En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/9112

KOFI ANNAN REND HOMMAGE A ROBERT BURNS, CELEBRE POETE ECOSSAIS, POUR SON ENGAGEMENT EN FAVEUR DE LA JUSTICE ET DU PROGRES SOCIAL, IDEAUX QUE PARTAGENT LES NATIONS UNIES

14/01/2004
Communiqué de presse
SG/SM/9112


KOFI ANNAN REND HOMMAGE A ROBERT BURNS, CELEBRE POETE ECOSSAIS, POUR SON ENGAGEMENT EN FAVEUR DE LA JUSTICE ET DU PROGRES SOCIAL, IDEAUX QUE PARTAGENT LES NATIONS UNIES


Vous trouverez ci-après le texte du message du Secrétaire général à l’occasion de la première conférence commémorative Robert Burns, le 13 janvier:


Nane et moi-même sommes ravis d’être parmi vous pour célébrer la mémoire du grand poète écossais Robert Burns et vous aider à ouvrir ce qui sera très certainement une grande série de conférences.


Je suis bien conscient, Monsieur l’Ambassadeur, que cet événement avait été prévu par votre prédécesseur. Vous qui êtes le Gallois par excellence, je crois qu’il convient de vous féliciter, alors que vous vous associez à l’hommage rendu à un célèbre Écossais, pour votre ouverture d’esprit, si chère à l’Organisation des Nations Unies – et à Burns aussi, bien sûr.


Je tiens à préciser par ailleurs que ce n’est pas parce que j’aurais des ancêtres écossais que je me trouve ici ce soir. C’est vrai qu’il y a en Écosse une ville du nom d’Annan, vieille de plusieurs siècles. Cette ville compte même un club et un festival de marche et la marche est l’une de mes activités préférées. Mais mon nom a des origines bien différentes. Disons, comme Robert Burns l’aurait dit lui-même, que nous sommes tous frères.


Vous êtes alors en droit de vous demander pourquoi le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies tenait à participer à un tel événement. Au premier abord, on pourrait penser que l’âpreté de la diplomatie internationale, telle qu’elle se pratique ici à New York, est à des années-lumière du lyrisme des poèmes écrits dans l’Écosse rurale d’il y a deux siècles. Mais, en y regardant d’un peu plus près, je pense que vous comprendrez pourquoi je suis ici.


Pour ne citer qu’un seul exemple, Robert Burns est né dans un milieu pauvre et a passé sa jeunesse à travailler dans une ferme. Ses poèmes illustrent et célèbrent la lutte que mène aujourd’hui une grande majorité de la population du monde. Je cite Ralph Waldo Emerson qui a dit un jour que Robert Burns avait


«su exprimer toutes les expériences de la vie quotidienne; faire aimer les fermes et les chaumières, les lopins de terre et les pauvres; les haricots et l’orge; ... l’adversité et la peur des dettes». Fin de citation.


Robert Burns a également été décrit comme un poète des pauvres, un défenseur du progrès politique et social et un adversaire de l’esclavage, de l’apparat et de la cupidité –autant de points communs avec l’Organisation des Nations Unies. En tant que percepteur des impôts, il était même, en quelque sorte, fonctionnaire; cela dit, je m’empresse de préciser que l’Organisation ne fait pas ce genre de travail.


Mais c’est un des vers les plus célèbres de Robert Burns –«a Man’s a Man for a’ That», et sa prière, dans le même poème, pour que les hommes du monde entier soient frères – que j’utiliserai pour illustrer mon propos de ce soir.


Vivre ensemble est le grand projet de l’humanité –pas seulement à l’échelle d’une ville ou d’un village, en l’Écosse ou en Afrique du Sud, mais aussi à l’échelle du monde entier, comme une grande famille qui doit, collectivement, faire face aux menaces qui pèsent sur elle et exploiter les possibilités qui lui sont offertes.


Ce dessein a été fortement ébranlé pendant l’année qui vient de se terminer. La guerre en Iraq, l’échec des négociations sur l’ouverture du système commercial mondial et d’autres événements ont révélé des failles profondes.


Il ne s’agit pas seulement de différends concernant les exportations de coton ou du respect des résolutions de l’ONU. Il s’agit de conceptions opposées du monde.


Depuis des dizaines d’années, les États et les peuples tissent une trame de règles, d’institutions et de principes censés favoriser la prospérité et assurer la paix. Aujourd’hui, cette trame commence peut-être à se défaire et je sens dans le monde entier une grande inquiétude à ce sujet. Non pas parce que ce système fonctionne parfaitement, bien au contraire : la guerre et la pauvreté sont malheureusement des maux chroniques. Mais, parce qu’il a au moins le mérite d’offrir un minimum d’ordre et de justice dans un monde qui semble si souvent être régi par la loi de la jungle. À l’heure où nous devons absolument nous attaquer ensemble aux problèmes mondiaux, nous semblons céder à la méfiance, au protectionnisme et à la peur.


Or, nous devrions être plus préoccupés que jamais par la persistance des préjugés. Nous devrions tous souffrir quand des femmes sont privées de leur liberté et de leur dignité. Nous devrions tous comprendre que nos droits sont en danger quand un individu n’est pas traité comme un être humain à cause de la couleur de sa peau, ou quand les peuples autochtones sont marginalisés et méprisés. Nous devrions tous savoir que l’intolérance alimente la violence et peut déboucher sur la purification ethnique, le génocide et le terrorisme.


L’une des manifestations les plus fâcheuses du racisme aujourd’hui est l’islamophobie –un nouveau mot pour décrire un vieux phénomène. Les croisades et le colonialisme ne sont que deux exemples tirés d’un passé peu glorieux au cours duquel les musulmans ont d’abord été présentés comme hostiles et dangereux, puis agressés et asservis. Plus récemment, les pays musulmans ont été jugés culturellement inaptes à la démocratie. La lenteur avec laquelle l’Occident a réagi à la purification ethnique en Bosnie et le conflit dramatique qui se poursuit entre Palestiniens et Israéliens incitent bon nombre de musulmans à se demander si la communauté internationale est vraiment sensible à leurs souffrances et à leur sort. Depuis les attentats terroristes du 11 septembre, qui ont été condamnés par l’ensemble du monde musulman, nombreux sont les musulmans, surtout en Occident, qui sont victimes de suspicion, de harcèlement et de discrimination. Trop de gens voient l’islam de façon monolithique et comme intrinsèquement opposé à l’Occident – quand, en fait, les peuples occidentaux et les peuples de l’islam ont une longue histoire d’échanges commerciaux, de mélanges, de mariages, d’influences et d’enrichissement mutuels dans les arts, la littérature, les sciences et dans bien d’autres domaines. Malgré le passage des siècles, le cliché demeure et l’ignorance ne fait que gagner du terrain.


Ces problèmes, qui affectent profondément les individus mais revêtent aussi une importance cruciale pour toute la société, ont d’importantes répercussions sur la concorde et la paix internationales. Les musulmans – qu’ils soient réformateurs ou traditionalistes, pratiquants ou non – les abordent avec détermination, qu’il s’agisse des droits des femmes, du péril extrémiste ou de la démocratie islamique. Ceux qui pratiquent d’autres religions leur doivent, comme ils se doivent à eux-mêmes, de bien faire la différence entre le désaccord et le mépris, entre le commentaire équitable et la condamnation injustifiée. Il serait impardonnable d’ajouter encore à la rancœur et au sentiment d’injustice qu’éprouvent les membres d’une des grandes religions, cultures et civilisations du monde.


Notre monde est aux prises avec une autre forme de haine, tout aussi dangereuse: l’antisémitisme. Personne ne doit sous-estimer la profondeur des séquelles laissées par la longue histoire de persécutions, de pogroms, de discrimination officielle et d’autres traitements dégradants infligés aux Juifs, dont l’Holocauste fut la manifestation la plus effroyable. Pourtant, ce n’est pas fini: il y a ceux qui cherchent à nier la réalité de l’Holocauste et son caractère unique, et ceux qui continuent à propager d’odieux mensonges, d’odieux stéréotypes au sujet des Juifs et du judaïsme. La multiplication des attaques contre les Juifs, contre les synagogues, contre les cimetières et autres cibles juives en Europe, en Turquie et ailleurs, montre que cette forme de haine n’appartient pas au passé, mais demeure virulente. L’Organisation des Nations Unies elle-même subit encore les conséquences de la malencontreuse résolution qui faisait du sionisme une forme de racisme et de discrimination raciale, alors même que l’Assemblée générale l’a révoquée en 1991.


Dans certains cas, l’antisémitisme semble être un sous-produit du conflit israélo-palestinien, en particulier du fait de l’escalade des hostilités ces dernières années. Critiquer les politiques d’Israël est une chose, mais c’en est une toute autre quand ces critiques prennent la forme d’attaques, physiques ou verbales, contre des Juifs et contre les symboles de leur histoire et de leur foi. La situation est déjà assez douloureuse et complexe en tant que problème politique, sans qu’il faille ajouter la religion et la race à ce débat. Personne ne devrait se croire autorisé à tenir des propos antisémites sous couleur de critiquer les actions d’Israël. Il ne faut pas non plus que les partisans d’Israël crient à l’antisémitisme pour étouffer un débat légitime. L’Organisation des Nations Unies, pour sa part, doit rejeter toutes les formes de racisme et de discrimination. Ce n’est qu’en le faisant, de façon claire et cohérente, qu’elle sera fidèle à sa Charte et à la Déclaration universelle des droits de l’homme, et respectera la dignité de tous les peuples, quelles que soient leur foi et leur couleur de peau.


C’est une chose que de déplorer la persistance de préjugés, mais faire quelque chose pour les éliminer en est une autre. Trop souvent, face au racisme et au nihilisme, les dirigeants politiques, les gouvernements et les citoyens ordinaires restent silencieux ou complaisants. Une telle passivité ne doit en aucun cas passer pour de la tolérance. Il s’agit plutôt de complicité, car une telle attitude encourage l’intolérance et laisse ses victimes sans défense. La vraie tolérance est une qualité active, affirmative, fondée sur le respect mutuel. Son but doit être non pas d’éliminer les différences entre les hommes, mais de les accepter avec bienveillance, et même de les célébrer comme source de joie et de vigueur.


C’est là l’éthique mondiale dont nous avons besoin: un ensemble de valeurs communes permettant aux différents peuples de coexister. Les hommes et les femmes du monde entier doivent suivre leur propre voie sans chercher à se faire la guerre. Ils doivent jouir d’assez de liberté pour pouvoir échanger des idées. Ils doivent pouvoir apprendre les uns des autres. Cela signifie que chaque nation doit non seulement respecter la culture et les traditions des autres mais doit aussi permettre à ses propres citoyens – les femmes comme les hommes – de penser par eux-mêmes.


Dans cet esprit, le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies organise deux séminaires au Siège de l’ONU dans les semaines qui viennent. Le premier, qui se tiendra le 22 janvier, portera sur l’antisémitisme, l’islamophobie, le racisme; trois psychanalystes offriront des perspectives nouvelles pour mieux comprendre ces vieux fléaux.


C’est, au premier chef, aux gouvernements, ainsi qu’à chaque homme et à chaque femme, qu’il revient d’exercer ces responsabilités citoyennes –que ce soit au sein de la communauté des nations ou dans le cadre des relations individuelles– à l’occasion des échanges quotidiens de plus en plus fréquents entre peuples. Mais c’est aussi un objectif de la plus haute importance pour l’Organisation des Nations Unies, et le Secrétariat est déterminé à jouer son rôle, notamment en organisant, dans les mois qui viennent, des séminaires et des activités éducatives.


Vivre tous ensemble n’est pas facile. Inclure l’humanité tout entière dans nos préoccupations suppose que nous regardions au-delà du cercle immédiat de notre famille et de nos amis, et que nous acceptions des liens plus larges. Pour autant, il y aura toujours quelque chose pour compromettre notre aptitude au dialogue et à la compréhension. Burns lui-même ne renierait pas cette vision pessimiste du monde. « L’homme est fait pour le deuil », écrivait-il.


Mais nous venons de commencer une nouvelle année, au moins selon le calendrier grégorien. On peut encore entendre les derniers échos de millions de gens qui ont chanté «Auld Lang Syne», la grande ode à l’amitié écrite par Burns. Alors, faisons en sorte que l’espoir renaisse. Délectons-nous de l’œuvre sublime de Robert Burns. Et laissons-nous aller à rêver, comme lui, d’une vraie fraternité (ou sororité) englobant toute l’humanité, et permettant à tous de jouir de leurs droits inaliénables, de leur dignité et de leur liberté.


Permettez-moi d’exprimer ma profonde gratitude au chapitre écossais du British Executive Services Overseas pour le travail inestimable qu’il accomplit dans la poursuite de cet objectif, et pour le vigoureux soutien qu’il apporte à l’Organisation des Nations Unies.


Je tiens aussi à remercier Iain McDonnell de BESO Scotland, qui a organisé cette manifestation, et ceux qui m’ont invité à y participer.


Enfin, je sais qu’il ne s’agit pas d’un dîner écossais traditionnel, mais je suis affamé, et j’espère que le haggis est prêt!


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