doté d’une stratégie audacieuse et ambitieuse, qui s’étend bien au-delà de l’ONU, faisant intervenir les gouvernements, la Commission européenne, la Banque mondiale, les organisations non gouvernementales et de façon très sensible le secteur privé. Le fait est que ce réseau axé sur les objectifs du Millénaire pour le développement a besoin du centre qui lui est nécessaire pour réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement, et je pense que l’ONU en fournit un aujourd’hui – l’an dernier le Sommet mondial des Nations Unies à New York a constitué un pôle essentiel qui a permis à la fois aux pays riches et aux pays pauvres de renouveler leur engagement pour les 10 prochaines années.
La sécurité représente le second pilier de cette Organisation, à la fois nouvelle et recentrée. Dans le monde actuel, il renvoie à ce que je mentionnais tout à l’heure, à savoir que les vieilles guerres transfrontalières ont été remplacées par de nouvelles menaces et qu’il est nécessaire de mettre en place un régime de sécurité internationale pour y faire échec.
On a donc essayé en priorité d’établir une définition commune du terrorisme, pas simplement convenue, mais offrant une assise à la collaboration et à la coopération mondiales contre le terrorisme tenant compte de tous ses aspects. On porte désormais l’attention sur les États faillis et en déliquescence qui, bien souvent, ne sont pas seulement un problème pour leurs propres citoyens mais une bombe à retardement qui attend d’exploser dans le reste du monde.
En conséquence, nous avons également créé à l’issue du Sommet de septembre dernier une nouvelle Commission de consolidation de la paix destinée à rapprocher les économies, les politiques et la sécurité des États en reconstruction ou qui se sont effondrés. Nous avons également fait adopter la doctrine de la « responsabilité de protéger », prônée par Kofi Annan depuis qu’il est Secrétaire général, reposant sur l’idée que lorsqu’un État s’en prend à ses propres citoyens et que le niveau des violations des droits de l’homme se rapproche de celui d’un crime de guerre ou d’un génocide, ce n’est plus l’affaire de ce seul État et que le monde a l’impérieuse obligation d’intervenir pour y mettre un terme. C’est, si l’on peut dire, ce que nous ont laissé le Rwanda et l’ex-Yougoslavie en héritage.
Aujourd’hui, nous assistons au Darfour à la mise à l’essai de cette doctrine et nous nous heurtons à la difficulté de mettre sur pied une véritable action diplomatique et de réunir les soldats, les fonds et la volonté politique d’aller réellement dans cet endroit reculé, de la taille de la France, pour y imposer la paix.
Ce qui nous amène au troisième pilier de cette Organisation nouvelle : la priorité des droits de l’homme et de la démocratie, étayée par la conviction qu’il s’agit de concepts universels même si leur mise en œuvre peut être définie culturellement et politiquement, notamment dans le cas de la démocratie.
Il nous faut placer la question des droits de l’homme au centre du discours politique et véhiculer ces valeurs universelles à travers toutes les sociétés et tous les peuples. D’où les efforts déployés pour créer un Conseil des droits de l’homme crédible, capable de s’attaquer à certaines questions difficiles telles que le mécanisme d’évaluation intra-africaine prévu pour les agresseurs, épreuve qui permettra de savoir si le Conseil marque une amélioration par rapport à son prédécesseur tombé dans le discrédit. Malheureusement, le Conseil a pris un mauvais départ. Son premier dossier, qui concernait Israël, a déjà fait apparaître le clivage Nord-Sud, avec d’un côté un groupe de pays récidivistes et de l’autre ceux qui défendent les droits de l’homme. Il est absolument essentiel que le Conseil crée des coalitions interrégionales progressives afin de ne pas prendre le même chemin que la Commission des droits de l’homme, de funeste mémoire.
Pour ancrer ces trois nouveaux piliers, développement, sécurité et droits de l’homme, il est nécessaire de lancer une grande réforme de la gestion.
Rien n’illustre aussi bien le problème d’une institution encore trop solidement retenue par ses racines qui datent de 1945 que la gestion et les dispositions institutionnelles actuellement en vigueur à l’ONU. L’Organisation d’il y a 60 ans, et même d’il y a 10 ans seulement, constituait un Secrétariat plutôt stable et immuable qui s’attachait surtout à rédiger des rapports et à organiser des conférences à New York et dans ses villes sièges européennes, Genève et Vienne, et qui avait fixé un grand nombre d’objectifs de développement, entre autres domaines, que nous nous employons à atteindre aujourd’hui. Mais cette institution n’a plus grand-chose à voir avec un nouveau secteur en plein essor qui nous monopolise : la mise en œuvre d’opérations dans certaines des régions les plus dangereuses du monde.
L’ONU dépense quelque 2 milliards de dollars par an pour mener les activités que je viens de décrire. En revanche, quelque 20 milliards par an sont consacrés aux activités de développement, aux opérations humanitaires et au maintien de la paix dans le monde, qui se déroulent toutes dans des circonstances extrêmement difficiles. Les organismes des Nations Unies, tels que le Programme des Nations Unies pour le développement que j’ai dirigé pendant six ans, en réalisent environ la moitié. Pour la plupart, ils ne sont pas rivés à l’architecture de 1945, ils ont évolué avec le temps, en grande partie parce qu’ils sont financés par des contributions volontaires et doivent donc chaque année passer avec succès l’épreuve du marché : obtenir de bons résultats aux yeux de leurs bailleurs de fonds. L’autre moitié des activités consiste à soutenir les 100 000 soldats et policiers qui participent aux opérations de paix, chiffre qui comprend les renforts de la Force des Nations Unies au Liban (FINUL) et qui pourrait atteindre 115 000 avec le Darfour.
Nous avons donc proposé dans le rapport « Investir dans l’Organisation des Nations Unies », que nous avons rendu public cette année à New York, une modification de la structure globale de l’Organisation, de ses systèmes de gestion, de ses investissements en ressources humaines, de la façon dont nous faisons évoluer notre rôle directeur, de nos méthodes de gestion des systèmes informatiques mondiaux, afin d’aboutir à une structure qui reflète la nouvelle réalité de nos opérations dans le monde. Hélas, un grand nombre de ces propositions de réforme ont été paralysées par l’aggravation des tensions et des fractures politiques entre groupes d’États et entre États Membres. Mais, au cours des quelques mois qui restent, nous espérons encore faire avancer autant que possible la réforme de la gestion sous ses aspects les plus importants: les ressources humaines, la gouvernance, le contrôle, etc. Le prochain Secrétaire général devra redoubler d’efforts dans ce domaine et j’espère sincèrement qu’il disposera d’une latitude suffisante pour y parvenir.
Cette entreprise de réforme comporte un aspect supplémentaire : la restructuration du système de développement des Nations Unies. Nous avons mis en place un nouveau groupe chargé d’élaborer un programme de ralliement des organismes de développement d’un système des Nations Unies assez fragmenté et confus, pour en faire une entité unique plus homogène capable de mener une action efficace et concertée au niveau des pays. Ce groupe est présidé par les Premiers Ministres du Mozambique, du Pakistan et de la Norvège. Le Commissaire européen Louis Michel y siège aussi. J’espère et je pense que ce groupe fournira un plan audacieux qui nous dotera des moyens d’atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement.
Une nouvelle ONU, disais-je.
J’ai la conviction que nous sommes réellement en train de créer une Organisation nouvelle reposant sur ces trois piliers : développement, sécurité et droits de l’homme, soutenue par une nouvelle structure de gestion et un système plus cohérent, plus engagé sur le terrain dans le monde entier, qui, je l’espère, nous permettra de rétablir le contact avec les peuples.
Et, alors que les organisations multilatérales sont victimes d’une crise plus profonde de légitimité, pour ce qui est de l’ONU au moins, j’espère que nous avons pris les mesures nécessaires pour faire face à ces difficultés. Nous avons réussi à faire adopter notre conception au Sommet que nous avons organisé en septembre dernier. Maintenant, nous-mêmes, et nos successeurs appuyés par nos États Membres, nous devrons montrer comment gérer ces difficiles opérations qu’il s’agisse de santé publique, de crises humanitaires ou de maintien de la paix, opérations qui menées à bien restaurent la confiance du public. Si nous pouvons y parvenir, je pense que nous disposerons d’un système international dans lequel on pourra de nouveau croire. Si j’en crois ce que j’observe à la Banque mondiale, au Fonds monétaire international et dans d’autres organisations internationales, ces partenaires s’engagent eux aussi dans des réformes analogues.
Ces quelques dernières semaines notamment, alors que le Secrétaire général sillonnait le Moyen-Orient, j’ai retrouvé la légitimité et l’influence des Nations Unies. Son rôle indispensable de garante de la paix au Liban nous a rappelé à tous à quel point elle peut être puissante quand tout le monde souhaite sa réussite.
Permettez-moi pour terminer de dire ma gratitude aux organisateurs qui ont su réunir une assemblée aussi éminente et m’ont donné l’occasion de m’entretenir avec vous.
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