LES CONTRAINTES COMMERCIALES ET L’ATTEINTE À L’INTÉGRITÉ DES JOURNALISTES CONSTITUENT DES DÉFIS À LA LIBERTÉ DE LA PRESSE
Communiqué de presse PI/1576 |
Comité de l’information
Célébration de la Journée mondiale
dela liberté de la presse - matin
LES CONTRAINTES COMMERCIALES ET L’ATTEINTE À L’INTÉGRITÉ DES JOURNALISTES CONSTITUENT DES DÉFIS À LA LIBERTÉ DE LA PRESSE
En 2003, 36 journalistes ont été tués, et, rien qu’au cours du premier trimestre 2004, 17 autres, tandis que 136 journalistes sont encore détenus, a rappelé ce matin le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, à l’ouverture de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Associant les représentants de titres de presse, d’organisations professionnelles et d’institutions des Nations Unies, une table ronde, suivie d’un échange de vues a été placée cette année sous le thème de « Reportage complet ou partiel: qui décide? ». La question était de savoir comment les chefs de rédaction déterminent leurs choix de la rédaction, satisfaire le public, rechercher le profit ou combler le manque de ressources?
De l’Iran à la Chine en passant par l’Arabie saoudite, le champ d’intervention des journalistes est ouvertement limité, a expliqué Tony Jenkins, Président de l’Association des journalistes accrédités auprès de l’ONU. Dressant un bilan de la presse dans le monde, le correspondant de l’hebdomadaire portugais l’Expresso, a jugé inquiétant que la presse américaine, qui est protégée par le premier amendement de la Constitution sur la liberté d’expression et de la presse, ait réussi à faire croire à près de 50% des Américains qu’il existait des liens entre Al-Qaïda et Saddam Hussein et qu’il y avait des armes de destruction massive en Iraq.
Comme l’a souligné Kofi Annan, la Journée mondiale de la liberté de la presse nous donne aussi l’occasion de réfléchir aux défis que connaît la profession. Aux Nations Unies, nous ne sommes pas toujours en accord avec les choix que font les médias, a ajouté le Secrétaire général. C’est la raison pour laquelle nous avons établi une liste de 10 sujets d’actualité qui ne reçoivent pas une couverture médiatique adéquate. Il s’agit par exemple de la guerre menée par les adolescents dans le nord de l’Ouganda, alors que le pays a réalisé des progrès économiques tangibles, des orphelins du sida ou encore de la situation au Tadjikistan, pays qui accomplit des progrès réels.
Alexander Boraine, Président de International Center for Transitional Justice et ancien journaliste en Afrique du Sud, a précisé que dans bon nombre de cas, la conduite de la politique éditoriale se fait en fonction de contraintes commerciales. Tout comme Elisabeth Shipp, journaliste au Daily News, il a remis en question la pratique qui veut que les journalistes américains voyagent avec des unités militaires américaines. De l’avis de Mme Schipp, selon les médias ou le pays concerné, le facteur de proximité explique par exemple la couverture de la question des orphelins du sida. M. Danilo Türk, Sous-Secrétaire aux affaires politiques, a regretté pour sa part que l’industrie du divertissement porte préjudice au droit à l’information.
CÉLÉBRATION DE LA JOURNÉE MONDIALE DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE
Déclarations liminaires
M. KOFI ANNAN, Secrétaire général des Nations Unies, a rappelé qu’en 2003, 36 journalistes ont été tués et que 17 autres l’ont été au cours du premier trimestre de 2004, alors que 136 sont encore détenus. Certains d’entre eux ont été pris délibérément pour cible en raison de la nature de leur reportage et de leur affiliation à un titre de presse. Les menaces exercées constamment contre l’intégrité personnelle et professionnelle des journalistes doivent nous interpeller car elles concernent tous ceux d’entre nous qui dépendent des médias comme agents de liberté d’expression, comme défenseur des droits de l’homme et comme instrument de développement.
La Journée mondiale de la liberté de la presse nous donne également l’occasion de réfléchir aux défis que connaît la profession sur le thème « Reportage partiel ou complet: qui décide? ». Aux Nations Unies, nous ne sommes pas toujours en accord avec les choix que font les médias. Cette frustration n’est pas limitée aux médias mais peut également être associée à l’attention que les Etats Membres et les membres de la communauté des donateurs portent à certains projets qui ne sont pas forcément prioritaires.
C’est la raison pour laquelle nous avons établi une liste de 10 sujets d’actualité qui ne reçoivent pas une couverture médiatique adéquate comme par exemple la guerre menée par les adolescents dans le nord de l’Ouganda alors que le pays a fait des avancées économiques remarquables ou encore les tensions en République centrafricaine. De même, la situation au Tadjikistan n’est pas au centre de l’attention des médias mais pour une autre raison: des progrès réels sont en cours sur la voie du progrès. Les questions liées à la surexploitation des ressources halieutiques, aux orphelins du sida, aux personnes handicapées et le texte historique pour promouvoir leurs droits, figurent également sur la liste des 10 sujets dont la presse devrait parler, a indiqué Kofi Annan en conclusion.
M. IFTEKHAR AHMED CHOWDURY (Bangladesh), Président du Comité de l’information, a insisté sur le fait que les États Membres des Nations Unies avaient l’obligation de promouvoir et de défendre la liberté de la presse car, a-t-il dit, quand les droits des journalistes sont bafoués, ce sont la démocratie et le développement qui s’en trouvent menacés. Quand la liberté de la presse est respectée, c’est l’ensemble de la société qui profite d’instruments clefs pour lutter contre les abus et les violations d’autres droits fondamentaux. Nous devons reconnaître que le monde a encore beaucoup de chemin à faire avant que la liberté de la presse et la liberté d’expression soient respectées. Il n’existe pas de division nord-sud pour ce qui est du respect des droits de l’homme, a insisté le Président du Comité, plaidant pour une pluralité d’opinion au sein des médias afin de refléter les différentes opinions dans la société. Aujourd’hui, il nous appartient de promouvoir, comme le recommandait la Déclaration de Windhoek de 1991, l’accès équitable à l’information en réduisant le fossé numérique. Rappelant que 79% des internautes du monde vivent dans les pays de l’OCDE, il a appelé à inverser le fossé numérique en assurant la promotion du droit à l’information et à la liberté d’expression dans les pays pauvres. Un homme qui a faim n’est pas un homme libre, a rappelé M. Chowdury, qui a regretté que les conditions de vie des populations les plus pauvres de la planète fassent très peu l’actualité.
Mme VIVIEN LAUNEY, Directrice de l’Organisation pour la science et la culture (UNESCO) à New York, a rappelé que l’Organisation décerne depuis 1997 le Prix UNESCO/Guillermo Cano World Press Freedom Prize, en l’honneur de ce journaliste colombien assassiné pour le travail d’enquête qu’il avait mené sur les cartels de la drogue. Cette année, ce prix est allé à Paul Rivero, un poète et journaliste cubain emprisonné. Mme Launey a également indiqué que l’UNESCO défend l’indépendance des médias dans les zones de conflit et dans les sociétés se trouvant dans des conditions post-conflit. Elle a évoqué l’intervention de l’UNESCO en ex-Yougoslavie, au Libéria et au Moyen-Orient par le biais d’une aide technique et technologique qui s’est traduite concrètement par le lancement de titres de presse écrite ou télévisée ou de programmes enregistrés. Les journalistes ne sont pas seulement tués en temps de guerre. Ils sont assassinés par des organisations rebelles et criminelles qui ont un intérêt à mettre un terme à leurs enquêtes, a précisé la Directrice qui a invité les participants à lire le message du Directeur général de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, disponible sur le site Internet de l’UNESCO.
M. TONY JENKINS, Président de l’Association des correspondants aux Nations Unies (UNCA), a tenu à parler de Ricardo Ortego, correspondant d’Antenna 3 en Espagne, un journaliste jeune, modeste et courageux qui avait déjà prouvé son courage en Afghanistan et ailleurs. Il est mort il y a huit semaines à Haïti et, jusqu’au moment où il ne pouvait plus tenir sa caméra, il a continué à filmer. Les circonstances de sa mort n’ont toujours pas été élucidées, comme celles de nos autres collègues morts au cours de l’année écoulée, a-t-il dit. En 2003, 42 journalistes ont été tués et depuis le début de 2004, 19 autres ont trouvé la mort dans l’exercice de leurs fonctions, sans compter les centaines de journalistes emprisonnés. A cuba, 30 journalistes croupissent dans les prisons de Castro, tandis qu’en Afrique, du Cameroun au Zimbabwe, les journalistes sont régulièrement maltraités. De l’Iran à la Chine en passant par l’Arabie saoudite, le champ d’intervention des journalistes est ouvertement limité, a-t-il déploré, avant de rappeler que dans les territoires palestiniens occupés, en Iraq, en Russie, les journalistes ne sont pas toujours libres et font l’objet d’attaques préoccupantes. Quant aux Etats-Unis, a-t-il dit, il est difficile de comprendre que le pays qui a promulgué le premier amendement de la Constitution sur la liberté de la presse et la liberté d’expression continue de disposer d’une presse mensongère qui a réussi à faire croire à près de 50% des Américains qu’il existait des liens entre Al-Qaïda et Saddam Hussein et qu’il y avait des armes de destructions massives en Iraq, autant d’informations fausses.
Seuls 41% des Américains savent que le reste du monde était opposé à la guerre en Iraq, a-t-il dit ensuite, condamnant une logique d’autocensure de la part des journalistes américains. Récemment, des journaux comme le Washington Post ont commencé à s’interroger sur leur responsabilité dans la diffusion d’informations non vérifiées sur l’Iraq et certains journalistes ont présenté leurs excuses pour ne pas avoir su informer les Américains de manière objective. Il devient très difficile d’exercer le métier de journaliste dans un pays où une fausse information diffusée par un pseudo-journaliste peut être reprise en chaîne par une quarantaine de titres, a estimé M. Jenkins, avant de souligner que si la presse avait su avant la guerre en Iraq que celle-ci allait coûter 250 milliards de dollars, les journalistes auraient pu s’interroger sur les moyens de mieux utiliser cet argent. Il a fait observer que 250 milliards de dollars auraient permis de disposer de moyens pour lutter contre le terrorisme, tout en s’interrogeant sur ce qui a empêché de tenir ce débat au sein des médias. La liberté de la presse a une finalité, à savoir révéler la vérité, a-t-il insisté, déplorant que l’esprit de clocher dans certains médias oriente le plus souvent le traitement de l’information.
Table ronde « Reportage complet ou partiel: qui décide? »
Ouvrant la discussion thématique sur le thème « Reportage complet ou partiel: qui décide? », le Secrétaire général adjoint à la communication et à l’information, Shashi Tharoor, a tenu à souligner que l’initiative « 10 sujets dont le monde n’entend pas assez parler », qu’il a présentée vendredi dernier au cours d’une conférence de presse, ne visait pas à imposer des sujets de reportages aux journalistes. Cette liste couvre plusieurs questions –comme la situation dans le nord de l’Ouganda- sur lesquelles nous, aux Nations Unies, n’avons pas suffisamment su attirer l’attention des médias, a insisté M. Tharoor, avant de présenter les participants à la table ronde: Elizabeth R. Shipp, lauréate du Prix Pulitzer et éditorialiste au New York Daily News; Alexander Boraine, Président de l’International Center for Transnational Justice; Tony Jenkins, Président de l’Association des journalistes accrédités auprès de l’ONU; James H. Ottaway, Président du Comité de la liberté de la presse; et Danilo Türk, Sous-Secrétaire général aux affaires politiques.
Après celle de militaire, c’est la profession de journaliste qui est la plus exposée aux risques, a rappelé James H. Ottaway, Président du Comité de la liberté de la presse. Il a reconnu que l’ensemble des sujets listés par le Département de l’information méritaient d’être couverts par les médias, tout en faisant remarquer que le manque de couverture ne résulte pas uniquement d’un manque d’intérêt des médias. En effet, a-t-il poursuivi, n’oublions pas que 60% des États Membres des Nations Unies ne respectent pas la liberté de la presse et la liberté d’expression et n’assurent pas la protection des journalistes. Notre Comité a établi une liste de 10 pays où il est dangereux d’être journaliste et cette liste comprend des pays tels que l’Iraq, la Chine, Cuba ou le Bangladesh, a-t-il indiqué, jugeant que ces conditions extrêmes justifient parfois que certains évènements ne peuvent être couverts. Dans les zones de guerre, les besoins des journalistes en matière de sécurité et de logistique –interprètes, gilets pare-balles, véhicules protégés- justifient aussi des choix de la rédaction en raison de leur coût élevé, a-t-il rappelé. Il est également vrai que les comités de rédaction tiennent compte de l’intérêt de leur lectorat avant d’engager des dépenses de reportages sur certains sujets listés par le DPI, même si près de 17% des Américains estiment qu’ils sont mal informés sur les questions internationales. Quant à la question de savoir qui décide de l’événement à couvrir, a-t-il rappelé, les États Membres devraient également reconnaître qu’ils ont une grande responsabilité dans les choix de rédaction puisque dans les pays qui ne respectent pas la liberté de la presse, les journalistes qui veulent dire la vérité sont victimes d’intimidations, d’arrestations ou d’assassinats.
Elisabeth Shipp, Journaliste au Daily News, a indiqué que le facteur de proximité était important dans le choix des sujets, ce qui explique que la question des orphelins du sida sera plus ou moins couverte. Elle a insisté sur le fait qu’il fallait influencer les chefs de rédaction eux–mêmes. Nous commençons à nous interroger sur des questions déontologiques comme, par exemple, le bien-fondé de permettre aux journalistes de voyager avec les troupes. Nous sommes trop peu nombreux à utiliser pleinement le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis sur la liberté d’expression et la liberté de la presse. Mme Shipp a également dénoncé un manque de diversité dans le monde de la presse.
Pour sa part, Alexandre Boraine, a fait part de son expérience en Afrique du Sud où une minorité a opprimé la majorité de la population et supprimé la liberté de la presse, notamment en infiltrant des informateurs dans toutes les rédactions. Nous connaissons tous les menaces subtiles lors d’un déjeuner ou au téléphone et le harcèlement que connaissent les journalistes. Il a précisé qu’à maintes reprises, la conduite de la politique éditoriale se fait en fonction de contraintes commerciales et non pas au nom de la liberté de la presse ou des souhaits exprimés par les lecteurs, ce dont les journalistes se plaignent sans cesse. Après les attentats du 11 septembre, les journalistes ont perdu de leur confiance, n’osant pas critiquer ou remettre en cause la version officielle des autorités américaines. Celles-ci ont également remis en question la pratique qui veut que les journalistes américains voyagent avec des unités militaires américaines. Malgré toutes les lacunes et les faiblesses de la presse, nous rendons hommage aux journalistes qui ont osé définir les enjeux de notre époque.
La liberté de la presse a un dessein, à savoir la quête de la vérité, a déclaré pour sa part DaniloTürk, Sous-Secrétaire général aux affaires politiques, soulignant que les journalistes se trouvaient ainsi davantage exposés de par leur profession, dans la mesure où ils sont les vecteurs de la liberté d’expression. M. Türk a invité les journalistes à ne pas tomber dans le travers qui consiste à faire de l’information un divertissement, tel qu’on peut le constater sur les écrans de télévision. Dans quelle mesure l’industrie du divertissement risque d’être préjudiciable à la liberté d’informer, s’est interrogé M. Türk, déplorant qu’après un certain temps plus ou moins court, certains sujets d’actualité s’essoufflent. Qui s’intéresse à Bougainville maintenant que le processus a été mené à bien? Qui s’intéresse au Kosovo à l’exception de ces dernières semaines en raison de la recrudescence de la violence? et pourtant la situation dans cette région mérite d’être couverte par les médias. Nous devons tous œuvrer ensemble pour que les reportages soient meilleurs et pour que la couverture de la situation en Iraq, par exemple, soit mieux équilibrée, a-t-il conclu.
Notre travail de journaliste est rendu chaque jour un peu plus difficile dans la mesure où les médias sont motivés par le rendement et les profits et où les directeurs de rédaction ne sont pas prêts à investir à perte, a déploré Tony Jenkins. Quand on est confronté à des patrons qui souhaitent atteindre des profits de près de 25%, le plus souvent, l’information est reléguée au second plan après le divertissement. Si la communauté internationale accordait une plus grande attention aux questions de développement, l’argument de la souffrance pourrait difficilement être récupéré à des fins politiques soit par certains responsables politiques, soit par des groupes terroristes, a-t-il dit, tout en s’interrogeant sur les raisons pour lesquelles on investit 400 milliards de dollars dans une guerre d’invasion en Iraq quand on ne dispose pas de moyens pour régler des questions plus urgentes comme la pauvreté.
Reprenant la parole, ShashiTharoor a demandé aux journalistes de s’exprimer sur les contraintes posées à leur travail par la quête des profits dans les organes de presse. Cet aspect influence la couverture ou non de certains événements ont reconnu les panélistes, mais, comme l’a observé Elizabeth Shipp, cela ne doit pas empêcher les journalistes de faire preuve d’imagination et de faire pression sur les comités de rédaction en présentant les enjeux sur tel ou tel sujet qui leur semble important. Pour Alexander Boraine, les enjeux sont multiples dans la mesure où la nécessité de générer des profits intervient également au niveau de la diffusion de la presse ou de la publicité, et cela influence les rendements des groupes de presse. DaniloTürk a estimé que le travers du divertissement constituait une question d’ordre moral sur laquelle devaient s’interroger les responsables de la rédaction.
Trois délégations sont intervenues au cours de cet échange de vues –Cuba, Mexique et Liban, dont le représentant a jugé que la vérité était relative. Il n’existe pas de monopole de la vérité et tant que ce postulat n’est pas admis par les journalistes, la pluralité d’expression demeurera une notion abstraite, a insisté le délégué du Liban.
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