DSG/SM/257

ALLOCUTION DE LA VICE-SECRÉTAIRE GÉNÉRALE À LA RÉUNION MINISTÉRIELLE DU RÉSEAU SÉCURITÉ HUMAINE

19/05/2005
Communiqué de presse
DSG/SM/257

ALLOCUTION DE LA VICE-SECRÉTAIRE GÉNÉRALE À LA RÉUNION MINISTÉRIELLE DU RÉSEAU SÉCURITÉ HUMAINE


On trouvera ci-après le texte de l’allocution de la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Mme Louise Fréchette, à la Réunion ministérielle du Réseau sécurité humaine, aujourd’hui, à Ottawa:


C’est un grand plaisir pour moi d’être parmi vous aujourd’hui. Je tiens à en remercier le Gouvernement canadien et tous ceux à qui je dois de pouvoir m’entretenir avec vous. Je veux vous parler de ce qui se fait aujourd’hui pour revitaliser le système international et réformer l’Organisation des Nations Unies, et plus particulièrement de la manière dont cet effort rejoint le travail en faveur de la sécurité humaine auquel votre réseau se consacre avec tant d’assiduité et de dynamisme.


En septembre 2003, le Secrétaire général a dit à l’Assemblée générale des Nations Unies que la communauté internationale était arrivée à la croisée des chemins. Le choc des attentats terroristes aux États-Unis, puis les dissensions à propos de la guerre en Iraq avaient redéfini les conditions de notre sécurité et fait naître des divergences profondes sur la nature de ce qui nous menace et sur les moyens d’y faire face.


En prévision de l’examen en septembre 2005 des progrès accomplis en cinq ans depuis l’adoption de la Déclaration du Millénaire, le Secrétaire général a émis le rapport intitulé « Dans une liberté plus grande » qui fait actuellement l’objet de discussions intenses tant au sein de l’Assemblée générale que dans la société civile. Encore faudra-t-il lors du Sommet de septembre transformer les propositions du rapport en un ensemble de décisions qui servent à renforcer concrètement l’action des Nations Unies en matière de développement, de sécurité et de droits de l’homme et à améliorer le fonctionnement des organes décisionnels de l’organisation.


Le monde dans lequel nous vivons est fondamentalement différent de celui de 1945, lorsque l’Organisation des Nations Unies a été fondée. À l’époque, la sécurité collective était essentiellement un problème d’États et de frontières. L’obsession fondamentale était d’empêcher une troisième guerre mondiale.


Il nous faut aujourd’hui une vision plus large des dangers qui nous menacent. Qu’il s’agisse du terrorisme, de la criminalité organisée, de la misère, de la dégradation de l’environnement, des épidémies, des risques de prolifération des armes de destruction massive, la plupart des dangers de notre époque se moquent des frontières.


Les propositions du rapport du Secrétaire général devraient aider le système international et l’ONU à faire face aux périls du monde contemporain de manière plus efficace et plus équilibrée. Le rapport, qui s’appuie en partie sur les conclusions du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, témoigne d’une compréhension profonde des interactions étroites entre sécurité humaine et sécurité des États : aucune en effet ne peut aller sans l’autre.


Si cette affirmation rencontre l’assentiment général, il existe néanmoins des différences importantes quant à la priorité qu’il convient d’accorder aux diverses menaces à la sécurité collective.  Je sais que je simplifie, mais je crois pouvoir dire que les pays du Sud insistent plutôt sur les dangers socioéconomiques tandis ceux du Nord s’inquiètent davantage du terrorisme et des armes de destruction massive.


Or, il est évident que le Sud n’est pas moins touché par le terrorisme que le Nord. Selon les estimations de la Banque mondiale, la récession économique qui a suivi les attentats terroristes du 11 septembre a plongé dans la misère 10 millions de personnes de plus dans le monde en développement. Un attentat à l’arme nucléaire serait encore plus catastrophique.


Inversement, le Nord a autant intérêt que le Sud à voir avancer le développement et la justice sociale. Ce qu’a connu le Canada avec le SRAS nous a donné une idée de la vitesse à laquelle les nouvelles maladies contagieuses peuvent franchir les mers et les continents.  Et même les systèmes de santé les plus modernes ont montré leurs lacunes. L’épidémie s’est répandue dans des dizaines de pays en quelques jours, a tué des centaines de personnes, en a touché des milliers. Et pourtant, le virus du SRAS est moins contagieux que d’autres, et fait moins de victimes.


La vérité est que nous n’avons pas les moyens de choisir entre les risques et d’en renvoyer quelques-uns au flou d’un incertain « plus tard ». Dans un monde interdépendant, la sécurité des États et la sécurité humaine sont très étroitement liées. Tout choc, tout problème se répercute dans l’ensemble du système. Nous devons l’admettre et lutter sur tous les fronts à la fois avec une égale énergie. Et nous devons nous employer sérieusement à adapter nos mécanismes internationaux, y compris l’Organisation des Nations Unies, pour qu’ils soient à la hauteur des enjeux.


À mon avis, l’avenir nous propose deux scénarios.


Dans le premier, l’ONU a les attributions, les compétences et les ressources qui lui permettent de jouer le rôle qui lui revient dans la réalisation des trois libertés fondamentales dontparle le Secrétaire général dans son rapport : vivre à l’abri du besoin, vivre à l’abri de la peur, vivre dans la dignité. Comme cela fait plusieurs années que je travaille aux Nations Unies, je suis tentée, pour décrire la réforme de l’ONU elle-même, d’ajouter une quatrième liberté : vivre à l’abri de la bureaucratie.


Le deuxième scénario est beaucoup plus sombre. Si nous ne changeons rien et ne coopérons pas davantage, le monde qui nous attend sera un monde :


–     Où le VIH/sida et d’autres maladies mortelles continueront de ravager les populations et d’amoindrir les capacités des États;


–     Où il y aura plus d’États encore incapables de fournir des services de base à leur population, susceptibles de s’effondrer et d’ouvrir ainsi la porte à la violence de masse et aux catastrophes humanitaires;


–     Où près de la moitié des pays sortant d’un conflit retomberont dans des affrontements violents dans les cinq ans;


–     Où la communauté internationale sera de nouveau paralysée en cas de génocide et de massacre de civils;


–     Où les États chercheront à se doter de la puissance nucléaire en dehors de toute règle et à l’opposé de l’effort de désarmement.


Ce monde est en fait celui où nous vivons déjà. Même si nous avons avancé sur la voie des objectifs du Millénaire pour le développement, la paix et la sécurité humaine restent d’une extrême fragilité. Qu’on ne dise pas que c’est le mieux que peuvent faire les États représentés ici et les autres. C’est justement ce mieux que recherche le rapport du Secrétaire général. Inspiré des conclusions du Groupe de personnalités de haut niveau et du Projet du Millénaire, il met en avant une gamme très large de propositions qui devraient nous permettre de vivre à l’abri de la peur, de vivre à l’abri du besoin, de vivre dans la dignité, et de renforcer les Nations Unies, c’est-à-dire à la fois les structures intergouvernementales et le Secrétariat. Permettez-moi de rappeler ici les recommandations qui me paraissent concerner particulièrement la sécurité humaine.


D’abord le Secrétaire général insiste beaucoup sur le développement. Le développement est évidemment en soi un objectif capital, mais il est aussi le moyen le plus efficace de prévenir les conflits. Heureusement, les États Membres montrent par des gestes de plus en plus nombreux qu’ils prennent le développement au sérieux. Ainsi, un accord sans précédent s’est fait autour des objectifs du Millénaire pour le développement. Il y a aussi des signes encourageants montrant que les Etats cherchent à tenir les promesses consacrées dans le Consensus de Monterrey et à Johannesburg. Les pays se fixent de plus en plus des délais précis pour porter à 0,7 % de leur produit national brut l’aide publique au développement. L’Union européenne par exemple envisage d’accroître sensiblement cette aide et de la faire passer à 0,56 % en 2010 et à 0,7 % en 2015. Ce sera très encourageant si elle y parvient. En fait, j’espère que le prochain sommet du G-8 à Gleneagles sera l’occasion d’une avancée décisive dans ce domaine, comme dans celui de l’allègement de la dette. J’espère aussi que le cycle de négociations commerciales de Doha aboutira.


Ensuite, le Secrétaire général propose de créer une nouvelle commission intergouvernementale d’édification de la paix jouant un rôle central auprès des États qui émergent d’un conflit violent. Cet organe, qui serait secondé par un bureau d’appui au Secrétariat de l’ONU, comblerait ce qui est un véritable vide institutionnel. Il permettrait à tous les protagonistes de la paix – duConseil de sécurité au Conseil économique et social en passant par les bailleurs de fonds et les institutions financières internationales – d’appréhender de la même manière les défis à relever, les besoins à combler et les initiatives à prendre. Les débats entre États Membres montrent que l’idée est largement soutenue et qu’ils parviendront peut-être à s’entendre à temps pour le Sommet.


En troisième lieu, la récente épidémie de maladie de Marburg en Angola et la résurgence de la poliomyélite ont montré qu’il fallait se concerter pour renforcer d’urgence la sécurité biologique. Le Secrétaire général insiste pour que dans l’immédiat, on renforce le réseau mondial d’alerte et de réaction aux épidémies de l’Organisation mondiale de la santé. Mais le gros du travail consistera à doter les pays en développement des infrastructures de santé publique indispensables non seulement pour faire face aux maladies chroniques mortelles et aux épidémies naturelles, mais aussi pour contrer le bioterrorisme. La lutte de l’OMS contre les épidémies, si remarquable qu’elle soit, et les multiples armes dont nous disposons face à chaque maladie ressemblent pourtant à ce que serait le maintien de la paix sans l’édification de la paix : un préalable essentiel mais trop souvent fragilesi l’on ne fait rien pour consolider les acquis. La crise de la santé publique a déjà atteint des proportions alarmantes : la pandémie du sida, par exemple, s’est répandue si rapidement et avec des effets si dévastateurs, que l’espérance de vie dans certains pays d’Afrique est retombée à des niveaux que le monde ne connaissait plus depuis la peste noiredu XIVe siècle en Europe.


En quatrième lieu, le Secrétaire général invite les États Membres à prendre une décision à propos de « la responsabilité de protéger », principe que le Canada a largement contribué à rendre explicite. Beaucoup de pays craignent encore qu’il ne serve de prétexte à des interventions illégitimes. Mais en même temps, les États Membres essaient de rapprocher leurs points de vue car la plupart d’entre eux semble d’accord sur la nécessité absolue de prévenir les génocides, les nettoyages ethniques et les massacres. Ce qui me frappe toujours dans les discussions sur ce point, c’est qu’à la question de savoir si l’ONU aurait dû intervenir au moment du génocide au Rwanda, tout le monde répond immédiatement « Bien sûr », mais si vous demandez s’il existe une « responsabilité de protéger », on vous répond aussitôt par d’énergiques objections. Faut-il rappeler que dans beaucoup de cas, si la communauté internationale n’a pas protégé certaines populations vulnérables, c’était à cause de la complaisance de ceux qui, justement, souscrivent à l’obligation de protection et non à cause de ceux qui émettent des réserves? Pourtant, rien ne serait plus efficace que de faire savoir clairement qu’en cas d’atrocités, les Etats feront front uni.


En dernier lieu, le Secrétaire général défend l’idée qu’il faut harmoniser les efforts de lutte contre la prolifération des armes légères et de petit calibre et des mines antipersonnel en amplifiant le mouvement de sensibilisation qui s’est développé ces dernières années. Il demande à tous les États Membres de convenir d’une réglementation de marquage et de suivi des armes de petit calibre et de hâter la négociation d’un texte organisant la répression des ventes illégales. Il leur demande aussi de montrer de façon plus convaincante qu’ils sont attachés à la convention qui interdit les mines antipersonnel. Car il faut dire que si l’on s’inquiète à juste titre d’une éventuelle prolifération des armes de destruction massive, ce sont les armes légères qui prélèvent leur tribut quotidien de souffrances humaines.


Permettez-moi pour terminer de dire quelques mots des droits de l’homme. Le Secrétaire général n’a rien caché de ce qu’il pensait des graves insuffisances de l’actuelle Commission des droits de l’homme. Celle-ci a dilapidé l’essentiel de son capital de confiance, ce qui n’a pas été sans conséquences pour le prestige de l’Organisation tout entière. Comme les droits de l’homme sont au centre de notre mission et comme l’ONU s’est identifiée à cette cause, le Secrétaire général recommande de remplacer la Commission par un organe plus petit et plus spécialisé, le Conseil des droits de l’homme. Celui-ci siègerait toute l’année, serait mieux à même de réagir aux urgences et s’intéresserait à la situation des droits de l’homme dans tous les pays, sans les exclusives d’aujourd’hui. Ses membres seraient élus aux deux tiers des voix de l’Assemblée générale, ce qui donnerait plus de rigueur à leur sélection. C’est évidemment aux États Membres qu’il appartiendra de trancher et de définir les relations entre le nouveau conseil et les autres organes des Nations Unies, mais si le Conseil avait le même statut, ou presque, que le Conseil de sécurité et le Conseil économique et social, on y gagnerait en clarté conceptuelle et en simplicité organique et l’on donnerait aux droits de l’homme la place qui leur revient au centre de la structure institutionnelle des Nations Unies.


Dans son rapport, le Secrétaire général expose les conditions d’un accord qui répondrait aux inquiétudes de chacun et serait bénéfique pour tous. Les débats sur les recommandations du Secrétaire général attestent par leur intensité que les États Membres prennent ce rapport très au sérieux; ils font aussi espérer qu’au Sommet de septembre, ils sauront s’entendre sur les grandes réformes. Aucun document ne peut couvrir tous nos problèmes, mais il peut ouvrir la voie à des progrès réels en matière de sécurité humaine.


Comme les fondateurs des Nations Unies à San Francisco il y a 60 ans, nous devons nous montrer à la fois pragmatiques et inspirés. Il nous faudra peut-être attendre longtemps pour qu’une telle constellation d’idées, de propositions et d’engagements se présente à nouveau dans notre ciel. J’espère que les États Membres sauront profiter de l’occasion singulière qu’offre aujourd’hui la conjonction de toutes ces étoiles.


Je vous remercie.


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