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SG/SM/9190

DEVANT LE PARLEMENT CANADIEN, LE SECRETAIRE GENERAL INVITE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE A RECENTRER SON ATTENTION SUR LES OBJECTIFS DE DEVELOPPEMENT DU MILLENAIRE

09/03/2004
Communiqué de presse
SG/SM/9190


DEVANT LE PARLEMENT CANADIEN, LE SECRETAIRE GENERAL INVITE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE A RECENTRER SON ATTENTION SUR LES OBJECTIFS DE DEVELOPPEMENT DU MILLENAIRE


On trouvera ci-après le discours prononcé aujourd’hui par le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, devant le Parlement canadien:


Je suis ravi d’être à Ottawa aujourd’hui et remercie très sincèrement le Premier Ministre de me donner l’occasion de m’adresser à vous.


Comme vous le savez, la Charte des Nations Unies commence avec les mots « Nous, peuples des Nations Unies ».  Depuis que j’ai pris mes fonctions de Secrétaire général en 1997, je me suis résolument efforcé de rapprocher l’ONU de ces « peuples ».  J’ai aussi essayé de leur donner la possibilité de s’exprimer plus directement à l’ONU.  C’est pourquoi je suis particulièrement heureux d’être ici avec vous, représentants et porte-parole du peuple canadien.


On dit souvent que la politique est toujours locale.  Or, à l’ère de la mondialisation, tous les événements qui surviennent à l’échelon local s’articulent de mille façons avec d’autres événements qui se produisent au loin.  Il suffit de penser aux nouvelles qui ont fait la une des journaux ces dernières semaines –celles qui portent sur de nouvelles maladies ou des changements climatiques, par exemple – pour comprendre qu’il existe un lien important entre le mondial et le local.  En tant que citoyens d’un pays ouvert sur l’extérieur, vous, les Canadiens, en avez bien conscience ; à bien des égards, vous avez réussi à tirer le meilleur parti possible de la mondialisation, tout en essayant de réduire au minimum les conséquences néfastes qu’elle a pour le Canada et le reste du monde.


Depuis des années, le Canada est un des piliers de l’Organisation des Nations Unies.  En fait, il serait difficile d’imaginer l’ONU sans le Canada, et j’irais même jusqu’à dire qu’il serait difficile d’imaginer le Canada sans l’ONU.  Multiculturel et bilingue, votre pays fait figure de modèle parmi les membres de l’Organisation.


Le Canada a joué un rôle de premier plan dans la rédaction de la Charte des Nations Unies.  Vous contribuez à pratiquement toutes les activités de l’ONU, du maintien de la paix à l’aide au développement. Vous avez pris la tête d’initiatives importantes dans le domaine du désarmement et de l’aide humanitaire.  Le traité qui interdit les mines terrestres anti-personnel porte le nom de la ville où nous nous trouvons.  Et je suis heureux d’apprendre que Toronto pourrait accueillir bientôt un centre de l’Université pour la paix.  Je suis convaincu que ce Centre coopérerait étroitement avec les institutions canadiennes et permettrait au Canada d’apporter une contribution plus riche encore aux efforts de l’ONU dans les domaines de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix.


Depuis le début, les Canadiens participent de façon bien visible à la vie de l’ONU.  John Humphrey fut un des principaux rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme.  En 1955, Paul Martin Senior, le père de votre actuel Premier Ministre, a aidé à régler des problèmes politiques et des questions de procédure qui faisaient obstacle à l’élargissement rapide de l’ONU ; il a ainsi ouvert la voie à la quasi-universalité qui est aujourd’hui un de nos grands atouts.  Quant à Lester Pearson, il a gagné le Prix Nobel de la paix pour ses efforts en faveur d’un règlement de la crise de Suez. A cette occasion, il a aidé à donner naissance à la notion de maintien de la paix.


Sachant tout ce que le Canada peut apporter à l’Organisation des Nations Unies, j’ai été très encouragé par les paroles qu’a prononcées Son Excellence la Gouverneure générale à la session d’ouverture du Parlement, le mois dernier. Elle a dit que le Canada devait occuper une position influente et fière dans les affaires internationales, pour y faire triompher ses valeurs et créer un monde d’équité, de justice et d’humanité.  Face à ces propos, les mots qui me viennent à l’esprit, comme souvent quand je pense au Canada, sont  les suivants: « Nous sommes faits pour travailler ensemble ».


Et c’est exactement ce que nous devons faire.


Aux problèmes que le monde connaît depuis longtemps viennent aujourd’hui s’en ajouter de plus nouveaux, qui dominent désormais l’ordre du jour international.  Le terrorisme, préoccupation centrale du nouveau millénaire, met sérieusement en péril la paix et la sécurité internationales.  De nombreux Etats craignent que les armes de destruction massive ne prolifèrent et ne tombent entre les mains de terroristes.  Chaque jour ou presque, l’actualité met en évidence les failles des systèmes collectifs censés enrayer la prolifération et le trafic des matières nucléaires.  Nul n’a le don d’omniscience qui lui permettrait de savoir avec certitude si un pays possède ou non des armes de destruction massive.


Les dix dernières années du XXe siècle nous ont beaucoup appris sur l’évolution des conflits armés.  Il fut un temps où l’on pensait que pour faire régner la paix, il suffisait de prévenir les guerres entre les Etats.  Or, depuis la fin de la guerre froide, la plupart des conflits éclatent à l’intérieur des Etats.  A plusieurs reprises, nous avons assisté à des violations graves et systématiques des droits de l’homme et du droit international humanitaire.  Notre réaction instinctive est de dire : « Il faut faire quelque chose ».  Mais nous ne savons pas quoi ; nous ne savons pas qui doit intervenir et comment. 


A l’aube du XXIe siècle, l’ONU se trouve face à un monde très différent de celui que connaissaient ses fondateurs.  Tous les Etats Membres rencontrent de nouveaux problèmes auxquels ils doivent trouver de nouvelles solutions.


En tant que Secrétaire général de l’ONU, je prends comme point de départ le multilatéralisme.  Vues sous cet angle-là, les choses ne vont pas très bien.  Nous n’avons pas encore trouvé le moyen de réagir collectivement face aux problèmes qui mettent directement en péril la paix et la sécurité internationales.  Collectivement, nous sommes également impuissants à régler des problèmes comme la faim, les maladies, les violations massives des droits de l’homme et la dégradation de l’environnement, alors que des millions d’êtres humains en pâtissent, en souffrent et en meurent.  Les solutions à ces problèmes ne peuvent être recherchées hors du contexte général de la sécurité.  Un monde dans lequel des millions de miséreux n’ont aucune perspective de développement ne peut être considéré comme un monde en paix.


Mesdames et Messieurs,


Il y a trois ans et demi, au Sommet du Millénaire, les dirigeants du monde entier ont adopté la Déclaration du Millénaire, dans laquelle ils ont exposé les ambitions qu’ils nourrissaient pour l’humanité au XXIe siècle.  Pour la première fois, ils étaient tous réellement d’accord pour dire que la pauvreté, la faim, les inégalités d’accès à l’enseignement, le manque d’eau potable, des maladies comme le sida et la malaria, et la dégradation de l’environnement sont des problèmes qui concernent le monde entier. Pour la première fois dans l’histoire, une date précise - l’année 2015 - a été fixée pour la réalisation d’objectifs précis dans le domaine du développement et de la réduction de la pauvreté. Malheureusement, les événements terribles survenus ces trois dernières années, notamment sur le continent américain, ont détourné notre attention collective de ces aspirations.  L’année prochaine, quand nous ferons le bilan des progrès accomplis, nous devrons regarder la réalité bien en face.


Notre première priorité devrait être de recentrer l’attention du monde sur le développement et de prendre des mesures décisives pour atteindre les grands objectifs que nous nous sommes fixés.


Les pays en développement doivent eux-mêmes contribuer, dans une très large mesure, à la réalisation des objectifs du Millénaire : ils doivent mobiliser leurs ressources internes, aménager leurs politiques, renforcer la gouvernance démocratique et veiller au respect des droits de l’homme.  Mais aucun de ces objectifs ne pourra être atteint sans un véritable partenariat mondial en faveur du développement et la participation active de pays comme le Canada.  C’est sous l’impulsion du Canada que le G8 a adopté il y a deux ans un Plan d’action à l’appui du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique.  Les Africains comptent donc naturellement sur vous pour le faire appliquer. 


Pour réaliser les objectifs du Millénaire, il faut créer un véritable partenariat mondial dans le cadre duquel tous les pays développés fassent leur part : il s’agit d’augmenter le volume et l’efficacité de l’aide publique au développement, d’investir, de donner des conseils, et d’adopter des politiques allant dans le sens d’un système commercial équitable.  Le rapport que la Commission du secteur privé et du développement a récemment publié a mis en évidence le rôle crucial que le secteur privé peut jouer dans ce partenariat.  Votre Premier Ministre, Paul Martin, a fait un travail remarquable en tant que co-Président de cette Commission.  J’espère que le Canada ne relâchera pas ses efforts et proposera des mesures concrètes pour donner suite au rapport.


Nous devrons également faire en sorte que les pays pauvres aient la possibilité de se développer et de tirer parti de la mondialisation. Nous devons remettre le processus de Doha sur les rails, entreprise dans laquelle le Canada devra jouer un rôle moteur.  Les pays en développement ne doivent pas être soumis à une concurrence déloyale ; leurs exportations les plus concurrentielles, en particulier, ne doivent pas rencontrer de barrières. Les pays en développement doivent avoir l’occasion de sortir de la pauvreté grâce au commerce.  Et il nous faut trouver de nouveaux moyens d’alléger le fardeau de la dette des pays pauvres, pour qu’ils puissent consacrer davantage de ressources à leur développement.


Pour protéger l’environnement et léguer aux générations futures un monde viable, nous devons mettre l’accent sur un développement durable.  Je salue le Canada pour sa ferme volonté de réduire sa production de gaz à effet de serre et de donner effet aux engagements internationaux énoncés dans le Protocole de Kyoto.


Enfin, et c’est peut-être ce qu’il y a de plus urgent, nous devons tous redoubler d’efforts face à la crise monumentale que constitue d’épidémie de sida. Celle-ci représente non seulement un sérieux obstacle au développement, mais aussi une menace pour la sécurité mondiale.  L’aide qu’apporte le Canada et la législation que votre pays envisage d’adopter en vue de fournir aux pays africains des médicaments génériques bon marchés vont dans la bonne direction. Mais il faudra en faire bien plus pour enrayer la propagation du VIH/sida d’ici à 2015, comme nous nous sommes engagés à le faire.


Aucun des objectifs du Millénaire ne pourra être atteint si les choses ne changent pas.  Nous devons progresser plus vite.  Dans tous les domaines que j’ai cités, j’encourage les Canadiens à viser plus haut encore.  Des efforts accrus s’imposent, à l’échelle mondiale, pour que les promesses faites aux plus nécessiteux de la planète puissent être tenues. Vous devez être un des moteurs du mouvement.


Je lance un appel tout particulier pour que nous nous engagions durablement vis-à-vis du people haïtien.  Ce qui c’est passé à Haïti montre que la pauvreté, l’instabilité et la violence se perpétuent les unes les autres et que la situation qui en résulte a des répercussions sur le plan régional.  La communauté internationale se prépare à lancer une nouvelle campagne d’aide à ce pays, qui a besoin d’urgence d’assistance en matière de sécurité, de secours humanitaires et d’aide au développement.  En même temps, il faudra que la communauté internationale investisse sérieusement dans le renforcement des institutions démocratiques haïtiennes. Seul un engagement durable permettra de faire revenir la stabilité et la prospérité.  Les efforts que nous avons déployés jusqu’ici sans trop de conviction n’ont pas suffi.  A présent, nous n’avons plus droit à l’échec.


L’année passée fut extrêmement difficile pour l’Organisation des Nations Unies et pour moi-même.  Des coups terribles nous ont été portés, notamment lorsque l’attaque contre notre personnel à Bagdad a coûté la vie à plusieurs de nos amis et collègues les plus précieux. L’instabilité qui persiste en Iraq et ses répercussions régionales sont extrêmement préoccupantes pour tout le monde.  A présent, la tâche qui nous attend est d’aider les Iraquiens à recouvrer leur souveraineté en se dotant d’un gouvernement pleinement représentatif. 


Le recours à la force en Iraq, l’année dernière, a suscité un débat houleux sur les circonstances dans lesquelles ce recours est légitime.  Nous voyons tous, je crois, à quel point il serait dangereux d’encourager une multiplication des cas où la force est utilisée unilatéralement, au mépris du droit.   Mais nous sommes également nombreux à comprendre que, pour l’éviter, nous devons nous attaquer de front aux problèmes qui font que certains Etats se sentent particulièrement vulnérables et montrer que ces problèmes peuvent être, et seront, gérés efficacement grâce à une action collective.


C’est pourquoi, en novembre de l’année dernière, j’ai créé un Groupe de personnalités de haut niveau chargé d’évaluer rigoureusement les menaces qui pèsent sur nous aujourd’hui et pour les années à venir. J’espère que ce Groupe nous aidera à nous éloigner des stéréotypes, notamment l’idée que le terrorisme et les armes de destruction massive n’inquiètent que « le Nord », tandis que la pauvreté et la faim ne concernent que « le Sud ».  J’espère aussi qu’il formulera des recommandations tendant à rendre l’ONU la plus efficace possible en tant qu’instrument de lutte collective contre les dangers, anciens et nouveaux, qui nous guettent.  Comme il convient, il sollicite l’avis des gouvernements et de la société civile partout dans le monde, et je suis sûr que le Canada apportera une précieuse contribution à ses travaux.


Nous avons surtout besoin d’un nouveau consensus mondial, que nous n’atteindrons qu’avec la participation active et déterminée de tous les membres de l’ONU.  J’attends avec intérêt un débat sérieux et profond.  Les décisions nécessaires pour rendre l’Organisation plus efficace exigeront une réelle volonté politique parmi les Etats Membres ; la volonté d’opérer les changements requis, mais aussi de faire les compromis qui s’imposent pour y parvenir.  Ici encore, fort d’une longue tradition de conciliation entre différents groupes internationaux, le Canada est à même de jouer un rôle important.


Le Canada a déjà fait la preuve de son dynamisme en mettant en avant des idées intéressantes concernant les moyens d’encourager une gestion pacifique des affaires mondiales.  Les initiatives canadiennes, comme celle dont est issue la notion de « responsabilité de protéger », élaborée par la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats, font changer notre façon d’aborder certaines des questions les plus graves qui se posent à nous.


J’applaudis l’approche canadienne, axée sur les droits et la dignité de l’individu, une approche qui a d’ailleurs aidé à donner au débat sur l’intervention et la souveraineté une nouvelle orientation prometteuse.  L’individu se trouve à la base de toute société libre et démocratique.  C’est pourquoi notre conception de la souveraineté fait de plus en plus entrer en jeu la responsabilité première qu’ont les Etats de protéger leurs propres populations. Quand cette protection n’est pas assurée, tous les membres de la communauté internationale partagent la responsabilité de protéger les êtres menacés de violations massives et systématiques des droits de l’homme, où que ce soit, et quand que ce soit.


A ce propos, l’approche du dixième anniversaire du génocide rwandais doit nous faire réfléchir aux moyens d’éviter que de telles atrocités ne se reproduisent.  Nous ne pouvons plus admettre aucune lacune dans le système d’alerte rapide en cas de génocide ou de crimes comparables.  C’est pourquoi j’ai proposé la création d’un poste de rapporteur ou de conseiller spécial pour la prévention du génocide : pour bien mettre en évidence le lien, souvent ignoré jusqu’à ce qu’il soit trop tard, entre les violations massives et systématiques des droits de l’homme et les menaces à la paix et la sécurité internationales.


Plus généralement, j’attends avec impatience le jour où nous ressentirons tous notre « responsabilité de protéger » comme une obligation d’assistance à tous ceux de nos semblables qui se trouvent dans le besoin.


Mesdames et Messieurs,


Votre Premier Ministre a préconisé que le Canada adopte « une nouvelle politique de la réussite » et veille à occuper « une place d’influence et de fierté ».  Je m’associe à son appel et vous engage à donner plus de vigueur encore à votre grande tradition de participation aux affaires internationales.


J’attends beaucoup de notre collaboration.


Je vous remercie. 


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