DSG/SM/212

LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE DOIT RELEVER LES DEFIS AUX PRINCIPES ENONCES DANS LA CHARTE DES NATIONS UNIES, DECLARE LA VICE-SECRETAIRE GENERALE

20/02/2004
Communiqué de presse
DSG/SM/212


La communaute internationale doit relever les defis aux principes enonces dans la Charte des Nations Unies, declare la Vice-Secretaire generale


Voici le texte de l’allocution liminaire prononcée par la Vice-Secrétaire générale, Louise Fréchette, à la sixième Conférence sur la sécurité en Asie organisée à New Delhi par l’Institut indien d’étude et d’analyse des problèmes de défense, le 27 janvier:


Je voudrais tout d’abord vous remercier très chaleureusement de m’avoir invitée à cette conférence.  C’est pour moi un plaisir d’être en Inde.  Ici, dans la démocratie parlementaire la plus peuplée du monde, avec sa riche mosaïque humaine et toute la gamme des problèmes inhérents, les principes et l’oeuvre des Nations Unies retrouvent leur sens véritable.


L’Inde a apporté une contribution énorme aux Nations Unies, grâce aux efforts de son gouvernement et à l’oeuvre de ses universitaires, soldats et fonctionnaires internationaux.  La première femme à avoir présidé l’Assemblée générale – il n’y en a eu que deux, dois-je ajouter – est indienne et s’appelle Vijaya Lakshmi Pandit.  Pendant des décennies, l’Inde a été un ardent défenseur des pays en développement qui a influé sur les préoccupations de l’Organisation des Nations Unies.  Les Indiens ont servi dans plus de 25 missions de maintien de la paix des Nations Unies sur quatre continents, et plus de 100 soldats indiens ont perdu la vie pour défendre la cause de la paix.  C’est là un tableau d’honneur dont les Indiens devraient être fiers et pour lequel l’ONU est profondément reconnaissante.


C’est ainsi que nous, à l’ONU, considérons l’Inde comme une source d’inspiration et d’appui et comme un puissant défenseur de la cause des pays en développement.  Mais New York est très loin de New Delhi, et malgré le travail admirable de votre excellent Représentant permanent – mon cher ami Vijay Nambiar – nous pensons souvent que nous n’entretenons pas des relations aussi étroites et intenses avec ce pays, voire avec cette région, que nous l’aurions souhaité.


Je suis donc très heureuse d’avoir la chance d’échanger des idées avec ce groupe d’éminentes personnalités réunies ici et provenant aussi bien de l’Inde que de toute l’Asie.


Le thème que vous avez retenu pour cette conférence, à savoir les Nations Unies, le multilatéralisme et la sécurité internationale, est d’actualité, et c’est un thème sur lequel, naturellement, j’ai beaucoup à dire.


Je voudrais donc, pendant les quelques minutes qui suivront, ébaucher pour vous l’évolution récente du système de sécurité internationale, expliquer comment l’ONU y fait face puis indiquer les principaux problèmes auxquels la communauté internationale doit porter remède.


L’évolution des préoccupations en matière de sécurité


Rares sont ceux qui démentiraient que les attaques survenues à New York et Washington le 11 septembre 2001 ont marqué le début d’une nouvelle ère en matière de sécurité internationale, ou plutôt d’insécurité devrait-on dire.  Comme le Secrétaire général l’a dit dans son allocution d’acceptation du prix Nobel seulement trois mois plus tard, «nous sommes entrés dans le nouveau millénaire par une porte de feu».


Je dirais que trois changements particulièrement notables se sont produits.  Premièrement, le terrorisme ainsi que l’utilisation éventuelle d’armes de destruction massive par des terroristes sont devenus la principale préoccupation des États-Unis mais aussi de l’Union européenne, comme en témoigne le Programme européen en matière de sécurité.  Certes, le terrorisme a été de longue date une menace grave, y compris pour de nombreux pays en développement, l’Inde n’étant pas le moindre. Mais depuis le 11 septembre, le fait que nombre des pays les plus puissants du monde s’inquiètent davantage du terrorisme a changé le paysage en matière de sécurité.


Deuxièmement, affrontant les nouvelles menaces, certains dirigeants des principales puissances consacrent peu de temps et de maigres ressources à la lutte contre les autres menaces à la paix et à la sécurité.  Pourtant, on continue de se battre avec des armes «classiques», souvent dans des conflits internes plutôt qu’entre États.


Et d’autres dangers, notamment la pauvreté, la faim, la maladie, la criminalité, la mauvaise gouvernance et la dégradation de l’environnement, persistent, qui sont la principale cause de la souffrance dans le monde et qui, d’une façon ou d’une autre, peuvent contribuer à créer les conditions susceptibles de rendre la guerre ou le terrorisme – ou les deux – plus probables.


Troisièmement enfin, sous l’effet de cet éventail de problèmes anciens et nouveaux, le cadre normatif créé par la Charte des Nations Unies en 1945 est mis à rude épreuve, en particulier s’agissant des règles régissant l’utilisation de la force par les États.  Je n’insinue pas que ces règles ont été systématiquement observées par tous les États entre 1945 et 2001.  Évidemment pas.  Mais les principes fondamentaux de la Charte ont rarement, si ce n’est jamais, été si directement battus en brèche.


La réaction de l’ONU


Il va sans dire que l’ONU joue le rôle qui lui revient dans le cadre des mesures adoptées à l’échelle mondiale pour faire face à ces trois problèmes.  Et je dirais que dans ces trois domaines, elle a pu tirer parti de son expérience passée pour s’adapter aux nouvelles circonstances.


Assurément, ni le terrorisme international ni la prolifération des armes de destruction massive ne constituent une nouveauté pour l’ONU.


L’ONU a de longue date participé aux efforts visant à lutter contre le terrorisme. La démarche communément suivie a consisté à mettre en place des normes internationales faisant du terrorisme un crime.  Toutefois, déjà dans les années 90 et plus particulièrement après les attaques contre les ambassades des États-Unis en Afrique en 1998, l’Organisation a commencé à considérer le terrorisme comme une menace grave contre la paix et la sécurité internationales, et le Conseil de sécurité s’est mis à imposer des sanctions contre les États qu’il était fondé à croire qu’ils parrainent des terroristes internationaux ou leur donnent refuge.


Évidemment, les attaques du 11 septembre ont obligé le Conseil à passer à un cran supérieur et à affiner son approche, en partie en réponse à des preuves croissantes indiquant l’existence de réseaux terroristes qui n’étaient pas directement liés à un État donné. Le résultat immédiat a été l’adoption de la résolution 1373 du Conseil de sécurité, qui imposait à tous les États l’obligation contraignante de prendre des mesures pour empêcher le terrorisme et son financement, et qui a créé le Comité contre le terrorisme, devenu le principal mécanisme chargé de veiller à l’application des dispositions.


Ce comité veille à ce que les États Membres disposent de la législation nécessaire et du mécanisme exécutif approprié pour se conformer aux dispositions de la résolution 1373.  Il vise également à améliorer le flux d’informations sur les pratiques optimales, les codes et les normes adoptés à l’échelle internationale pour lutter contre le terrorisme et à faire en sorte que les États qui ont besoin d’une assistance dans ce domaine la reçoivent.


Le Comité joue un rôle important pour ce qui est d’aider la communauté internationale à s’attaquer plus efficacement aux liens existant entre le terrorisme, le blanchiment de capitaux et la criminalité organisée, qui figurent parmi les menaces les plus graves contre la paix et la sécurité à notre époque.


En outre, l’ONU a contribué pour beaucoup à la lutte contre le terrorisme en apportant une assistance politique et technique à l’Afghanistan depuis le renversement du régime des Taliban. Nous savons tous combien il importe d’empêcher que l’Afghanistan retombe dans le chaos, ce qui en ferait de nouveau un havre pour les terroristes.  La bataille est loin d’être gagnée, mais l’ONU a joué et continue de jouer un rôle important à cet égard en aidant les Afghans à s’acheminer, grâce à un processus constitutionnel complexe, vers une forme de gouvernement stable et représentative.


La prolifération des armes est aussi une préoccupation de longue date de l’ONU.  En fait, les objectifs de l’Organisation dans ce domaine vont au-delà du simple endiguement: l’objectif à long terme est le désarmement, de sorte à débarrasser complètement le monde de toutes les armes nucléaires, chimiques et biologiques.  Ces dernières années, le but de moindre importance mais connexe qu’est la prévention de la prolifération, en particulier des armes nucléaires, est devenu une source de préoccupation croissante, allant de pair avec la crainte de voir des acteurs non étatiques éventuellement acquérir et utiliser des armes chimiques, biologiques ou même nucléaires.


Le régime de non-prolifération nucléaire est un élément crucial de ces efforts.  Certes, en soi, le régime ne pourrait pas complètement empêcher la propagation des armes nucléaires, non seulement parce qu’il ne serait pas possible d’empêcher certains États de violer les engagements juridiquement contraignants qu’ils ont pris de ne pas acquérir ces armes, mais aussi parce qu’un petit nombre de pays, dont celui-ci, n’étaient pas disposés à adhérer au Traité de non-prolifération qu’ils jugeaient discriminatoire.


Or, en adhérant au Traité de non-prolifération, les parties non seulement souscrivent à un régime visant à proscrire la propagation des armes nucléaires, mais aussi elles souscrivent à un régime visant à assurer une transparence suffisante pour identifier les cas problématiques potentiels.  En outre, elles s’engagent, en vertu de l’article VI du Traité, à poursuivre les négociations de bonne foi en vue de l’adoption des mesures efficaces concernant le désarmement nucléaire et d’un traité sur le désarmement général et complet sous un contrôle international rigoureux et efficace.


J’admets comme nombre d’entre vous ici présents que ces négociations de bonne foi n’ont pas vu le jour. L’aspiration n’en est pas moins valable.


Bien sûr, la nécessité de faire face au terrorisme et aux armes de destruction massive ne réduit pas pour autant l’importance des autres menaces plus classiques, menaces que les pays développés ressentent le plus durement.  C’est pour entreprendre de porter remède à ces menaces que l’ONU s’est profondément engagée dans des opérations de paix dans le monde entier.


Dans les Balkans, nous avons pu mener à bonne fin nos missions en Bosnie et à Prevlaka, tout en continuant à stabiliser la situation au Kosovo, où le Conseil de sécurité nous a confié l’entière responsabilité de tous les aspects de l’administration civile.


En 2002, nous avons également pu aider le Timor-Leste à accéder à l’indépendance totale, avec la satisfaction de le voir occuper le siège qui lui revient à l’Assemblée générale en tant que 191e État Membre.


Notre mission en Sierra Leone réduit actuellement ses effectifs en vue d’un retrait, après la fin de l’insurrection du RUF et la tenue d’élections généralement jugées libres et équitables et organisées dans des conditions de paix.


En République démocratique du Congo, les armées étrangères se sont maintenant retirées, un gouvernement d’unité nationale a été formé et la mission de l’ONU aide à stabiliser la situation dans le pays au moment où il s’achemine – de manière encore hésitante – vers une paix durable.


Ainsi, presque partout en Afrique où il y a un espoir de mettre fin à un conflit – et c’est le cas dans bien des pays à l’heure actuelle –, on fait appel à l’ONU pour qu’elle use de son expérience en matière de maintien et de consolidation de la paix.  L’Organisation dispose actuellement d’une importante mission au Libéria; les discussions se poursuivent concernant une éventuelle opération conduite par l’ONU en Côte d’Ivoire; on pourrait également faire appel à l’ONU pour aider les parties à appliquer un accord de paix au Soudan; et il se pourrait qu’on demande une mission au Burundi si les espoirs de paix actuels se concrétisent.

Notre capacité à donner suite aux demandes qui nous sont adressées pour des opérations de maintien de la paix a été renforcée par l’accueil que les États Membres ont réservé au rapport Brahimi.  Nos missions sont mieux intégrées, nous sommes en mesure de les déployer plus rapidement et nous prenons de meilleures dispositions pour que des enseignements soient tirés pour des opérations futures. L’amélioration de notre système de forces et moyens en attente et des fichiers du personnel à disposition a été un important élément de ces réformes.  Comme vous le savez peut-être, le chef de notre Division de la police civile est indien – qui plus est, une autre femme indienne, Kiran Bedi.


Toutefois, malgré cette amélioration, la demande croissante d’opérations de paix des Nations Unies risque de mettre à rude épreuve non seulement notre aptitude à gérer ces missions, mais aussi les ressources que les États Membres peuvent ou veulent mettre à disposition.  Déjà, la composition de nos forces de maintien de la paix a considérablement changé, la part fournie par les pays de l’OCDE allant décroissant et celle des pays en développement allant croissant.


Je manquerais sérieusement à mes devoirs si je ne saluais pas ici le rôle joué par l’Inde – qui, avec le Pakistan et le Bangladesh, fournit aujourd’hui le gros des troupes de maintien de la paix qui sont déployées en Afrique et est donc l’un des rares États à ne pas céder à une certaine tendance à la régionalisation du maintien de la paix.  Les nations de cette région ont joué un rôle déterminant dans nombre de difficiles et dangereuses missions des Nations Unies – et leur attachement sans faille au maintien de la paix est une chose que le Secrétaire général apprécie hautement et dont notre Organisation a grand besoin.


Les arrangements régionaux pour le maintien de la paix et de la sécurité sont, il va sans dire, envisagés au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, et il paraît certes logique que les Européens prennent la direction des opérations de paix dans les Balkans.  Mais le fait est que les ressources ne sont pas réparties entre les régions de la planète selon les besoins: il y a un déséquilibre patent entre les 30 000 soldats de la paix de l’OTAN déployés au Kosovo, si petit, et les 10 000 soldats de la paix de l’ONU déployés au Congo, qui a la dimension de l’Europe occidentale et où quelque 3,5 millions de personnes peut-être sont mortes par suite des combats depuis 1998. Si l’ONU milite pour quelque chose, ce doit être sans aucun doute pour plus de solidarité entre les nations puissantes et riches, d’une part, et celles qui sont relativement faibles et pauvres, d’autre part.


Cette solidarité ne concerne que le maintien de la paix.  L’ONU est aussi l’instance où, l’année du Millénaire, les dirigeants du monde entier se sont réunis et se sont engagés, dans la Déclaration du Millénaire, à ne ménager «aucun effort pour délivrer [leurs] semblables – hommes, femmes et enfants – de la misère, phénomène abject et déshumanisant qui touche actuellement plus d’un milliard de personnes».


Ils ne se sont pas d’ailleurs contentés d’une déclaration d’intention aussi générale.  Ils ont réparti celle-ci en un certain nombre d’engagements spécifiques, assortis d’échéances, qui sont désormais connus sous le nom d’objectifs du Millénaire pour le développement.


Malheureusement, tous n’ont pas la même volonté d’atteindre ces objectifs, aussi les efforts déployés dans ce sens ont-ils connu une perte de vitesse.  C’est au Secrétariat de l’ONU, et en particulier au Secrétaire général, qu’est revenue la tâche de promouvoir ces objectifs afin de susciter un nouvel élan en leur faveur.


L’action du Secrétaire général à cet égard est inlassable, surtout s’agissant de la lutte contre la propagation du VIH/sida.  J’espère seulement que le monde l’écoutera, afin que le fait de nous adapter aux menaces nouvelles et à l’environnement nouveau dans lesquels nous vivons ne nous empêche pas de nous attaquer à des problèmes tout aussi pressants, dont beaucoup touchent de façon aiguë des milliards d’êtres humains.  Comme vous le savez bien, dans cette capitale, nous devons relever simultanément, et avec une vigueur égale, les défis que constituent le terrorisme et la misère. En faisant face à l’un, nous renforçons notre intervention à l’égard de l’autre.


Tous ces efforts de la plus haute importance seront mis en péril si le cadre dans lequel ils sont menés est affaibli.  En tant que communauté internationale, nous ne devons donc pas éluder les remises en question de notre cadre normatif et des principes de la Charte qui se sont fait jour.  À cet égard, il va sans dire que l’Organisation des Nations Unies relève ce défi en s’appuyant sur son expérience et sur son histoire.


Il serait impensable de rejeter les principes fondamentaux de la sécurité collective sur lesquels l’Organisation a été fondée et qui constituent sa raison d’être.  Mais nous trahirions tout autant nos convictions si nous nous contentions d’une interprétation «strictement constructioniste» de la Charte et si nous niions la nécessité de trouver de nouveaux moyens d’appliquer nos principes dans une époque en pleine mutation.


À la vérité, les peuples ont toujours tiré le meilleur parti de l’Organisation des Nations Unies lorsqu’ils ont adapté ses règles et ses mécanismes aux besoins du moment avec le maximum de créativité.  Par exemple, le maintien de la paix – qui aujourd’hui est généralement considéré comme l’activité la plus connue de l’ONU – n’est pas mentionné du tout dans la Charte.  Il a été improvisé, dans le cadre général de la Charte, d’abord comme un moyen de stabiliser les conflits régionaux pendant la guerre froide, puis, à partir de la fin des années 80, comme une série beaucoup plus complexe de tâches en rapport avec le relèvement des institutions et le rétablissement de la confiance au sein des sociétés sortant d’un conflit.


Il nous faudra être tout aussi créatifs pour faire face aux nouveaux défis du XXIe siècle.  C’est là une question concernant laquelle le Secrétaire général s’emploie à arrêter un agenda.  Mais les changements nécessaires ne pourront être apportés que si un consensus se dégage parmi les États Membres, suscité et soutenu par un vaste mouvement mondial de la société civile.  C’est dans l’espoir de forger un tel consensus que le Secrétaire général a récemment constitué un Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement.  Et c’est à cet agenda que je souhaite consacrer la fin de mon intervention.


Les défis et le changement


Les questions auxquelles nous devons trouver une réponse n’ont pas toutes trait au terrorisme ou aux armes de destruction massive et toutes ne sont pas apparues depuis 2001 seulement.  Dans les années 90, déjà, il a fallu traiter de questions très difficiles, lorsque nous avons été témoins des atrocités commises contre la population civile dans une série de conflits internes.


Quand le gouvernement d’un État souverain soumet ses propres citoyens au génocide, au nettoyage ethnique ou à d’autres violations, d’une gravité comparable, de leurs droits fondamentaux, la communauté internationale doit-elle rester passive ou doit-elle intervenir?


La souveraineté de l’État est-elle un principe absolu et immuable, ou doit-on la juger selon la mesure dans laquelle son objectif apparent, à savoir la sécurité de la population, est atteint?  Avons-nous, comme l’a dit la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté, une «responsabilité de protéger», quand cette responsabilité naît-elle et qu’implique-t-elle?


Et si la communauté internationale décide d’intervenir, disposons-nous des ressources voulues?  Pouvons-nous être à la hauteur de nos ambitions?


De surcroît, l’après-11 septembre et la guerre en Iraq ont suscité de nouvelles questions –, mais qui soulèvent parfois les mêmes problèmes.


Il est demandé, par exemple, si le droit naturel de légitime défense, consacré à l’Article 51 de la Charte, peut encore être limité à l’instant où une attaque armée se produit, voire à l’instauration où une telle attaque est imminente.  Certains estiment que cette notion n’est plus défendable, étant donné qu’une «attaque armée» au moyen d’armes de destruction massive pourrait être lancée à tout moment, sans avertissement, ou par un groupe clandestin.


Au lieu d’attendre que cela se produise, font-ils valoir, les États ont le droit et l’obligation de recourir à la force préventivement, même sur le territoire d’autres États et même alors que les systèmes d’armes qui pourraient être utilisés pour les attaquer en sont encore au stade de la mise au point.


Selon cette façon de voir, les États ne sont pas tenus d’attendre jusqu’à ce qu’il y ait accord au Conseil de sécurité.  Ils se réservent le droit d’agir unilatéralement, ou dans le cadre de coalitions ad hoc.


On se rend compte aisément que cette logique représente une remise en question fondamentale des principes sur lesquels reposent, si imparfaitement que ce soit, la paix et la stabilité mondiales depuis près de six décennies et pourrait aisément conduire à la multiplication du recours unilatéral et illégal à la force, avec ou sans justification.


Mais cette constatation ne nous mènera pas bien loin si nous ne composons pas aussi avec les préoccupations qui poussent certains États à prendre des mesures unilatérales.  La Charte n’est pas un pacte suicidaire.  On ne saurait s’attendre à ce que les États y souscrivent à moins d’être convaincus qu’une action collective viendra réellement à bout de menaces bien réelles.


D’une certaine façon, ce problème est le même que celui avec lequel nous étions aux prises dans les années 90, même si le contexte est différent. Que la préoccupation soit d’ordre humanitaire – le sentiment d’être tenu de faire cesser ou d’empêcher le massacre d’un grand nombre de gens – ou qu’elle ressortisse à l’instinct de conservation contre une attaque sournoise à l’aide d’armes meurtrières, elle constitue clairement, dans l’esprit de ceux qui l’éprouvent, un impératif catégorique qui ne saurait être ignoré. Si l’on ne compose pas avec elle collectivement, dans le cadre de la Charte, une autre solution sera trouvée.


Il appartient donc à ceux d’entre nous qui croient fermement qu’il faut préserver et renforcer notre système de sécurité collective de prouver que ce système est capable de répondre effectivement à ces préoccupations.


Telle est la tâche essentielle du Groupe de personnalités de haut niveau, qui a été souvent appelé – mais de façon abusive – Groupe sur «la réforme de l’ONU».  Ce groupe pourra effectivement proposer des changements concernant les règles et les mécanismes de l’ONU – y compris, bien entendu, du Conseil de sécurité lui-même, dont l’élargissement n’a été que trop longtemps différé.  Mais si tel est le cas, ces changements seront un moyen d’atteindre une fin, mais pas une fin en soi.  L’objet de cette entreprise est de trouver une réponse collective crédible et convaincante aux défis de notre époque.


Je suis très heureuse qu’un éminent penseur et praticien indien de la paix et de la sécurité, le général Satish Nambiar, soit membre de ce groupe de personnalités, car je suis certaine que l’Inde a une contribution essentielle à apporter à cette réflexion capitale sur certains des problèmes les plus pressants de l’ordre mondial.


J’ai beaucoup parlé de l’Organisation des Nations Unies, et de sécurité internationale.  Je ne suis pas sûre d’avoir mentionné nommément le multilatéralisme, mais il me semble que toutes mes observations reposent sur une profonde conviction de la validité de cette façon de procéder.  Nous vivons dans un monde de plus en plus interdépendant, dans lequel aucune nation – si puissante soit-elle – ne peut régler tous ses problèmes par elle-même.  Je suis absolument convaincue que nombre des tâches auxquelles nous devons faire face ne peuvent être accomplies que dans le cadre des mécanismes multilatéraux, parmi lesquels l’ONU, de par sa portée mondiale, est certainement prééminente.  Mais le multilatéralisme ne se réalisera pas tout seul.


Il faudra un énorme effort de volonté, de la part de beaucoup de gens dans de nombreux pays, pour définir les buts communs et forger une stratégie commune pour atteindre ces buts.  C’est à cela que l’ONU s’emploie actuellement.  Son succès dépendra de la volonté et de la créativité de gens comme nous, dans toutes les régions du monde.  Quand je regarde autour de moi dans cette salle, il me semble que le désespoir n’est pas de mise.


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