TRANSCRIPTION DE L’ÉCHANGE AVEC LA PRESSE DU VICE-SECRÉTAIRE GÉNÉRAL MARK MALLOCH BROWN, AU SIÈGE DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES, LE 7 JUIN 2006
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TRANSCRIPTION DE L’ÉCHANGE AVEC LA PRESSE DU VICE-SECRÉTAIRE GÉNÉRAL MARK MALLOCH BROWN, AU SIÈGE DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES, LE 7 JUIN 2006
Question: Le discours que vous avez fait, vous saviez probablement qu’il provoquerait un affrontement. Pourquoi maintenant, alors que l’Organisation est aux prises avec une crise d’une telle ampleur, une crise financière? Pourquoi provoquez-vous cet affrontement?
Le Vice-Secrétaire général: En fait, je pense que c’est exactement pour cela. Vous avez raison, le discours était très très pensé. Je me suis battu avec chaque mot, et pourtant, comme certains d’entre vous le savent, je parle normalement spontanément à partir de mes notes. Mais j’ai estimé que c’était là quelque chose de très important à dire et à dire maintenant, parce que nous sommes en crise. Et je n’ai pas besoin de vous dire que j’ai été très fortement critiqué par le G-77 (« Groupe des 77 » pays en développement) ces derniers mois pour lui avoir dit que lui aussi a besoin de balayer devant sa propre porte et de coopérer à ce programme de réformes. Mais comme vous le savez, il faut deux parties pour parvenir à un accord, et pour moi il était extrêmement important de faire passer ce message à mes amis américains. Mais de le faire d’une manière – et c’est là où – je suis sûr que vous avez tous – mais je vous engage vraiment à lire le discours – de le faire d’une manière qui n’est pas, qui ne peut, je pense, en aucune façon être qualifiée d’anti-américaine, mais qui se veut être un discours très pro-américain en ce que la pièce de résistance est un appel en faveur de l’exercice d’un leadership public plus cohérent par les États-Unis à l’Organisation des Nations Unies.
Et c’est une critique non seulement de l’Administration actuelle, mais des Administrations en remontant jusqu’à [Harry] Truman, quoique, lorsque je l’ai faite, Ted Sorensen ait cherché à faire valoir [que] peut-être [John] Kennedy devait en être exonéré. Il a été très difficile pour les Administrations d’oser avouer publiquement l’usage extraordinaire qu’ils font de l’ONU. Et le message était : impliquez-vous, impliquez-vous de façon cohérente, et allez dire au public américain que l’ONU compte. Et, vous savez, je ne vois vraiment pas comment cela peut être interprété comme un discours anti-américain.
Question: Le discours n’est peut-être pas anti-américain, mais il n’est certainement pas pro-américain. Il est aussi provocateur puisque vous avez choisi de parler de questions dont vous saviez qu’elles susciteraient une telle réaction de la part des États-Unis. La question est : pourquoi maintenant?
Le Vice-Secrétaire général: Je n’ai pas besoin de vous dire, mesdames et messieurs de la presse, que l’Organisation est sur une pente où elle glisse vers une crise très grave. Nous avons un budget qui expire à la fin juin. Nous avons deux parties qui [, au lieu de se parler,] parlent par-dessus la tête l’une de l’autre sans chercher à trouver des solutions. Et ayant moi-même consacré la majeure partie de ma vie active à l’ONU et à d’autres organisations internationales, je suis absolument – mais alors absolument – convaincu que nous devons frapper sur la table, appeler les deux parties au dialogue et chercher à les ramener à la raison. Et cela faisait partie de cette stratégie. Et c’est une stratégie équilibrée car, comme vous le savez, le Groupe des 77 pense que j’ai été sacrément casse-pieds en exigeant d’eux la même chose.
Question: Monsieur le Vice-Secrétaire général, pensez-vous que les déclarations que vous avez faites et les idées que vous avez avancées dans le discours sont des notions qui sont communément partagées par les diplomates, les ambassadeurs, ceux qui étudient l’ONU, mais que personne d’autre n’avait vraiment eu le courage, ou la franchise, d’exprimer ouvertement par peur d’obtenir justement le type de réaction que vous avez suscitée chez Monsieur Bolton?
Le Vice-Secrétaire général: En fait, vous fréquentez les mêmes cercles diplomatiques que moi. Je pense qu’il y a à l’ONU depuis très longtemps une dynamique – le désir de voir l’Amérique assumer le leadership, et en même temps un sentiment de frustration lorsque le leadership n’est pas toujours perçu comme étant effectif. Donc, vous savez, je pense bien que j’exprimais des opinions que je ne suis pas seul à avoir mais qui sont beaucoup plus largement répandues.
Question:En tant que journaliste indépendant travaillant dans ce bâtiment depuis 16 ans à la fois pour des journaux américains et des journaux britanniques, j’ai eu du mal à intéresser les rédactions américaines à ce qui se passe ici. Ne faites-vous pas là des avances à la presse? Car ce n’est pas au Gouvernement. C’est le Gouvernement qui scande la mesure, si bien que les discours…!, mais devrions-nous reprocher à l’Administration de ne pas claironner son engagement à l’ONU auprès de l’Amérique profonde? Mais les journaux américains n’ont guère envie de publier des articles [sur l’ONU], et ils sont censés jouir d’une certaine indépendance par rapport au Gouvernement.
Le Vice-Secrétaire général: Je pense que vous n’avez pas tort sur ce point, et vous savez, après tout, nous avons de nombreux attachés de presse ici et dans les fonds et programmes, comme le PNUD, qui cherchent aussi à faire publier ces articles. Mais, vous savez, j’ai cité, pendant l’échange de questions et de réponses après le discours, l’exemple du Plan Marshall. Lorsque le Plan Marshall a été lancé, l’opinion américaine ne l’a pu vu d’un bon œil. Les soldats américains étaient juste de retour après une guerre épuisante, qui avait fait de nombreuses victimes dans leurs rangs, et les Américains – moins que les autres – mais de façon tout de même significative, avaient supporté le coût d’une énorme guerre. Et soudain les dirigeants de l’Amérique leur disaient qu’il fallait investir massivement à l’étranger; et vous savez comment cela s’est passé : grâce au général Marshall lui-même, au Président Truman, mais aussi à des gens comme Averell Harriman, faisant le tour des popotes pour rallier l’Amérique [à la cause du Plan].
Et je pense que l’ONU sera toujours difficile à faire avaler aux Américains. Et c’est pour cela que je dis que c’est une question qui intéresse les deux grands partis. Je ne montrais pas les Républicains du doigt. Je pense que, pour toute Administration, c’est toujours une question délicate qu’il est en fait plus facile de ne pas aborder car elle provoque beaucoup de réactions négatives dans certaines parties du pays. Mais, vous savez, mon argument est que, maintenant plus que jamais, avec l’émergence d’un nouvel ordre sécuritaire mondial, avec le réchauffement de la planète, avec l’immigration illégale, avec la drogue et le crime, avec le terrorisme, l’Amérique a besoin d’une politique étrangère globale. Et l’ONU en est un élément essentiel.
Et puis, vous savez, ce discours n’était pas un discours qui s’adressait à l’Amérique en général. L’attention que vous lui prêtez aujourd’hui montre que c’est ce qu’il est devenu, mais il s’adressait aux responsables de la politique étrangère et aux dirigeants politiques pour leur dire : attention, que vous soyez d’un parti ou de l’autre, vous allez avoir besoin de nous plus que jamais. Vous devez donc vous employer à contribuer à faire de cette institution une meilleure institution. Et vous devez vous employer, si je puis me permettre, à mieux expliquer à votre propre opinion publique pourquoi l’ONU compte pour les intérêts de l’Amérique. Vous savez, c’était là le message, et il ne cherchait ni à favoriser un parti ni à être provocateur, comme il a pu le paraître.
Question:Ne vous en prenez-vous pas à Fox parce que le reste des médias ignore l’ONU?
Le Vice-Secrétaire général: Laissons Fox News poser sa propre question.
Question: Pourquoi, Monsieur Malloch Brown, pourquoi avez-vous ciblé vos critiques sur Fox News? Et, lorsque vous aurez répondu à cette question, quelle réponse donnez-vous à M. Bolton, que votre discours a manifestement mis hors de lui?
Le Vice-Secrétaire général:Pour la première question – un peu de pommade. J’ai l’an dernier fait votre éloge pour la vigueur de votre journalisme d’investigation, et je n’ai pas changé de position, et puis, vous le savez probablement, comme tout un chacun ici, je ne boude nullement Fox News. J’ai avec fierté pris part au Chris Wallace’s show et j’ai reçu plus d’appels après cette émission que pour pratiquement quoi que ce soit d’autre que j’ai fait. J’ai, comme tout un chacun, beaucoup de commentateurs favoris, et d’autres que j’apprécie moins, dans l’écurie Fox.
Mais, vous savez, Fox, outre que c’est une chaîne très puissante, a une ligne éditoriale très orientée. Et en fait, je pense qu’il y a d’autres points de vue possibles. Donc, relisez le discours et vous verrez, ce n’était pas une critique de Fox; je disais simplement: il y a d’autres points de vue, prêtez-y aussi attention. Pourquoi le reste des médias, et ceux qui parlent au reste des médias, ne parviennent-ils pas mieux à susciter le débat en présentant un autre point de vue?
Je crois que je vais vous rendre de nouveau hommage, ce que, sans doute, j’aurai à regretter, Jonathan. Vous savez, pour le meilleur ou pour le pire, Fox est devenu une sorte de nom commun, comme vous avez un Sony et non pas un baladeur, vous envoyez un FedEx, et non pas un paquet, et, pour le meilleur ou pour le pire, pour un public avisé, le terme est devenu un symbole qui va au-delà de Fox et de ce que fait la chaîne. Mais si vous pensez que c’est inapproprié, qu’il était inconvenant de le dire – et vous avez lu ce que j’ai dit – et si vous le ressentez comme une attaque contre Fox, mes excuses. Car telle n’était certainement pas mon intention.
Question: Mon interprétation, après l’avoir lu [le discours] plusieurs fois, et celle de collègues, et d’autres, est que oui, effectivement, Fox a été prise pour cible, et se fait lourdement critiquer parce qu’elle a mis le doigt sur des problèmes à l’Organisation des Nations Unies auxquels le public et les contribuables américains veulent certainement qu’il soit remédié.
Le Vice-Secrétaire général:Permettez-moi d’être clair et de dire de nouveau que Fox a, comme je l’ai reconnu bien plus ouvertement, je pense, que tout autre haut fonctionnaire de l’ONU, Fox a lâché des scoops et de très bons scoops d’un point de vue journalistique. Ils ne m’ont pas toujours facilité la vie, mais c’étaient des scoops fair-play. Mais cela ne signifie pas que je devrais me résigner à ce que votre ligne éditoriale soit la seule à être entendue. Et c’est parce que j’en reconnais l’influence, que j’ai encouragé d’autres à se lancer et à donner aussi des nouvelles de l’ONU.
Question:Même en admettant que, comme vous le dites, ce n’était pas un discours anti-américain, c’est certainement ainsi qu’il a été perçu à Washington et par M. Bolton ce matin, qui est allé jusqu’à dire qu’il pensait que vous n’étiez pas légitimé à critiquer le public américain. Vous étiez condescendant, etc, etc. Ma question est, aurez-vous, avez-vous eu des contacts directs avec M. Bolton ou un autre membre de l’Administration américaine? Et si vous n’en avez pas eu, en aurez-vous?
Le Vice-Secrétaire général:Oh, sans aucun doute. Comme je l’ai dit dans le discours, mon poste exige que j’aie des contacts avec le Gouvernement américain, à la fois par l’entremise de la Mission à New York et du Département d’État. Mais sur cette question, nous avons parlé à un membre de la Mission. Je n’ai pas parlé à John Bolton. Il en a parlé au Secrétaire général, comme je crois qu’il l’a dit ce matin. Il est donc évident que nous entendrons encore parler de cette affaire. Mais, vous savez, une fois de plus, Warren, si vous me permettez, vous avez bien fait votre travail en rendant compte de mon discours, mais mon impression était que, peut-être, au moins lorsqu’il en a parlé pour la première fois, il avait lu votre article, mais pas le discours lui-même. Et, je pense que le discours parle de lui-même et que la position équilibrée qui y est exprimée ne mérite pas les qualificatifs dont elle a fait l’objet ce matin.
Question:Je pense que M. Bolton, paradoxalement, vous a rendu service en donnant à votre discours une dimension qu’il n’aurait autrement peut-être pas eue et qui vous permet d’avoir l’oreille de Washington comme vous ne l’auriez sans doute pas eue autrement.
Le Vice-Secrétaire général: Je pense, comme je l’ai dit dans le discours, que nous avons d’excellentes relations avec le Département d’État et avec la Secrétaire d’État [Condoleezza] Rice. Je ne le dis pas dans le discours, mais c’est un fait : beaucoup de portes nous sont ouvertes à Capital Hill et je pense que toutes ces portes resteront aussi ouvertes que jamais. Ce qui m’inquiète, c’est que la réaction au discours ne polarise les choses à Washington, et ce n’était pas l’effet recherché.
Prenons un peu de recul. Vous avez devant vous le haut fonctionnaire qui est tout le temps qualifié –et en fait c’est ainsi que j’ai été présenté hier avant de parler – de haut fonctionnaire de l’ONU le plus pro-américain, celui qui a critiqué, d’autres parties prenantes sur ce point. Je pense qu’il incombe donc à chacun de s’arrêter une minute et de se demander: pourquoi ferait-il un tel discours? Et j’espère que c’est ce qui restera de ce discours, qui était une invitation de la part d’un ami à vraiment chercher comment les États-Unis pourraient mieux s’y prendre avec l’ONU.
Question: M. Bolton a dit ce matin que si le Secrétaire général ne vous désavoue pas, cela risque de retomber sur l’ONU, et je me demande comment vous entendez cela, et si vous êtes inquiet?
Le Vice-Secrétaire général: Nous sommes à un moment où il est important que la vérité soit dite, et que l’on se comprenne les uns et les autres, et vous savez, je pense –j’espère– que ce discours y contribuera. Et, vous savez, le Secrétaire général ne vas pas me désavouer. Comme Steph l’a dit dans ses commentaires à midi, ce sont là des questions qui intéressent ceux qui cherchent à mener le navire –l’ONU– à bon port.
Nous nous devons de parler de ces nuages extrêmement menaçants qui planent au-dessus de l’Organisation, et je ne veux pas, dans quelques mois, me trouver face à un naufrage occasionné par cette histoire de budget et être accusé de n’avoir rien dit et de ne pas avoir cherché à bien faire comprendre que l’Organisation se trouve dans une passe très difficile.
Question: Diriez-vous que vous vouliez encourager une prise de position des médias contrastant avec celle de Fox News, et vous avez aussi mentionné Rush Limbauch? Les éditoriaux sont liés à des idées politiques. Ne pensez-vous pas que, d’une certaine manière, vous aussi? Vous avez dit que vous ne souhaitez pas favoriser la polarisation, mais ne pensez-vous pas que vous jouez le jeu des Américains en faisant cela et qu’en fait vous violez ainsi le Statut du personnel de l’ONU, dirai-je?
Le Vice-Secrétaire général: Je cherchais juste à encourager le [New York] Sun à se faire entendre dans tout le pays.
Laissez-moi dire simplement que je ne pense pas qu’il en soit ainsi. Ce dont je veux parler c’est du choix, du choix en ce qui concerne les idées sur l’ONU, et je cherchais manifestement à favoriser de meilleurs articles sur l’ONU, plus d’appui pour l’ONU dans le débat qui a lieu dans tout le pays, et je pense que nombreux sont ceux, chez les Républicains comme chez les Démocrates, qui sont pour. Je ne pense pas que l’ONU doive être une question qui puisse être exploitée à des fins politiciennes, et mon plus grand regret serait que le discours y ait contribué, car c’était un appel lancé aux Républicains, et en fait dans la dernière phrase j’ai cité les noms de Vandenberg et de John Foster Dulles précisément parce que la question ne doit pas être associée à l’un ou l’autre des partis.
Elle doit être associée à ce qu’est toujours la politique étrangère américaine sous son meilleur jour: la conscience chez les Démocrates comme chez les Républicains que l’ONU compte pour les États-Unis, et que l’ONU, sans une forte implication des États-Unis, est totalement bancale. Mais pour s’assurer un tel investissement de la part des dirigeants américains, il faut s’en faire l’avocat, et bien dire que ce n’est pas une organisation dont le capital pourra être maintenu si les politiques ne s’investissent pas pour plaider sa cause.
Question: Le problème n’est-il pas que vous êtes trop étroitement lié, en tant que Vice-Secrétaire général de l’ONU, au parti démocrate et à l’establishment du parti démocrate? Vous avez été choisi comme Chief of Staff initialement lors de la réunion qui a eu lieu dans la maison de l’ancien ambassadeur [des États-Unis], Dick Holbrooke. Vous vivez dans une maison qui appartient à George Soros, qui verse de fortes contributions au parti démocrate. Vous parliez hier à un groupe qui était composé essentiellement d’anciens membres de l’Administration Clinton. N’est-ce pas vous qui polarisez le débat et alignez l’ONU sur l’une des factions politiques des États-Unis? Non seulement une faction politique, mais celle qui se trouve ne pas être au pouvoir en ce moment. Est-ce que cela ne joue pas contre l’ONU?
Le Vice-Secrétaire général: Il se trouve que ce sont les gens qui m’ont demandé de faire un discours, mais si vous regardez les discours que j’ai faits dans le passé à l’AEI (l’American Enterprise Institute), ou ailleurs, vous verrez que je ne suis lié à aucun des deux partis et que je vais où je dois aller pour plaider la cause de l’ONU.
Je ne me considère lié aux hautes sphères d’aucun parti politique américain. Je suis britannique. J’ai travaillé à l’ONU ou dans des organisations internationales toute ma vie. Je n’accepte tout simplement pas d’être vu ainsi. Mais comme je l’ai déjà dit, s’il est un point sur lequel j’estimerais que le discours a été un échec, ce serait qu’il soit considéré comme partisan, car il n’a jamais cherché à l’être.
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