SG/SM/9686-AG/10331

KOFI ANNAN À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE : NOUS NE DEVONS PLUS JAMAIS PERMETTRE LA RÉPÉTITION DES ATROCITÉS COMMISES DANS LES CAMPS DE LA MORT NAZIS

24/01/2005
Communiqué de presseSG/SM/9686
AG/10331
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

KOFI ANNAN À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE: NOUS NE DEVONS PLUS JAMAIS PERMETTRE LA RÉPÉTITION DES ATROCITÉS COMMISES DANS LES CAMPS DE LA MORT NAZIS


On trouvera ci-après le texte de l’allocution prononcée par le Secrétaire général, Kofi Annan, à l’occasion de la session extraordinaire de l’Assemblée générale commémorant le 60e anniversaire de la libération des camps de concentration nazis, à New York, le 24 janvier 2005:


Ce n’est pas un hasard si la présente session se tient aujourd’hui. Il y a en effet 60 ans jour pour jour que le camp d’Auschwitz a été libéré. Mais, comme vous le savez, il existait de nombreux autres camps, qui sont tombés l’un après l’autre aux mains des forces alliées dans le courant de l’hiver et du printemps 1945.


Ce n’est que progressivement que le monde a pris toute la mesure de la barbarie qui régnait dans ces camps. Les délégués réunis à San Francisco avaient cette découverte macabre présente à l’esprit lorsque notre Organisation a été fondée. L’Organisation des Nations Unies ne doit jamais oublier qu’elle a été créée en réaction au mal absolu que représentait le nazisme, et que la monstruosité qu’a été l’Holocauste a contribué à façonner sa mission. La Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme en sont le reflet.


Les camps, hélas, n’étaient pas que des « camps de concentration ». Prenons garde à ne pas employer l’euphémisme qu’utilisaient ceux qui les ont construits. En effet, l’objectif n’était pas de « concentrer » un groupe de personnes en un lieu afin de pouvoir les surveiller, mais bien d’exterminer tout un peuple.


Il y a eu bien sûr d’autres victimes. Les roms, ou tziganes, ont subi un sort aussi atroce que les juifs. Près du quart du million de roms vivant en Europe a été éliminé.


Les Polonais et autres peuples slaves, les prisonniers de guerre soviétiques, de même que les invalides et les handicapés mentaux ont eux aussi été massacrés de sang-froid. Des groupes aussi divers que les Témoins de Jéhovah, les homosexuels, les opposants politiques et de nombreux écrivains et artistes, ont été victimes de violences effroyables.


À toutes ces victimes, nous devons témoigner notre respect, et le meilleur moyen de le faire est de consentir des efforts spéciaux pour protéger tous les groupes qui sont aujourd’hui eux aussi menacés et vulnérables, ou qui risquent de le devenir.


(à suivre)

Mais la tragédie du peuple juif est sans équivalent. Les deux tiers des juifs d’Europe, dont un million et demi d’enfants, ont été assassinés. Une civilisation entière, dont la contribution au patrimoine culturel et intellectuel de l’Europe et du monde est sans commune mesure avec le nombre de ses membres, a été minée, détruite, dévastée.


Dans un moment, vous aurez l’honneur d’entendre un des survivants, mon cher ami Elie Wiesel. Comme Elie l’a écrit, « toutes les victimes n’étaient pas juives, mais tous les juifs ont été des victimes ». Il est à cet égard particulièrement approprié que le premier État à prendre la parole aujourd’hui soit l’État d’Israël – qui est né, comme l’Organisation des Nations Unies, des cendres de l’Holocauste.


L’Holocauste a été le point culminant d’une longue et abominable histoire d’antisémitisme, faite de persécutions, de pogroms, de discrimination institutionnalisée et d’humiliations. La haine n’était pas toujours, et ne sera sans doute pas toujours, exclusivement le fait de marginaux extrémistes.


Mais comment un État-nation cultivé, raffiné même, situé au cœur d’une Europe dont les artistes et les penseurs avaient tant donné au monde, a-t-il pu produire une telle barbarie? Sans doute, comme l’a dit le philosophe « il suffit, pour que le mal triomphe, que les hommes de bien ne fassent rien ».


Certes, il y a eu quelques hommes – et quelques femmes – de bien, qui ont agi : des Allemands, comme Gertrude Luckner et Oskar Schindler; des étrangers comme Meip Geis, Chiune Sugihara, Selahattin Ülkümen, et Raoul Wallenberg. Mais il n’y en a pas eu assez, loin s’en faut.


Nous ne devons pas laisser de telles atrocités se reproduire. Nous devons exercer la plus grande vigilance pour empêcher la résurgence de l’antisémitisme et être prêts à agir pour combattre ses nouvelles manifestations.


Cette obligation nous lie non seulement au peuple juif, mais à tous les autres peuples qui ont été, ou pourraient être, menacés de subir le même sort. Nous devons traquer toutes les idéologies fondées sur la haine et l’exclusion, quels que soient le moment et le lieu où elles apparaissent.


En des moments comme celui-ci, les discours éloquents ne manquent pas. On proclame, avec raison, « plus jamais ça ». Mais il est beaucoup plus difficile de passer des paroles aux actes. Depuis l’Holocauste, le monde s’est plus d’une fois déshonoré en se montrant incapable de prévenir ou d’arrêter des génocides, comme au Cambodge, au Rwanda ou dans l’ex-Yougoslavie.


Encore aujourd’hui, nous sommes les témoins d’atrocités sans nom à travers le monde. Toutefois, il n’est pas si simple de déterminer quels cas sont prioritaires ou, plus précisément, quelles mesures il convient d’adopter pour protéger efficacement les victimes et leur offrir un avenir plus sûr. Il est facile de dire « il faut faire quelque chose ». Il est beaucoup plus difficile de dire exactement ce qu’il faut faire, quand il faut le faire et comment il faut procéder.


Mais ce que nous ne devons pas faire, c’est nier ce qui se passe, ou rester indifférents, comme tant l’ont fait quand les usines de mort nazis faisaient leur travail abject.


Il se passe actuellement des choses épouvantables dans la région du Darfour, au Soudan. La commission internationale d’enquête que j’ai créée à la demande du Conseil de sécurité doit me remettre demain son rapport.


La commission avait pour mission de déterminer si des actes de génocide ont ou non été perpétrés au Darfour. Mais elle était aussi chargée de recenser les violations flagrantes du droit international humanitaire et des droits de l’homme qui ont sans aucun doute été commises dans la région, ce qui n’est pas moins important.


Une fois qu’il aura pris connaissance de ce rapport, le Conseil de sécurité devra décider quelles mesures prendre pour assurer que les auteurs de ces atrocités répondent de leurs actes. C’est là une grave responsabilité.


Nous sommes aujourd’hui réunis pour honorer la mémoire des victimes de l’Holocauste – pour lesquels, malheureusement, il n’y a aucune réparation possible, du moins ici-bas.


Nous sommes aussi réunis pour rendre hommage aux pères fondateurs de l’Organisation des Nations Unies, les nations alliées dont les armées ont combattu le nazisme et dont les soldats sont morts pour l’anéantir. Certains des anciens combattants qui ont libéré les camps sont parmi nous aujourd’hui, dont mon cher ami et collègue, Sir Brian Urquhart.


Nous sommes également réunis pour saluer les hommes courageux qui ont risqué leur vie, et l’ont parfois sacrifiée, pour sauver d’autres êtres humains. Leur exemple honore l’humanité tout entière et doit inspirer notre conduite.


Nous sommes réunis enfin pour célébrer les survivants, qui ont héroïquement déjoué les funestes desseins de leurs oppresseurs, apportant au monde et au peuple juif un message d’espoir. À mesure que le temps passe, ils sont de moins en moins nombreux. C’est donc à nous, les générations suivantes, qu’il revient d’entretenir la flamme du souvenir et de faire en sorte que sa lumière éclaire notre propre existence.


Mais par-dessus tout, nous sommes réunis non seulement pour nous souvenir des victimes des horreurs passées, que le monde a abandonnées, mais aussi pour penser à tous ceux qui pourraient, aujourd’hui ou demain, être victimes de pareilles atrocités, pour les regarder dans les yeux et leur dire : « vous, au moins, nous ne vous abandonnerons pas ».


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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