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SG/SM/9542

DISCCOURS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL AU FORUM NATIONAL SUR L’EUROPE À DUBLIN, LE 14 OCTOBRE

14/10/2004
Communiqué de presse
SG/SM/9542


DISCCOURS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL AU FORUM NATIONAL

SUR L’EUROPE À DUBLIN, LE 14 OCTOBRE


Je suis très heureux de me trouver à Dublin, au Château de Dublin, et en la compagnie d’Irlandais et d’Irlandaises de toutes les conditions, pour ce Forum national sur l’Europe. Je sais qu’il arrive souvent que ceux qui viennent visiter votre pays revendiquent une ascendance irlandaise. Je voudrais bien moi aussi pouvoir le faire, mais je n’en ai vraiment pas le droit et, franchement, même au pays de la pierre de Blarney, je ne crois pas que quiconque me croirait si je le faisais.


Mais je peux quand même dire ceci. Il y a un peu de l’Irlande en tous ceux qui rêvent du jour où aucun enfant n’ira plus au lit le ventre creux. Il y a un peu de l’Irlande en tous ceux qui croient en la justice, ou rêvent d’un monde dans lequel toutes les nations seraient libres de choisir leur destinée dans la paix. Et il y a un peu de l’Irlande dans l’idée même d’un lien de solidarité unissant les hommes et les femmes du monde entier. Permettez-moi donc de déclarer avec fierté que je porte un peu de l’Irlande en moi!


Je me réjouis de discuter des rapports entre l’ONU et l’Irlande avec le Président MacAleese, le Taoiseach et le Premier Ministre, M. Ahern, avec qui j’aurai sans aucun doute le plus grand plaisir à collaborer de près, comme je l’ai fait avec son prédécesseur, Brian Cowen.


L’Irlande apporte une précieuse contribution à l’Organisation des Nations Unies. Elle se signale par sa participation aux travaux de nombreux organes de l’ONU, et a récemment siégé avec distinction au Conseil de sécurité. Elle soutient fermement la cause du désarmement, a joué un rôle d’avant-garde dans la gestion des sanctions contre les rebelles de l’UNITA en Angola, et met en exergue le rôle des civils dans la prévention et la gestion des crises. L’ONU a eu la chance de compter des policiers et militaires irlandais parmi le personnel d’un grand nombre de ses missions, y compris la première grande opération de maintien de la paix, dans les années 60, au Congo. Pendant de nombreuses années, la Force intérimaire des Nations Unies au Liban était majoritairement composée de soldats irlandais. Aujourd’hui, des soldats et des policiers irlandais participent avec fierté, dans divers points chauds du globe, à des missions placées sous le signe du drapeau bleu. L’Irlande promeut le développement, s’efforce d’offrir une assistance toujours plus généreuse et aide à combattre le VIH/sida en Afrique, tout cela pour favoriser la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement. L’ONU compte beaucoup d’Irlandais dévoués parmi son personnel. Les ONG qui travaillent avec elle aussi. L’Irlande rappelle au monde que tous les êtres humains méritent de jouir de tous les droits de l’homme, comme le dit mon amie et ancienne collègue Mary Robinson. Les Irlandais ne font pas que prêcher le multilatéralisme : ils le pratiquent.


Pourtant, aujourd’hui, la paix et le développement semblent en mauvaise posture. Certains craignent d’être attaqués par des terroristes dotés d’armes de destruction massive, tandis que d’autres vivent dans la hantise que leur propre gouvernement ou leurs voisins n’organisent un génocide ou des violations massives de leurs droits fondamentaux. Des milliards de personnes vivent encore avoir moins d’un dollar par jour. L’ampleur des problèmes à régler n’a d’égale que celle des souffrances endurées. Et quiconque pense que nos problèmes communs appellent des réactions collectives ne peut qu’être troublé par la façon dont la situation a évolué ces dernières années. De toute évidence, tant les États pris individuellement que les organisations auxquelles ils appartiennent – y compris l’ONU – doivent mieux faire.


Je suis déterminé à ce que nous fassions mieux. Je veux aider le monde à tirer quelque chose de positif de cette période de trouble et de crise dans les affaires mondiales. C’est à cet effet que j’ai nommé l’an dernier un groupe de personnalités de haut niveau à qui j’ai demandé d’analyser les dangers qui nous menacent, d’évaluer réalistement les moyens dont nous disposons actuellement pour y faire face et de recommander des changements à apporter dans le système international, sur le plan de la doctrine et des structures, pour que nous soyons mieux à même de trouver collectivement des solutions efficaces. J’insiste sur le « collectivement ».


Le rapport que le Groupe devrait présenter en décembre préparera le terrain pour la réunion que les dirigeants des pays du monde tiendront en septembre prochain à New York, réunion à laquelle ils devront trouver des points de convergence et prendre des décisions courageuses concernant l’avenir du système international pour que l’ONU soit, au XXIe siècle, telle que le monde a tant besoin qu’elle soit. Si 2003 fut une année de profondes divisions et 2004 une année de sérieuse réflexion, 2005 devra être une année d’action décisive.


Cette action ne doit pas concerner que la paix et la sécurité. En fait, le sommet de l’an prochain marquera le cinquième anniversaire de l’adoption de la Déclaration du Millénaire. Les dirigeants mesureront le chemin parcouru sur la voie de la réalisation des objectifs du Millénaire. Peut-être connaissez-vous tous par cœur les huit objectifs en question. Mais au cas où certains d’entre vous n’en auraient pas entendu parler, permettez-moi de rappeler qu’il s’agit notamment de diviser par deux le nombre de miséreux, d’arrêter la progression du VIH/sida et de rendre l’enseignement primaire universel, tout cela d’ici à 2015. Il nous reste 11 ans pour y parvenir.


Nous devons y parvenir et nous le pouvons, mais seulement si les pays riches se décident à faire leur part. Je salue le fait que l’Irlande se montre déterminée à tenir l’engagement qu’elle a pris de porter à 0,7 % de son PIB le budget qu’elle consacre à l’aide au développement. J’ajoute ma voix à celle des nombreux Irlandais qui tiennent à rappeler à tous les pays riches qu’ils ont fait des promesses concernant l’aide au développement, l’allégement de la dette et l’équité des échanges, et qu’ils doivent les tenir. L’autre jour, Bono a dit : « Il ne s’agit pas de charité, mais de justice ». Il a raison. Mais il s’agit aussi de faire ce qu’il y a de plus rationnel. Tant que des milliards de personnes n’auront pratiquement aucun espoir de s’en sortir, nous n’aurons aucun espoir de vivre dans un monde stable et sûr. Les pays riches ont le devoir moral d’aider le monde en développement à combattre la pauvreté, l’inégalité et l’injustice, mais ils ont aussi tout intérêt à le faire. La cause du développement et la cause de la paix ne font qu’une.


Je sais qu’à une rencontre comme celle-ci, ceux que j’ai devant moi sont non seulement des citoyens irlandais, mais aussi des citoyens européens. L’Union européenne et l’ONU sont toutes deux sorties des décombres de la deuxième guerre mondiale. Il faut qu’elles coopèrent de près pour que l’espoir d’une paix issue du multilatéralisme se réalise. Et je suis heureux de pouvoir dire que nous sommes passés à la vitesse supérieure durant la récente présidence irlandaise, ce dont je remercie le Gouvernement irlandais.


L’Union européenne et ses États membres assument une grande partie des dépenses de l’ONU et soutiennent ses activités dans tous les domaines. Je leur en suis très reconnaissant, mais je place en eux des attentes plus grandes encore. C’est pourquoi je me félicite du développement des capacités de l’Union dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense, et des progrès que nous accomplissons ensemble dans le domaine de la gestion des crises.


Pendant la présidence italienne, nous avons signé une déclaration commune sur la gestion des crises. Mais pendant la présidence irlandaise, nous avons travaillé dur, sur la base de cette déclaration, pour faire en sorte que notre coopération soit structurée, concrète et aussi large que possible :


•     Structurée, parce qu’elle s’inscrit dans le cadre d’un mécanisme consultatif mixte;


•     Concrète, parce qu’elle porte sur des questions de fond comme la formation, la communication et les pratiques optimales;


•     Et aussi large que possible, parce qu’elle couvre toutes les questions relatives à la gestion des conflits, de la prévention à la consolidation de la paix en passant par le maintien de la paix, et leurs aspects autant civils que militaires.


Je veux absolument que vous sachiez toute l’importance que l’ONU attache au renforcement des capacités de l’Union européenne. L’Union européenne peut offrir les services de spécialistes dont les principaux fournisseurs de troupes ne disposent pas, et déployer des unités beaucoup plus rapidement que nous. Nombreux sont ceux qui doivent leur vie à Artémis, l’opération que la France a menée en République démocratique du Congo avant de passer la main à l’ONU. Artémis date d’avant la déclaration commune, mais n’en constitue pas moins un modèle de coopération entre l’UE et l’ONU, fondée sur le rôle primordial du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales.


Cela étant dit, l’existence d’une politique européenne de sécurité et de défense ne signifie pas que les membres de l’Union puissent se dispenser de fournir des Casques bleus aux missions de maintien de la paix des Nations Unies. Aujourd’hui, les besoins sont particulièrement importants. Ces neuf derniers mois, avec cinq nouvelles opérations mises en place ou en préparation, ils ont augmenté de près de 50 %. Quelque 56 000 soldats et observateurs militaires sont sur le terrain. Mais nous devons absolument en trouver 30 000 encore, plus un grand nombre de policiers et beaucoup d’autres civils.


Or, aujourd’hui, moins d’un Casque bleu sur dix provient d’un pays de l’Union européenne. En Afrique, où la plupart de notre personnel de maintien de la paix est déployé, le rapport est inférieur à un sur vingt. Je suis heureux de pouvoir dire que l’Irlande ne suit pas cette tendance et qu’elle apporte une contribution essentielle au Libéria. J’espère que d’autres pays européens marcheront dans vos pas. Je me rends compte que des exigences nombreuses et complexes pèsent sur les forces militaires européennes, mais notre point de départ doit être le respect de la Charte des Nations Unies et la solidarité avec les hommes et les femmes du monde entier, qu’ils vivent au Kosovo, au Darfour, en Afghanistan ou au Congo. Quand les troupes d’États Membres de l’ONU représentant toutes les régions du monde sont présentes sur le terrain, il est absolument clair que la communauté internationale est déterminée et unie dans sa recherche de la paix.


Mais nous n’avons pas besoin que de soldats. Les civils font une grande partie du travail le plus important dans la gestion des crises, celui qui a pour but de s’attaquer aux causes des conflits à la racine et de consolider la paix dans la durée. Le Conseil de sécurité a souligné le rôle important que les civils jouent dans la gestion des crises, et mon ami Javier Solana a récemment fait à ses membres un exposé sur le développement des capacités de l’Union dans ce domaine. Je suis particulièrement satisfait des efforts que fait l’UE pour se doter d’un corps de civils qualifiés et spécialisés prêts à être déployés à brève échéance.


Je ne saurais clore le sujet sans mentionner la terrible crise qui sévit au Soudan. Ce qui se passe dans ce pays ne peut qu’heurter les consciences et rappeler les horreurs auxquelles nous avons assisté dans d’autres parties de l’Afrique il y a 10 ans. Dès le départ, l’Organisation des Nations Unies est intervenue, avec plusieurs ONG partenaires, pour faire face à l’urgence humanitaire. Mais la sécurité des civils soudanais et des agents humanitaires demeure un sérieux problème. Avec l’appui du Conseil de sécurité, l’Union africaine a pris la tête des efforts déployés pour trouver une solution politique et améliorer les conditions de sécurité. Je me félicite de l’appui que l’Union européenne lui apporte, notamment sous la forme de fonds qu’elle s’est engagée à verser par l’intermédiaire de la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique.


Mais permettez-moi d’être très franc : l’aide apportée jusqu’ici est très insuffisante. Le Darfour est une région immense et ceux qui souffrent sont extrêmement nombreux. Il faut davantage de fonds pour financer l’effort humanitaire. Et l’Union africaine a besoin d’un appui concret : soutien logistique, matériel, ressources financières, et pressions politiques sur les parties. Tous les pays et toutes les organisations qui le peuvent doivent prêter assistance, et tout de suite.


L’espoir qu’entretiennent l’ONU et l’Union européenne, ainsi que l’Union africaine, est celui d’une paix fondée sur le multilatéralisme. Nous devons prouver que chacune de ces institutions est à la hauteur des attentes placées en elle. Cela veut dire que nous devons les réformer quand le besoin s’en fait sentir. Mais cela veut dire aussi que nous devons veiller à ce qu’elles soient pleinement mises à contribution. Il le faut, pour notre sécurité à tous et pour l’avenir de l’humanité.


Je crois que les Irlandais en sont bien conscients. C’est d’ailleurs un Irlandais, Seamus Heaney, qui a parlé d’une « république de la conscience ». Et c’est lui qui nous rappelle que, quand on nous demande qui sont nos voisins, nous devons répondre « tous les êtres humains ».


Chers voisins, chers amis, je vous dis donc « Go raibh maith agaibh », en priant le Seigneur pour que cela ressemble d’assez près à « Merci »!


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