NOTRE MONDE A BESOIN PLUS QUE JAMAIS D’INSTITUTIONS MULTILATÉRALES CAPABLES D’ORCHESTRER LA COOPÉRATION ENTRE LES ÉTATS POUR RÉGLER DES PROBLÈMES TRANSFRONTALIERS, DÉCLARE LOUISE FRÉCHETTE
Communiqué de presse DSG/SM/260 |
NOTRE MONDE A BESOIN PLUS QUE JAMAIS D’INSTITUTIONS MULTILATÉRALES CAPABLES D’ORCHESTRER LA COOPÉRATION ENTRE LES ÉTATS POUR RÉGLER DES PROBLÈMES TRANSFRONTALIERS, DÉCLARE LOUISE FRÉCHETTE
Vous trouverez ci-après le texte intégral de l’allocution prononcée par la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Mme Louise Fréchette, à la cérémonie de collation solennelle des grades à l’Université de Montréal, le 27 mai:
Je suis très émue de recevoir un grade honorifique de l’Université de Montréal. J’ai passé dans cette université les plus beaux jours de ma jeunesse. J’y ai été étudiante à un moment exaltant de notre histoire collective et ce que j’ai appris ici –et pas seulement dans les salles de cours– a influencé profondément les choix que j’ai faits par la suite.
Je félicite chaleureusement les éminentes personnalités que vous honorez en même temps que moi. Je crois que je parle en notre nom à tous en vous disant combien nous sommes reconnaissants de l’honneur que vous nous faites.
Mes félicitations vont aussi à chacun d’entre vous qui recevez aujourd’hui votre diplôme. J’imagine facilement la joie –et le soulagement– que vous ressentez d’être enfin arrivés au terme de votre projet universitaire.
Lorsque j’étais étudiante, l’Université de Montréal était peuplée essentiellement de « pures laines », des jeunes qui, comme moi, étaient issus de familles établies à Montréal depuis plusieurs générations. Nous avions tous à peu près la même histoire et partagions les mêmes références culturelles.
En 30 ans, le profil des gradués a beaucoup changé. Il suffit d’un regard pour constater que vous venez de cultures diverses et de toutes les régions du monde. Un monde où les destins des peuples sont de plus en plus liés. Un monde en profonde transformation. Les frontières s’estompent. Les hommes, les idées, les biens circulent de plus en plus facilement.
Mais c’est aussi un monde où les inégalités se creusent, entre le Nord et le Sud, entre les riches et les pauvres, entre ceux qui ont accès au savoir et ceux qui en sont privés.
Plus d’un milliard d’individus survivent avec moins d’un dollar par jour. Chaque année des millions de personnes meurent du sida faute de traitements pourtant disponibles dans les pays développés. Et la guerre continue de forcer des millions de personnes à quitter leurs foyers pour grossir les rangs des réfugiés et personnes déplacées.
Face à ces réalités, on peut facilement se laisser gagner par un sentiment d’impuissance. Je vous en prie, ne vous laissez pas prendre par les discours fatalistes de ceux qui renoncent à se battre. Aucun peuple n’est condamné à la pauvreté, à la faim, à la maladie, à la guerre ou à la violence.
Le chemin parcouru depuis la fondation des Nations Unies il y a 60 ans devrait nous convaincre de la capacité infinie des êtres humains à améliorer leur sort et à venir à bout des défis les plus complexes.
J’en veux pour preuve le recul spectaculaire de la pauvreté dans certains pays, particulièrement en Asie. Des centaines de millions de personnes ont maintenant un accès assuré à l’éducation, à l’eau potable, à un minimum de soins médicaux, services hors de leur portée il y a à peine quelques décennies.
J’en veux pour preuve la réduction du nombre de conflits armés au cours des dix dernières années et en dépit de leur brutalité, les conflits d’aujourd’hui sont moins meurtriers qu’autrefois.
J’en veux aussi pour preuve les progrès accomplis dans la défense et la promotion des droits humains. Les normes universelles que constituent la Déclaration universelle des droits de l’homme et les multiples conventions internationales élaborées depuis son adoption en 1948 ont transformé la relation entre les citoyens et leur gouvernement. Près de 60 pour cent des habitants de la planète vivent de nos jours en démocratie et peuvent influencer les décisions qui affectent leur bien-être quotidien.
De plus en plus, l’opinion mondiale exige que la communauté internationale intervienne quand les droits fondamentaux des populations sont bafoués. Et depuis la création il y a 3 ans de la première Cour pénale internationale, le monde a maintenant à sa disposition une institution capable de mettre fin à l’impunité de ceux qui se rendent coupables de crimes de guerre et autres violations graves des doits humains.
Les progrès réalisés sont dus aux efforts combinés d’une multitude d’acteurs: les efforts des parents qui se sont sacrifiés pour envoyer leurs enfants à l’école, des chercheurs qui sont parvenus à décupler les rendements agricoles grâce à de nouvelles semences, des petits entrepreneurs –souvent des femmes– qui ont su mettre à profit des prêts minuscules et créer de nouvelles sources de revenus, des dirigeants politiques qui ont bravé la persécution pour faire respecter leurs droits. Dans bien des cas, ces efforts n’auraient pas abouti sans l’appui généreux et désintéressé de partenaires étrangers, qu’ils soient travailleurs humanitaires, activistes des droits de l’homme ou experts en environnement.
Tout en reconnaissant d’emblée le rôle indiscutable et indispensable de l’initiative individuelle, je m’en voudrais de passer sous silence l’importance primordiale des institutions publiques dans le progrès des sociétés. Je trahirais autrement mon histoire personnelle puisque j’y ai passé toute ma vie professionnelle.
Il est tentant par moment de ne voir dans les administrations publiques que des repères de bureaucrates endormis et de rejeter sans appel les politiciens de tout acabit. Je serai la première à reconnaître que nos institutions publiques, tant nationales qu’internationales, sont souvent les premières responsables de leurs déboires et qu’elles sont éminemment perfectibles, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais la pire réponse serait de s’en désintéresser.
Les sociétés ont besoin d’institutions publiques compétentes. Pour que les tribunaux, les parlements, les forces de sécurité, les agences de services publics remplissent leur rôle adéquatement, il leur faut des leaders dynamiques et créateurs, des gens capables d’imaginer des réponses efficaces aux besoins de la société qu’ils servent et d’anticiper les défis de l’avenir.
Nous mesurons mal dans nos pays avancés les bénéfices incalculables que nous tirons au plan économique et social d’une bonne gouvernance publique. Dans les pays qui émergent de conflits, la mise en place d’institutions publiques efficaces et intègres est une condition essentielle à la consolidation de la paix et au développement.
Ce qui est vrai pour les institutions nationales l’est également pour les organisations internationales. Notre monde a besoin plus que jamais d’institutions multilatérales capables d’orchestrer la coopération entre les États qui est essentielle à la solution des problèmes qui dépassent les frontières. Comment venir à bout du terrorisme international, comment faire échec à la propagation des maladies infectieuses telles le SRAS, comment contrôler les changements climatiques si ce n’est par un effort collectif où chacun s’engage à faire sa part.
Il va sans dire que l’ONU et les autres institutions de coopération internationale doivent pouvoir compter sur les meilleurs talents de la planète. Les défis sont énormément complexes. Des réponses que nous y apportons collectivement dépend le bien-être, quand ce n’est pas la survie même, des populations du globe.
J’espère que nous n’interprèterez pas mes commentaires comme une invitation à devenir tous fonctionnaires. Dieu nous en préserve! Mais je vous invite tous à vous intéresser à vos institutions publiques, à faire entendre votre voix, bref à assumer vos responsabilités de citoyens. Et à l’ère de la mondialisation, nous ne pouvons plus penser ni agir localement, comme si seuls comptaient les intérêts de notre communauté. Dorénavant, il faut penser et agir en citoyen du monde.
Merci encore à l’Université de Montréal pour ce doctorat honorifique. Félicitations à tous et bonne chance pour l’avenir.
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