SG/SM/9808-HR/CN/1108

LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL PLAIDE POUR LA CRÉATION D’UN CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME DONT LE PRESTIGE ET L’AUTORITÉ SERAIENT À LA MESURE DE SA TÂCHE

07/04/2005
Communiqué de presse
SG/SM/9808
HR/CN/1108


LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL PLAIDE POUR LA CRÉATION D’UN CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME DONT LE PRESTIGE ET L’AUTORITÉ SERAIENT À LA MESURE DE SA TÂCHE


On trouvera ci-après l’allocution du Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, faite aujourd’hui devant la Commission des droits de l'homme réunie à Genève:


« Merci, Monsieur le Président. Je suis comme vous tous très sensible à la perte que représente pour nous la mort du Pape Jean-Paul II. Une voix irremplaçable vient de s’éteindre, qui plaidait pour la paix, la liberté de religion, le respect mutuel et la compréhension entre les peuples et les fois. J’espère que tous ceux qui défendent les droits de l’homme pourront, même dans cette période de deuil, s’engager dans la poursuite de ces aspects de son message. Je voudrais aussi exprimer mes très sincères condoléances au peuple et au Gouvernement de Monaco, en particulier au Prince Albert suite à la disparition du Prince Rainier.


Il y a un an aujourd’hui, nous observions ensemble à cette commission une minute de silence à la mémoire des victimes du génocide au Rwanda. Nous déplorions une fois encore d’avoir été incapables de protéger des centaines de milliers de personnes sans défense. Et nous nous déclarions résolus à faire en sorte qu’un tel déni d’humanité ne puisse plus jamais se reproduire.


Aujourd’hui, le moment est venu à nouveau de prouver notre engagement.


Premièrement, à cause des effroyables souffrances au Darfour.  De courageux efforts ont été faits pour acheminer une aide humanitaire. Je suis heureux que le Conseil de sécurité ait pu surmonter ses divergences et convenir à la fois d’imposer des sanctions à l’encontre des individus qui violent le droit international humanitaire ou les droits de l’homme et de demander à la Cour pénale internationale de jouer le rôle essentiel qui lui revient en mettant fin à l’impunité et en demandant des comptes à ceux qui sont accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Je pense que nous devrions tous être reconnaissants aux troupes déployées par l’Union africaine, dont la présence – là où elle est ressentie – contribue indiscutablement à protéger la population d’autres crimes. Cependant, sous sa forme actuelle, cette force n’est manifestement pas suffisante pour assurer la sécurité dans un territoire aussi vaste. Et pendant ce temps, il n’y a eu pratiquement aucun progrès sur la voie d’un règlement politique. Pour nous tous, individuellement et collectivement en tant qu’institution, cette situation est un défi. Pour des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, nous avons déjà trop tardé.


Mais aujourd’hui, mes pensées vont aussi aux victimes dont le sort tragique n’est pas aussi connu. Je pense aux faibles, aux pauvres et à tous ceux qui sont vulnérables. Je pense à tous ceux dont les droits de l’homme sont bafoués et à tous ceux qui risquent d’être un jour victimes de la violence et de l’oppression. La responsabilité que la Charte fait peser sur nous à l’égard de tous est claire: il nous faut faire plus pour promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales.


De fait, personne n’a le monopole de la vertu en matière de droits de l’homme. Des violations sont commises dans les pays riches comme dans les pays pauvres. Les femmes dans de très nombreux pays continuent de ne pas pouvoir exercer pleinement leurs droits. Ces violations, qu’elles soient commises au nom de la religion, de l’appartenance ethnique ou de la sécurité de l’État, interpellent notre conscience. Qu’elles soient commises publiquement ou de façon plus insidieuse, elles doivent nous faire nous dresser pour défendre le droit de tous les êtres humains à être traités avec dignité et respect.


Les droits de l’homme sont au centre des propositions que je viens de présenter aux États Membres dans mon rapport intitulé « Dans une liberté plus grande ».  J’y fais valoir qu’il n’y a pas de développement sans sécurité ni sécurité sans développement.  Mais je souligne aussi qu’il ne peut y avoir ni sécurité ni développement sans le respect universel des droits de l’homme.  Si le combat n’est pas livré sur tous ces fronts, aucune victoire ne sera possible.  Si nous ne procédons pas à une refonte de nos mécanismes de défense des droits de l’homme, nous risquons de ne pouvoir rétablir la confiance du public dans l’Organisation elle-même.


La cause des droits de l’homme est entrée dans une nouvelle ère. Durant la majeure partie des 60 dernières années, nous nous sommes attachés à articuler, codifier et consacrer les droits. Cet effort a produit un cadre remarquable de lois, de normes et de mécanismes – la Déclaration universelle, les pactes internationaux et de nombreux autres instruments.  Ce travail doit se poursuivre dans certains domaines. Mais l’ère des déclarations laisse à présent la place, comme il se doit, à l’ère de la mise en œuvre.


Les recommandations que j’ai formulées reflètent cette évolution. Elles visent avant tout à construire une organisation qui puisse honorer la promesse de la Charte. Pour cela, j’ai proposé d’apporter des changements majeurs aux trois piliers du système des droits de l’homme de l’ONU: les organes conventionnels, le Haut Commissariat aux droits de l’homme et le dispositif intergouvernemental. Permettez-moi de les évoquer chacun à leur tour.


Les sept organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme sont les gardiens indépendants des droits et des garanties qui ont été négociés et acceptés au fil des ans. Dans leur dialogue avec les États, l’accent est mis sur la responsabilité, et leurs recommandations indiquent clairement les mesures nécessaires pour assurer le strict respect des instruments relatifs aux droits de l’homme. Ce système a contribué à la création de réseaux nationaux qui veillent à l’application des droits de l’homme. Mais il doit être rationalisé et renforcé, de sorte que les organes créés en vertu d’instruments internationaux soient mieux à même de remplir leur mandat. Et des mesures doivent être prises d’urgence pour qu’ils puissent agir comme un solide système unifié.


J’ai aussi engagé les États Membres à renforcer le Haut Commissariat aux droits de l’homme. Le rôle de celui-ci s’est considérablement élargi. Outre le travail de plaidoyer qu’il accomplit depuis longtemps, le Haut Commissariat s’emploie aussi aujourd’hui à prévenir les conflits et intervient en cas de crise. Alors que naguère une grande partie de son travail était d’assurer le secrétariat des organes créé en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, il dispense aussi aujourd’hui une assistance technique fort diversifiée aux gouvernements.


Pourtant, le Haut Commissariat demeure mal équipé sur certains plans fort importants. Ainsi, il ne peut assumer les fonctions d’alerte précoce comme il conviendrait, alors que les violations des droits de l’homme sont souvent les premiers indicateurs d’instabilité. La Haut-Commissaire et son personnel continuent de faire un travail remarquable malgré les nombreux problèmes auxquels ils se heurtent. Ils seraient les premiers à reconnaître les déficiences et ils sont les mieux placés pour trouver les moyens d’y remédier. En conséquence, j’ai demandé à la Haut-Commissaire de soumettre un plan d’action d’ici au 20 mai. Je m’attends à ce qu’une demande de ressources supplémentaires figure au premier plan de ses recommandations. En effet, alors que les droits de l’homme sont un des piliers de notre action, l’Organisation ne leur consacre que 2% de son budget ordinaire. Nous devrons augmenter les ressources pour faire face aux problèmes de plus en plus nombreux auxquels nous sommes confrontés.


J’aborde à présent la plus spectaculaire de mes propositions. Comme vous le savez, j’ai recommandé que les États Membres remplacent la Commission des droits de l’homme par un conseil des droits de l’homme plus restreint.


La Commission sous sa forme actuelle a des points forts indéniables. Elle peut prendre des mesures concernant les situations au niveau des pays. Elle peut nommer des rapporteurs et d’autres experts. Elle travaille en relation étroite avec les groupes de la société civile.


Mais d’un autre côté, l’aptitude de la Commission à s’acquitter de ses tâches a été dépassée par de nouveaux besoins et souffre de la politisation de ses sessions et du caractère sélectif de ses travaux. Nous sommes parvenus à un point où l’effritement de la crédibilité de la Commission a terni la réputation du système des Nations Unies dans son ensemble et où des réformes fragmentaires ne suffisent pas.


La création d’un conseil des droits de l’homme serait l’occasion de prendre un nouveau départ. Je pars du principe que le prestige, l’autorité et les capacités de la principale instance intergouvernementale de défense des droits de l’homme devraient être à la mesure de l’importance de sa tâche. L’ONU est déjà dotée de deux conseils chargés de poursuivre ses deux autres buts principaux, la sécurité et le développement. La création d’un conseil à part entière pour les droits de l’homme est donc conceptuellement et structurellement logique. Mais, le plus important est que le nouvel organe puisse mener à bien les tâches qui lui seront confiées.


J’ai proposé que ce conseil soit un organe permanent, qui puisse se réunir quand il le faut et non pas seulement six semaines par an, comme c’est le cas actuellement. Il devrait être expressément chargé de jouer le rôle de chambre d’examen collégial. Sa principale tâche serait d’évaluer la manière dont tous les États s’acquittent de toutes leurs obligations en matière de droits de l’homme, concrétisant ainsi le principe selon lequel les droits de l’homme sont universels

et indivisibles. Une attention égale devra être accordée aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, ainsi qu’au droit au développement, et le conseil devrait pouvoir offrir une assistance technique aux États et des conseils de politique générale aux États et aux organismes des Nations Unies.


Chaque État Membre ferait l’objet d’une évaluation périodique, ce qui n’empêcherait pas le conseil de se pencher sur les cas de violations massives et flagrantes des droits de l’homme qui pourraient se produire. Le conseil devrait, bien entendu, être en mesure de porter à l’attention de la communauté mondiale les crises exigeant que des mesures soient prises d’urgence.


Le nouveau conseil des droits de l’homme doit être constitué de membres dévoués et convaincus. Il doit être plus responsable et plus représentatif. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé que ses membres soient élus par l’Assemblée générale à la majorité des deux tiers et que les élus justifient d’un solide attachement aux normes les plus élevées en matière de droits de l’homme. L’élection par l’Assemblée générale à la majorité des deux tiers devrait contribuer à une plus grande responsabilisation et rendre l’organe dans son ensemble plus représentatif.


L’existence d’un conseil ne fera pas disparaître toutes les tensions indissociables de notre travail relatif aux droits de l’homme, un certain degré de tension étant dû à la nature des problèmes, mais elle permettrait d’aborder les questions de manière plus complète et plus objective. En fin de compte, elle permettrait une aide et des garanties plus effectives, et c’est à cette aune que nous devrions être mesurés. J’engage instamment les États Membres à prendre rapidement une décision de principe concernant la création d’un conseil des droits de l’homme. Ils pourront s’occuper ultérieurement des détails : sa taille, sa composition et son mandat; ses relations avec les autres organes de l’ONU; et les modalités permettant de retenir les meilleurs éléments des mécanismes existants, tels que les rapporteurs spéciaux et les liens étroits avec les organisations non gouvernementales. Bien entendu, les consultations avec la Haut-Commissaire seraient au centre de ce processus et celle-ci ne demande qu’à aider. Il faut que chacun de nous œuvre à la réalisation de ce projet et prouve que l’Organisation des Nations Unies prend autant à cœur la cause des droits de l’homme que celle de la sécurité et du développement.


Les droits de l’homme sont au cœur de l’identité de l’ONU. Les hommes et les femmes du monde entier attendent de nous que nous défendions les idéaux universels. Ils ont besoin de nous comme alliés et protecteurs. Ils veulent croire que nous pouvons aider à démasquer le fanatisme et à défendre les droits des faibles et des sans-voix.


Cela fait trop longtemps que nous nous complaisons dans l’idée que c’est ce que nous faisons. Mais l’écart entre ce que nous semblons promettre et ce que nous faisons réellement s’est creusé. La réponse n’est pas de rabattre nos ambitions, mais de procéder aux améliorations qui permettront à nos institutions de ne pas décevoir les attentes que le monde place en nous.


Ceux qui croient en nous ne comprendraient pas que nous n’agissions pas et n’accepteraient aucune excuse. Montrons leur donc que nous comprenons ce qui est en jeu.»


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