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DH/366

LE COMITE DES DROITS DE L’HOMME, TOUT EN EXPRIMANT SON RESPECT POUR LES EFFORTS DE L’OUGANDA, DEMEURE PREOCCUPE POUR CE QUI RESTE A FAIRE

23/03/2004
Communiqué de presse
DH/366


Comité des droits de l’homme

Quatre-vingtième session

2178e et 2179e séances – matin et après-midi


LE COMITE DES DROITS DE L’HOMME, TOUT EN EXPRIMANT SON RESPECT POUR LES EFFORTS

DE L’OUGANDA, DEMEURE PREOCCUPE POUR CE QUI RESTE A FAIRE


Après avoir relevé un contraste entre la franchise du rapport initial de l’Ouganda et les réponses de la délégation ougandaise, l’expert du Royaume-Uni a néanmoins salué, de concert avec ses 17 homologues du Comité chargé du surveiller l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la compétence et la bonne volonté de l’Ouganda « qui augure d’un avenir brillant » en matière de droits de l’homme.  Conduite par le Ministre des affaires étrangères, Tom Butime, la délégation ougandaise a tenté de répondre aux demandes d’informations supplémentaires des experts, en particulier sur le droit d’association. 


Aux dires mêmes de la délégation, il s’agit du « droit le plus controversé » depuis la mise en place, en 1986, du système du Mouvement national de résistance (MNR).  La Constitution de 1995 prévoyant, en ses articles 73 et 269, des restrictions à ce droit, les experts se sont interrogés sur l’existence de partis politiques, et surtout sur leurs droits.  L’Ouganda compte à ce jour un seul parti légal et 47 autres qui doivent encore passer par le processus d’inscription, a reconnu la délégation.  Arguant du processus de transition dans lequel est engagé le pays, la délégation ougandaise a affirmé que le Gouvernement s’attache à passer à un système multipartite qui devrait conduire d’ici à 2006 à des élections présidentielles, législatives et municipales. 


L’Ouganda revient de loin.  Son histoire récente -et moins récente- témoigne de pratiques contraires aux droits de l’homme et à la dignité humaine, a convenu le Président du Comité, Abdelfattah Amor de la Tunisie.  Ce dernier a jugé que la prise de conscience des difficultés multiples auxquels le pays se heurte est à inscrire à son crédit.  Les problèmes posés par la lenteur de l’administration de la justice, l’existence d’enfants travailleurs ou soldats, la situation des personnes déplacées, la condition de la femme, les agissements de l’armée et de la police ou encore les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ont conduit les experts à multiplier les demandes de précisions et à s’interroger, une nouvelle fois, sur le mandat et le fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme. 


L’ayant décrite hier comme « dotée de pouvoirs quasi-judiciaires », la délégation ougandaise a fini par se rallier à la vision des experts selon laquelle la Commission est plutôt un organe consultatif qui, privée du pouvoir de poursuite, se limite à faire des recommandations au Procureur général.  Contrairement à ce qui a été compris hier, a rectifié la délégation, le Procureur général ne fait pas partie de la Commission qui n’a d’ailleurs pas le droit de se saisir d’une affaire qui a déjà été portée devant les tribunaux.


En conclusion d’une discussion « à bâtons rompus », le Président du Comité a déclaré que « ce qui a été accompli est bien peu en comparaison avec ce qui reste à faire ».  La place du Pacte dans le droit national n’est pas très claire, a-t-il tranché en mettant le doigt sur les dispositions qui, selon lui, s’accommodent difficilement de l’instrument international.  Au nom des autres experts, Abdelfattah Amor a manifesté à la délégation ougandaise son respect pour ce qui a été fait tout en se montrant préoccupé par ce qui reste à faire.


Le Comité des droits de l’homme entamera demain, mercredi 24 mars à 15 heures, le deuxième rapport périodique de la Lituanie. 


EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES


Suite de l’examen du rapport initial de l’Ouganda (CCPR/C/UGA/2003/1)


Réponses de la délégation


      Expliquant le fonctionnement du système judiciaire dont les trois instances supérieures sont la Haute Cour, la Cour suprême et la Cour d’appel, la délégation a indiqué que certains juges sont, sur recommandation de la Commission de la fonction judiciaire, désignés par le Président, sous réserve de l’approbation du Parlement.  Parlant de l’initiative « Chain Link », la délégation a précisé qu’il s’agit d’une initiative qui tend à aborder, par une approche sectorielle, les réformes judiciaires en Ouganda.  Quant à l’abolition de la peine de mort, elle a indiqué que le débat sur la question se poursuit dans le cadre d’une Commission créée à cet effet.  Les premiers résultats ont montré l’attachement du public à cette peine.


Passant aux questions sur le mariage, la délégation a souligné que par son article 31, la Constitution de l’Ouganda fixe à 18 ans l’âge minimum requis du mariage qui doit se faire avec le consentement des intéressés.  La délégation a tout de même convenu qu’en pratique le mariage précoce ou forcé continue d’être pratiqué en vertu de la coutume.  Donnant des informations supplémentaires sur la manière dont la cohabitation et la pauvreté perpétuent la violence domestique, la délégation a estimé que tout vient du contrôle des ressources par l’homme.  Pour briser le silence, le Gouvernement a entrepris, à travers les médias, des campagnes de sensibilisation.  


La délégation a rappelé qu’une unité disciplinaire avait bien été créée séparément de la Cour martiale, afin que le délinquant militaire soit jugé immédiatement après son arrestation.  Le législateur a jugé nécessaire d’accorder des privilèges spéciaux à cette Cour et, à cet égard, la délégation a confirmé que pour l’heure, il n’existait effectivement pas d’appel possible contre les décisions rendues par cette Cour martiale.


Répondant ensuite aux questions relatives à la détermination de l’appartenance à un groupe terroriste, la délégation a rappelé qu’une loi avait été adoptée à cet effet, qui fait obligation au Procureur de fournir la preuve de l’appartenance du suspect à un groupe terroriste.  Sur l’aspect extrajudiciaire, elle a affirmé que les soldats ougandais ayant commis des exactions en République démocratique du Congo ont été extradés et jugés en Ouganda.  Concernant le cas particulier de Joseph Koin, la délégation ougandaise a souligné que ses activités ayant eu un caractère international, il incombe maintenant à la Cour pénale internationale d’engager des poursuites contre lui.


Concernant les plaintes reçues par la Commission nationale des droits de l’homme relatives aux exactions et violences commises par des forces de police, la délégation a déclaré que de nombreuses dispositions du Code pénal ougandais criminalisent l’usage abusif de la force.  Tout membre de la police impliqué peut donc être poursuivi, a-t-elle ajouté.  L’armée ne tolère pas davantage la torture et si un soldat soupçonné d’avoir collaboré avec l’ennemi a été torturé, l’auteur de tels actes sera déféré devant la Cour martiale.  En outre, la police, les forces militaires et le personnel carcéral ougandais reçoivent tous une formation appropriée en matière de droits de l’homme, qui prévoit notamment un chapitre sur l’usage des armes à feu et de la force.  Le cas échéant, une réparation du préjudice subi par les victimes est assurée par le Gouvernement ougandais par l’intermédiaire du Procureur.


Sur la question de l’isolement cellulaire des délinquants violents, la délégation a rappelé qu’ils vivaient avec les autres prisonniers et que cet isolement disciplinaire, prévu par le droit carcéral, ne concerne que les cas de folie ou de violences commises à l’encontre d’autres détenus.  Enfin, cet isolement n’est jamais que temporaire, se limitant à 14 jours, a précisé la délégation.  Sur l’application de châtiments corporels, elle a rappelé l’interdiction aujourd’hui de telles pratiques dans son pays.


Répondant à la question sur l’amélioration de l’administration de la justice pour mineurs, la délégation a indiqué que des tribunaux spéciaux ont été créés afin de subvenir aux soins et aux besoins des enfants.  La loi prévoit que les conseils locaux doivent disposer d’un secrétariat permanent des affaires des enfants en charge de cette question.  Des tribunaux pour enfants ont été également créés et plusieurs directives mises en œuvres pour garantir l’application de la loi en ce domaine, qui prévoit entre autres que les enfants ne doivent pas être détenus avec des adultes.


Sur les conditions de détention des prisonniers, la délégation a déclaré faire face à des infrastructures vieillissantes et à des difficultés budgétaires croissantes.  Son Gouvernement a toutefois établi des services communautaires dans les districts afin de désengorger les prisons, augmenté les crédits alloués à l’amélioration de l’alimentation, des soins et de l’accueil, et ce, afin de faire refluer la promiscuité carcérale.  Par ailleurs, le personnel des prisons ougandaises a été renforcé par l’arrivée de 500 nouveaux fonctionnaires.  Quant à la question des dossiers encore en souffrance, il est envisagé d’augmenter le nombre de juges et de magistrats, de créer de nouveaux tribunaux, d’accélérer les procédures en cours et d’améliorer la procédure de renvoi des dossiers, a assuré la délégation.  Un poste de commissariat type est également à l’étude, afin de rendre les conditions de détention plus humaines par les services de police.  Enfin, répondant aux interrogations suscitées par l’existence des « safe houses »créées à Kampala et ailleurs pour détenir les suspects d’activités terroristes, la délégation a assuré que leur fermeture a été ordonnée en 2000, remplacée depuis par des cellules spéciales dans les établissements pénitentiaires déjà existants.


Passant ensuite à la question de l’esclavage, en particulier des enfants, la délégation a indiqué que son pays a prohibé l’esclavage et a souligné que les mesures prises par le Gouvernement s’inspirent de l’article 34 de la Constitution et deux Conventions de l’Organisation internationale du Travail (OIT) qu’il a ratifiées.  En coopération avec l’OIT, le Gouvernement met en œuvre une initiative pour retirer les enfants du marché du travail par la sensibilisation de la population, et avec l’aide de la Fédération des employeurs.  Le Gouvernement, a poursuivi la délégation, a ouvertement condamné l’exploitation sexuelle des enfants et la sensibilisation se poursuit à travers tout le pays. 


Le terrorisme qui sévit en Ouganda touche particulièrement les enfants qui sont enrôlés de force dans ces groupes armés.  Dès qu’ils sont récupérés par une unité créée à cet effet par l’armée, ils sont envoyés à l’unité de protection des enfants qui bénéficie du soutien financier de l’ONG « Save the Children ».  Les enfants passent deux jours au plus dans ces unités de protection avant d’être transférés dans des centres de réinsertion où ils séjournent pendant un mois en attendant que l’on retrouve leurs familles.  Les enfants impliqués dans les conflits armés ont besoin d’une attention particulière.  Aussi, le Gouvernement a-t-il construit des écoles spécialement conçues pour eux afin de leur donner une formation militaire et les aider à se concentrer sur les études.  Aucune obligation ne leur est faite de s’enrôler dans l’armée à l’issue de leurs études.  En général, a poursuivi la délégation, la politique d’enrôlement exige du candidat qu’il fournisse des références et des détails sur sa personne, dont sa date de naissance.  Ces dates étant très difficiles à vérifier en raison de l’absence de certificat de naissance, certains enfants se retrouvent par accident dans l’armée. 


En Ouganda, a indiqué la délégation sur une autre question, la plupart des arrestations se font sans mandat d’arrêt conformément à la loi en vigueur.  La loi permet aussi à toute personne de procéder des arrestations s’il y a lieu de penser qu’un délit est sur le point d’être commis.  Toute personne arrêtée par la police a le droit d’accès à sa famille, à un avocat et à un médecin.  Il est vrai, a reconnu la délégation, que de nombreuses arrestations se font sans enquête et sans instruction.  Elle a imputé cette pratique au manque de moyens de la police.  Toutefois, les circulations adressées aux forces de police les découragent de perpétuer une telle pratique.


Passant au sort des personnes déplacées, la délégation a indiqué que la politique en la matière est en cours de discussion, entre autres, au Parlement.  L’objectif général sera de protéger et de prêter assistance à toute personne déplacée en fournissant des directives à toutes les parties prenantes.  Des arrangements institutionnels ont été mis sur pied dont un Comité gouvernemental.  Le Gouvernement s’engage à diffuser l’information sur cette politique qui s’appuie sur la reconnaissance des droits des personnes déplacées tels que consacrés par la Constitution.  La politique garantit aux personnes déplacées le droit de réclamer une protection humanitaire auprès des autorités du district, a ajouté la délégation, en attirant l’attention sur l’existence dans chaque district d’un Comité des droits de l’homme et sur la collaboration des ONG et des organisations internationales.  La délégation a dénoncé le fait que le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) ait refusé de jouer sa part en Ouganda avant d’appeler l’Assemblée générale à se saisir de la question.


Commentant la question de la lenteur de l’administration de la justice, la délégation a imputé la surpopulation carcérale à la pénurie des ressources mais aussi à des problèmes juridiques.  Pour faire face à la situation, le Gouvernement a augmenté le nombre de gardiens de prisons, de responsables de police, de magistrats de niveau 1 et de procureurs.  Une autre mesure a consisté à réduire le coût de la justice et à améliorer la politique de prévention.  L’Initiative « Chain Link » et les directives sur les meilleures pratiques sont autant de mesures qui viennent soutenir la politique en la matière, a indiqué la délégation avant d’attirer l’attention du Comité sur le projet d’amendement du Code pénal qui permettra aux magistrats de traiter les cas en souffrance et d’élargir leur juridiction.


Questions supplémentaires des experts


      Lançant cette série de questions, M. NIGEL RODLEY du Royaume-Uni a d’abord fait remarquer que les réponses orales de la délégation contrastent avec la franchise du rapport.  Il a jugé intéressant que le rapport cite les rapports annuels de la Commission ougandaise des droits de l’homme sur la persistance des cas de torture et s’est dit surpris que la délégation nie ces faits.  L’expert a cité une lettre de Human Rights Watch dénonçant le nombre de personnes détenues par l’Armée nationale alors même qu’il lui est interdit de détenir et de juger des civils.  Les cas sont si nombreux qu’il est difficile de croire qu’il n’y a pas une certaine vérité dans ces allégations, a tranché l’expert en s’interrogeant sur la fermeture effective des « safe houses ».  Abordant, dans ce cadre, la question des conditions de détention, l’expert s’est inquiété du sort des 67% de détenus qui n’ont pas été condamnés.  Le système semble être disposé à détenir des personnes de manière illégale, en a conclu l’expert en insistant sur le fait que le niveau de surpeuplement carcéral en Ouganda est un des pires dans le monde.  Il ne faudrait pas que l’Ouganda s’appuie uniquement sur les donateurs pour améliorer la situation, a ajouté l’expert.


Nous ne pouvons ignorer les problèmes de l’absence de ressources, du conflit dans le nord du pays et de la pandémie du VIH/sida auxquels est confronté l’Ouganda, a modéré M. AHMED TAWFIK KHALIL de l’Egypte.  En revanche, il s’est particulièrement interrogé sur l’efficacité des lois et des règles visant à protéger les personnes exploitées dont les enfants.  Est-ce que des sanctions sont prévues à l’encontre des employeurs qui violent la loi? a demandé l’expert en appelant aussi la délégation à faire la lumière sur le projet pilote concernant l’élimination du travail des enfants.  « Ressentant une certaine gêne » quant aux réponses apportées à la question des enfants soldats, l’expert a cité un rapport de l’UNICEF de 1998 qui indique que plus de 14 000 enfants avaient été enlevés dans la partie nord de l’Ouganda, ce qui permet de se demander si le Gouvernement ougandais a déployé suffisamment d’efforts.  


A son tour, M. ALFREDO CASTILLERO HOYOS du Panama s’est demandé dans quelle mesure la création de zones de sécurité était compatible avec le Pacte.  Une modification de la Constitution ougandaise est-elle envisagée à ce sujet? a-t-il ajouté.  D’une manière plus générale, M. Hoyos a demandé comment se définissait aujourd’hui l’ordre public en Ouganda et si des restrictions de circulation étaient imposées aux opposants?  Enfin, il a attiré l’attention sur les interdictions de droits de résidence et sur la délivrance de permis de séjour, désireux de comprendre comment ces procédures étaient réglementées par les autorités de l’immigration.  Pour sa part, M. HIPOLITO SOLARI YRIGOYEN de l’Argentine a souhaité savoir si le service militaire était obligatoire en Ouganda, et comment la liberté de conscience, de pensée et de religion, était reconnue au sein de l’institution militaire.  Revenant sur la question de la formation des personnels administratifs, M. IVAN SHEARER de l’Australie s’est interrogé de son côté sur les programmes de formation des professions juridiques.  Il a également soulevé la question des procédures d’appel et de la peine capitale dans le cas de condamnations par des cours martiales, rappelant que les explications fournies par la délégation ougandaise ce matin ont fait apparaître que les décisions de la Cour martiale ne permettaient pas de faire appel.  Il a voulu savoir s’il existait dans la législation nationale des dispositions en matière de justice militaire qui restreignent effectivement le droit d’appel dans les cas de condamnation par cette juridiction.


Demandant plus de détails sur l’abolition des châtiments corporels, M. WALTER KÄLIN de la Suisse a ensuite souhaité connaître les conditions de détention des délinquants violents et en quoi consistait précisément leur isolement.  Revenant ensuite sur la question des personnes déplacées, M. Kalin rappelle qu’il est indiqué dans le rapport que 95% de ces personnes vivent dans des camps protégés.  Que représentent dans les faits ces camps protégés, a-t-il ajouté, s’inquiétant des graves conséquences que pourraient entraîner des attaques de la l’Armée de résistance du Seigneur.  Ainsi, il souhaité que la délégation lui explique pourquoi il n’a pas été possible d’assurer par le passé la protection de ces mêmes personnes.


M. PRAFULLACHANDRA NATWARLAL BHAGWATI de l’Inde a demandé si l’éducation primaire était obligatoire pour les enfants en Ouganda, et dans quelle mesure cette obligation, si elle était avérée, constituait un frein à l’exploitation des enfants.  Par ailleurs, est-ce que l’emploi d’enfants en dessous d’un âge raisonnable est considéré comme un crime au regard de la loi ougandaise?  Poursuivant avec le problème de la formation des personnels judiciaires, M. Bhagwati a posé la question de savoir si les candidats sélectionnés recevaient une formation adaptée en matière de droits de l’homme.  Y a-t-il une école, un cursus universitaire pour cela?  Envisage-t-on aussi des mesures en vue de réduire

les arriérés qui font pression sur l’ordre du jour de la justice ougandaise?  Il a ensuite souhaité connaître les dispositions existantes en matière d’aide juridique pour les accusés.  Ainsi, au paragraphe 396 du rapport, il est indiqué que les aveux peuvent être enregistrés devant des inspecteurs adjoints.  M. Bhagwati s’est demandé en conclusion dans quelle mesure il était approprié de procéder ainsi devant des personnels inexpérimentés.


Revenant sur la loi sur la police, M. FRANCO DEPASQUALE de Malte a demandé si l’établissement d’un conseil de la police serait envisagé à l’avenir.  Par ailleurs, à propos de la pratique de la torture, les réponses écrites précisent que des commissariats modèles ont été créés.  M. Depasquale a souhaité savoir si la présence de l’enregistrement vidéo était prévue dans ce contexte.


Suite des réponses aux questions écrites des experts


Concernant le harcèlement de journalistes indépendants, la délégation a répondu que la liberté d’expression est une question qui a été réglée par la Cour suprême qui a souligné qu’il s’agit d’un droit fondamental.  Aucune disposition ne permet au Gouvernement de suspendre la publication d’un journal ou magazine, hormis les publications pornographiques qui portent atteinte à l’intérêt public.  Seuls les journalistes en tant qu’individus sont passibles de poursuite pour publication de fausses nouvelles.  Toutefois, la loi ayant été abrogée, de telles poursuites ne sont plus possibles.  Le Gouvernement est en train de rédiger une loi sur l’accès à l’information qui doit être complété en avril 2004.  Quant aux rassemblements publics des partis politiques d’opposition, la délégation a souligné que la liberté de réunion et de manifestation est garantie pour tous par la Constitution.  Ce droit, a-t-elle précisé, n’est pas pour autant absolu.  La section 32 de la loi de police l’autorise à interdire ou à disperser toute réunion qui peut porter atteinte à l’ordre public.  Les groupes d’opposition doivent être dûment enregistrés avant de pouvoir mener librement leurs activités. 


Venant à la question de la protection des minorités ethniques et religieuses, la délégation a indiqué que les mesures en la matière s’inspirent des articles 32 et 26 de la Constitution.  Le Gouvernement met sur pied une Commission sur l’égalité des chances pour garantir et protéger les droits des minorités et veiller à ce que toute personne se voit accorder l’égalité des chances.  En outre, le Parlement a adopté les statuts d’une autorité de planification qui prévoit que la Commission sera placée sous l’égide de l’Autorité nationale de planification pour garantir que les efforts en ce sens tiennent compte des intérêts des minorités.  Enfin sur la question de la diffusion du Pacte, la délégation a indiqué que la Commission des droits de l’homme organise plusieurs ateliers de formation à l’intention des officiers des forces armées, de la police et des responsables de l’administration pénitentiaire.  Pour ce qui est des responsables de justice, la formation a été suspendue provisoirement pour s’attacher aux responsables de l’application des lois.  Pour le moment, à l’exception de la diffusion sur internet, le Gouvernement n’a pas encore publié le Pacte par manque de ressources.



Questions supplémentaires des experts


M. CASTILLERO HOYOS a souhaité davantage d’informations sur le nombre de fois où la loi sur la lutte contre la corruption a été invoquée.  Il a aussi demandé des détails sur l’interdiction faite aux avocats de formuler des commentaires d’ordre politique.  Par ailleurs, la loi antiterroriste comprend-elle des éléments propres à limiter la liberté d’expression? s’est inquiété l’expert avant de céder la parole à M. KHALIL.  Ce dernier s’est dit préoccupé par la question des mariages forcés et précoces car, en vertu du Pacte, ils constituent des violations graves des droits des jeunes filles et des femmes.  Comment peut-on affirmer qu’un mineur puisse donner son consentement à un mariage, a poursuivi l’expert en espérant que les programmes d’éducation et de plaidoyer pourraient améliorer la situation.  Est-il possible de mettre en place un mécanisme qui permettrait de déceler les mariages précoces car s’en remettre au hasard pour découvrir les coupables et les poursuivre ne saurait suffire, a ironisé l’expert en soulignant qu’« un mariage est difficile à cacher ».  Poursuivant sur la question du divorce, il a regretté le manque de référence à la discrimination pour ce qui est des causes du divorce.  Qu’entend-on en Ouganda par le « prix de la mariée », a demandé M. MAURICE GLELE AHANHANZO du Bénin, en s’interrogeant, par ailleurs, sur le pouvoir des tribunaux de dissoudre un mariage chrétien.  


La question de la liberté d’association a été évoquée par M. SOLARI YRIGOYEN.  Mettant le doigt sur la contradiction entre le Pacte et les règles ougandaises, l’expert s’est interrogé sur l’existence des partis politiques et surtout, sur leurs droits.  Quelles sont les directives données à la police? a demandé, à son tour, M. NISUKE ANDO du Japon.  Selon quels critères peut-elle autoriser ou interdire une manifestation? a-t-il également demandé.   


Réponses de la délégation


La délégation a précisé que la Commission nationale des droits de l’homme n’était pas investie des pouvoirs de poursuite.  Concernant la question de la formation des juges, elle a rappelé que des cycles de formation avaient été mis en place après l’adoption du Pacte.  La Commission n’ayant que sept ans, la question de la formation aux dispositions du Pacte n’a pas figuré parmi ses priorités essentielles.  Aujourd’hui, elle place cette question au rang de ses priorités.  Par ailleurs, le Procureur général n’est en aucun cas membre de la Commission nationale des droits de l’homme.  Enfin, a ajouté la délégation, la Commission n’a pas autorité pour régler un litige entre deux Etats ou en dehors de l’Ouganda.


Répondant ensuite à la question des mariages forcés, la délégation a souligné que si un homme avait des relations sexuelles avec une jeune fille de moins de 18 ans, leur mariage serait interdit.  Toutefois, à l’intention des citoyens de confession musulmane qui affirment que la charia autorise les jeunes filles de cet âge à se marier, des programmes éducatifs ont été mis en place afin de leur faire comprendre les dangers que représentent pour elles de telles pratiques, notamment le risque de décès lors de l’accouchement.  S’agissant du divorce, une nouvelle législation envisage qu’hommes et femmes seront désormais à pied d’égalité sur ce plan.  Sur la question de la dot et du prix de la mariée, la délégation rappelle que seuls les parents donnent à la jeune fille un prix, mais que la confusion se fait encore sur ce terme.  Enfin, les mariages civils se font sur un plan civil et les mariages religieux sur un plan religieux.


Revenant sur la question des avocats qui ne seraient pas autorisés à participer à la vie publique, la délégation a assuré que le Conseil des avocats avait décidé de demander une modification de la loi au terme de laquelle il leur serait permis de prendre part aux réunions et de rester au service de leurs clients.  La délégation a confirmé que les directeurs d’établissements pénitentiaires ont toute autorité pour imposer des isolements d’une durée sept jours; au-delà de cette durée, ils doivent solliciter une autorisation, a expliqué la délégation en réponse aux interrogations suscitées par les confinements en cellule d’isolement.  La loi actuelle prévoit par ailleurs que l’isolement doit se limiter à 14 jours et, dans ces conditions, qu’un demi-repas sera servi au prisonnier tous les deux jours pendant une période ne pouvant excéder sept jours.  Mais la délégation ougandaise a assuré que ce règlement serait prochainement abrogé par le Parlement.  Concernant les conditions générales de détention, rendues difficiles par le surpeuplement des prisons, elle a indiqué que le Gouvernement procédait à la construction de nouvelles structures afin de résoudre ce problème.  L’ajournement devrait également être abrogé en vue de désengorger les prisons.  La dernière question sur ce sujet concernait les châtiments corporels, dont la délégation a indiqué qu’ils avaient été définitivement abolis.


La délégation a répondu aussi à la question de savoir combien d’enfants avaient été sauvés par le Gouvernement ougandais.  Ce dernier a réussi à récupérer 7 000 enfants et essayé d’encourager les habitants des régions perturbées à se rendre dans les camps d’accueil pour personnes déplacées.  Revenant ensuite à la question du service militaire, la délégation a déclaré qu’il n’était pas obligatoire.  Evoquant la question de savoir si les condamnés à mort peuvent faire appel de leur condamnation, la délégation a assuré que c’était possible, de même que le recours en dernier ressort à la grâce présidentielle, sauf toutefois en ce qui concerne la Cour martiale sur le terrain, a-t-elle concédé.  Abordant ensuite la répression du terrorisme, la délégation a souligné que son Gouvernement poursuivait des individus particulièrement mobiles, puisqu’ils disposent d’armes légères.  L’acquisition récente de canonnières devrait permettre de régler ce problème.


Les restrictions sur le choix de la résidence existent en effet, a concédé la délégation, car l’Ouganda a signé un pacte sur les zones dont il faut protéger la faune et de la flore.  Le Gouvernement empêche également les personnes de se rendre dans les zones de conflit, comme dans celles de marais, mais, en dehors de la délimitation de ces zones restreintes, tout individu a liberté de mouvement.  Par ailleurs, les officiers de l’immigration ne peuvent refuser la délivrance d’un passeport de façon arbitraire, mais si cette procédure constitue une menace pour la sécurité publique ou pour une autre personne, ils sont en droit de l’interdire.


Concernant la réception des aveux par la police, la délégation a indiqué que ces aveux sont enregistrés par un inspecteur et que tout aveu obtenu par la torture n’est pas recevable devant un tribunal.  Le délai de comparution devant un tribunal est fixé à 48 heures pour les adultes et 24 heures pour les mineurs, a ajouté la délégation avant de préciser que toute personne peut s’adresser aux bureaux des plaintes de la police en cas de mauvaise conduite d’un officier.  Quant à l’armée, la délégation a rejeté l’idée selon laquelle ses casernes pourraient servir de lieu de détention.  La question des « safe houses » dans le nord du pays n’est donc pas d’actualité, a-t-elle affirmé.  Aucune tuerie extrajudiciaire n’a eu lieu à Guru, a poursuivi la délégation en indiquant qu’il s’agissait simplement de détenus proches des rebelles que l’armée cherchait à déplacer.  Le mouvement de panique qui a alimenté les rumeurs de massacres, est né de la tentative d’un prisonnier de désarmer un soldat, a encore affirmé la délégation. 


Quant à la liberté et au droit d’association, la délégation a reconnu les restrictions prévues par la Constitution qui, a-t-elle affirmé, sont soutenues par les Ougandais eux-mêmes.  Le Gouvernement s’attache désormais à les convaincre du bien-fondé d’un système multipartite.  Le pays, a poursuivi la délégation, compte déjà quelque 48 partis politiques et plusieurs autres qui doivent encore passer par le processus d’inscription.  Elle a ajouté qu’il est interdit à la police de troubler les réunions politiques légales.  Toutefois, si elle conclut qu’une réunion peut compromettre l’ordre public, elle peut recommander aux intéressés de ne pas se rassembler ou donner l’ordre d’interrompre la réunion.  Le problème de l’Ouganda est un problème de transition vers une situation meilleure et le pays dispose d’une Constitution et d’une Feuille de route qui lui permettra d’arriver à ses fins, a souligné la délégation.


Répondant à une question sur l’éducation, la délégation a indiqué qu’elle n’est pas obligatoire et qu’il revient aux gouvernements locaux de prendre des mesures pour amener les parents à inscrire leurs enfants à l’école.  Le travail des enfants de 0 à 16 ans, a-t-elle affirmé, constitue un délit. 


Questions supplémentaires des experts


Revenant au mandat de la Commission des droits de l’homme, M. RODLEY du Royaume-Uni a voulu savoir si elle peut s’impliquer dans les cas où la prérogative de recours en grâce n’est pas possible, comme les affaires portées devant la Cour martiale.  L’expert a demandé plus d’informations sur la prison de Guru en trouvant étrange que plutôt que de piéger l’adversaire en maintenant les détenus sur place, l’armée a jugé bon de les déplacer.  Si l’armée n’a pas de pouvoir de détention, comment peut-elle décider du sort de détenus? a tenu à demander l’expert. 


La délégation ougandaise se limite à décrire sa législation nationale plutôt que d’analyser sa compatibilité avec le Pacte, a regretté M. MARTIN SCHEININ de la Finlande avant d’en venir à la question de la lutte contre le terrorisme.  Il a demandé si une organisation doit d’abord être responsable d’actes terroristes avant d’être qualifiée d’organisation terroriste.  Dans le cas contraire, comment l’Ouganda détermine-t-elle l’appartenance à une organisation terroriste et quels critères objectifs sont appliqués? a encore demandé l’expert.  Passant ensuite aux mutilations génitales, il s’est interrogé sur les méthodes spécifiques pratiquées par le peuple sabiny.  


M. SOLARI YRIGOYEN a demandé s’il existait bien 42 partis politiques, comme cela avait été affirmé et combien sont effectivement inscrits.


Concernant les aveux recueillis par la police, M. BHAGWATI de l’Inde a demandé d’expliquer la présence d’un inspecteur adjoint, qui pose le problème de la manière dont ces aveux sont obtenus, puisque seule la police y assiste.  Il a ensuite souhaité savoir comment les accusés pouvaient se défendre s’ils sont privés de conseil juridique.


Réponses de la délégation


En réponse aux recommandations concernant les poursuites, la délégation a précisé que l’article 43 de la Constitution interdit la demande en grâce pour les affaires jugées par la Cour martiale. 


Concernant la lutte antiterroriste, la délégation a indiqué que le projet de loi sur les libertés individuelles n’a pas encore été adopté, assurant toutefois qu’elle a pris bonne note de tous les commentaires à ce sujet. S’agissant des questions relatives à l’aide juridique, la délégation a rappelé qu’une enquête avait été diligentée afin d’évaluer les problèmes en la matière, y compris avec les ONG sur place.  En ce qui concerne l’amendement à la loi de 2002 faisant obligation à tous les avocats de traiter les affaires pro bono, la délégation a précisé qu’il ne s’applique que dans les cas graves.


Répondant à la question sur les mutilations génitales féminines, la délégation a rappelé que leur interdiction pure et simple du jour au lendemain posait le problème de heurter des mentalités profondément ancrées dans la culture africaine.  Le Gouvernement prend bien sûr des mesures à cet égard, car ces mutilations sont dégradantes pour la femme.  Sur l’extorsion des aveux par la police, une disposition de la loi prévoit que les aveux arrachés sous la torture ne soient pas pris en compte.  Regrettant l’incident qui s’est produit à Golo, la délégation a par ailleurs précisé qu’il y avait en Ouganda 48 partis politiques, et non 42, dont un seul inscrit.  Elle a donc espéré que les 47 autres auront le courage de s’inscrire.  Il est prévu qu’un Président, un Parlement et des conseils locaux seront prochainement désignés par des élections multipartites.


Le Président du Comité des droits de l’homme, M. ABDELFATTAH AMOR de la Tunisie, a déclaré que cet échange de vue a permis de se faire une idée plus précise de la situation en Ouganda.  Reconnaissant que l’Ouganda revenait de loin, il a néanmoins souligné à quel point son histoire récente témoignait de pratiques indignes du respect des droits de l’homme et du droit international en la matière.  C’est dire si le langage de la transition s’impose car les réformes ne se font pas en un jour, a ajouté le Président, qui a rappelé que le Comité avait pour mission de s’assurer de l’application effective des obligations qui incombent à l’Ouganda en vertu du Pacte.  A cet égard, il a noté avec beaucoup d’intérêt la création de la Commission ougandaise des droits de l’homme.  Toutefois, a-t-il regretté, ce qui a été fait est bien peu au regard de ce qui reste à faire.  Il s’est ainsi demandé dans quelle mesure certaines dispositions du droit ougandais peuvent répondre aux exigences du Pacte, dont la ratification semble n’avoir eu lieu que pour prendre acte.  Par ailleurs, M. Amor a déploré que personne ne semblait réellement faire usage du Protocole facultatif à ce Pacte.


Revenant sur la condition de la femme, le Président a en particulier stigmatisé les problèmes de mutilations génitales et de polygamie, rappelant que l’ancrage des pratiques culturelles avait souvent bon dos pour justifier leur maintien et que de nombreux Etats musulmans avaient un avis différent de celui de la charia.  Il a ajouté que la polygamie était attentatoire à la dignité de la femme et de tout être humain en général.  Sur les mutilations sexuelles, il est revenu sur cette croyance qui voudrait qu’une femme non mutilée n’est pas une femme.  L’Etat n’a pas à aller de pair avec ceux qui violent les droits de l’homme, a-t-il déclaré, quand bien même cela serait imputé aux religions.  Le droit n’est pas seulement conçu pour traduire la situation misérable de la vie de tous les jours, mais aussi pour traduire ce qui est inacceptable au regard des droits de l’homme.  Il appartient donc à l’Etat d’imposer la force du droit pour mettre un terme à des violations aussi graves aux droits de l’homme.


Revenant enfin sur la lutte antiterroriste, le Président du Comité a posé la question de savoir si une organisation naissait terroriste ou le devenait, rappelant qu’il importait d’identifier et d’analyser la nature même des organisations terroristes.  Il a ajouté en conclusion qu’il fallait renforcer l’appareil judiciaire et améliorer le système carcéral pour réduire le surpeuplement des prisons.


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