DSG/SM/275-ORG/1452

BIEN QU’IMPARFAITE, L’ONU A UNE LÉGITIMITÉ UNIVERSELLE ET PEUT OBTENIR DES RÉSULTATS, DIT LA VICE-SECRÉTAIRE GÉNÉRALE À LA CONFÉRENCE DAVEY SUR LA RÉFORME

10/11/2005
Vice-Secrétaire généraleDSG/SM/275
ORG/1452
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BIEN QU’IMPARFAITE, L’ONU A UNE LÉGITIMITÉ UNIVERSELLE ET PEUT OBTENIR DES RÉSULTATS, DIT LA VICE-SECRÉTAIRE GÉNÉRALE À LA CONFÉRENCE DAVEY SUR LA RÉFORME


Madame Fréchette décrit l’évolution du rôle de l’Organisation à l’heure des nouveaux défis mondiaux et indique ce qu’il reste à faire


(Publié le 21 décembre – retardé à la traduction)


On trouvera ci-après le texte de la Conférence Davey donnée à Toronto hier, 9 novembre, par la Vice-Secrétaire générale, Mme Louise Fréchette, sur le thème: « L’ONU à 60 ans: trop vieille pour se réformer? »:


Je suis à la fois heureuse et très honorée d’être l’orateur invité de la conférence Davey cette année.  Je tiens à remercier les amis et les collègues de Keith Davey de m’avoir donné cette merveilleuse occasion de m’entretenir avec mes compatriotes canadiens d’une question qui me tient particulièrement à cœur, celle de savoir si l’Organisation des Nations Unies, qui vient de fêter ses soixante ans, est trop vieille pour se réformer.


L’interrogation n’est pas nouvelle.  À intervalles réguliers, les gouvernements et les grands de ce monde demandent à l’ONU de se réformer et vite, ou sinon…  Et invariablement, l’ONU est décrite comme une bureaucratie foncièrement inefficace et figée.


Si l’on en croit cette vision caricaturale, l’ONU est coupée du « monde réel ».  Les résolutions adoptées par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité reflètent toujours le plus petit commun dénominateur, sont conçues à dessein pour ne pas faire de vagues ou si peu, et perpétuent simplement le statu quo.  L’Organisation serait également opaque, encline au secret, rétive à toute forme d’examen extérieur.  Mais l’accusation d’inaptitude congénitale au changement est sans doute celle qui fait le plus mal.


La réforme de l’ONU est-elle donc synonyme de mission impossible? L’institution est-elle à ce point imperméable au changement?


Avant de répondre à ces questions, je devrais préciser que, dans ce contexte, le mot « réforme » n’a pas le même sens pour tout le monde.  Ceux qui l’appellent de leurs voeux avancent les arguments les plus divers, par exemple:


–     Les politiques de l’ONU ne sont pas adaptées aux défis du XXIe siècle;


–     Les énergies et les ressources de l’Organisation ne vont pas aux « bonnes » priorités (inutile de vous dire que chacun a sa propre idée sur les priorités en question);


–     La composition et les procédures des organes de décision de l’ONU
–notamment le Conseil de sécurité– ne reflètent pas vraiment les réalités du monde actuel;


–     Les diverses entités onusiennes ne sont pas aussi efficaces et bien coordonnées qu’elles devraient l’être;


–     Le Secrétariat est mal géré et ne fait pas suffisamment attention à la manière dont il dépense l’argent des États Membres;


–     Et enfin, l’Organisation ne répond pas aux normes d’éthique et de responsabilité les plus exigeantes.


Je pense pour ma part qu’il y a du vrai dans chacune de ces assertions.  La réforme porte et doit porter sur chacune d’entre elles.


Je me propose dans la quarantaine de minutes qui viennent de montrer comment et à quel point l’ONU a en fait changé au cours de son histoire –notamment depuis la fin de la guerre froide.  Je ferai ensuite le bilan du Sommet de septembre, et je conclurai mon exposé en évoquant brièvement l’avenir.


La création de l’Organisation des Nations Unies en 1945 a été un acte extraordinaire de lucidité et de sagesse politique.  Les souffrances infligées à des millions et des millions d’êtres humains au cours des deux guerres mondiales avaient convaincu les pères fondateurs que seul un engagement collectif autour d’un système de sécurité commun basé sur des principes et des règles librement acceptés pourrait préserver le monde d’une nouvelle hécatombe à l’avenir.


La Charte des Nations Unies demeure à ce jour un texte exemplaire.  Elle contient tous les principes de base qui conditionnent la paix et la stabilité dans le monde: règlement pacifique des conflits, progrès économique et social des peuples, respect des droits de l’homme.


Mais l’application de ces principes dans les relations internationales a bien sûr considérablement évolué au fil du temps et des événements.


Dans ses premières décennies d’existence, l’ONU a puissamment contribué à l’élaboration de normes internationales dans toutes les sphères de l’activité humaine, qu’il s’agisse de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des conventions ayant force obligatoire qui ont suivi, du Traité de non-prolifération nucléaire ou de la Convention sur le droit de la mer.


La décolonisation a été une entreprise majeure et menée à bonne fin.


Le maintien de la paix –qui ne figure pas dans la Charte– a été un brillant exercice d’improvisation qui doit beaucoup au Canadien Lester Pearson.


L’action humanitaire et la question du développement ont pris de nouvelles dimensions.  Les anciennes colonies, en général désespérément pauvres, sont devenues membres à part entière de l’Organisation des Nations Unies, et les conflits –le plus souvent post-coloniaux, mais entretenus et exacerbés par la rivalité entre les grandes puissances– ont causé d’immenses souffrances et produit un grand nombre de réfugiés de par le monde.


Mais la division de la planète en deux blocs, que les pères fondateurs n’avaient pas prévue, bridait sévèrement le Conseil de sécurité, qui ne pouvait jouer le rôle rêvé par les artisans de la Charte.  En l’occurrence, de nombreuses crises –invasion de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie par les Soviétiques, guerres du Viet Nam et d’Afghanistan– ont été tenues à l’écart de l’ordre du jour du Conseil de sécurité pour cause d’implication directe d’un ou plusieurs membres permanents.  C’est la paralysie du Conseil de sécurité qui a conduit à l’adoption de « l’union pour le maintien de la paix » invoquée par l’Assemblée générale lors de la crise de Suez en 1956.


Pour la plupart des gouvernements de l’époque et des deux ou trois décennies suivantes, le respect absolu de la souveraineté des États semblait la meilleure protection contre les désordres, et le fait même que ce principe était régulièrement bafoué dans un contexte de rivalité entre les deux blocs ne faisait que renforcer cette conviction.


Pourtant, à la fin des années 80, deux phénomènes nouveaux ont transformé la scène internationale, et l’ONU avec elle: la fin de la guerre froide et la mondialisation.


La fin de la guerre froide a débloqué le Conseil de sécurité –désormais, les membres permanents pouvaient s’entendre sur un éventail beaucoup plus large de dossiers, et cela au moment même où la mondialisation rendait les frontières poreuses et multipliait le nombre d’acteurs non étatiques influant sur les relations internationales– des organisations non gouvernementales aux multinationales en passant par les organisations criminelles ou terroristes.  Pour qui douterait de l’aptitude de l’ONU au changement et à l’innovation, il suffit de voir avec quelle souplesse elle a réagi aux changements survenus dans le monde depuis 1990 environ. 


Le maintien de la paix


Dans les premières 45 années de son existence, l’ONU n’a monté que 13 opérations de maintien de la paix.   Elle en a déployé le double dans les 15 ans qui ont suivi.  Le changement est quantitatif, mais aussi qualitatif.


À l’époque de la guerre froide, les opérations de maintien de la paix étaient généralement de simples missions d’interposition entre les forces armées des États belligérants et d’observation du cessez-le-feu en attendant la conclusion d’un accord de paix.  Cette présence avait très souvent des effets pervers en ce sens que les parties se sentaient moins contraintes de faire les compromis nécessaires et qu’en conséquence les Casques bleus restaient déployés beaucoup plus longtemps que prévu initialement (l’opération extrêmement complexe menée au Congo au début des années 1960 et, dans une moindre mesure, la mission déployée dans le Sud-Liban depuis 1978 sont les exceptions qui confirment la règle).


Aujourd’hui, la plupart des conflits dans lesquels le Conseil de sécurité décide d’intervenir sont circonscrits à l’intérieur d’un État Membre, même si leurs répercussions, et parfois leurs causes, sont transfrontalières.  La Côte d’Ivoire, le Burundi, le Libéria et Haïti offrent autant d’exemples de situations où l’ONU déploie actuellement une mission de la paix.


Il s’agit presque toujours d’opérations complexes qui visent à rétablir les institutions, organiser des élections, former la police, etc., après une guerre civile et en application d’un accord de paix déjà conclu entre les parties.  Mais les leçons des douloureux échecs essuyés en Somalie et en Bosnie au début des années 90 ont été retenues.  Le Conseil de sécurité est désormais conscient des risques inhérents au déploiement de forces de maintien de la paix dans des situations où il n’y a pas de paix à maintenir, et sait aussi que les factions armées engagées dans des guerres civiles sont souvent moins disciplinées et hiérarchisées que les armées régulières d’États qui s’affrontent dans des guerres internationales.  C’est pourquoi aujourd’hui les forces de maintien de la paix reçoivent souvent du Conseil de sécurité un mandat au titre du chapitre VII –la partie « répressive » de la Charte qui autorise, et même oblige, les Casques bleus à faire usage de la force non seulement pour se défendre, mais aussi à l’encontre des éléments armés qui menacent la population civile au mépris des accords signés par leurs dirigeants présumés.  C’est ce que nous appelons le maintien de la paix « musclé ».


Au cours des 15 dernières années, ce modèle et ses variantes ont contribué à ramener la paix dans bon nombre de pays, dont le Mozambique, El Salvador, la Sierra Leone et aujourd’hui le Burundi.  Ils n’ont certes pas créé de paradis, mais les populations concernées sont infiniment mieux loties qu’autrefois – et elles ont au moins la possibilité de consolider la paix et de développer l’économie par leur travail.


Une innovation encore plus remarquable s’est produite en 1999, quand l’ONU a été chargée non plus seulement de maintenir et consolider la paix, mais aussi de prendre en main l’administration de deux territoires: le Timor oriental
–accompagné jusqu’à son indépendance en 2002 par l’Administration transitoire des Nations Unies– et le Kosovo, où l’ONU est encore chargée des aspects non militaires du gouvernement, et où les pourparlers sur le statut final du territoire sont sur le point de s’ouvrir. 


Les sanctions


Le maintien de la paix n’est cependant pas le seul outil auquel un Conseil de sécurité moins divisé a eu plus souvent recours.  Les années 90 ont également été celles de la multiplication des régimes de sanctions économiques –accompagnés parfois de l’usage de la force armée, mais plus souvent destinées à infléchir les comportements d’acteurs étatiques ou non étatiques sans aller jusqu’à cette extrémité.  L’exemple le plus connu et sans doute le plus draconien est celui du régime imposé à l’Iraq de 1990 à 2003, qui a privé ce pays de toute source légale de revenus et l’a coupé du reste de l’économie mondiale.  Cet épisode a montré à la communauté internationale que des sanctions aussi étendues et aussi prolongées pénalisaient davantage encore la population civile que le pouvoir visé.  C’est bien sûr pour tenter de surmonter cette difficulté que le Conseil de sécurité a adopté le programme pétrole contre nourriture, qui a bel et bien réussi à rétablir et maintenir un niveau de vie minimum pour la plupart des Iraquiens, mais à un coût politique et moral qui n’apparaît pleinement que cette année.  Personnellement, je doute que ce genre de régime soit de nouveau imposé un jour, et le Conseil de sécurité explore maintenant des types de sanctions plus perfectionnés et mieux ciblés, par exemple les interdictions de voyager et le gel des comptes bancaires de certains particuliers.



Les tribunaux


La justice pénale est un autre domaine où l’ONU s’est véritablement montrée capable d’innover dans les 15 dernières années.  Les crimes épouvantables commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda ont amené le Conseil de sécurité à créer deux tribunaux spéciaux, dont l’un est le premier tribunal international à accuser des personnalités (dont un ancien premier ministre) du crime de génocide, tandis que l’autre a été le premier à poursuivre et juger un ancien chef d’État.  Ces tribunaux représentent un immense pas en avant dans la longue lutte contre l’impunité des crimes les plus odieux, mais la procédure est à la fois très longue et très coûteuse – d’où une réflexion qui a débouché sur deux autres innovations importantes.


La première est la création de tribunaux mixtes, en Sierra Leone et au Cambodge.  La formule permet à un pays déchiré par un conflit de juger lui-même ses criminels de guerre –la participation de la communauté internationale garantissant le respect des normes judiciaires internationales.  À l’avenir, le modèle sera sans doute appliqué et perfectionné dans d’autres pays.


L’autre innovation, plus spectaculaire, est bien sûr celle de la Cour pénale internationale ou CPI.  Il ne s’agit pas d’un organe de l’ONU, mais c’est l’ONU qui a convoqué et organisé la Conférence internationale qui a adopté le Statut de Rome en 1998, et c’est son Secrétaire général qui est le dépositaire des instruments de ratification, dont le centième vient juste de lui parvenir.  La Cour est donc aujourd’hui dûment constituée, et sa compétence est reconnue par une très large moitié des États Membres de l’Organisation des Nations Unies.  L’accord régissant les relations entre l’ONU et la Cour est entré en vigueur à la fin de l’année dernière, et pas plus tard qu’hier, le Président de la Cour, notre compatriote Philippe Kirsch, a présenté son premier rapport d’activité à l’Assemblée générale.  Comme vous le savez sans doute, le Statut de Rome autorise le Conseil de sécurité à porter des dossiers devant la Cour, et c’est ce qu’il a fait pour la première fois en mars de cette année à propos de la situation au Darfour – le procureur général de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a ouvert une enquête.  Tous ces exemples montrent bien, je crois, que l’ONU évolue et adapte ses pratiques pour répondre aux exigences de situations nouvelles.


Droits de l’homme


Un autre exemple qui vient à l’esprit est celui de la multiplication des missions de surveillance du respect des droits de l’homme, qui font désormais partie intégrante de toutes les missions de maintien de la paix de l’ONU ou qui peuvent être déployées séparément, comme c’est le cas en Colombie et au Népal.  Les droits de l’homme occupent aujourd’hui dans les activités de l’ONU une place sans précédent dans l’histoire de l’Organisation.  La fonction de Haut Commissaire aux droits de l’homme a été créée en 1993, et son titulaire actuel –Louise Arbour, une autre de nos compatriotes– a lancé un ambitieux plan de réformes qui traduit le fait que le Haut Commissariat a dépassé son simple rôle de plaidoyer et d’appui aux délibérations de la Commission intergouvernementale des droits de l’homme pour devenir une entité opérationnelle dynamique qui déploie et soutient des centaines de collaborateurs à travers le monde.



Terrorisme


Enfin, il est une autre réalité que l’ONU a dû affronter ces dernières années – je veux parler de la montée du terrorisme international.  Avant même le 11 septembre, le Conseil de sécurité avait imposé des sanctions visant Al-Qaida et créé un comité spécial pour surveiller les activités de cette entité.  Mais immédiatement après l’agression perpétrée contre les États-Unis, il est allé beaucoup plus loin avec l’adoption de la résolution 1373, une résolution historique qui impose des obligations strictes à tous les pays, et a décidé de publier des listes de terroristes et organisations terroristes et de créer un comité contre le terrorisme (dont le secrétariat est aujourd’hui assuré par la Direction du Comité contre le terrorisme du Secrétariat) à la fois pour s’assurer que les États remplissent leurs obligations, et pour les aider à promulguer et appliquer des lois antiterroristes.


Bref, au fil des décennies et plus particulièrement depuis une quinzaine d’années, l’ONU s’est avérée un instrument étonnamment souple, vers lequel les États Membres peuvent se tourner, comme ils le font d’ailleurs, pour un nombre phénoménal de tâches. 


Voilà pourquoi l’ONU a été chargée d’accompagner l’Afghanistan dans sa transition vers la démocratie, une démocratie encore fragile mais riche d’espoirs après les années d’anarchie et de férule moyenâgeuse des Taliban et des seigneurs de la guerre.  La médiation de l’ONU dans le processus de Bonn a permis de mettre en place un gouvernement provisoire.  La Loya Jirga convoquée par l’ONU a jeté les bases de la Constitution afghane.  Et grâce aux élections organisées par l’ONU, les Afghans ont pu pour la première fois élire librement leur Président et leur Parlement.


Voilà aussi pourquoi, malgré l’acrimonie suscitée par le refus du Conseil de sécurité d’entériner l’intervention militaire américaine en Iraq en 2003, l’ONU a été chargée un an plus tard de choisir le gouvernement intérimaire iraquien et cette année d’aider à organiser les élections et le référendum.  L’ONU est devenue la référence obligée en matière électorale, et pour cause: en 12 ans, elle a appuyé les élections démocratiques dans la moitié des pays du globe.


Voilà pourquoi cette année c’est l’ONU qui a été chargée de vérifier le retrait syrien du Liban et, fait sans précédent, de mener une vaste enquête criminelle sur l’assassinat d’un ancien premier ministre –ce qu’elle fait avec toute la pugnacité, le sérieux et l’impartialité qu’exige cette tâche délicate dans un environnement politique hautement sensible.


Voilà pourquoi nous avons maintenant plus de 70 000 soldats déployés dans des missions, plus que tout autre pays hormis les États-Unis.


La communauté internationale se tourne vers l’ONU pour accomplir toutes ces tâches parce que l’Organisation est la seule à avoir une légitimité universelle et parce que, aussi imparfaite soit-elle, elle peut obtenir des résultats.  Créer ou reconstruire des institutions viables après un conflit est une tâche colossale pour n’importe quelle entité, nationale ou internationale.  Il était donc intéressant –et pour moi très gratifiant– de lire dans une récente étude de la Rand Corporation que l’ONU faisait ce travail d’édification des nations mieux que quiconque.


Suis-je en train de dire que l’ONU est parfaite en l’état? Absolument pas – et je vais en venir dans quelques instants à la question de la poursuite des réformes.  Mais ce que je dis, c’est que le bilan de l’ONU pour les 10 dernières années est bien meilleur qu’on ne pourrait le penser; il montre que l’Organisation est capable d’évoluer et que d’ailleurs elle change, qu’elle a tiré des enseignements de ses données d’expérience et a agi en conséquence.  Le rapport Brahimi sur les opérations de maintien de la paix publié il y a cinq ans a donné lieu à des réformes majeures et a renforcé notre capacité à gérer des opérations de grande envergure.  Le budget annuel de l’ONU pour les opérations de maintien de la paix s’établit aujourd’hui à 5 milliards de dollars –une somme non négligeable, mais au regard du coût de la guerre et du chaos, une manière très économe d’apporter la sécurité et l’espoir à des centaines de millions de gens.  Le Département des opérations de maintien de la paix compte 130 personnes sur le terrain pour chaque fonctionnaire travaillant au Siège, un ratio beaucoup plus élevé que dans toute autre organisation.  En vérité, c’est encore trop juste...


L’ONU a par ailleurs considérablement étoffé sa capacité d’intervention humanitaire lors des catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme, qui semblent de plus en plus fréquentes à notre époque.  Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, le Programme alimentaire mondial et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) sont les acteurs clefs de toute action humanitaire, et se sont dotés d’une capacité de réaction rapide impressionnante –sans parler des gens courageux et chevronnés qu’ils peuvent déployer partout dans le monde. 


Au-delà de ses propres interventions d’urgence, l’ONU est maintenant reconnue de façon quasi unanime pour sa capacité à coordonner les opérations de secours d’autres agences dans des zones sinistrées.  C’est pourquoi la communauté internationale s’est tournée vers elle pour organiser les secours après le tsunami, pourquoi également le Président Bush a sollicité son aide en Louisiane et dans le Mississippi après le passage du cyclone Katrina. 


Inutile de dire que ces interventions en première ligne et sur tous les fronts ont un coût, notamment hélas en termes de vies humaines, tant civiles que militaires.  C’est là une autre de ces « nouvelles réalités » auxquelles l’ONU a dû récemment s’adapter en réformant son système de sécurité du personnel et en se dotant de moyens plus professionnels pour protéger les gens qu’elle envoie sur le terrain. 


Parallèlement, l’ONU est devenue l’un des acteurs clefs de la lutte planétaire contre le VIH et le sida.  C’est l’initiative de son Secrétaire général en 2001 qui a donné l’impulsion nécessaire pour fédérer les initiatives internationales et créer un Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.  Les ressources mobilisées sont passées de moins d’un milliard à plus de 8 milliards de dollars en cinq petites années, et 500 000 Africains ont maintenant accès aux médicaments antirétroviraux, contre 25 000 en 2001 –ce qui ne représente malheureusement que 11% de la population ayant besoin de ces traitements.


Et voilà que maintenant la grippe aviaire fait planer une nouvelle menace sur la planète.  À travers l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture (FAO), le système des Nations Unies organise d’ores et déjà la riposte.  Le Secrétaire général a nommé un coordonnateur spécial, et tout le système onusien s’est mobilisé pour que les pays soient prêts à affronter une éventuelle pandémie si l’effort de prévention venait à échouer.


L’ONU bat également le rappel de la communauté internationale pour lutter contre la pauvreté et son cortège de misères –analphabétisme, mortalité infantile, etc.  Il y a cinq ans, le Sommet du Millénaire pour le développement a fixé aux pays un certain nombre d’objectifs précis pour 2015, qu’il s’agisse de faire reculer la pauvreté et la maladie, de permettre aux femmes de jouer leur rôle essentiel dans le développement ou de sauvegarder l’environnement de notre planète.  Ces objectifs ont été de puissants outils pour mobiliser l’opinion et coordonner les initiatives des nombreux acteurs œuvrant pour le développement.  Ils sont l’aboutissement du travail considérable accompli durant les neuf années de mandat du Secrétaire général Kofi Annan pour amener les entités dispersées du système onusien – y compris la Banque mondiale et le Fonds monétaire international – à collaborer plus étroitement.


Pour conclure cette longue liste des changements intervenus en 15 ans, je me dois de mentionner les partenariats de l’ONU avec les acteurs non étatiques qui peuvent l’aider à atteindre ses objectifs.


Le Secrétaire général a invité les acteurs du secteur privé à se joindre au Pacte mondial, qui engage les chefs d’entreprise à jouer leur rôle de citoyens du monde.  Depuis son lancement au Forum économique de Davos en 1999, le Pacte a rallié près de 2 000 dirigeants d’entreprise, personnalités de la société civile et responsables syndicaux.  Il a suscité des initiatives d’entreprise citoyenne, ouvert des perspectives nouvelles quant au rôle public de l’entreprise dans les pays en développement, amélioré le dialogue entre la société civile et les acteurs du secteur privé.


Parallèlement, l’ONU a noué des partenariats avec d’éminents philanthropes comme Ted Turner et Bill Gates.  Elle a mobilisé les grandes compagnies pharmaceutiques dans le combat pour trouver des vaccins et fournir des médicaments antirétroviraux aux habitants des pays pauvres, ainsi que les géants de l’informatique pour réduire la fracture numérique et mettre les nouvelles technologies des communications au service du développement.


Cette période a été marquée par une coopération sans précédent entre l’ONU et les organisations non gouvernementales, qui sont devenues des partenaires à part entière, premièrement pour faire évoluer les politiques et traiter en priorité les problèmes mondiaux les plus urgents, deuxièmement pour mener des actions humanitaires et d’aide au développement sur le terrain et troisièmement, pour définir les programmes de développement et de protection de l’environnement en jouant un rôle majeur dans la formulation des politiques aux niveaux national et intergouvernemental. 


Bref, beaucoup de choses ont changé en une dizaine d’années.  Les pères fondateurs de 1945 ne reconnaîtraient plus l’ONU d’aujourd’hui.  Et pourtant, malgré tout le travail accompli, le Secrétaire général s’est senti obligé il y a deux ans de dire aux États Membres que l’Organisation était à la croisée des chemins, et qu’une réforme en profondeur était indispensable.  Pourquoi?


Premièrement, parce que les États Membres ont été profondément divisés sur les questions fondamentales résultant de la guerre en Iraq –et notamment sur les circonstances dans lesquelles les États pouvaient légitimement avoir recours à la force.


Deuxièmement, et corollairement, parce qu’il fallait définir des principes directeurs et trouver des outils pour répondre aux nouvelles menaces à la paix et à la sécurité internationales.


Troisièmement, parce que les processus de prise de décisions de l’ONU avaient besoin d’être modernisés pour mieux refléter les réalités du XXIe siècle.


Et quatrièmement, parce qu’il fallait absolument remédier aux graves lacunes du système d’administration de l’ONU et donner au Secrétariat les outils de gestion nécessaires pour coordonner efficacement les missions complexes et de grande envergure qui lui étaient de plus en plus fréquemment confiées.


Pour accélérer le mouvement, le Secrétaire général a créé deux groupes d’experts chargés d’examiner les menaces contre la sécurité et le renforcement de la sécurité, respectivement.  Ils ont remis leur rapport l’hiver dernier.


Le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement contient une série de propositions qui sont peut-être les plus détaillées, cohérentes et réalistes jamais présentées aux Nations Unies pour améliorer la sécurité dans le monde.  Et le rapport du projet du Millénaire sur l’investissement dans le développement indique lui aussi ce qui doit être fait, à la fois dans les pays en développement et au niveau mondial, pour atteindre les objectifs de développement énoncés dans la Déclaration du Millénaire à l’échéance fixée, c’est-à-dire 2015.  Le Secrétaire général s’est inspiré de ces deux documents pour rédiger son propre programme de changement, intitulé « Dans une liberté plus large », paru en mars.


Ses propositions couvrent délibérément un champ assez vaste – il est en effet convaincu que le développement, la sécurité et les droits de l’homme ne sont pas seulement des objectifs vitaux en eux-mêmes, mais qu’ils sont indissociables, et il croit également qu’un État Membre appuiera plus volontiers les priorités des autres s’il voit que les siennes bénéficient de la même attention.


À la veille du Sommet mondial de septembre, certains observateurs prédisaient que l’ordre du jour de la rencontre s’effondrerait sous son propre poids, dans un climat d’acrimonie et de divisions.  Effectivement, sur certains points essentiels – en particulier la proposition de réforme du Conseil de sécurité –aucun consensus n’a pu être trouvé.  Pourtant, le bilan est loin d’être négligeable. 


Permettez-moi tout d’abord de rappeler ce que le Sommet a accompli pour le développement – le domaine de loin le plus important pour la plupart des États Membres.  Il a poussé les donateurs et les pays en développement à annoncer des mesures pour avancer vers la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement.  Il a mis en évidence l’importance de la gouvernance et de la croissance économique dans un environnement porteur pour atteindre ces objectifs.  Il a préconisé certaines mesures essentielles pour améliorer la cohérence et la coordination entre les différents organismes des Nations Unies.


En fait, je me demande comment tant de gens ont pu dire que le Sommet était un échec alors qu’il a clairement entériné les objectifs du Millénaire et suscité un doublement des aides à l’Afrique, et que de nombreux donateurs – pas le Canada, hélas – ont annoncé un calendrier pour consacrer 0,7 % de leur PIB à l’aide au développement.  Si nous continuons sur cette lancée, il y a de bonnes chances à mon avis pour que ce sommet reste dans l’histoire comme le moment décisif où l’humanité s’est enfin libérée de l’engrenage de la pauvreté. 


La déclaration du Président Bush à ce sommet a été particulièrement importante.  Le Président américain a en effet appuyé vigoureusement les objectifs du Millénaire pour le développement, et il a également fait une offre peut-être historique aux pays pauvres en leur proposant de se sortir de la pauvreté par le commerce, grâce à l’heureuse conclusion du Cycle de Doha, qui supprimerait les droits de douanes sur leurs marchandises et les subventions agricoles déloyales.  Je pense que le commerce est un acteur de développement tout aussi important que l’aide financière ou l’allégement de la dette et que, tant que les pays ne pourront pas rivaliser à armes égales sur les marchés mondiaux, nous continuerons tous à lutter contre la pauvreté avec en quelque sorte une main liée derrière le dos.  La réunion ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce qui se tiendra à Hong Kong le mois prochain revêt donc une importance primordiale.


Au chapitre de la sécurité, les résultats ont été plus décevants.  Le plus grand échec du Sommet a été une absence totale d’accord sur la non-prolifération nucléaire et le désarmement.  Sur la question de l’usage de la force –que le Secrétaire général avait mise en exergue en 2003– les États Membres se sont contentés de citer la Charte, et n’ont pas tenté de réconcilier les différents points de vue quant à son interprétation. 


Le Secrétaire général avait espéré que les États Membres pourraient s’entendre sur la définition du terrorisme.  Tel n’a pas été le cas.  Le Sommet a condamné sans ambiguïté ni réserve « le terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations, quels qu’en soient les motifs, le moment ou les auteurs ».  Mais il s’en est remis à l’Assemblée générale pour élaborer une grande convention contre le terrorisme international –sur laquelle les négociations sont en bonne voie– et pour synthétiser les éléments identifiés par le Secrétaire général à Madrid en mars dernier en une stratégie complète et globale contre le terrorisme qui permettrait aux pays et aux entités régionales de riposter à la menace de manière coordonnée et cohérente.  Le Secrétaire général est prêt à présenter la liste actualisée de ces éléments, s’il reçoit une demande en ce sens, lorsque l’Assemblée générale décidera de se saisir de la question.


Le Sommet a tout de même fait un pas très important pour la sécurité en décidant de créer la Commission de consolidation de la paix.  Nous avons tous été consternés, dans les 15 dernières années, par le spectacle de ces pays émergeant tout juste d’un conflit féroce et destructeur pour y retomber de plus belle, tout cela parce que la communauté internationale les avait oubliés trop tôt au profit d’autres crises.  Mais il n’y avait aucune institution internationale chargée spécifiquement de la consolidation de la paix.  Ce vide institutionnel sera bientôt comblé, avec une Commission dans laquelle tous les acteurs internationaux pourront élaborer ensemble une stratégie commune pour chaque pays, dont elle surveillera les progrès.


Mais la plus grande victoire du Sommet se situe peut-être du côté des droits de l’homme.  Soixante ans après la libération des camps de concentration nazis, 30 ans après les champs de massacre du Cambodge, 10 ans après les horreurs du Rwanda et de Srebrenica, tous les États Membres de l’Organisation des Nations Unies ont enfin accepté leur responsabilité de protéger leur population contre le génocide, les crimes de guerre, l’épuration ethnique et les crimes contre l’humanité.  Et ils ont exprimé leur volonté d’agir collectivement, avec détermination et sans attendre, à travers le Conseil de sécurité, chaque fois que les voies pacifiques sont inopérantes et que les pays ne protègent manifestement pas leur population.


Sur le plan des principes, le tournant est historique – et il faut féliciter le Canada d’en avoir été l’un des principaux artisans.  Mais rien ne garantit que le Conseil de sécurité agira avec diligence et détermination –que ce soit au Darfour ou dans quelque autre endroit où une intervention s’impose.  Il ne saurait remplacer la volonté politique et la puissance militaire qu’il appartient aux gouvernements de mobiliser chaque fois que les choses se gâtent. 


Dans la même veine, la décision de créer un Conseil des droits de l’homme mérite d’être saluée.  Mais le Sommet n’a pas donné les précisions que vous et moi aurions aimé avoir.  Le projet sera examiné par l’Assemblée générale, qui vient d’entamer des consultations à ce sujet.  Il appartient à celles et ceux qui, dans les gouvernements et ailleurs, se préoccupent réellement des droits de l’homme, de faire en sorte que cette réforme vitale se concrétise dans l’année et dans un sens qui donnera de vrais espoirs à des millions d’opprimés dans le monde.


Il leur appartient également de s’assurer que le plan d’action visant à renforcer le Haut Commissariat aux droits de l’homme, et la décision de doubler la part du budget de l’ONU qui lui est affectée –un maigre 1,8 % actuellement– sont appliqués, ce qui contribuera à placer les droits de l’homme à égalité avec le développement et la sécurité dans les activités onusiennes.


Et il appartient aux États Membres de s’assurer que le nouveau Fonds pour la démocratie est suffisamment alimenté.  Nous avons pris un bon départ, avec des contributions d’un montant total de 42,5 millions de dollars, provenant de 15 pays.


Le Canada est bien placé pour jouer un rôle de premier plan dans toutes ces questions concernant les droits de l’homme.


Enfin, au chapitre des questions administratives, le Sommet a donné au Secrétaire général toute latitude pour proposer une série de mesures de réforme : examen de tous les mandats datant de plus de cinq ans, examen de toutes les règles relatives à la gestion du budget, des finances et des ressources humaines, prime de départ volontaire unique, évaluation externe indépendante de l’ensemble du système de contrôle.  Le Sommet a également soutenu les mesures déjà prises par le Secrétaire général pour renforcer les règles d’éthique, protéger les fonctionnaires qui dénoncent des irrégularités, améliorer la passation des marchés et la transparence.  Il lui a été demandé de revenir devant l’Assemblée générale avec des propositions de procédures et de mesures qui lui permettraient d’exercer plus efficacement ses responsabilités administratives.  Le Secrétaire général a donc une excellente occasion de définir les changements nécessaires pour modifier en profondeur une série de règles et de systèmes conçus pour un autre âge – une époque où l’ONU était essentiellement un secrétariat de conférences fixe et non pas la machine opérationnelle polyvalente que les États Membres s’attendent à avoir aujourd’hui.  La souplesse doit aller de pair avec la transparence et avec la responsabilité totale et véritablement assumée du Secrétariat devant les États Membres.


Même si nous menons à bien toutes les réformes inscrites à notre programme, il faudra toujours en faire d’autres, car le changement et la réforme sont depuis toujours des obligations incontournables pour toute organisation qui veut rester dans la course.  La prochaine étape, je crois, sera un grand projet d’examen et de rationalisation de la manière dont l’ensemble du système des Nations Unies est géré et financé, afin que les différents organismes, fonds et programmes puissent être mobilisés par les États Membres dans le cadre d’un même effort international intégré en faveur des pays en développement. 


Il faudra également songer à renforcer les missions de maintien de la paix de l’ONU au-delà de ce que prévoit le rapport Brahimi.  Nous devons accepter le fait que notre niveau actuel d’activités de maintien de la paix n’est pas un accident de l’histoire et deviendra sans doute la norme, car il correspond à un vieux besoin de donner une deuxième chance aux pays dont l’État a failli et où la paix s’est brisée.  Autrement dit, il faudra encore gravir beaucoup de marches pour construire un système d’appui aux missions de maintien de la paix vraiment solide.


J’espère que j’en ai dit assez pour vous convaincre que l’ONU n’a pas attendu le Sommet de 2005 pour se réformer.  Elle s’est toujours adaptée aux circonstances et aux tâches nouvelles, et elle doit continuer.  Le besoin de réforme est inscrit dans ses gènes et lui est consubstantiel.  Elle peut être à la hauteur de la tâche –et elle le sera pour peu que les États Membres soient disposés à la soutenir.


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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