DH/4892

INSTANCE PERMANENTE: LES AUTOCHTONES D’AFRIQUE DÉNONCENT L’INVOCATION DE LA LUTTE CONTRE LE TRIBALISME POUR LEUR NIER LA PARTICULARITÉ DE LEURS DROITS

18 mai 2006
Conseil economique et socialDH/4892
Department of Public Information • News and Media Division • New York

Instance permanente des Nations Unies

sur les questions autochtones

6e & 7e séances – matin & après-midi


INSTANCE PERMANENTE: LES AUTOCHTONES D’AFRIQUE DÉNONCENT L’INVOCATION DE LA LUTTE CONTRE LE TRIBALISME POUR LEUR NIER LA PARTICULARITÉ DE LEURS DROITS


Pygmées, Twas, Mbuti, San.  Le continent africain abrite aussi des populations autochtones.  C’est à l’aune de cette affirmation que l’Instance permanente sur les questions autochtones a tenu, au quatrième jour de sa cinquième session, un débat thématique très animé sur l’Afrique.


Il a fallu du temps avant que l’Union africaine elle-même ne se saisisse des questions liées aux violations des droits des autochtones, ont ainsi reconnu les participants au dialogue, à l’instar de M. Kamel Rezag Bara, représentant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.  Une de ces questions concerne le sort particulier des populations les plus marginalisées, dont les Pygmées et les Twas de la région des Grands Lacs, les Mbuti de la forêt de l’Ituri de la République démocratique du Congo (RDC) ou encore les San d’Afrique du Sud.  Ces groupes, souvent victimes de conflits armés, font face à des violations graves de leurs droits telles que l’expropriation, le racisme, ou encore le déni de l’accès à l’eau, ont indiqué M. Bara et le représentant de l’association « Unissons-nous pour la promotion des Twas ».


Toutes ces atteintes sont couvertes par divers articles de la Charte africaine relatifs aux droits individuels et collectifs.  M. Bara a encore précisé que ladite Charte donne à sa Commission la possibilité de recourir aux instruments du droit international humanitaire.  En ce sens, la Charte offre une protection réelle aux peuples autochtones d’Afrique.  Dans un contexte de recherche légitime de justice pour tous les peuples d’Afrique, a-t-il encore été dit, il convient de chasser l’idée selon laquelle la protection des droits des autochtones conduirait au tribalisme et aux conflits ethniques.  Les participants ont estimé que la réalité culturelle africaine devait être envisagée dans toute sa richesse et sa diversité.  La représentante du Caucus africain a rappelé, à ce propos, que l’Afrique comptait un tiers des langues du monde.


S’agissant toujours de l’action de la Commission africaine, M. Johnson Ole Kaunga, représentant d’«IMPACT-Kenya», a déclaré que ce dernier avait pour visée principale de faire avancer les droits de tous les Africains.  Comme la majorité des intervenants, il a jugé que cette action allait de pair avec l’effort de réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).  Le débat sur les droits de l’homme en Afrique tourne prioritairement autour de la question des ressources, des connaissances traditionnelles et de la représentation.  Les autochtones d’Afrique réclament, en effet une place au sein de l’État et la reconnaissance de leur spécificité culturelle.  Ils exigent des instruments pour protéger leurs droits et l’accès aux services de base auxquels ont droit tous les autres citoyens.


Pour les intervenants, une législation adaptée doit être mise en place pour protéger les communautés traditionnelles et pour que la diversité ethnique et culturelle soit enfin reconnue comme étant indispensable au développement économique du pays.  Par exemple, a-t-il été dit, les communautés pastorales doivent être davantage impliquées dans les politiques agricoles des pays.


En ce qui concerne la question spécifique des femmes, Mme Saoudata Aboubacrine, représentante de « Tin Hinan, Association pour l’épanouissement des femmes nomades du Burkina Faso, du Mali et du Niger », a mis l’accent sur la situation dans la région saharosahélienne.  Elle a déclaré que les femmes autochtones d’Afrique vivaient dans une situation d’extrême pauvreté et sont confrontées à des mutations sociales qui les pénalisent.  Leur manque d’autonomie s’aggrave et elles subissent les évolutions au lieu de les infléchir en leur faveur.  Pour inverser cette tendance, les participants ont unanimement recommandé qu’une décentralisation bien administrée soit établie, afin de mieux prendre en charge les besoins réels des communautés, en particulier ceux des peuples autochtones pasteurs nomades.  À cette fin, Mme Aboubacrine a suggéré qu’il fallait adapter les cadres éducatifs aux réalités profondes de ces communautés et doter les pays de la région de lois qui reconnaissent la spécificité des modes de vie des pasteurs nomades.


Faire mieux comprendre la notion de peuples autochtones dans le contexte africain: ce point a fait l’objet de commentaires et recommandations, notamment de la part de M. Julian Berger, du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.  Ce dernier a estimé qu’il était vital de renforcer sur le terrain les capacités des organisations autochtones et le dialogue entre les gouvernements et les institutions autochtones.  M. Berger a évoqué le manque de ressources et d’appui de la société civile, une situation à laquelle remédie le Haut Commissariat en organisant différentes activités de formation au sein même des communautés, a-t-il précisé.  Des programmes de bourses s’adressant aussi aux membres des communautés autochtones ont également été lancés.


L’Instance avait par ailleurs achevé, ce matin, les dialogues entamés ces derniers jours.  Avant cela, elle avait préalablement entendu les interventions de deux personnalités. 


Mme Erica-Irene Daes, Rapporteure spéciale pour les personnes autochtones et la souveraineté permanente sur les ressources naturelles de la Sous-Commission de la promotion et la protection des droits de l’homme, a présenté les conclusions d’un séminaire d’experts sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, organisé par le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’Homme.  Notant que ce séminaire, qui avait réuni des représentants des peuples autochtones, d’États, d’ONG et des institutions de l’ONU, visait à passer en revue les concepts relatifs aux territoires, aux droits fonciers et aux ressources naturelles. 


La Rapporteur a, en outre, indiqué que les participants avaient reconnu que le principe de souveraineté pouvait être considéré comme le contrôle juridique et gouvernemental en matière de gestion des ressources naturelles.  L’utilisation de cette notion lorsqu’on parle des peuples autochtones ne les place pas au même niveau que les États, a-t-elle continué.  Revenant sur l’intervention du représentant de la Nouvelle-Zélande, faite également au nom de l’Australie et des États-Unis, elle a rappelé que le concept de souveraineté sur les ressources ne signifiait pas une séparation de l’État en termes politiques.  À ce titre, elle a précisé que le terme « territoire politique » était utilisé dans ce sens dans le projet de Déclaration internationale des droits des peuples autochtones.  Ce projet est le résultat de 12 années de consultations et de travail acharné et contient des dispositions utiles pour parvenir à la reconnaissance des droits des peuples autochtones, a-t-elle insisté.  Selon elle, le texte contribuera également à la création de la stabilité dans les pays où vivent les peuples autochtones et à l’amélioration de leurs relations avec les États. 


Mme Rigoberta Menchu Tum (Guatemala), Prix Nobel de la paix 1992 pour sa campagne en faveur des droits de l’homme et son soutien aux populations autochtones, s’est également adressée à l’Instance.  Elle a insisté sur la nécessité de faire de la deuxième Décennie internationale pour les peuples autochtones une réussite.  Les idées et prétextes utilisés par les gouvernements pour nier les droits des autochtones sont toujours les mêmes, a-t-elle déploré.  La Décennie qui s’ouvre ne devra pas se contenter d’adopter des déclarations mais devra aussi amener les gouvernements à prendre des mesures fortes pour impliquer les peuples autochtones sur des questions aussi cruciales que celles de l’expropriation, a-t-elle estimé. 


Rigoberta Menchu Tum  a encore noté que de nombreuses parties prenantes à la cause autochtone avaient été déçues par la première Décennie; le racisme, l’analphabétisme, la malnutrition et la spoliation des terres causant toujours autant de ravages en 2006.  Selon elle, la communauté internationale n’a pas élaboré la stratégie commune qui aurait pu avoir un impact concret sur l’amélioration des conditions de vie des autochtones.  Ce que nous voyons aujourd’hui, a-t-elle regretté, c’est la marginalisation, les agressions verbales et physiques et le mépris avec lequel nous sommes traités.  Elle a déclaré que la deuxième Décennie devait être la décennie de la lutte.  Sans quoi, a-t-elle poursuivi, nous nous retrouverons encore à discuter des mêmes problèmes dans 10 ans et, entre-temps, nos communautés auront été détruites, a-t-elle conclu. 


À la suite de ces déclarations, l’Instance a continué son dialogue avec les institutions des Nations Unies.  Ainsi, la représentante du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a souligné le rôle joué par les peuples autochtones, alliés naturels du PNUE, dans la préservation de l’environnement et le développement durable.  Notant que ces communautés étaient très vulnérables face à la dégradation de l’environnement, elle a annoncé que le PNUE avait décidé de créer un point focal pour les peuples autochtones dans sa branche « Politiques et droits ».  Parmi les principaux programmes du PNUE en faveur des peuples autochtones, elle a cité un programme visant la formation et l’éducation, un autre concernant les innovations en matière de développement durable et un dernier sur l’utilisation des connaissances traditionnelles dans la gestion des catastrophes naturelles en Afrique.  Pour sa part, le représentant de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a indiqué que 130 ONG, pour la plupart des organisations autochtones, étaient aujourd’hui accréditées pour les sessions intergouvernementales de l’OMPI.  Ceci permet à l’OMPI de continuer à s’informer du point de vue et de l’expertise de ces gardiens du savoir traditionnel, a-t-il expliqué.  Il a fait valoir que l’OMPI continuait la rédaction de son répertoire sur le savoir traditionnel et les questions de propriété intellectuelle.  Insistant sur la nécessité de protéger ce savoir, il a indiqué qu’un large processus d’étude et de consultations avait été lancé à ce sujet.


De son côté, le représentant de l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR) a mis l’accent sur le renforcement des capacités de négociations afin de permettre aux peuples autochtones de négocier, de manière efficace, les questions qui les préoccupent.  Le représentant du Forum des Nations Unies sur les forêts (FNUF) a, lui, indiqué qu’au cours de la 6 session du Forum, les participants avaient œuvré à un renforcement de la coordination entre le FNUF et l’Instance permanente.  Ce renforcement doit, à terme, faciliter une promotion plus efficace de la gestion durable des forets.  Le partage équitable des bienfaits économiques et sociaux des forêts doit être la conséquence de la gestion durable de ces espaces menacés.  C’est en ce sens que la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) doit permettre le maintien et l’amélioration du niveau des ressources des forêts dont dépendent les communautés locales.


La représentante des Philippines a, quant à elle, indiqué qu’il y avait 12 millions de personnes autochtones et 110 groupes ethniques dans le pays, soit 10% de sa population.  Elle a fait part des efforts engagés par son pays pour mettre l’accent sur les questions autochtones et notamment, celles liées aux jeunes, aux femmes ou encore à la réforme de la propriété, dans le cadre notamment de la Commission des peuples autochtones des Philippines.  Elle a noté que le pays reconnaissait les droits des peuples autochtones de participer à la prise des décisions politiques.  De plus, a-t-elle ajouté, la Commission s’emploie à réduire les conflits entre différents groupes ethniques.


L’Instance a, en outre, entendu des représentants des peuples autochtones s’exprimer, comme hier, sur les thèmes de la pandémie du VIH/sida, de la condition particulière des femmes, de la défense des connaissances traditionnelles et de l’eau, entre autres.  Tous ont plaidé pour que l’Instance, en collaboration avec les institutions des Nations Unies et les gouvernements engagés dans la réalisation des OMD, déploie davantage d’efforts pour faire progresser la cause des peuples autochtones, en particulier ceux qui sont les plus durement touchés par l’extrême pauvreté.


Les travaux de l’Instance permanente reprendront demain, vendredi 19 mai, à 15 heures.


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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