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SG/SM/9124

KOFI ANNAN INVITE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE A NE PAS OUBLIER LA DETRESSE DE MILLIONS D’ETRES HUMAINS SOUFFRANT DE LA PAUVRETE, DES CONFLITS ET DES MALADIES

22/01/2004
Communiqué de presse
SG/SM/9124


KOFI ANNAN INVITE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE A NE PAS OUBLIER LA DETRESSE DE MILLIONS D’ETRES HUMAINS SOUFFRANT DE LA PAUVRETE, DES CONFLITS ET DES MALADIES


Vous trouverez ci-après l’allocution prononcée par le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, à l’occasion de la remise du Deutcher Medienpreis 2003 (prix des médias allemands), à Baden-Baden, en Allemagne, le 21 janvier 2004:


C’est un grand honneur d’être parmi vous.  Nane et moi aimons beaucoup venir en Allemagne.  Comme toujours, nous avons été accueillis très chaleureusement – par des amis de longue date, mais aussi par de nouveaux amis.  Nous vous en remercions.  C’est aussi un honneur pour moi de recevoir ce prix et de me trouver ainsi en si bonne compagnie.  Je suis particulièrement touché par les aimables paroles que le Président Thierse et le Président Clinton viennent de m’adresser.


Pour pouvoir prétendre au prix que vous me remettez aujourd’hui, il faut avoir apporté «une contribution majeure à la paix dans le monde, et avoir fait l’objet d’une couverture médiatique exceptionnelle».  Je dois dire qu’il a été plus facile, en 2003, de faire la une des journaux que de faire la paix.


Il est vrai que les médias ont accordé à l’Organisation des Nations Unies une attention plus grande qu’ils ne l’avaient jamais fait.  Mais nous ne pouvons hélas prétendre avoir réussi à préserver la paix dans le monde.  Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais la paix ne dépend malheureusement pas de nous.  Si seulement nous avions ce pouvoir!


Nous nous souviendrons de 2003 comme d’une des années les plus difficiles et des plus douloureuses de notre histoire.  Nous avons perdu certains de nos collègues et amis les plus chers en Iraq.


De profondes divergences se sont fait jour entre les plus influents de nos Etats Membres et nous avons assisté aux débats les plus houleux et les plus acerbes que l’Organisation ait connus depuis la fin de la guerre froide.  Le consensus a semblé voler en éclats, même en ce qui concerne des principes fondamentaux auxquels nous pensions que tous les pays adhéraient.  M. Kögel a parlé d’«un différend entre les chefs et les Indiens».  Je ne sais pas si l’on me classe du côté des chefs ou de celui des Indiens, mais j’étais certainement entre les deux.


Naturellement, vu l’importance des enjeux, l’attention des médias s’est portée presque exclusivement sur le conflit en Iraq.  Aujourd’hui encore, je constate que la plupart des questions que me posent les journalistes ont trait au rôle que l’ONU joue – ou ne joue pas, ou devrait jouer, ou pourrait jouer à l’avenir – en Iraq.


Il s’agit certes de questions très importantes, mais je crains bien de ne pas pouvoir y répondre ce soir.

Nous voudrions pouvoir aider les Iraquiens à reconstruire leur pays, à retrouver leur souveraineté nationale et à se doter d’un gouvernement qui soit reconnu par tous comme légitime et véritablement représentatif.  Et il est généralement admis que l’ONU aura un rôle essentiel à jouer, dans les limites imposées par les conditions de sécurité et sous réserve que les Iraquiens le demandent, dans le processus constitutionnel et électoral qui sera lancé après la mise en place d’un gouvernement provisoire iraquien.  L’Autorité provisoire de la coalition et le Conseil de gouvernement iraquien sont convenus que cette phase commencerait le 1er juillet.


Le rôle important que l’ONU pourrait jouer sur le plan opérationnel avant cette phase – c’est-à-dire au cours de la période de transition politique qui conduira au transfert de souveraineté – fait, en ce moment même, l’objet d’un débat animé.  Comme certains d’entre vous le savent, nous avons eu lundi à New York une réunion à ce sujet.  La situation est complexe. Il convient d’en examiner tous les éléments, et les décisions à prendre sont difficiles.  De toute évidence, nombreux sont ceux qui, en Iraq, et au sein même de l’Autorité provisoire de la coalition, souhaiteraient que nous leur disions s’il sera ou non possible d’organiser des élections dans les prochains mois.


La question de savoir si l’ONU peut effectivement se prononcer à ce sujet est en cours d’examen. Je me bornerai à dire que nous demeurons résolus à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider le peuple iraquien, dans les limites bien réelles que nous imposent les conditions de sécurité, et que cela reste extrêmement difficile.


En tout état de cause, j’espère que l’Iraq ne monopolisera pas l’attention de la communauté internationale en 2004 comme elle l’a fait en 2003.  Selon moi, trois tâches essentielles nous attendent cette année.


La première consiste précisément à rappeler qu’il existe des besoins énormes dans le reste du monde, et que, loin des gros titres et des caméras, la vie de millions d’êtres humains est dominée par la peur, la souffrance et la misère.


Aujourd’hui, pour la plupart des habitants de la planète, le terrorisme et les armes de destruction massive ne sont que des menaces lointaines et hypothétiques.  Dans leur vie quotidienne, les dangers qui les effraient le plus sont la pauvreté, la famine, le chômage et les maladies incurables, comme l’a dit le Président Clinton. Lorsqu’ils sont menacés par des armes, c’est le plus souvent par ce qu’on pourrait appeler des armes de destruction individuelle – Kalachnikov, machettes, mines terrestres et autres – dans des sociétés où il n’y a plus d’ordre public.


Il y a un peu plus de trois ans, lors du Sommet du Millénaire, auquel a participé le Président Clinton, tous les États ont reconnu combien il était important de combattre ces fléaux.  Ils ont adopté la Déclaration du Millénaire, avec ses huit objectifs de développement, et se sont engagés à obtenir des résultats concrets et mesurables d’ici à 2015.


Permettez-moi de vous rappeler ces engagements:


•     Réduire de moitié la proportion de la population mondiale vivant dans l’extrême pauvreté, souffrant de la faim ou n’ayant pas accès à l’eau potable;


•     Assurer que tous les enfants du monde achèvent un cycle complet d’études primaires;


•     Faire en sorte que les filles comme les garçons, les femmes comme les hommes, aient accès, à égalité, à tous les niveaux d’éducation;


•     Réduire la mortalité infantile des deux tiers et la mortalité maternelle des trois quarts;


•     Enrayer la propagation du VIH/sida et inverser la tendance actuelle, et maîtriser le fléau du paludisme et des autres grandes maladies;


•     Améliorer la vie d’au moins 100 millions d’habitants de taudis;


•     Etablir, entre pays riches et pays pauvres, un partenariat mondial pour le développement.


Ces engagements devraient être inscrits en lettres d’or dans le coeur, ou du moins dans le bureau, des dirigeants politiques de tous les pays.  Plus encore, ils devraient être connus de tous afin que, dans chaque pays, les populations soient en mesure de suivre les progrès accomplis et de demander des comptes à leurs dirigeants.


Quant à vous, qui travaillez dans les médias, vous avez un rôle crucial à jouer à cet égard.  Je suis d’ailleurs heureux de vous annoncer que, pas plus tard que la semaine dernière, les patrons des principaux organismes de radiodiffusion sont venus me voir à New York pour me parler de l’un de ces objectifs: enrayer la propagation du sida.  Ils m’ont promis de lancer une campagne tous azimuts pour informer le public des terribles ravages que cause l’épidémie, des moyens auxquels les sociétés et les individus peuvent recourir pour se protéger, et de tout ce qui pourrait être fait pour aider les personnes déjà infectées.


Il s’agit de l’épidémie la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité. Elle a déjà fait des dizaines de millions de morts.  Elle en fera des centaines de millions d’autres si nous ne consentons pas des efforts qui soient à la mesure de la catastrophe. Si, au contraire, nous prenons les mesures nécessaires, tant dans les pays pauvres que dans les pays riches, nous pourrons l’enrayer – et je tiens à remercier le Président Clinton du temps et de l’énergie qu’il consacre à cette tâche depuis qu’il a quitté la Maison Blanche.


Pour enrayer la propagation du sida et atteindre les objectifs du Millénaire, tous les pays devront consentir des efforts importants.  Mais vous, en Allemagne, pays extraordinairement prospère par rapport au reste du monde, avez une responsabilité particulière s’agissant du huitième objectif – dont dépendent tous les autres – le partenariat mondial pour le développement.


Nombre de pays pauvres ne peuvent espérer atteindre ces objectifs si les pays riches ne les y aident pas, grâce à une aide publique, à des investissements, à des conseils, à un allégement de leur dette et, par-dessus tout, à une réforme du système commercial international qui permette aux producteurs des pays pauvres d’exporter leurs produits sans entraves et de ne plus devoir affronter la concurrence inéquitable d’importations subventionnées.


C’est pourquoi il est si important que les engagements pris à Monterrey et à Johannesburg en 2002 soient honorés, et que le cycle de négociations commerciales de Doha soit mené à bonne fin.


L’année dernière, nous nous sommes laissé détourner de ces tâches essentielles; nous étions en effet préoccupés – à juste titre – par des questions de paix et de sécurité.  Mais il n’y aura ni paix ni sécurité, même pour les plus privilégiés d’entre nous, dans un monde où continueront de se côtoyer l’opulence et la misère, les médecines de pointe et l’absence de soins, le savoir et l’ignorance, la liberté et l’oppression.  Il y a bien longtemps que nous devrions nous en être rendu compte!


Notre première tâche en 2004 doit donc être de focaliser à nouveau l’attention sur le développement.  La deuxième doit consister à reconstruire notre système de sécurité collective.


La Charte des Nations Unies est très claire.  Les Etats ont le droit de légitime défense – individuelle ou collective – lorsqu’ils sont agressés. Mais le premier but des Nations Unies, tel qu’énoncé à l’Article premier, est de «prendre des mesures collectives en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix».


Nous devons montrer que l’ONU est capable d’atteindre ce but, pour que les Etats ne se sentent pas contraints ou autorisés à faire justice eux-mêmes.


C’est la raison pour laquelle j’ai chargé un petit groupe de personnalités éminentes de formuler des recommandations sur les moyens de faire face aux dangers et aux obstacles qui menacent la paix et la sécurité au XXIe siècle.


Certains ont présenté ce groupe comme étant chargé de la réforme de l’Organisation.  Ces personnalités seront sans doute effectivement amenées à proposer des changements concernant les règles et mécanismes de l’ONU.  Mais si elles le font, les changements proposés ne seront que des moyens pour atteindre un but et non pas un but en soi.  L’objet de l’exercice est de trouver collectivement une solution crédible et convaincante aux problèmes de notre époque.


Je vous exhorte donc à ne pas vous soucier outre mesure de la nationalité des membres du Groupe, ni de la question de savoir si l’Allemagne pourrait devenir membre permanent du Conseil de sécurité.


L’Allemagne peut contribuer pour beaucoup à instaurer la paix et la sécurité dans le monde, et c’est d’ailleurs ce qu’elle fait maintenant, tant au sein du Conseil de sécurité qu’en dehors.  Mais ce qui importe, ce n’est pas d’établir une hiérarchie entre les États.  Ce dont nous avons besoin, c’est d’un système qui permette à tous les États d’avoir assez confiance en l’ONU pour la considérer comme le garant de leur sécurité, de façon à ce qu’aucun État n’éprouve le besoin de recourir unilatéralement à la force.

Je suis convaincu que le Groupe gardera cet objectif à l’esprit.  Et il aura besoin de l’appui et des idées de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté, dans tous les pays.


Enfin, la troisième tâche à laquelle nous devons nous atteler cette année consiste à rétablir la confiance entre peuples de croyances et de cultures différentes.


Un certain nombre d’événements qui se sont produits récemment – en particulier les attentats terroristes du 11 septembre 2001 et la guerre en Iraq, sans parler du conflit tragique qui se poursuit entre Israéliens et Palestiniens – nous ont conduit à une situation proche du soi-disant «choc des civilisations» annoncé par un penseur américain après la fin de la guerre froide.


Nous devons résolument résister à ce danger.  Nous devons traiter tous les êtres humains avec équité et objectivité, en les jugeant sur leurs paroles et sur leurs actes, et non en fonction de généralisations ou de préjugés.


Beaucoup trop de musulmans sont victimes de discrimination et de méfiance dans les pays occidentaux du fait des actes terroristes commis par une poignée de leurs coreligionnaires.


Dans certaines parties du monde, des chrétiens sont agressés en raison de prétendus liens avec l’impérialisme occidental.


Et, malheureusement, dans de nombreux pays, les juifs commencent de nouveau à se sentir menacés parce qu’on leur reproche la façon dont Israël traite les Palestiniens.


Les réactions de ce type doivent cesser.  Ceux d’entre nous qui croient en un Dieu unique ne doivent pas oublier que tous les hommes sont égaux à ses yeux et que si nous l’appelons par des noms différents et si nos pratiques religieuses ne sont pas les mêmes – ou si nous n’en avons pas – cela s’inscrit sans doute dans le dessein qu’Il nourrit pour nous tous.


Donnons-nous donc pour priorité, en 2004, de trouver ce que nous avons en commun avec les hommes et les femmes d’autres religions et d’autres cultures.  Les différences, apprenons à les apprécier, plutôt que de les mépriser ou de les craindre.


La tolérance est essentielle, mais elle ne suffit pas.  Il faut aller plus loin.  Nous devons nous attacher à mieux nous connaître les uns les autres et à découvrir ce qu’il y a de meilleur dans les convictions et les traditions de nos prochains.


Je vous remercie donc à nouveau de l’honneur que vous me faites et, à travers moi, à l’Organisation des Nations Unies. Et je vous invite tous à vous joindre à moi pour consacrer cette année à ces trois grandes tâches:


–                    Recentrer l’attention et les ressources de la communauté internationale sur les besoins des pauvres;


–                    Renforcer notre système de sécurité collective, de sorte qu’aucun État ne se sente obligé d’affronter seul les menaces planétaires;


–                    Et surmonter la méfiance et les divisions entre peuples de religion et de culture différentes, pour que nous puissions tous vivre dans la concorde et le respect mutuel.


En nous acquittant de ces tâches, faisons en sorte que 2004 soit une année de promesses tenues et d’espoir retrouvé.


      Meine Damen und Herren: vielen, herzlichen Dank!

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