SG/SM/9715

LA RÉFORME DE L’ONU ET DES ACTIONS COLLECTIVES SONT NÉCESSAIRES POUR LUTTER CONTRE LES MENACES À LA PAIX QUE SONT LE TERRORISME ET LA PAUVRETÉ, DÉCLARE KOFI ANNAN

10/02/2005
Communiqué de presse
SG/SM/9715


                                                            SG/SM/9715

                                                            10 février 2005


LA RÉFORME DE L’ONU ET DES ACTIONS COLLECTIVES SONT NÉCESSAIRES POUR LUTTER CONTRE LES MENACES À LA PAIX QUE SONT LE TERRORISME ET LA PAUVRETÉ, DÉCLARE KOFI ANNAN


On trouvera ci-après le texte du discours que le Secrétaire général, M. Kofi Annan, a prononcé aujourd’hui à la Maison des Banquets au Palais de Whitehall, à Londres :


Merci, Monsieur le Premier Ministre, pour cette remarquable introduction. « Vous avez lucidement exposé le contexte dans lequel s’inscrit ce que j’ai à vous dire ce matin.


C’est un grand honneur pour moi que d’être invité à prendre la parole dans ce lieu historique. Le fait que vous souhaitiez aujourd’hui rencontrer le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et que Tony Blair lui-même ait eu l’idée de ce débat public, m’incite à penser que vous êtes conscients, vous et lui, que nous nous trouvons à un moment très particulier de l’histoire.


En effet, les menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’ordre et la paix dans le monde sont d’une nature et d’une ampleur que nous n’avons pas connues depuis la Guerre froide. Or, si nous pouvons trouver ensemble des moyens efficaces de les neutraliser, nous avons là une occasion unique de bâtir un monde plus sûr, plus juste et plus libre, pour tous. Je pense que cette chance qui nous est donnée, vous l’avez entrevue lors de la réunion des ministres des finances du G-7 à Londres, la semaine dernière, où l’on a mis l’accent, et je m’en félicite, sur les mesures à prendre pour combattre la pauvreté dans le monde et atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement.


Quelles sont les menaces auxquelles je pense?


Les plus évidentes sont le terrorisme et les armes de destruction massive. À en croire de nombreux experts, la question n’est pas de savoir « si » mais « quand » ces deux menaces n’en seront plus qu’une et nous verrons, par exemple, une bombe radiologique exploser en plein cœur de Londres ou d’une autre grande capitale.


Les pertes en vies humaines seraient terribles, mais combien pires encore les répercussions sociales et économiques. Le choc serait ressenti partout dans le monde. Ce coup porté à l’économie mondiale ferait perdre leurs moyens de subsistance à des millions de personnes en Asie, en Afrique et en Amérique latine.


Or, ces gens sont déjà confrontés à de nombreuses menaces plus immédiates – la faim, la maladie, la détérioration de l’environnement, des gouvernements corrompus et répressifs, des guerres civiles et des conflits ethniques –, autant de périls auxquels les pauvres sont toujours plus vulnérables que les riches.


La situation en Afrique, le continent d’où je viens, est de loin plus grave.


Les espoirs de nombreux pays africains ont été anéantis par le VIH/sida, qui décime les groupes d’âge les plus productifs et les catégories sociales les plus instruites, faisant chuter l’espérance de vie et menaçant de réduire à néant des décennies de développement économique.


Dans certaines parties du continent, la maladie et la famine, conjuguées à des conflits meurtriers, font plus de dégâts qu’un tsunami et ce, plusieurs fois par an.


Dans une région en particulier, le Darfour, les gens continuent d’être chassés de chez eux, victimes d’une odieuse campagne de viols, de pillages et de meurtres. Comme l’a déclaré la Commission d’enquête internationale la semaine dernière, il s’agit de crimes de guerre, et peut-être aussi de crimes contre l’humanité.


Dans un monde devenu totalement interdépendant, vous ne pouvez pas vous permettre, ici à Londres, de faire comme si de rien n’était, pas plus qu’ailleurs sur la planète, on ne pourrait feindre d’ignorer l’événement si Whitehall et la City de Londres avaient dû être évacués à cause d’un attentat terroriste.


Il y a quatre ans, à New York, nous avons vu comment un pays pauvre et mal gouverné – l’Afghanistan – est devenu un foyer du terrorisme, ainsi que les effets dévastateurs qui pouvaient en résulter à l'autre bout du monde.


Il y a deux ans, nous avons vu comment un voyageur contaminé a transporté à son insu un virus mortel de la Chine au Canada, dans des délais plus courts que ceux de l’incubation de la maladie. Grâce en partie à l’intervention rapide de l’Organisation mondiale de la santé, le monde a évité de justesse la catastrophe.


La prochaine fois, nous pourrions avoir moins de chance. Tant que, dans les pays pauvres comme dans les pays riches, nous ne serons pas en mesure de coordonner les politiques et les budgets relatifs à la sécurité et aux soins de santé, nous resterons tous plus vulnérables aux maladies, qu’elles se propagent naturellement ou soient délibérément diffusées par des terroristes.


C’est un des exemples que donne le rapport intitulé « Un monde plus sûr – Notre affaire à tous », rédigé par le Groupe de personnalités de haut niveau que j'ai constitué pour étudier les menaces à la sécurité internationale et proposer les réformes à apporter au système international.  Je suis heureux de constater que vous consacrez aujourd'hui un débat à ce rapport et ravi de noter que trois membres du Groupe se trouvent dans l'auditoire : M. Gareth Evans, M. Robert Badinter et Sir David Hannay.


L’essence du message est que le temps est révolu où chaque pays ou même chaque continent pouvait s’occuper de sa propre sécurité.


Les menaces actuelles nous concernent tous et sont liées les unes aux autres.


Nous ne pouvons pas faire échec au terrorisme si nous ne nous attaquons pas également aux causes des conflits et à la mauvaise gestion dans les pays en développement.


Nous ne pourrons pas non plus vaincre la pauvreté tant que, quelque part dans le monde, la peur de la violence ou de l’instabilité fera obstacle au commerce et à l’investissement.


C’est la raison pour laquelle le rapport sur un monde plus sûr trouve un juste complément dans l’autre grand rapport que j'ai fait établir sous la direction du professeur Jeffrey Sachs – le rapport du projet du Millénaire. Intitulé « Investir dans le développement », ce rapport explique comment nous pouvons effectivement réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement, à savoir, notamment, réduire de moitié le nombre de miséreux et d’affamés, assurer l’accès de tous à l’enseignement primaire, réduire sensiblement la mortalité maternelle et infantile et stopper la propagation du VIH/sida et du paludisme avant l’échéance prévue de 2015. Il explique aussi comment nous devons nous y prendre pour atteindre ces objectifs.


Ensemble, ces deux rapports proposent une série de mesures qui, si elles sont prises rapidement par les gouvernements, offrent une chance réelle de construire un monde meilleur, plus pacifique et plus sûr au cours de ce siècle.   


Par exemple, le rapport sur un monde plus sûr préconise une stratégie globale de lutte contre le terrorisme; le renforcement du régime de non-prolifération; la création d’une Commission pour la consolidation de la paix, qui aurait pour mission de faire en sorte que les pays qui sortent d'un conflit ne sombrent pas à nouveau dans la guerre et le chaos après la signature d’accords de paix; l'acceptation claire par le Conseil de sécurité de notre obligation collective de protéger les populations en cas de génocide ou d’autres crimes comparables, lorsque des États souverains sont incapables de prendre les dispositions nécessaires ou ne veulent pas le faire; et l’adoption de critères de légitimité clairs, qui permettent au Conseil de décider quand le recours à la force doit être autorisé ou entériné.


Le rapport intitulé « Investir dans le développement » invite les pays pauvres et les pays riches à conclure un marché. Il faut aider les pays en développement qui sont bien gouvernés et placent la lutte contre la pauvreté en tête de leurs priorités à renforcer leurs capacités de production et d’exportation, qui sont, bien entendu, tributaires de l’infrastructure matérielle et sociale disponible. Pour pouvoir réaliser les investissements nécessaires, ils doivent être affranchis du fardeau écrasant de la dette et recevoir des fonds supplémentaires. Les pays pauvres doivent pouvoir exporter vers les pays riches sans rencontrer d’obstacles injustes et sans devoir affronter, sur les marchés mondiaux, la concurrence de produits subventionnés des pays riches.


De nombreux pays donateurs, dont le Royaume-Uni, se sont maintenant engagés à accroître leur aide publique au développement pour atteindre, à terme, l’objectif convenu de longue date de 0,7 % du produit national brut. C’est très bien. Mais si nous voulons atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement en 2015, il nous faut accroître dès maintenant les budgets d’aide. Des initiatives telles que la Facilité de financement international revêtent, dans ce contexte, une importance toute particulière.


D’autre part, le rapport propose des mesures à effet instantané moyennant lesquelles des investissements relativement limités peuvent apporter des améliorations remarquables dans des délais très courts. Je suis heureux que vous, Monsieur le Premier Ministre, en ayez déjà adopté une, à savoir la distribution gratuite et à grande échelle, d’ici à 2007, de moustiquaires et de médicaments antipaludéens dans les régions touchées par le paludisme. Cette mesure pourrait sauver la vie de près d’un million d’enfants africains chaque année.


Mais ce qu’il faut surtout savoir, c’est que l’aide peut faire une réelle différence quand elle va à des pays bien gouvernés et capables de l’absorber. Selon le rapport, beaucoup de pays répondent déjà à ces critères et, en 2005, les donateurs devraient sélectionner au moins une douzaine de pays pour les faire bénéficier d’une augmentation rapide de l’aide publique au développement. Je soutiens fermement cette recommandation.


Je crois résolument que le sommet qui se tiendra en septembre à l'ONU nous offrira une occasion exceptionnelle d'examiner ensemble toutes ces questions. Le mois prochain, je publierai mon propre rapport, qui puisera dans les deux autres, et proposerai une série de décisions importantes. Certaines de mes recommandations auront pour objet d’améliorer l’ONU elle-même.


Le monde a réellement besoin d’un lieu où prendre des décisions collectivement et d’un instrument au moyen duquel agir collectivement. Les fondateurs de l’ONU voulaient qu’elle soit à la fois ces deux choses. Pour qu’elle puisse répondre à cette attente au XXIe siècle, il va falloir l’adapter et la moderniser.


Tout le monde ne sait probablement pas combien l’ONU a déjà évolué avec son temps. Il y a 20 ans, les pays du monde pouvaient encore être répartis, de façon très schématique, en démocraties et dictatures. Il aurait été impensable que l’ONU prenne parti pour les uns ou les autres ou tente d’intervenir dans les affaires intérieures de ses États Membres.


Aujourd’hui, en revanche, pratiquement tous les États Membres reconnaissent que la démocratisation est souhaitable, au moins en théorie. Plutôt qu’en deux camps, ils se répartissent sur un continuum. Certains, comme la Grande-Bretagne, sont depuis longtemps déjà des démocraties à part entière. Quelques-uns sont encore des dictatures de la pire espèce. Beaucoup ont adopté un régime démocratique depuis la fin de la Guerre froide et beaucoup d’autres sont encore en chemin, certainement plus ouverts et plus tolérants qu’avant, mais encore en proie à des hésitations et sujets à des retours en arrière.


Autrement dit, la démocratisation est un processus. Des élections crédibles en sont une étape importante, mais pas son aboutissement.


Dans ce vaste processus de démocratisation, l’ONU joue un rôle important. Notre programme de développement n’est plus limité à des questions purement économiques. Il met de plus en plus l’accent sur la gouvernance, dont nous savons tous aujourd’hui, comme je le disais auparavant, qu’elle est déterminante pour le développement.


Des spécialistes des droits de l’homme des Nations Unies sont déployés dans quelque 39 pays, et des dizaines d’autres pays bénéficient de missions techniques et consultatives, ou de visites de rapporteurs spéciaux et d’autres experts.


Une des plus grandes divisions de notre Département des affaires politiques, dirigé par le Secrétaire général adjoint, Sir Kieran Prendergast, qui est ici aujourd’hui, se consacre à l’assistance électorale. Ces 13 dernières années, elle a organisé des élections, ou aidé et conseillé les organisateurs, dans 95 pays. Nous sommes fiers d’avoir aidé récemment les peuples afghan, palestinien et iraquien à avancer sur la route, longue et difficile, qui mène à la démocratie.


L´évolution récente de la situation dans ces trois pays est en effet encourageante.


En Afghanistan, l’autorité du Président élu est de plus en plus respectée et le pays se prépare à la tenue d’élections législatives dans le courant de cette année.


En Palestine et en Israël, des perspectives réelles se dessinent : on peut créer un élan et le maintenir. Les dirigeants élus des deux parties viennent d’annoncer la fin de la violence, après quatre années d’affrontements meurtriers et d’immenses souffrances. Le processus de paix va donc pouvoir reprendre. Vis-à-vis des Palestiniens et des Israéliens, nous devons tout faire pour que cette occasion exceptionnelle ne soit pas perdue. La conférence que vous, Monsieur le Premier Ministre, avez convoquée pour le 1er  mars, ici à Londres, vient à un moment on ne peut plus opportun. C’est avec énormément d’intérêt que j’y participerai, ainsi qu’à la réunion du Quatuor, qui sera je l’espère l’occasion de relancer la Feuille de route.


Pour ce qui est de l’Iraq, le succès des élections de la semaine dernière ouvre des perspectives extrêmement intéressantes : à ce stade, le monde peut et doit s'unir, quels qu'aient été les désaccords passés, pour aider le peuple iraquien, qui s'est doté de nouveaux dirigeants élus, à se libérer du difficile héritage de la guerre et de la dictature et à s'acheminer vers une société stable et démocratique, en paix avec elle-même et avec ses voisins.


Il importe au plus haut point que la transition en Iraq soit couronnée de succès. Je suis déterminé à ce que l'Organisation des Nations Unies joue pleinement son rôle pour aider le peuple iraquien à y parvenir.


On n’a pu qu'être ému par le courage dont les Iraquiens ont fait preuve en se rendant aux urnes. L'Organisation des Nations Unies est particulièrement fière de l'assistance qu'elle a pu leur apporter aux niveaux tant de la constitution de l'assise politique que des préparatifs électoraux. Je crois que nous pouvons également prêter notre assistance lors de la deuxième phase – celle, particulièrement délicate, de l'élaboration d'une constitution. Là aussi, notre assistance doit être à la fois politique et technique.


Sur le plan politique, mon Représentant spécial, Ashraf Qazi, s'emploie déjà à établir la communication avec les groupes – principalement les Arabes sunnites – qui, pour une raison ou une autre, n'ont pas participé aux élections mais sont prêts à négocier et à dialoguer pacifiquement pour atteindre leurs objectifs. Le succès de cette entreprise est vital, dans la mesure où la participation de tous détermine la réussite de la transition.


D'un point de vue technique, nous pouvons, si on nous le demande, donner des conseils pour la rédaction de la constitution. Nous pouvons aussi aider la Commission électorale indépendante à organiser le référendum sur le projet de constitution et les élections parlementaires ultérieures, tout comme nous avons collaboré avec elle à l'organisation de l'élection de la semaine dernière et comme nous collaborons actuellement avec elle au décompte et à la vérification des résultats.


Nous participons déjà à la reconstruction, au développement et à l'aide humanitaire, par exemple en remettant en état les centrales électriques et en fournissant de l'eau potable aux catégories vulnérables de la population iraquienne. Ces activités sont financées grâce au Mécanisme des fonds internationaux pour la reconstruction de l'Iraq, que nous avons mis en place avec la Banque mondiale pour aider les donateurs à acheminer les fonds qu'ils destinent à la reconstruction de l'Iraq. À cette date, 24 pays se sont engagés à verser un milliard de dollars. À mesure que les circonstances et les ressources le permettront, nous espérons pouvoir aider les Iraquiens à améliorer concrètement leur quotidien. L'Iraq, qui se trouve dans une région du monde où rien n’est simple, vient de vivre des événements particulièrement déchirants. Je crois fermement, cependant, qu'avec l'aide de la communauté internationale, la société iraquienne peut, en s’appuyant sur des institutions démocratiques, se construire un avenir stable et prospère. C’est animée de cet espoir et de cette ambition que la communauté internationale peut et doit, à partir de maintenant, s’unir pour accompagner les Iraquiens dans la grande aventure qui les attend. Nous avons reçu mandat du Conseil de sécurité de coordonner cet appui et entendons nous acquitter de cette mission.


J’ai dit, il y a deux ans, que ce moment pourrait être le plus déterminant pour le système international depuis la création de l’ONU en 1945. Je le pense encore. Nous vivons une époque dangereuse, mais aussi pleine de possibilités. La question est de savoir si les gouvernements auront la volonté de saisir ces possibilités et d'adopter un ensemble de réformes qui offrent une protection contre les deux types de menaces que sont, d'une part, le terrorisme et les armes de destruction massive et, d'autre part, la pauvreté, la faim et la maladie. En nous attaquant en même temps à ces deux types de problèmes, nous pourrons faire en sorte que personne – du Nord ou du Sud, riche ou pauvre – ne se sente oublié et que tout un chacun perçoive l’intérêt d’appliquer l'ensemble des réformes.


L’heure est venue d’intégrer à nouveau la sécurité économique et la sécurité militaire dans un même système, comme les fondateurs de l’ONU l’ont fait à San Francisco il y a 60 ans quand ils se sont dits résolus non seulement à « préserver les générations futures du fléau de la guerre », mais aussi à « favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Jusqu’ici, ces aspirations ne se sont que partiellement réalisées, et encore. Prenons la résolution de faire mieux cette fois-ci.


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