SG/SM/9776

DISCOURS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES, KOFI ANNAN, À L’OCCASION DU SOMMET DE LA LIGUE DES ÉTATS ARABES

23/03/2005
Communiqué de presse
SG/SM/9776


DISCOURS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES, KOFI ANNAN, À L’OCCASION DU SOMMET DE LA LIGUE DES ÉTATS ARABES


Vous trouverez ci-après le texte du discours du Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, à l’occasion du Sommet de la Ligue des États arabes, à Alger, le 23 mars :


Je voudrais remercier le Président Bouteflika pour ses qualités d’homme d’Etat et pour avoir pris l’initiative d’accueillir cette réunion, à un moment décisif pour le monde arabe et pour l’Organisation des Nations Unies.


J’aimerais également exprimer ma reconnaissance à Amr Moussa pour le rôle de chef de file qu’il continue de jouer en sa qualité de Secrétaire général de la Ligue des États arabes et pour son rôle important en tant que membre éminent du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement qui nous a récemment présenté à tous d’importantes recommandations.


C’est un honneur d’être ici parmi vous. Cette visite à Alger éveille en moi des souvenirs de l’époque où j’étais membre de l’Organisation des étudiants africains. Nous avons tous été influencés par la lutte de libération de l’Algérie.


Mais aujourd’hui, je suis surtout heureux d’être ici pour vous féliciter tous à l’occasion du soixantième anniversaire de votre organisation. Je sais qu’à cette occasion, vous étudiez la question de la création d’un parlement arabe, ainsi que d’autres éventuelles améliorations.


Un même esprit de réforme et de renouveau souffle à l’Organisation des Nations Unies, où nous célébrons aussi notre soixantième anniversaire cette année. Comme vous le savez, j’ai présenté lundi, à l’Assemblée générale, un rapport dans lequel je formule des propositions en vue de rendre notre système international, ainsi que l’Organisation des Nations Unies elle-même, mieux à même de répondre aux menaces et aux défis qui se posent aujourd’hui à l’humanité.


Intitulé « Dans une liberté plus grande » – expression extraite de la Charte des Nations Unies –, le rapport comporte quatre grandes sections : développement, sécurité, droits de l’homme et institutions mondiales, cette dernière mettant plus particulièrement l’accent sur l’Organisation des Nations Unies elle-même.


Dans ce rapport sont énoncées les décisions fondamentales qu’à mon avis, vous et vos collègues chefs d’État et de gouvernement d’autres régions du monde devriez prendre lorsque vous vous réunirez à New York, en septembre, pour examiner la mise en œuvre de la Déclaration du Millénaire.


L’idée qui le sous-tend est que les grands problèmes de notre époque sont interdépendants et que la recherche de solutions doit être collective : c’est l’intérêt bien compris de chacun.


Le rapport fait valoir également que ces propositions forment un tout, une stratégie globale qui accorde une importance égale à l’ensemble des buts de l’Organisation et à l’ensemble des préoccupations de ses États Membres.


Il appelle à mener une action concertée pour promouvoir le développement. À ce sujet, le monde a une approche commune, inscrite dans les objectifs du Millénaire pour le développement, mais c’est la mise en œuvre qui laisse à désirer dans de nombreux États. Nous disons souvent qu’il ne peut y avoir de sécurité pour l’humanité sans développement et justice sociale. Mais nous n’agissons pas toujours comme si nous y croyions.


S’agissant de la sécurité, il semble, par moments, que nous ne puissions même pas nous entendre sur ses aspects les plus fondamentaux. Et des situations particulières peuvent mener à de profonds désaccords, comme nous l’avons vu ces dernières années, surtout à propos de l’Iraq.


Aujourd’hui plus que jamais, alors que le sentiment de menace et de vulnérabilité s’accroît, nous avons besoin d’un système de sécurité collectif qui réponde aux besoins de chacun. La sécurité n’est pas seulement le premier devoir de tout gouvernement, c’est également un préalable fondamental au développement.


Nous devons donc renforcer notre action au service du désarmement, ainsi que nos régimes internationaux de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Nous devons améliorer notre capacité collective de consolidation et de maintien de la paix. Nous devons également rendre plus crédibles nos mécanismes de défense des droits de l’homme. Nous devons rendre le Conseil de sécurité plus représentatif, pour que ses décisions puissent être reconnues universellement avec une légitimité et une autorité plus grandes.


Nous devons également lutter ensemble pour faire reculer le terrorisme. Le besoin d’adopter une position commune sur cette question devrait nous paraître particulièrement évident, à nous tous présents ici en Algérie, pays qui a dû lutter contre le terrorisme et l’extrémisme durant de longues années, au prix de plus de 100 000 morts.


Cela fait trop longtemps que les initiatives prises par l’Organisation des Nations Unies pour s’attaquer à ce phénomène barbare achoppent sur l’absence d’une convention globale contre le terrorisme, fondée sur une définition claire et acceptée par tous. Je suis reconnaissant au Groupe de personnalités de haut niveau de nous avoir ouvert une voie. Le Groupe a conclu qu’il n’y avait pas lieu de discuter pour savoir si des États pouvaient être coupables de terrorisme, puisque l’emploi délibéré de la force contre des civils par les États est déjà clairement interdit et condamné par le droit international. Par ailleurs, il a fait clairement comprendre que le droit de résister à l’occupation n’incluait pas le droit de tuer ou de mutiler intentionnellement des civils. On ne peut pas faire avancer des causes légitimes par des moyens illégitimes.


J’ai demandé instamment aux dirigeants du monde entier de se rallier à la proposition du Groupe en faveur de l’établissement d’une définition du terrorisme et de conclure une convention globale contre le terrorisme avant la fin de la soixantième session de l’Assemblée générale. Je vous demande instamment de mettre votre expérience à contribution et de prendre la tête de cette initiative.


Bien entendu, lorsqu’il y a des ressentiments légitimes qui encouragent une population à soutenir le terrorisme ou à en être solidaire, nous devons trouver des moyens pacifiques de répondre aux doléances de cette population et de la convaincre que la terreur n’est pas le moyen de résoudre les problèmes. Cela n’est nulle part ailleurs plus clair que dans le territoire palestinien occupé, où je me suis rendu la semaine dernière.


Et pourtant j’ai encore constaté les difficultés de la vie quotidienne des Palestiniens, leurs inquiétudes devant la poursuite d’actes unilatéraux, tels que l’établissement de colonies de peuplement et la confiscation de terres, leur colère devant la barrière ou mur de séparation en Cisjordanie, leur aspiration à voir tous les prisonniers politiques libérés. Mais j’ai également senti un vent d’optimisme et d’espoir après une longue et difficile période d’effusion de sang et de désespoir. Je voudrais féliciter l’Égypte et la Jordanie d’avoir pris l’initiative de réunir le Président Abbas et le Premier Ministre Sharon à Charm el-Cheikh. Les deux parties ont pris des dispositions constructives en vue de remplir les engagements auxquels elles ont souscrit lors de ce sommet. Désormais, il s’agit pour nous de concrétiser ce qui n’a été jusqu’ici que possibilité. En tant que membre du Quatuor, l’ONU continuera d’insister auprès des deux parties pour qu’elles s’acquittent intégralement des obligations qui leur incombent en vertu de la Feuille de route ainsi que des résolutions 242 (1967), 338 (1973), 1397 (2002) et 1515 (2003) du Conseil de sécurité et pour qu’elles réalisent une paix juste, durable et globale sur tous les volets, y compris les volets syro-israélien et libano-israélien.


Au Liban, l’odieux assassinat de l’ancien Premier Ministre, M. Hariri, a été un coup sévère. M. Hariri était un patriote libanais, un homme d’État de très grande stature et une présence très importante dans la communauté internationale. Je compte publier dans les jours qui suivent le rapport d’établissement des faits que j’ai demandé au lendemain de l’assassinat et je crois qu’une enquête complète pourrait également être nécessaire. Toutes les parties doivent maintenant œuvrer de concert en vue pour préserver la stabilité et l’unité nationale du Liban. Je trouve encourageant que le Président Assad ait promis à moi-même et à mon Envoyé spécial qu’il appliquerait pleinement et intégralement la résolution 1559 (2005) du Conseil de sécurité. J’attends de toute l’armée syrienne, y compris ses services de renseignement et ses moyens militaires, qu’elle se retire complètement du Liban avant la tenue des élections législatives libanaises. Ces élections doivent être libres et équitables et avoir lieu comme prévu. L’ONU est prête à fournir une aide si nécessaire. Mon Envoyé spécial retournera dans la région durant la première semaine du mois d’avril pour poursuivre son dialogue, et je me tiens prêt à aider les parties, par tous les moyens à ma disposition, à donner effet à la résolution susmentionnée.


Par ailleurs, l’ONU est résolue à aider l’Iraq en cette période de transition. Maintenant que les élections ont eu lieu, les Iraquiens en attendent des retombées tangibles. Le processus d’élaboration d’un projet de constitution nationale devrait, à condition d’être ouvert et transparent, contribuer à l’amélioration de la situation en matière de sécurité. Alors que nous nous employons à assurer le plein rétablissement de la souveraineté et de l’indépendance de l’Iraq, il nous faut aussi promouvoir la normalisation des relations que ce pays entretient avec ses voisins et avec la communauté internationale. Je tiens à remercier la Ligue des États arabes de l’aide précieuse qu’elle fournit dans cette tâche.


Nous sommes encouragés par l’accord de paix tant attendu au Sud-Soudan. L’ONU a un rôle vital à jouer pour aider à l’application de cet accord. Néanmoins, la situation épouvantable qui règne au Darfour assombrit fortement les perspectives qui s’étaient dessinées à Naivasha. Des efforts remarquables ont été accomplis sur le plan humanitaire et, grâce à l’Union africaine, dans le domaine de la sécurité. En revanche, il n’y a eu pratiquement aucun progrès sur le plan politique. La population continue de souffrir. Il faut faire davantage pour garantir sa sécurité. En outre, il faudrait aussi, comme la Commission d’enquête l’a proposé, traduire en justice les responsables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Nous devons engager les parties, pas seulement le gouvernement mais aussi les rebelles, à négocier en toute bonne foi et dans un esprit de compromis. C’est là le seul espoir de voir s’instaurer une paix durable. Nos opérations humanitaires au Darfour, dans le sud et dans d’autres parties du pays, ont besoin de nouvelles sources de financement importantes, faute de quoi elles devront être interrompues. L’appui des États arabes – notamment leur soutien financier immédiat – sera d’une importance cruciale si nous voulons progresser plus rapidement et trouver une solution qui permette de faire face à la situation.

Mes chers amis,


Nous vivons dans un monde difficile et instable. Nous sommes tous profondément attristés par les injustices fondamentales et par les souffrances qui se prolongent inutilement. Les blessures qui en résultent contribuent à façonner l’humeur du public. Mais même si ces problèmes demeurent non résolus, il ne faut pas, il ne faudrait pas, qu’ils entravent l’action menée en vue de répondre à une vive soif de changement dans nos sociétés, en particulier au désir des populations de participer davantage. Cet effort devrait être mené en parallèle.


Durant ces derniers mois, les Iraquiens, les Palestiniens et les Libanais se sont montrés avides de solutions démocratiques à leurs problèmes. Ailleurs, où l’aspiration à une participation plus large se fait aussi nettement sentir, les systèmes politiques font montre d’une ouverture accrue. Les hommes et les femmes arabes sont de plus en plus résolus à faire entendre la diversité de leurs voix. Dans le monde arabe et partout ailleurs, la démocratie n’est certes pas une solution en elle-même, mais c’est le meilleur moyen dont nous disposons pour résoudre les problèmes, promouvoir la paix, favoriser le développement et créer des sociétés ouvertes et soudées fondées sur l’état de droit. L’ONU, qui est votre proche partenaire à bien des égards, continuera aussi de travailler avec vous à la réalisation de ces objectifs.


Pour conclure, je tiens à vous rappeler que vous êtes actuellement saisi de mon rapport intitulé « Dans une liberté plus grande », ainsi que des rapports du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement et du Projet objectifs du Millénaire. Je suis convaincu que le sommet de septembre nous offrira l’occasion de faire de la période d’incertitude actuelle un moment charnière de notre action en faveur de la paix, de la prospérité et des droits de l’homme. La région arabe, au même titre que toute autre partie du monde, a tout à gagner de l’adoption et de l’application de ce programme. C’est pourquoi j’espère vous voir tous au sommet où nous aurons d’importantes décisions à prendre.


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