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SG/SM/9134

LE SECRETAIRE GENERAL ENCOURAGE LES ETATS EUROPEENS A OUVRIR DE NOUVELLES FILIERES D’IMMIGRATION REGULIERE

29/01/2004
Communiqué de presse
SG/SM/9134


LE SECRETAIRE GENERAL ENCOURAGE LES ETATS EUROPEENS A OUVRIR

DE NOUVELLES FILIERES D’IMMIGRATION REGULIERE


Vous trouverez ci-dessous le discours prononcé par le Secrétaire général au Parlement européen, à Bruxelles, Belgique, à l’occasion de la remise du prix Andrei Sakharov pour la liberté de l’esprit, le 29 janvier 2004 :


Je suis profondément touché que vous ayez décidé d’honorer du prix Sakharov mon collègue et ami, Sergio Vieira de Mello, et les nombreux autres membres du personnel des Nations Unies qui ont donné leur vie pour la paix dans le monde. C’est avec beaucoup de fierté que j’accepte ce prix en leur mémoire.


Ce prix pour la liberté de l’esprit est une digne manifestation de gratitude à des êtres qui se sont sacrifiés pour la paix. Mais il témoigne aussi, et je m’en félicite, du caractère de ces êtres aujourd’hui disparus. Les hommes et les femmes courageux que nous avons perdus à Bagdad le 19 août – tant ceux qui représentaient les Nations Unies que les autres – étaient des esprits libres, indépendants et aussi des soldats de l’humanité et de la paix.


Avant la cérémonie, le Président Cox et moi-même avons rencontré des survivants de l’attentat et des parents de victimes. Comme vous le savez, ils sont ici avec nous dans cette salle. Je les en remercie et c’est aussi en leur nom que j’accepte le prix Sakharov.


Je vous remercie aussi, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les parlementaires européens, de les avoir invités à partager ce moment avec nous. Votre geste est une belle manifestation de solidarité de la part de l’Union européenne envers les Nations Unies.


Comme beaucoup de ceux qui ont survécu à l’explosion, l’Organisation des Nations Unies reste blessée au plus profond d’elle-même. Mais elle est plus déterminée que jamais, et apprécie à sa juste valeur les marques de solidarité que lui prodiguent ses amis, dont vous.


Ce matin, en adoptant une résolution tendant à renforcer l’appui politique et financier de l’Union européenne à l’Organisation des Nations Unies, vous avez fait la preuve de votre engagement.


Au cours de sa longue histoire, l’Europe a connu plus que sa part de guerres, de tyrannie et de souffrances. Mais les Européens ont réussi à se construire un avenir placé sous le signe de l’espoir. Vous avez choisi la paix par l’intermédiaire du multilatéralisme. Et aujourd’hui, l’Union européenne est un phare, un modèle de tolérance, de respect des droits de l’homme et de coopération internationale.

À partir du 1er mai, ce phare sera plus lumineux encore. En s’élargissant pour comprendre 25 membres, l’Union européenne fera tomber une barrière : une barrière entre l’Est et l’Ouest qui, longtemps, sembla infranchissable. L’élargissement de l’Union est, pour la paix sur le continent européen, le moteur le plus puissant qui soit.


Les nouveaux élargissements qui se profilent à l’horizon promettent de créer encore plus de passerelles et de liens, notamment entre le monde occidental et l’Islam et entre des peuples qui se sont affrontés dans des guerres sanglantes.


Avec le temps, la notion même d’européanité s’élargit. J’attends avec impatience le jour où l’Europe tirera autant de fierté de la diversité qui existe au sein de ses États membres, que de celle qui existe entre eux.


Dans de nombreux pays de l’Union, la population est déjà très diverse. Mais dans tous les pays membres – et dans bien d’autres pays du monde – la tendance ne fera que s’accentuer au cours des décennies à venir. La circulation des personnes par-delà les frontières nationales rend cette évolution inévitable.


Ces déplacements ne sont pas près de s’arrêter. C’est pourquoi la communauté internationale doit les gérer beaucoup mieux qu’elle ne le fait aujourd’hui, non seulement dans l’intérêt de ceux qui se déplacent, mais aussi dans celui des pays qu’ils quittent, des pays qu’ils traversent et des pays qui les accueillent.


Ceux qui émigrent aujourd’hui le font pour les mêmes raisons que les dizaines de millions de personnes qui quittèrent jadis le continent européen : ou bien ils fuient la guerre et l’oppression, ou bien ils espèrent trouver ailleurs une vie meilleure.


Ceux qui sont obligés de partir, les réfugiés qui fuient car ils craignent pour leur sécurité, nous en sommes tous, collectivement, juridiquement et moralement responsables. La Convention de 1951 sur les réfugiés régit la protection qui doit leur être accordée.


Toutefois, quand les réfugiés ne peuvent même pas pénétrer dans un pays pour demander l’asile, sont détenus interminablement dans de mauvaises conditions ou sont refoulés en raison d’interprétations trop restrictives de la Convention, le système ne fonctionne plus. Les promesses faites dans la Convention ne sont pas tenues. Le système européen de gestion des demandes d’asile doit être doté de ressources suffisantes pour que les demandes soient examinées rapidement, de façon transparente et sans discrimination, pour que les réfugiés soient protégés et que l’on trouve les moyens de les aider. Les États européens doivent s’orienter vers un système de traitement conjoint des demandes et de partage des responsabilités.


L’Union européenne doit aussi, au même titre que d’autres, aider les pays pauvres à se doter des moyens de protéger les réfugiés et de trouver des solutions pour eux. Après tout, 7 réfugiés sur 10 cherchent asile dans des pays en développement, où les ressources sont beaucoup plus limitées et la situation des droits de l’homme plus inégale. Si nous n’en tenons pas compte, il y aura un « chaînon manquant » dans notre approche du problème des réfugiés, comme le professeur Gil Loescher, qui a survécu à l’attentat de Bagdad et est parmi nous aujourd’hui, l’a fait remarquer à juste titre.


Cela étant dit, la plupart des immigrants ne sont pas des réfugiés. On parle dans leur cas de migration « spontanée ». Et c’est vrai que certains partent vraiment par choix. Toutefois, beaucoup quittent leur pays non pas parce qu’ils en ont envie, mais parce qu’ils ne voient pas d’avenir chez eux. Tous, nous devons faire ce que nous pouvons pour qu’il y ait un avenir dans les pays en développement. Si nous créons un véritable partenariat mondial pour le développement, afin d’atteindre les objectifs du Millénaire, les gens auront déjà beaucoup moins de raisons de partir.


Si vos systèmes de gestion des demandes d’asile sont débordés, c’est justement parce que beaucoup de ceux qui ressentent le besoin de quitter leur pays ne peuvent compter sur aucune autre filière régulière. Et bien sûr, il y a aussi tous ceux qui, en désespoir de cause, cherchent à immigrer clandestinement et trouvent la mort à l’arrière d’un camion, en mer ou dans la soute d’un avion.


Les plus chanceux, ceux qui arrivent à destination, se trouvent souvent à la merci d’employeurs peu scrupuleux ou en marge de la société.


Certains recourent à des passeurs censés faciliter leur voyage. D’autres tombent aux mains de trafiquants, surtout les femmes, qui sont réduites à la prostitution, cette forme moderne de l’esclavage, et courent un risque énorme de contracter le sida.


Ces violations des droits de l’homme, dont on parle si peu mais qui n’en sont pas moins gravissimes, sont scandaleuses. Elles sont aussi extrêmement rentables pour les réseaux criminels qui sapent l’état de droit partout où ils opèrent dans l’ombre.


Chaque État a le droit souverain de décider qui, parmi ces gens partis de chez eux sans y être forcés, sera admis sur son territoire et dans quelles conditions. Mais cela ne veut pas dire que nous puissions nous barricader chez nous et feindre d’ignorer la tragédie qui se déroule derrière nos portes closes.


La situation est d’autant plus tragique que parmi les États qui ferment leurs portes à l’immigration, nombreux sont ceux qui en ont en fait besoin.


Ici, en Europe, les taux de natalité et de mortalité sont tombés en flèche. Les populations se contractent et vieillissent. Sans l’immigration, la population des bientôt 25 États de l’Union, qui était de 452 millions en 2000, passerait en dessous de la barre des 400 millions d’ici à l’année 2050. Certains États, comme l’Allemagne, l’Allemagne, l’Allemagne et la Grèce, verraient leur population diminuer d’un quart environ. Ce qui voudrait dire qu’un Italien sur trois – près de deux fois plus qu’aujourd’hui – aurait plus de 65 ans.


Dans ces conditions, il y aurait des emplois inoccupés et des services impossibles à assurer. Pour l’économie, ce serait le marasme; pour la société, la stagnation. Et bien d’autres pays – le Japon, la Fédération de Russie, la Corée du Sud, par exemple – risquent de connaître les mêmes problèmes.


Il n’y a pas de solution simple. Mais ce qui est sûr, c’est que la solution passe nécessairement par l’immigration.


C’est pourquoi j’encourage les États européens à ouvrir de nouvelles filières d’immigration régulière, pour les travailleurs qualifiés et pour les non qualifiés, aux fins de regroupement familial et pour raisons économiques, à titre temporaire ou permanent.


Les pays pauvres bénéficient eux aussi de l’immigration. Les montants que les travailleurs immigrés rapatrient sont en augmentation rapide. En 2002, les travailleurs de pays en développement ont renvoyé au moins 88 milliards de dollars dans leurs pays d’origine, sans compter les transferts effectués en dehors du cadre officiel; c’est 54 % de plus que les 57 milliards de dollars reçus par ces pays au titre de l’aide publique au développement.


Ne vous méprenez pas, je ne prétends pas que l’immigration soit sans problème. Les immigrants introduisent dans les collectivités qui les accueillent des cultures, des coutumes, des langues et des religions différentes, ce qui peut être source d’enrichissement, mais aussi de dérangement, voire de clivage et d’aliénation. Les défis que pose l’immigration sont bien réels.


Il n’est pratiquement pas un groupe d’immigrants qui n’ait pas été vilipendé aux premiers jours de son établissement. Ce que vivent aujourd’hui certains immigrants rappelle l’hostilité à laquelle les Huguenots furent exposés en Angleterre, les Allemands, les Italiens et les Irlandais aux États-Unis, et les Chinois en Australie. Mais à long terme, les perspectives s’améliorent presque toujours.


L’intégration n’est pas un processus à sens unique. Les immigrants doivent s’adapter à la société qui les accueille, mais la société doit elle aussi s’adapter. Étymologiquement, « intégrer » veut dire « rendre complet ». C’est un impératif pour l’Europe d’aujourd’hui. Les immigrants installés en permanence dans des pays européens doivent absolument être intégrés, pour des raisons de productivité autant que de dignité.


L’intégration des immigrants est indispensable au bon fonctionnement de toute société qui se veut démocratique et sensible au sort des moins favorisés. Il est inconcevable qu’un pays qui utilise de la main-d’oeuvre immigrée ne fasse aucun cas des personnes qui constituent cette main-d’oeuvre. À propos des « programmes d’accueil de travailleurs » mis en place en Europe dans les années 60, le grand écrivain suisse Max Frisch a dit : « Nous avions demandé de la main-d’oeuvre, nous avons eu des hommes ». Admettre cette réalité et réagir en conséquence, c’est là un des grands défis que l’Europe doit relever; à cette fin, j’engage tous les États du continent, et d’ailleurs du monde entier, à signer et à ratifier la Convention des Nations Unies sur les travailleurs migrants.


L’immigration n’a pas que des avantages pour les pays d’origine. Certes, ils reçoivent les fonds rapatriés par ceux qui sont partis travailler ailleurs. Mais s’ils perdent le contact avec leur diaspora, ils risquent aussi de perdre leurs meilleurs éléments.


Cette constatation ouvre de nouveaux horizons pour la coopération internationale. Après tout, tout comme les pays en développement souhaitent souvent le retour de leurs travailleurs expatriés, les pays en développement ont souvent intérêt à ce que les immigrants rentrent chez eux après un certain temps.


La coopération internationale, sur cette question comme sur d’autres, est la clef d’une meilleure gestion de l’immigration. Et pour la développer, vous, les pays de l’Union européenne, devez jouer le rôle qui vous revient : celui de chef de file. Vous avez déjà réfléchi à la question bien plus que d’autres régions et les résultats du Sommet de Tampere constituent les fondements d’une politique européenne commune.


La lutte contre l’immigration clandestine doit s’inscrire dans un programme beaucoup plus vaste visant à tirer parti de l’immigration plutôt qu’à essayer vainement de l’arrêter. Or, il arrive que des débats stridents sur la nécessité de prendre des mesures énergiques contre l’immigration clandestine – comme si c’était là l’objectif principal des politiques d’immigration – fassent oublier la moitié du programme. Le public est abreuvé d’images de nouveaux arrivants indésirables, nuisibles à leur société et dangereux pour leur identité même. Par conséquent, les immigrants sont mis au ban, vilipendés, traités comme aucun être humain ne devrait l’être.


Et dans ce climat, la réalité devient difficile à voir. La réalité, c’est que la plupart des immigrants sont travailleurs, courageux et déterminés. Ce qu’ils veulent, ce n’est pas profiter du système mais avoir une véritable chance de s’en sortir. Ce ne sont pas des criminels ou des terroristes, mais des gens respectueux de la loi. Ils ne souhaitent pas vivre à l’écart, mais s’intégrer en conservant leur identité.


Seule la coopération, bilatérale, régionale et mondiale, permettra de créer entre pays d’accueil et pays d’origine des partenariats qui profitent aux deux côtés, de trouver des moyens de faire de l’immigration un moteur de développement, de combattre les passeurs et les trafiquants et d’adopter des normes communes concernant le traitement des immigrants et la gestion de l’immigration.


C’est pourquoi je me félicite tout particulièrement de la création, le mois dernier, de la Commission mondiale sur les migrations internationales. La Commission elle-même, dont les coprésidents sont d’éminentes personnalités de la Suède et d’Afrique du Sud, est un bel exemple de coopération Nord-Sud. Je remercie tous les États qui soutiennent ses travaux, lesquels, je l’espère, feront mieux comprendre les problèmes qui se posent, et surtout la nécessité d’adopter un meilleur cadre normatif et institutionnel de gestion des migrations au niveau mondial, fondé sur les droits de l’homme.


Tout cela étant dit, le plus important est de donner l’impulsion et de montrer la voie à suivre. En tant que parlementaires européens, vous devez jouer ce rôle.


Le message est clair. Les immigrants ont besoin de l’Europe et l’Europe a besoin des immigrants. Une Europe fermée serait une Europe plus dure, plus pauvre, plus faible, plus vieille. Une Europe ouverte sera plus juste, plus riche, plus forte et plus jeune, pourvu qu’elle sache gérer l’immigration.


Il ne faut pas minimiser les difficultés que peut poser l’immigration. Mais il ne faut pas minimiser non plus l’apport extraordinaire des immigrants dans les domaines de la science, du sport, des arts et de la politique, certains membres de ce parlement étant d’ailleurs issus de l’immigration. Et il ne faut pas oublier que sans les immigrants, les hôpitaux manqueraient de personnel, les parents auraient bien du mal à faire garder leurs enfants pendant qu’ils travaillent, beaucoup d’emplois resteraient inoccupés, ce qui veut dire que certains services ne seraient pas assurés, et bien des sociétés vieillissantes se recroquevilleraient sur elles-mêmes.


Plutôt que de voir l’immigration comme un problème, il faut la voir comme une solution. Accuser les migrants de tous les maux qui frappent la société ne nous avancera à rien.


L’hymne de l’Union européenne, l’Ode à la joie de Beethoven, évoque le jour où tous les hommes seront frères. Si Sergio Vieira de Mello était ici avec nous – et Andrei Sakharov aussi, d’ailleurs – il vous dirait la même chose que moi : que ceux qui se déplacent d’un pays à l’autre en quête d’une vie meilleure pour eux-mêmes et pour leur famille sont nos frères et nos soeurs, et que nous devons les traiter comme tels.


Dans cet esprit, je forme le voeu qu’ensemble, dans toutes leurs entreprises communes, l’Union européenne et l’Organisation des Nations Unies fassent briller l’espoir d’un avenir meilleur pour l’humanité tout entière.


Je vous remercie.


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