En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/9125-ECO/50

KOFI ANNAN INVITE LES CHEFS D’ENTREPRISES A FAIRE PLUS POUR LES CITOYENS DE LA PLANETE ET ANNONCE UN SOMMET DES PARTICIPANTS DU PACTE MONDIAL EN JUIN

23/01/2004
Communiqué de presse
SG/SM/9125
ECO/50


KOFI ANNAN INVITE LES CHEFS D’ENTREPRISES A FAIRE PLUS POUR LES CITOYENS DE LA PLANETE ET ANNONCE UN SOMMET DES PARTICIPANTS DU PACTE MONDIAL EN JUIN


On trouvera ci-après le texte du discours du Secrétaire général, Kofi Annan, au Forum économique mondial, à Davos (Suisse), le 23 janvier 2004:


Il y a cinq ans, ici même, je vous ai demandé de vous lancer dans une aventure avec les Nations Unies.


Vous étiez déjà bien engagés dans votre propre aventure, celle de la mondialisation.


À l’époque, la mondialisation était aux yeux de beaucoup presque une force de la nature. Et elle semblait nous pousser inexorablement dans une direction bien précise: celle de marchés de plus en plus intégrés, d’économies d’échelle de plus en plus importantes et de promesses sans cesse accrues de bénéfices et de prospérité.


Et pourtant, même alors – 10 mois avant les manifestations de Seattle – j’avais ressenti le besoin de souligner que la viabilité de la mondialisation serait directement fonction de la solidité des piliers sociaux sur lesquels elle reposait. Le malaise mondial suscité par la pauvreté, les inégalités et la marginalisation prenait de l’ampleur. Il me semblait que si les marchés mondiaux ne s’appuyaient pas sur des valeurs partagées et des pratiques responsables, l’économie mondiale serait fragile et exposée à des chocs en retour.


C’est pourquoi je vous ai exhortés, dans votre propre intérêt aussi bien que dans l’intérêt général, à nous aider à construire et à consolider ces piliers sociaux. J’ai, en particulier, mis l’accent sur les droits de l’homme, les conditions de travail et l’environnement, des domaines dans lesquels vos activités ont des répercussions directes.


Et ce que je vous ai proposé, ce n’était pas un contrat, un code de conduite, un règlement ou un nouveau système de contrôle, mais un pacte donnerait à l’économie le degré d’ouverture voulu pour que le commerce marche bien tout en créant les possibilités nécessaires pour que les conditions de vie des habitants de la planète s’améliorent.


Je suis heureux que vous ayez été si nombreux à vouloir relever le défi et à intégrer les principes du Pacte mondial dans vos activités. Aujourd’hui, plus de 1 200 entreprises, installées dans plus de 70 pays, du Nord et du Sud, et représentant pratiquement tous les secteurs économiques, adhèrent à ce pacte. Les organisations de la société civile et les syndicats interviennent aussi, et de nombreux gouvernements soutiennent notre initiative.


Le Pacte a donné naissance à des dizaines de projets concrets portant sur les questions les plus importantes de notre temps, du sida à la corruption et de l’école électronique à l’écorendement. Il a suscité des investissements dans certains des pays les plus pauvres du monde. Et il a ouvert les portes de l’ONU elle-même à de nouvelles formes de partenariats, avec toutes sortes de partenaires.


Cela étant dit, il y a encore beaucoup à faire, et nous devons nous atteler à la tâche. C’est pourquoi j’ai décidé d’organiser au Siège de l’ONU, en juin prochain, un Sommet des participants au Pacte mondial qui sera l’occasion de réévaluer ce que nous avons déjà fait, de réorienter nos efforts et de placer la barre plus haut encore que jusqu’ici.


Alors que nous élargissons les objectifs du Pacte, l’environnement mondial se transforme et, à certains niveaux, se détériore.


L’environnement économique mondial, les conditions de sécurité dans le monde et la politique internationale sont aujourd’hui beaucoup moins favorables qu’auparavant au maintien d’un ordre mondial réglementé, équitable et stable. C’est pourquoi je m’adresse à vous une nouvelle fois, pour vous demander de relever des défis plus grands encore, et ce, en tant que chefs d’entreprises, sûrement, mais aussi en tant que citoyens du monde ayant d’énormes intérêts en jeu.


Sur le plan économique, les investissements se réduisent comme une peau de chagrin dans les parties du monde en développement où ils sont les plus nécessaires, tandis que les négociations commerciales n’ont rien fait, jusqu’ici, pour mettre fin aux pratiques discriminatoires choquantes dont sont victimes les pays en développement.


Sur le plan de la sécurité, le terrorisme international menace la paix et la sécurité et risque d’élargir les fractures culturelles, religieuses et ethniques. Quant au combat contre le terrorisme, il exacerbe parfois les tensions et suscite certaines inquiétudes concernant les droits de l’homme et les libertés du citoyen.


Et comme si tout cela ne suffisait pas, le rôle de l’Organisation des Nations Unies elle-même, l’efficacité de la Charte et le système de sécurité collective sont sérieusement remis en question.


En quelques années à peine, nous somme passés de l’idée d’une mondialisation pratiquement inexorable à des doutes profonds quant aux possibilités de survie de notre fragile ordre mondial.


Il s’agit là d’un défi pour l’Organisation des Nations Unies. Mais aussi pour le monde des affaires, qui doit se demander ce qu’il pourrait faire pour remédier à la situation. Permettez-moi de suggérer quelques moyens qui s’offrent à vous.


Dans le domaine économique, il existe un rapport direct entre vos intérêts et la possibilité, pour la communauté internationale, d’atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. Ces objectifs sont l’assise de notre lutte pour la paix et la dignité humaine. Pourtant, ces deux dernières années, la guerre en Iraq et d’autres événements en ont détourné notre attention. Il est temps que la communauté internationale rétablisse l’équilibre entre ses différentes préoccupations.


Les objectifs du Millénaire ouvrent la porte à toutes sortes d’interventions de votre part. En ce qui concerne l’eau, par exemple, l’objectif est de réduire de moitié, d’ici à 2015, la proportion de gens qui n’ont pas accès à l’eau potable. Pour y arriver, il faudrait établir 270 000 nouveaux raccordements par jour jusqu’à l’échéance fixée, ce que les gouvernements, les organisations non gouvernementales et les organismes de développement ne pourront faire à eux seuls. Je pourrais citer d’autres chiffres semblables concernant la plupart des autres objectifs et les investissements requis pour les atteindre, par exemple dans le domaine de l’énergie ou dans celui des télécommunications.


Les objectifs du Millénaire sont, avant tout, censés se traduire par une amélioration des conditions de vie des gens. Mais ils pourraient aussi servir les entreprises. Premièrement, parce que l’infrastructure à mettre en place représente un énorme marché et, deuxièmement, parce qu’avec cette nouvelle infrastructure apparaîtront de nouveaux débouchés.


Je tiens à souligner que le Pacte mondial n’est pas la seule initiative par laquelle les Nations Unies s’efforcent de mobiliser la puissance énorme du secteur privé pour faire reculer la pauvreté. En juillet dernier, j’ai demandé au Programme des Nations Unies pour le développement d’instituer une Commission du secteur privé et du développement.


M. Martin, je vous remercie pour le dynamisme que vous et l’ancien Président Zedillo avez insufflé aux travaux de la Commission. Je sais que vous et vos collègues chefs d’entreprise et dirigeants politiques réfléchissez très sérieusement à toutes les questions fondamentales, et vous demandez notamment comment les multinationales pourraient soutenir les entreprises locales et aider les pays en développement à stimuler leur propre secteur privé.


Je suis sûr que vous nous ferez des recommandations solides qui nous aideront à relever le défi du développement, et j’attends avec intérêt le rapport de la Commission, qui doit paraître dans les mois à venir.


Le monde des affaires pourrait aussi exercer une influence prépondérante sur le plan des échanges. Il peut, et doit, utiliser ce pouvoir pour que les négociations commerciales sortent de l’impasse. Le plus important serait de parvenir à un accord favorable aux pauvres en ce qui concerne les produits agricoles.


En effet, c’est l’élément qui menace le plus le système commercial multilatéral qui sert si bien vos intérêts. Les subventions agricoles empêchent les forces du marché de fonctionner correctement. Elles nuisent à l’environnement. Et elles empêchent les pays pauvres d’exporter leurs produits, alors qu’ils pourraient tirer de leurs exportations des revenus sans commune mesure avec l’aide qu’ils reçoivent ou les capitaux qui sont investis chez eux. Dans notre intérêt à tous, et dans celui du système lui-même, elles doivent être éliminées.


Vous pouvez également aider à gérer les menaces contre la paix et la sécurité, en particulier lorsque vous menez des activités dans des pays en situation de conflit. Les entreprises doivent trouver les moyens de réduire le rôle qu’elles jouent – parfois sciemment et parfois sans le vouloir – dans l’évolution des conflits, qui sont souvent l’expression d’une lutte entre différentes factions pour le contrôle de ressources naturelles. En s’efforçant de promouvoir la transparence et de combattre la corruption, les entreprises peuvent aussi aider à régler certains problèmes avant que des conflits n’éclatent.


Le monde des affaires a également tout intérêt à aider à remettre sur pied le système de sécurité internationale pour éviter que le monde ne replonge dans des luttes sans merci régies par la loi de la jungle.


Vous ne savez que trop bien que la stabilité politique et de bonnes conditions de sécurité sont indispensables pour que les entreprises se sentent en confiance. J’espère donc que vous soutiendrez les travaux du groupe de personnalités à qui j’ai demandé de faire des recommandations sur les moyens de gérer les menaces contre la paix et la sécurité et les défis à relever dans ce domaine au XXIe siècle.


Certains parlent de ce groupe comme d’un groupe de réforme. Il se pourrait bien en effet qu’il propose des modifications des règles et des mécanismes qui régissent les activités des Nations Unies. Mais si c’est le cas, ces changements ne seront que des moyens de parvenir à une fin, et non une fin en soi. L’objectif est de déterminer comment gérer collectivement et de façon crédible les problèmes de notre temps.


La Charte des Nations Unies est très claire. Les États ont le droit de se défendre, individuellement ou collectivement, en cas d’agression. Mais le but premier de l’ONU elle-même, tel qu’il est défini à l’Article premier, est « de prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix ».


Nous devons montrer que l’ONU est capable d’atteindre ce but, et pas seulement pour les plus privilégiés de ses membres, qui sont aujourd’hui, à juste titre, préoccupés par le terrorisme et les armes de destruction massive. L’ONU doit aussi protéger les millions d’hommes et de femmes pour qui la pauvreté, la faim et la maladie sont des dangers beaucoup plus immédiats. Nous devons nous faire à l’idée qu’une menace pour les uns est une menace pour les autres, et doit donc être écartée.


Je vous exhorte tous à faire savoir à vos gouvernements à quel point ceci compte pour vous, en tant que chefs d’entreprise, et à essayer de les convaincre de soutenir les recommandations du Groupe, qui seront publiées au cours de l’année.


L’Organisation des Nations Unies elle-même n’est pas une fin en soi. C’est un moyen de bâtir un monde meilleur en se fondant sur des principes universels tels que la justice, le respect du droit international et le règlement pacifique des conflits et en mettant ces principes en pratique au jour le jour.


Mais pour que cela soit possible, il faut que les dirigeants politiques se rendent mieux compte du double rôle qui leur revient. Tous les gouvernements ont des responsabilités vis-à-vis des citoyens des pays qu’ils gouvernent. Mais ils sont aussi, collectivement, les garants de la vie sur notre planète, une vie que partagent les citoyens de tous les pays. Nous devons tous, ensemble, faire ce que nous pouvons pour le leur faire comprendre.


Je salue le Forum économique mondial pour les efforts qu’il déploie afin de donner naissance à une nouvelle conception de la direction d’entreprise, axée non pas seulement sur les bénéfices privés, mais aussi sur l’intérêt public. Je félicite aussi le Forum social mondial d’attirer l’attention sur les membres de la famille humaine qui sont les plus démunis, ont les plus grands besoins, et n’ont pas voix au chapitre.


J’espère qu’il sera bientôt possible de créer des liens entre les deux groupes. Car malgré tout ce qui les sépare, ils ont tous deux intérêt à ce que soit mis en place un ordre mondial équitable, fondé sur la primauté du droit et répondant aux besoins de tous les habitants de la planète. Que cet objectif soit celui auquel nous tendons tous, individuellement et collectivement.


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