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SG/SM/9167

L’ONU A BESOIN DU JAPON ET DE DAVANTAGE DE JAPONAIS ET JAPONAISES AU SECRETARIAT, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL A TOKYO DEVANT LA DIETE

24/02/2004
Communiqué de presse
SG/SM/9167


L’ONU A BESOIN DU JAPON ET DE DAVANTAGE DE JAPONAIS ET JAPONAISES AU SECRETARIAT, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL A TOKYO DEVANT LA DIETE


Veuillez trouver ci-après le texte du discours prononcé aujourd’hui par le Secrétaire général, Kofi Annan, devant la Diète japonaise à Tokyo:


C’est pour moi un grand honneur de prendre la parole devant la Diète, phare de la démocratie, symbole de l’état de droit, institution où vous accomplissez au nom du peuple japonais un travail d’importance majeure.  En cette époque marquée par l’interdépendance des Etats, votre rôle est plus essentiel que jamais.  Aussi vous suis-je reconnaissant de m’accueillir parmi vous et de me donner l’occasion de vous livrer quelques réflexions sur votre pays, sur le devenir des Nations Unies, qui nous concerne tous, et sur les redoutables défis qu’il nous appartient, ensemble, de relever.


Chacun des Etats Membres de l’ONU se plaît à mettre en avant tel ou tel épisode de son parcours, la chronique d’un combat pour une grande cause.  Dans le cas du Japon, cet épisode est particulièrement émouvant et édifiant.  Des ruines de la guerre, vous avez su faire naître une démocratie dynamique et prospère, admirée dans le monde entier. Le Japon est aussi devenu un modèle d’altruisme international.  Durant la majeure partie des 10 dernières années, il a été parmi les donateurs les plus généreux, apportant une contribution particulièrement importante au développement des pays d’Asie et d’Afrique.  Le Japon est aussi un pays sur lequel on peut faire fond pour le soutien aux opérations de maintien de la paix.  Enfin, seul pays à avoir connu l’horreur d’un cataclysme nucléaire, le Japon est parmi les plus ardents défenseurs de la paix et du désarmement nucléaire.  Je partage l’admiration qu’inspire à tous les Etats Membres de l’ONU la place que le Japon s’est faite dans la communauté internationale, celle d’un citoyen du monde exemplaire.


Partisans résolus du multilatéralisme, vous savez combien est décisif le moment présent.  L’année écoulée a été l’une des plus difficiles de l’histoire des Nations Unies.  Comme le Japon, l’Organisation des Nations Unies a perdu des collègues et amis hautement appréciés du fait de la violence en Iraq.  Comme vous, comme beaucoup d’autres, je suis préoccupé par la persistance de l’instabilité dans ce pays et par les répercussions qu’elle risque d’avoir dans toute la région.  Comme vous, je m’inquiète des incidences que la guerre d’Iraq peut avoir, plus généralement, sur l’action menée par les Nations Unies pour maintenir la paix et la sécurité internationales.


Quelles que puissent avoir été nos positions avant la guerre, nous avons tous intérêt aujourd’hui à ce qu’un Iraq pacifique reprenne la place qui lui revient dans la région et dans la communauté internationale.  Le rétablissement de la souveraineté du pays est une condition essentielle du retour à la stabilité, et l’ONU est résolue à faire tout ce qui est en son pouvoir pour aider le peuple iraquien à reprendre en main son destin, à préserver l’unité et l’intégrité territoriale du pays et à se doter d’un régime légitime et démocratique, fondé sur l’état de droit et garantissant liberté, égalité des droits et justice à tous les citoyens iraquiens.


Dans l’immédiat, il faut parvenir à un consensus sur la transition politique.  Comme vous le savez, l’ONU a été invitée à prêter son concours à cet égard et j’ai, au début de ce mois, envoyé en Iraq une petite équipe dirigée par Lakhdar Brahimi.  Je viens d’envoyer un rapport contenant les conclusions de cette équipe au Conseil de gouvernement iraquien, à l’Autorité provisoire de la coalition, ainsi qu’au Conseil de sécurité, dont le soutien clair et sans ambiguïté de tous les membres est une condition essentielle du succès de l’ONU en Iraq.


L’équipe a conclu qu’il y avait un consensus parmi les Iraquiens sur le fait que les élections sont une étape nécessaire vers l’établissement d’un Etat démocratique et la reconstruction et que l’échéance du 30 juin retenue pour le transfert de souveraineté au gouvernement provisoire doit être maintenue.  Il faut donc que les Iraquiens se mettent d’accord sur un mécanisme intérimaire auquel les pouvoirs pourront être transférés et qui assumera les fonctions essentielles pour la durée des préparatifs devant mener à la tenue d’élections dans les meilleures conditions possibles. 


Les Nations Unies sont prêtes à aider les Iraquiens à trouver un consensus sur les pouvoirs, la structure et la composition d’un organe de gouvernement provisoire, ainsi que sur les modalités de sa mise en place. 


Ensuite, les Iraquiens souhaitent que l’ONU joue un rôle majeur dès qu’un gouvernement provisoire aura été établi et que les pouvoirs lui auront été transférés.  Le peuple iraquien ne manque pas de gens talentueux et est tout à fait capable de reconstruire son pays, mais l’ONU serait heureuse de l’aider, de conseiller les nouvelles autorités sur la mise en place du cadre juridique indispensable à l’organisation d’élections démocratiques et de les aider à organiser ces élections, à rédiger une constitution, à reconstruire le pays et à instituer un régime fondé sur l’état de droit et respectueux des droits de l’homme.  Il faudra que dans ces rôles multiples, l’Organisation reste clairement identifiable et conserve son individualité.  Il importe que le peuple iraquien et les autres intéressés prennent l’ONU pour ce qu’elle est, une organisation mondiale impartiale et indépendante qui n’a d’autre ambition que d’aider un pays qui en a grand besoin.


Cependant, il n’est pas du tout certain que l’insécurité cessera avec l’occupation. Or, pour pouvoir jouer pleinement son rôle, l’ONU devra envoyer plus durablement du personnel international en Iraq, ce qui exige un environnement plus sûr.


D’énormes difficultés sont à prévoir, mais ces difficultés ne seront pas insurmontables si les Iraquiens bénéficient du soutien d’une communauté internationale unie.  Le Japon fait partie des pays qui montrent la voie à cet égard. Répondant à l’appel du Conseil de sécurité, il s’est montré solidaire du peuple iraquien dans les épreuves qu’il traverse. Le Japon est membre du groupe des «Amis de l’Iraq» que j’ai constitué.  Il s’est engagé à apporter une contribution généreuse à l’effort de reconstruction. À l’issue d’un débat difficile, le Japon a décidé d’affecter à Samawah un détachement des Forces d’autodéfense qui participe aux activités de reconstruction et d’aide humanitaire.


Ce qui nous préoccupe actuellement, ce n’est pas seulement l’avenir d’un pays de plus de 26 millions d’habitants et celui d’une région troublée.  Les divergences de vues suscitées par la question de l’Iraq, si peu de temps après le terrible traumatisme du 11 septembre 2001 – événement qui a radicalement modifié notre perception du terrorisme international – nous amènent à nous poser des questions fondamentales sur notre système de sécurité collective.


Comment déceler les menaces qui pèsent sur la paix suffisamment tôt pour qu’elles puissent être efficacement dissipées, de préférence sans recours à la force armée?


Quand le recours à la force est-il acceptable et à qui appartient-il de l’autoriser?  Faut-il laisser à chaque Etat le soin d’en décider, ou vaut-il mieux privilégier l’action collective?


Quelles sont les limites du droit de légitime défense à une époque caractérisée par la mondialisation du terrorisme et la privatisation des modes de prolifération des armes de destruction massive?


Dans quelle mesure la communauté internationale peut-elle assumer la responsabilité de la prévention ou du règlement des conflits internes, en particulier lorsqu’ils s’accompagnent d’actes de génocide, d’un «nettoyage ethnique» ou d’autres violations massives des droits de l’homme?


Enfin, comment établir parmi les préoccupations de la communauté internationale un équilibre tel que l’extrême attention portée aux menaces dites «directes» ne fasse pas négliger les dangers toujours présents de la pauvreté, de la faim et de la maladie?  En effet, un monde où la misère reste endémique, où les inégalités sont encore criantes, ne sera jamais tout à fait en paix, ni parfaitement sûr, même pour ses habitants les plus privilégiés.


La Charte des Nations Unies demeure un cadre d’action irremplaçable.  Les Nations Unies continuent d’incarner la légitimité.  Cependant, en matière de sécurité internationale, nous sommes face à une réalité nouvelle dont certains aspects nous échappent encore.  C’est en ayant cette réalité à l’esprit que j’ai appelé à un réexamen radical des règles et instruments internationaux en vue de déterminer les adaptations qu’il faudrait éventuellement y apporter.  Pour ce faire, j’ai constitué un «Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement», qui se compose de 16 experts hautement respectés originaires de toutes les régions du monde.  L’un d’eux n’est autre que votre compatriote Sadako Ogata, que l’ONU revendique comme faisant également partie des siens.


D’aucuns voient dans ce groupe un organe de réforme de l’ONU.  Il est possible en effet qu’il propose d’apporter des modifications aux règles et méthodes des Nations Unies, y compris celles concernant le Conseil de sécurité.  Ces changements auront un but à la fois précis et ambitieux: définir les réponses que la communauté internationale peut apporter collectivement aux menaces de notre temps.  J’espère pouvoir faire des recommandations à l’Assemblée générale vers la fin de cette année ou au début de l’année prochaine.  En 2005, les Nations Unies auront 60 ans.  Adopter des mesures audacieuses propres à renforcer l’Organisation pour l’avenir, c’est à mon avis la meilleure façon de célébrer dignement ce soixantième anniversaire.  Bien entendu, les décisions appartiendront en dernier ressort aux Etats Membres, et j’entends par là non seulement les gouvernements, mais aussi vous, parlementaires.  Si le Groupe réussit dans son entreprise, l’histoire retiendra que face aux interrogations qui nous troublent aujourd’hui, des hommes et femmes de bonne volonté auront su se montrer à la hauteur de la situation et trouver les moyens de renforcer les mécanismes de coopération internationale au mieux des exigences du siècle nouveau.


Ce moment critique de l’histoire des Nations Unies marque peut-être aussi un tournant dans les relations entre le Japon et l’Organisation mondiale.  Il y a, je le sais, des aspects de ces relations inspirent chez certains Japonais de vifs sentiments de frustration.


Comme vous, je déplore que les discussions sur la réforme du Conseil de sécurité, qui durent depuis si longtemps, aient si peu progressé.  La quasi-totalité des Etats Membres admettent que la composition du Conseil devrait être élargie.  Il est certes difficile de parvenir à un accord sur ce sujet, mais la difficulté ne saurait excuser l’impuissance.  Les atermoiements sont loin d’être sans conséquence.  Si le Conseil veut que ses décisions soient davantage respectées, en particulier dans le monde en développement, il importe que cette question soit traitée plus énergiquement.


Je sais que le Japon a aussi d’autres motifs d’insatisfaction.  Les dispositions anachroniques de la Charte qui visent les «Etats ennemis», et l’impression que le Japon, tout en finançant une part disproportionnée du budget ordinaire de l’ONU, demeure sous-représenté au Secrétariat contribuent sans doute à l’irritation que certains Japonais éprouvent à l’égard de l’Organisation.


Toutefois, j’espère vivement que le Japon ne laissera pas ces frustrations affaiblir son engagement en faveur du multilatéralisme.


Pour atteindre les objectifs de développement du Millénaire, le monde ne saurait se passer des prouesses technologiques du Japon, non plus que de son approche axée sur la «sécurité humaine».  Les habitants de dizaines de pays africains tiennent en haute estime l’action menée par le Japon pour promouvoir la santé, l’éducation et la protection de l’environnement en Afrique.


L’Organisation a besoin du Japon, besoin qu’il continue de s’impliquer dans ses activités politiques, ses opérations de maintien de la paix et son action pour la défense des droits de l’homme.  Les habitants du Tadjikistan, du Cambodge, du Timor-Leste, du Mozambique et du Rwanda, pour ne prendre que quelques exemples, savent combien ils sont redevables au Japon pour les avoir aidés, au sortir d’un conflit, à édifier un État capable de fonctionner dans la stabilité.  Le Japon a fait beaucoup également pour l’Afghanistan.  Il y a deux ans, il a organisé une conférence des donateurs qui fut un succès et il continue de jouer un rôle de chef de file dans la reconstruction du pays.

Nous avons besoin aussi de l’engagement actif de la diplomatie japonaise pour faire de la péninsule coréenne une zone exempte d’armes nucléaires.  La reprise des pourparlers multilatéraux demain à Beijing est encourageante.  J’ai bon espoir aussi que le Japon et la République démocratique populaire de Corée parviendront à régler la question de l’enlèvement de Japonais et tous les autres problèmes en suspens.  Je partage la douleur des familles et des personnes concernées, et exprime ma profonde sympathie à tous ceux qui ont souffert. 


Je n’ai cité que quelques-uns des domaines où, en jouant son rôle, le Japon peut vraiment changer les choses.  Mais pour atteindre tous nos objectifs et pour que le Japon participe pleinement à la recherche de solutions aux problèmes mondiaux, nous avons besoin également de vos concitoyens.  Ainsi, pour donner un nouveau souffle à l’ONU, il faudrait davantage de Japonais et de Japonaises au Secrétariat, à tous les niveaux de la hiérarchie.  Il est encourageant de voir de plus en plus de jeunes et brillants Japonais – en particulier des femmes - s’épanouir professionnellement au Secrétariat et dans les institutions spécialisées.  Je ne peux guère imaginer de perspective plus exaltante, pour un jeune, que celle de contribuer, avec des collègues de sa génération, à l’édification d’un monde meilleur et de poursuivre le travail entrepris par ma propre génération en faisant mieux encore!  Mais j’ai conscience qu’un déficit de présence préoccupant subsiste.  J’ai la conviction que l’ONU du XXIe siècle a absolument besoin de la sagesse et de l’expérience du Japon, et je continuerai de travailler avec vous pour remédier à ce déficit.


Réforme et transformation sont à l’ordre du jour.  Qu’il s’agisse de repenser les principes ou de renforcer l’institution, ce qui est en jeu, c’est le devenir des Nations Unies, qu’il nous appartient de définir de telle sorte que nous puissions léguer aux générations futures non pas un foyer d’agitation stérile, mais une organisation forte et efficace, et la conviction profonde que la coopération internationale est plus encore qu’une vertu, une nécessité.


Ce à quoi nous aspirons ne tient en fait qu’à nous-mêmes, à l’évolution de nos esprits et de nos cœurs.  Parfois, cependant, le changement se manifeste de manière tangible.  Un de ces signes tangibles sera l’adjonction d’un nouvel immeuble de bureaux au complexe du Siège de l’ONU à New York.  C’est vraisemblablement au grand architecte japonais Fumihiko Maki qu’il reviendra de le concevoir.  La ville de New York devrait en effet le charger bientôt officiellement de cette tâche.  M. Maki saura, j’en suis sûr, exprimer par son art l’esprit de l’ONU du XXIe siècle.


Je vois là la continuation d’une longue tradition.  Depuis ce jour de 1956 où le drapeau japonais a été hissé pour la première fois parmi ceux des Etats Membres, et où votre ministre des affaires étrangères d’alors a proclamé son intime conviction «qu’aucune nation n’est seule maîtresse de son destin», votre pays a eu le temps de laisser sa marque au sein des Nations Unies, une marque à la fois profonde et originale.  Je sais que cette conviction est toujours la vôtre, et je ne doute pas qu’ensemble, nous accomplirons de grandes choses dans les années à venir.


Okine.

Arigato Gozaimashita.

      Je vous remercie de votre attention.


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